Partition du morceau "El loco de Arnaud Desvignes
Après
nous avoir présenté sa partition Cloître,
le compositeur Arnaud Desvignes invite à jouer une nouvelle
partition : "El loco" . Ne vous fiez pas aux
apparences, si désormais sa photographie le présente
à Venise, c'est à Barcelone qu'il a trouvé
l'inspiration de sa nouvelle composition. "El loco"
signifie non pas 'lieu' mais "fou"en espagnol
, et tous ceux qui ont suivi des cours d'espagnol savent qu'il
faut se méfier de ce mot classé dans les "faux
ami" ... il reste à espèrer qu'elle ne
donnera pas trop de problème à tous ceux qui souhaite
la jouer même si Arnaud Desvignes indique qu'elle ne présente
pas de difficulté particulière !
Né en 1976 à Paris, Arnaud Desvignes commence
l'apprentissage de la musique et du piano dès l'âge
de quatre ans. Nourri de multiples influences musicales très
fortes, du Moyen-Âge à la musique spectrale, il forge
son écriture durant une vingtaine d'années. La violoniste
Sidonie Bougamont interprète une de ses premières
oeuvres en 1999 à Paris. Puis, à partir de l'année
2000, il devient directeur musical de la compagnie Le Tiers-Théâtre
pour laquelle il a écrit à ce jour six musiques
de scène, dont deux créations théâtrales
de la troupe. Le pianiste Nima
Sarkechik interprète Soliol, une de ses premières
suites pour piano, au Festival de Radio France à Montpellier
en juillet 2009. Le Quintette Artecombo lui a commandé
un quintette à vent dont il vient de terminer l'écriture
et qu'il a appelé Corps et Cuir.
Le mouvement caractérise sa musique : le mouvement dans
la recherche d'une forme en évolution, jamais statique,
et le mouvement dans l'évolution chromatique des structures
harmoniques. Considérant la musique comme une langue, Arnaud
Desvignes s'emploie à en utiliser toutes les