Merci à Nima Sarkechik d'avoir répondu aux questions
de Piano bleu pour la réalisation de cette page.
Biographie commentée
Nima
Sarkechik est né le 25 février 1983 à Saint Martin
d'Hères en agglomération grenobloise dans une famille
où l'on partage l'amour de la musique :"Mon père
a appris le violon, d'abord en Iran avec un maître de la tradition
musicale persane, puis a continué tout seul une fois arrivé
en France. Il jouait donc un violon très particulier, vivement
inspiré de la culture traditionnelle iranienne. C'est du moins
le seul "répertoire" dans lequel j'ai eu l'occasion
de l'entendre. Car il n'était pas rare qu'au détour d'une
assemblée d'amis il sorte son instrument pour partager un moment
de musique. Mon grand-frère est musicien de coeur, et de métier.
Il fait partie d'un groupe de trois compères, "Emzel'café",
dont le style est difficilement définissable, car pétri
d'influences diverses. Pour simplifier nous pouvons parler de musique
"alternative", avec tout ce que cela comprend d'imprécisions.
Il a commencé l'étude de la musique par la flûte
traversière, instrument qui ne le quitte d'ailleurs plus depuis.
Il s'intéresse également à la musique persane,
ce qui l'a d'ailleurs mené à la pratique du Ney, flûte
traditionnelle iranienne. Nos destinées musicales sont inéluctablement
amenées à se croiser, nous en avons déjà
expérimenté les joies, le résultat est pour le
moins surprenant !"
A raison, ses parents ont dit-il "cru bon" de les
initier, son frère et lui-même, à un maximum d'activités
aussi diverses que possible. La musique a donc fait partie de leurs
activités hebdomadaires mais le piano est un choix arbitraire
qu'il explique par certains facteurs notoires : "Je crois que
le point de départ de cet attrait est né d'un petit jouet
que j'avais dans mon enfance, un "Bontempi", petit orgue qui
marchait avec des piles... je passais un temps incalculable à
jouer avec. Mon passe-temps favori était de me passer une cassette
de piano que mon père m'avait offerte (une compilation avec de
célèbres pages du répertoire), d'éteindre
mon petit orgue, et de jouer sur son clavier en imaginant que c'était
moi qui jouait. Des heures entières, à imaginer que je
savais jouer... C'était en somme mon premier contact avec la
sensation Ô combien ineffable de créer de la musique, mais
également avec la sensation de maîtrise que cela implique.
Cela me valorisait intérieurement. De là a probablement
découlé la nécessité puérile de briller,
et pour briller il me fallait être seul sur scène. Et quoi
de plus solitaire que le pianiste ? Si ce n'est le piano lui-même...
Une relation fusionnelle est née entre l'instrument et le pianiste
que je me sentais être."
Nima Sarkechik n'a jamais été attiré par la pratique
d'un autre instrument, excepté par le "Santour" : "C'est
un instrument traditionnel persan, équivalent du Cymbalum européen.
J'ai même pris quelques leçons lors de mon dernier séjour
en Iran. Mais la pratique est décidément le seul moyen
efficace pour apprendre, et le temps à y consacrer m'a rapidement
découragé. Néanmoins, je joue de temps en temps
pour moi, lorsque le "Blues" de mon identité double
me reprend..."
Nima Sarkechik débute le piano à l'âge de six
ans et intègre le Conservatoire national de région de
Grenoble en 1996 dans la classe de Christian Bernard : "Christian
Bernard symbolise ma première véritable relation avec
la musique, et par corollaire la remise en question de mon approche
du piano. La notion même de chant m'était étrangère
avant son enseignement. Un niveau d'exigence a peu à peu commencé
à grandir en moi. Je considère aujourd'hui qu'il m'a ouvert
un monde, celui de la conscience musicale et de ses conséquences
techniques et mentales. Il a su me guider avec justesse et me guide
encore d'ailleurs, avec parcimonie, mais avec toujours autant de vérité."
Pour Nima Sarkechik le fait de devenir pianiste professionnel a été
en quelque sorte une évidence pour lui au prix même de
son sport favori : "Le bonheur du piano s'est imposé
comme une nécessité. Cela étant, le métier
de pianiste comprend un certain nombre d'éléments pragmatiques
auxquels on ne pense évidemment pas lorsque l'on est très
jeune : le travail assidu de programmes toujours différents,
les négociations de contrats, l'effort constant de communication...
En somme, des choses pas toujours en rapport évident avec la
musique, mais qui font invariablement partie du métier en tant
que tel. Ce sont d'ailleurs des éléments qui peuvent dissuader
plus d'un artiste ! Dans mon enfance, j'ai été très
sportif. Je me suis lancé dans la compétition de ski de
piste, spécialisé dans le slalom spécial et le
ski de bosse. Il a fallu faire un choix entre le ski et le piano, sachant
que les poignets en prennent pour leur grade dans le ski de bosse !
C'est un risque que je n'ai pas eu envie de prendre. Ces deux vies ne
sont pas conciliables, et le piano s'est donc imposé.
J'ai toujours eu une grande fascination pour les sciences, particulièrement
les sciences physiques et les multiples forces qu'elles mettent en relation.
Je me suis penché avec passion dans l'étude de cette science,
mais le temps a rapidement manqué... Si je n'avais pas été
pianiste, je pense que j'aurais tout fait pour être physicien
!"
En
2001, Nima Sarkechik intègre le Conservatoire de Paris (CNSMDP)
où il poursuit ses études auprès de Georges Pludermacher
et François-Frédéric Guy. Il y reçoit également
l'enseignement de Marie-Françoise Bucquet, Marc Coppey et Diana
Ligeti, et poursuit sa formation en musique de chambre dans la classe
de Claire Désert et Ami Flammer. Il obtient des prix de piano
en 2005 et de musique de chambre en 2006 avec les plus hautes distinctions...."L'
enseignement de Georges Pludermacher est un mystère, et c'est
ce mystère même qui a généré une intense
recherche personnelle, dont, et je l'ai finalement compris, sa pédagogie
est la cause première. Il écoute, pense et réfléchit
aux moyens mêmes de nous embarquer dans un univers de perte de
repères pour se rapprocher de l'essence de notre propre personnalité.
Car les barrières qui m'ôtaient la perception pure de mes
propres vérités étaient nombreuses, et il m'a fallu,
avec son aide, les démanteler patiemment pour me rapprocher doucement
de moi-même. Il m'a appris à écouter à mon
tour, écouter les autres, par son amour du disque, en mettant
de côté l'amour propre qui constitue l'être humain
et qui voile parfois l'accès aux discours les plus sincères.
Un jour, il m'a remis 5 cassettes audio, chacune contenant plusieurs
versions du 5ème concerto de Beethoven, qu'il s'était
donné la peine de préparer. Il m'a alors demandé
d'écouter avec humilité, en mettant de côté
mes jugements hâtifs et mes goûts personnels, et de comprendre
pourquoi chacune des versions avait son caractère propre. Il
avait d'ailleurs pris soin de ne mentionner nulle part le nom des solistes,
du chef, ni même celui de l'orchestre afin de me préserver
de mes préjugés. Cette seule démarche a marqué
mon écoute à tout jamais. François-Frédéric
Guy est un immense artiste avant d'être un grand pédagogue.
Son enseignement repose principalement sur sa grande expérience
de la scène, et du travail approfondi que le métier requiert.
Il m'a transmis la rigueur du professionnalisme qu'exige la pratique
du piano. L'économie du travail ne peut être fait, et les
détails à corriger sont parfois nombreux. Il m'est arrivé
de ne pas oser même penser à corriger un passage tant sa
difficulté m'effrayait. Le laxisme inconscient dont j'étais
"victime" a été peu à peu chassé
par son enseignement. Mais un des plus beaux héritages qu'il
m'a légué est certainement la prise de conscience du rapport
inviolable entre l'apparente difficulté technique et la conscience
de la direction musicale d'une phrase ; l'art du chant, en vérité,
à chaque instant. Une difficulté n'est difficile que lorsque
le geste n'est pas intégré ; et cette intégration
n'est possible que si la direction de la phrase inhérente au
passage inconfortable est assimilé et clair. Cet énoncé,
dit ici sous forme de "loi" implacable, n'en est évidemment
pas une. Mais dit ainsi, l'essence des éléments éclairants
relatifs à ce phénomène sont effleurés avec
autant de justesse que possible.Ce rapport entre la musique et la technique
a particulièrement marqué ma relation au clavier, et j'en
ressens encore la puissante vérité à chaque instant
passé au piano."
Interrogé sur les éventuelles masterclasses qu'il a pu
suivre, Nima Sarkechik donne son avis sur les masterclasses en général,
sa façon personnelle de se former et confie enfin l'un de ses
rêves...:"J'ai eu en effet l'occasion de suivre des masterclasses
de diverses personnalités musicales, plus ou moins reconnues
d'ailleurs, bien que ce ne soit pas un gage de qualité. Il m'a
semblé qu'un enseignement ne peut avoir de véritable effet
positif que s'il découle d'une démarche volontaire. Aller
chercher le conseil d'un artiste est parfois nécessaire, parfois
pas. Cela dépend tout à fait de la manière dont
se manifeste l'évolution de chacun. En outre, j'ai certains souvenirs
de masterclasses qui m'ont été "imposées",
dans le cadre de mes études. Même si cela reste indiscutablement
toujours intéressant, ils ne m'ont pas "parlé",
soit par manque de pertinence, soit par manque d'écoute de ma
part, c'est difficile à dire.
Un cas cependant se distingue des expériences que j'ai eu dans
ce domaine. Je me souviens de ma rencontre avec Fou T'Song , à
la Fondation du Lac de Côme. Cette rencontre m'a profondément
marqué, par la profondeur du regard, et la clairvoyance de son
jugement. La simplicité aussi de ses conseils, qui m'ont donné
le sentiment qu'il m'offrait son immense expérience plus qu'il
ne m'enseignait.
En somme, la volonté de puiser dans l'expérience collective
s'inscrit dans une logique évolutive qui diffère pour
chacun. Le sentiment orphelin qu'incombe le travail solitaire m'a été
nécessaire dès la clôture de mes études au
Conservatoire Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Un suivi
parcimonieux avec mes maîtres a jalonné ma solitude pianistique
depuis lors. Mais l'apprentissage s'est fait pas l'assimilation lente
et complète de tout ce que j'ai pu apprendre en 6 années
d'études au CNSM. Le bilan, et l'assimilation d'autant d'informations
m'a exhorté à prendre ce temps. Assister à des
concerts, écouter des enregistrements, se documenter, lire les
écrits de Brendel, Badura Skoda, Yves Nat, Heinrich Neuhaus,
les entretiens d'Arrau, Pollini, Richter, tout cela constitue mes professeurs
les plus objectifs.
Pour n'approfondir qu'un seul de ces "enseignements", les
écrits de Brendel relatent bien des aspects de la subjectivité
musicale. Il est surtout le témoin de l'effet immensément
enrichissant de l'étude théorique de la pensée
musicale, et de l'analyse objective (autant que possible bien sûr)
de "comportements" humains à l'égard de la littérature
musicale. A la lumière de ces écrits, j'ai compris bien
des choses, et découvert bien d'autres encore. Leurs vérifications
empiriques lorsque j'écoute un concert (ou un disque) induit
une réappropriation de ces écrits, et donc une vision
puisée dans l'expérience d'un grand pianiste, qui se transforme
en vision personnelle et sensiblement différente.
Aujourd'hui, jouer pour Brendel représenterait pour moi l'aboutissement
d'une grande réflexion sur les témoignages qu'il nous
a légués. Et j'en serai magnifiquement heureux bien sûr."
Lauréat de la Fondation de France pour l'année 2003-2004,
il lui est attribué le prix Drouet-Bourgeois. En 2004, Nima Sarkechik
remporte le premier prix au Concours international de piano "Son
Altesse Royale La Princesse Lalla Meryem" à Rabat. En novembre
2005, il devient lauréat de la Fondation Natexis-Banque Populaire
pour trois ans..."Je n'ai pas accumulé autant de prix
que certains autres de mes confrères ! Mais certains (pas forcément
les plus prestigieux d'ailleurs) ont constitué une aide précieuse
pour avoir l'occasion de jouer dans des endroits inaccessibles avant
l'obtention de ces distinctions. Je pense aux "Jeudis du piano",
concours peu connu encore, mais dont la directrice, très entreprenante,
fait énormément pour ses lauréats. J'ai donc eu
l'occasion de faire mes débuts en Suisse, à la Radio Suisse
Romande, au Palais de l'Athénée à Genève,
au Festival de Saint-Ursanne, au Festival Menuhin de Gstaad, et d'avoir
diverses interviews pour la radio Suisse Romande. Le fait que mon premier
disque soit sorti peu après ce prix a donné lieu à
de nombreuses radiodiffusions du disque sur les ondes suisses.
Je pense également à la Fondation du groupe Banque Populaire,
dont le principe est d'aider les lauréats financièrement.
C'est une autre forme d'aide dont l'intérêt est indiscutable
pour les jeunes interprètes qui, bien souvent, doivent mettre
de côté leur travail pour parcourir la ville et enseigner
chez des particuliers afin de gagner leur vie, si chère aujourd'hui.
Les concours peuvent donc constituer une grande aide, leur efficacité
dépendant évidemment de l'implication du lauréat
à la suite de son "couronnement". Qui n'a jamais vu
un jeune musicien décrocher un prix prestigieux et ne pas faire
de carrière ? Qui n'a jamais vu un musicien n'ayant aucun prix
prestigieux et faire une carrière immense ? Les exemples,
dans un cas comme dans l'autre, ne manquent pas, et doivent évidemment
faire relativiser la réelle signification des concours internationaux.
Mais au delà de la victoire, c'est une merveilleuse occasion
de rencontrer des gens, des confrères de sa propre génération,
de "voir" et "d'entendre" ce qui se fait de par
le monde dans le monde musical, et d'apprendre avec une efficacité
rare, de "prendre" ce qu'il y a de beau chez les autres. Et
le travail nécessaire à sa préparation est un acquis
indélébile.
Pour conclure, je dirais que les concours internationaux souffrent d'une
image très discutable, car la comparaison inhérente à
son principe même n'est agréable pour personne (pas même
pour les membres du jury !). Mais ils peuvent être vécus
avec sérénité, et dans ce cas, ils deviennent une
aventure où seul du bénéfice peut en être
retiré. Sans parler des bonnes parties de rigolades entre nouveaux
amis qui ne gâchent rien, bien au contraire..."
Nima Sarkechik donne de nombreux concerts et récitals en France
(Festival de La Roque-d'Anthéron , au Festival d'Enghien, au
Festival du Grésivaudan, à Paris dans le cadre de l'association
des Jeunes Talents, au Musée de Grenoble, à Marseille
, à Ajaccio, au Théâtre des Champs Elysées
, au Festival des Serres d'Auteuil ...),mais aussi au Canada, USA, Royaume
Uni, Italie, Suisse, Luxembourg, Assores, Algérie, Maroc, Egypte,
Moldavie, Slovaquie, Turquie...interrogé sur les lieux où
il aimerait jouer et sur ses meilleurs souvenirs de concerts il confie
:" J'aimerais évidemment beaucoup jouer en Iran, mais
la situation politique ne me garantit pas de tout un retour en France
en bonne et due forme... J'évite donc cette destination avec
soin, à mon plus grand désespoir. J'aimerais aussi beaucoup
jouer au Japon, mais je ne suis pas pressé, je me dit que c'est
une destination quasi obligatoire de nos jours pour la musique classique,
et que je serai bien un jour ou l'autre amené à m'y produire.
Chaque concert est un cadeau, une merveilleuse opportunité de
s'exprimer, et c'est un bonheur constamment renouvelé. Il m'est
arrivé d'avoir le sentiment d'un échec, ou du moins de
ne pas avoir été la hauteur de mes propres attentes musicales.
Mais cela aussi doit être pris avec recul, le décalage
entre le son que l'on croit produire et celui que l'on crée réellement
étant inébranlable. Tous les concerts sont importants.
La seule chose qui pourrait distinguer un concert d'un autre est le
contexte dans lequel il se déroule. Le seul souvenir d'un concert
particulièrement important pour pour moi a eu lieu au mois de
Janvier dernier (2009). Il s'agissait d'un concert dans la petite église
de Seyssins, petite ville de l'agglomération grenobloise où
j'ai grandi et fait mes premiers pas musicaux. Cette église accueillait,
lorsque j'étais tout jeune élève de l'école
de musique locale, le concert annuel du Centre d'Education Musical de
Seyssins. J'ai donc rencontré pour la première fois un
public dans cette église. Revenir après toutes ces années
sur les lieux et donner un récital Beethoven/Brahms , avec un
public très nombreux (forcément : amis, familles...etc)
était pour moi un moment d'une très grande émotion.
J'étais très ému, et le suis toujours à
la pensée de ce concert."
Parmi ses concerts à venir Nima Sarkechik a un projet original
avec le pianiste jazz Serge
Forte : "J'ai rencontré Serge Forté lors d'un
stage à Flaine auquel j'étais très fidèle,
car mon 1er professeur, Christian Bernard, y enseignait régulièrement.
Serge était alors professeur de Jazz. J'avais à l'époque
donné les études de Chopin en concert. C'est à
l'issue de ce concert que Serge m'a parlé de son désir
de concrétiser ce projet, qui représente en quelque sorte
l'aboutissement ultime de son propre travail sur Chopin qui a d'ailleurs
donné lieu à la sortie de son disque "Jazz in Chopin"
en trio. Mêler les musiques différentes est une recherche
qui me séduit depuis bien des années, et sa proposition
m'a particulièrement intéressé. C'est ainsi que
cette aventure a vu le jour. Ce "spectacle" se veut à
la fois léger et sérieux, et symbolise, outre la nouveauté,
l'aspect fondamental des compositeurs de l'époque qui maîtrisaient
pour la plupart l'improvisation. Cette tradition s'est peu à
peu perdue, pour laisser place au désir de justesse dans la lecture
contemporaine des "classiques" du répertoire, pouvant
donner lieu parfois à une lecture bien plus stricte que juste
( la notion de justesse et de son rapport avec la liberté interprétative...deux
notions que le courant actuel a tendance à scinder, souvent involontairement).
Nous souhaitons donc par ce projet réconcilier les mondes du
respect du texte (avec toute la subjectivité que cela implique)
et de l'improvisation."
Son répertoire, son interprétation...
Nima
Sarkechik confie qu'il a une grande curiosité pour beaucoup de
grands compositeurs sans parenté significative :"J'ai
cependant une grande passion pour la musique germanique de la période
Baroque (Bach) à la période romantique (Brahms, Schumann),
en passant par la prolifique période classique, Mozart, Haydn,
Beethoven, Schubert. Mais j'ai un grand intérêt pour la
musique de l'ensemble du XXème siècle, avec une affinité
particulière pour la musique de Prokofiev, Bartok, et Stockhausen.
Je pense qu'un programme de concert doit être cohérent,
je ne suis pas de ceux que mêlent deux études de Chopin
avec un prélude et fugue de Bach, une transcription de Liszt
et une pièce d'Ibéria d'Albéniz par exemple (toute
ressemblance avec une programme existant est involontaire). J'aime l'idée
d'un programme axé sur un seul compositeur, ou alors deux compositeurs
avec un lien qui unit les oeuvres choisies : Beethoven/Brahms, dont
la parenté peut être mise en relief de bien des manières
; Stockhausen/Schubert, l'influence de l'un sur l'autre dépassant
le simple cadre de la musique ; Mozart/Prokofiev, la contradiction des
styles créant un ascenseur émotionnel d'une grande puissance...Un
programme auquel je pense de plus en plus : Bach : Variations Goldberg
Beethoven : Variations Diabelli".
Nima Sarkechik a déjà une idée bien arrêtée
sur l'évolution de son répertoire à moyen comme
à long terme : "Je me projette volontiers dans un avenir
assez lointain lorsqu'il s'agit de projets de grande envergure : l'intégrale
de la musique pour piano de Brahms en 6 Concerts, intégrale des
sonates pour piano de Schubert, celles de Beethoven également,
mais aussi l'intégrale des sonates de Prokofiev et le clavier
bien tempéré de Bach. Ce sont, pour l'instant, les cinq
grands projets de ma vie pianistique actuelle, projets qui peuvent évidemment
prendre toute une vie, voire plus !
Mais, sans ressentir un besoin exclusif et une endurance auditive adéquate
avec la musique de Chopin, son oeuvre fera toujours partie de mon approfondissement
pianistique ; car l'art du chant chez Chopin est merveilleusement ludique."
Interrogé sur sa façon de travailler, il confie également
:"L'étude d'une nouvelle partition implique une phase
d'apprentissage pure dont la durée varie considérablement
d'une personne à l'autre. Mais elle existe pour chacun, et elle
est un passage obligé à l'intégration d'une oeuvre
et je ne fais pas exception. Je me familiarise d'abord avec les notes,
pouvoir d'abord atteindre le stade où je peux enchaîner
la pièce avec la partition. Puis vient une période de
finition "technique", soigner les traits difficiles, nettoyer
les impuretés si j'ose dire. Mais à partir de ce stade
déjà, tous les paramètres d'apprentissage deviennent
dépendants les uns des autres : la mémoire, le choix d'interprétation
et la finition technique pure marchent ensemble. A force de répétition
la mémoire se préfabrique sur une base quasi pavlovienne
où les réflexes nécessaires à l'exécution
de l'oeuvre s'acquièrent peu à peu. Les choix d'interprétation
et la réalisation technique sont indissociables (voir paragraphe
sur François-Frédéric Guy).
Puis vient le moment où un approfondissement de chacun de ces
éléments (mémoire, technique, musicalité)
indispensables à la maîtrise de l'oeuvre est nécessaire.
Sachant que lorsque l'on consacre du temps à un seul d'entre
eux, les autres bénéficient par leur lien indissociables
également d'un renforcement mental et digital.
Pour la mémoire, je m'exerce à savoir reprendre n'importe
quel passage de l'oeuvre par coeur. Ou alors de ne jouer qu'une mesure
sur deux par coeur... Autant de stratagèmes dérivés
qui solidifient les méandres fragiles de la mémoire, et
du lien entre l'oreille et le geste.
Pour certains passages techniques, toutes les alternatives populaires
sont bénéfiques : rythmes, accents décalés,
gammes, arpèges, métronome...
Pour les choix d'options musicales, l'écoute de disques (différentes
versions de l'oeuvre travaillée, mais aussi d'autres oeuvres
du même compositeur écrites à la même période
pour d'autres instruments) la lecture attentive de la partition, les
concerts, l'analyse des fondements de l'oeuvre...
Ces aveux théoriques ne se vérifient pas empiriquement
de façon aussi strict, car, comme je l'ai précisé,
tous ces paramètres sont liés, et le travail a donc quelque
chose de mystique et d'intime ; difficile à expliquer en somme...."
Tenter d'être en harmonie avec sa propre conception de l'oeuvre
qu'il exécute est ce à quoi il attache le plus d'importance
dans son interprétation..."Cela peut paraître simple,
mais il n'en est rien. Nous sommes confrontés constamment aux
courants interprétatifs ainsi qu'à la critique qui en
résulte (consciemment ou pas) le tout imbriqué dans une
tradition qui diffère parfois d'un pays à l'autre. Il
ne devient pas évident de prendre position musicalement et de
l'assumer, ce qui, d'un certain point de vue peut être paradoxal
tant les sources d'inspiration discographiques sont diverses, car témoins
du courant interprétatif de chaque période du XXème
siècle. C'est pourtant ce qu'on demande, je crois, au musicien.
Et c'est aussi ce qu'il souhaite lui-même !"
lLa musique de chambre tient une place qu'il estime inestimable dans
son activité artistique :"Je n'ai pas de groupe de musique
de chambre constitué qui installerait une relation artistique
assidue et sur le long terme avec des partenaires particuliers. Mais
J'adore la rencontre avec d'autres musiciens qu'implique une collaboration
ponctuelle en vue d'un ou d'une série de concerts de musique
de chambre. Le fait d'être constamment en relation avec de nouvelles
perceptions musicales est passionnant, et les concessions mutuelles
sur les options d'interprétation que cela engendre est une belle
école d'humilité et de relativité : accepter que
des visions musicales différentes des nôtres peuvent être
tout aussi convaincantes et en harmonie avec ma quête d'une Vérité
artistique."
Nima Sarkechik a donné plusieurs concerts avec orchestres,
dont l'orchestre de la Cammerata Bellerive dirigé par Gabor Takacs,
l'orchestre des Musiciens de La Prée dirigé par Pejman
Mehmarzadeh, l'orchestre National de Moldavie dirigé par Didier
Talpain, et l'Orchestre de Chambre de Lausanne dirigé par Jesus
Lopez-Cobos...Interrogé sur les formules de concerts qu'il préfère
il répond :"Je n'ai pas de préférences
particulières, les deux cas de figure, musique de chambre et
avec orchestre, sont merveilleusement exaltants. Il est clair que jouer
en Concerto avec Orchestre provoque une stimulation particulière,
grisante de surcroît ; car en somme, tout un orchestre qui met
en valeur un soliste peut combler l'égo du musicien au-delà
du raisonnable ! Mais d'un point de vue purement artistique, il
s'agit en fait d'une sorte de "super musique de chambre".
Vu sous cet angle, rien ne permet d'affirmer que le soliste est plus
important que les timbales de l'orchestre...et ce n'est, d'ailleurs,
pas le cas. Jouer en récital symbolise une toute autre forme
de puissance ; le soliste a les pleins pouvoirs sur les émotions
de l'auditoire, pour le meilleur comme pour le pire. Et la sensation
que l'on en retire est évidemment très intense. En somme,
la préférence d'un domaine par rapport à l'autre
n'a pas lieu d'être dans mon esprit, si ce n'est qu'aujourd'hui
je joue bien plus souvent en récital qu'en concerto avec orchestre.
Ce manque est peut-être l'unique argument qui pourrait aujourd'hui
me faire préférer un concert avec orchestre plutôt
qu'un récital..."
Les pianistes qui marquent le plus puissamment Nima Sarkechik sont
ceux qui l'émeuvent avant tout :"Au-delà du style,
au-delà du soi-disant respect de tradition musicale, s'ils me
font ressentir des émotions, alors je suis conquis. En allant
plus avant dans l'analyse de la genèse de cette émotion,
j'ai noté certains points communs, dont le plus frappant est
l'équilibre entre le respect subtil du texte et une grande liberté
d'éloquence. Ce qui distingue enfin tout à fait les plus
grands du reste des pianistes est leur constance à agir dans
ce sens, tout en ayant un discours constamment renouvelé. Ainsi,
chaque concert devient un instant unique et beau, donc précieux.
J'en citerai donc quelques uns, parmi la foule de ceux que j'aime :
Perahia, Gould, Brendel, Lupu, Bartok (magnifique dans Chopin!), Rachmaninoff,
Lipatti, Pugno, Ignaz Friedmann, Richter, Vladimir de Pachmann, Arrau,
Kempff, Michelangeli...et bien d'autres..."
En dehors de la musique classique Nima Sarkechik écoute beaucoup
de musiques différentes : "Salsa, Musiques du monde,
Reggae, Jazz, Rap, manouche...presque tout ce qui me passe entre les
mains ! L'apport de tout ce qui s'éloigne de son activité
principale est non seulement bénéfique, mais nécessaire
; ne serait-ce que pour se reposer l'esprit. Mais d'un point de vue
plus ciblé, l'apport de toute les musiques entre elles est une
ineffable évidence. Il y a tant à dire à ce sujet,
les bénéfices en sont tellement différents pour
chacun, qu'il n'est nul besoin de commencer..."
Nima Sarkechik confie enfin qu'il a une autre passion : "Les
échecs. Sa stratégie, son implacabilité, et surtout
la responsabilité de chaque mouvement et leur conséquence
me fascinent. Il n'est jamais question de chance, ni de hasard. Celui
qui perd a perdu car il a moins bien joué, et celui qui a gagné
a mieux joué. Dit ainsi, cela peut paraître évident,
mais tant de jeux sont basés sur la providence que cette particularité
devient une véritable exception. La mémoire aussi tient
un rôle majeur dans la pratique des échecs. Les ouvertures,
et toutes les variantes de chacune d'entre elles forment un cadre autour
duquel les grands maîtres se permettent une petite improvisation,
à l'écoute de leur intuition comme de leur réflexion.
Ce subtil équilibre entre ces deux composantes mentales, le respect
du cadre, les ressources de la mémoire, font également
partie intégrante de la démarche instrumentale. Cela étant,
un lien peut toujours être trouvé entre des domaines différents.
Mais si un lien doit exister entre la pratique de la musique et les
échecs, alors ce ne peut être que ceux-là."
Ecouter...
Frédéric CHOPIN(1810-1849)
Etudes op.10
Ballades
Hugues DUFOURT(1943)
La ligne gravissant la chute
Hommage à Chopin
Nima SARKECHIK, piano
Certes ce disque du pianiste Nima Sarkechik date déjà
de plusieurs mois mais à l'approche de l'année du
bicentenaire de la naissance de Chopin il s'avère aussi
tout à fait dans l'actualité du moment d'autant
plus que cet album réunit à la fois des oeuvres
de ce compositeur et une oeuvre du compositeur Hugues Dufourt
qui lui rend un hommage. Celle-ci a été directement
créée par Nima Sarkechik lors de l'enregistrement.
Le titre "La ligne gravissant la chute" est tiré
d'un poème de Tal Coat qui fut un grand peintre et un grand
poète originaire du Finistère sud. Le poème'
dit :
"la ligne gravissant la chute,
ensevelie dans son ombre
dans le surgissement de l'arête,
s'éclaire d'un bond"
Nima Sarkechik a bien voulu nous présenter cette oeuvre
et répondre à d'autres questions autour de son premier
disque, qui permet de découvrir cet interprète,
indéniablement un jeune talent à suivre, et qui
a d'ailleurs été lors de la sortie de cet album
récompensé d'un "4 étoiles"
du Monde de la musique et "5 diapasons" du magazine
éponyme. Vous pourrez également écouter un
extrait, la seconde ballade de Chopin, un exemple qui vous permettra
de mesurer, tout comme le suggère le poème, les
deux mouvements contraires d'un trait unique qui selon Hugues
Dufourt caractérisent "la démarche de Chopin
qui fait coexister sans rupture surrection et pesanteur, ascension
et chute, angoisse et essor"... une musique volcanique
! ...cliquez
icipour lire la suite et écouter l'extrait
Nima Sarkechik sera bientôt en concert...
l09 septembre 10 Prieuré de Chirens, concert-lecture Chopin
23 septembre 10 USA, Washington D.C., Maison Française, Récital
Chopin/Dufourt
27 septembre 10 USA, Washington D.C., Kennedy Center, Récital
Beethoven, Debussy, Brahms
03 octobre 10 Limoges, deux pianos avec François-Frédéric
Guy (Copland, Proko, Gershwin, Rachmaninov)
10 octobre 10 Genève, Concert anniversaire des Jeudis du Piano,
concerto pour quatre pianos de Bach
15 octobre 10 Voiron, ImproVisions
28 au 10 novembreTransatlantique du Club Med 2, en partenariat avec
Radio Classique
novembre 10 Suisse, Festival de Compesières, concert à
2 pianos avec François-Frédéric GUY
22 novembre 10 Alger, Improvisions Chopin
04 décembre 10 Lille, Musique de chambre avec Sebastien Van Kuijk
(Chopin, Schumann)
05 mars 11 Dreux, récital Chopin
10 au 15 mars 2011 Israël (Tel Aviv, Haïfa, Beer Sheva, Jérusalem),
4 récitals Chopin/Liszt
06 mai 11 Chambéry, Théâtre Charles Dullin, Récital
avec Violoncelle
20 mai 11 Bourges, Théâtre St Bonnet, Récital (Mozart,
Beethoven, Prokofiev)
02 juin 11 Biarritz, concert Chopin
20 au 27 septembre 2011 USA, Indianapolis, Quatuor avec piano, récital
13 novembre 11 Festival Piano en Artois, concert à 2 pianos avec
François-Frédéric GUY
A voir plusieurs vidéos à suivre d'un récent
concert... at the Kennedy Center in Washington
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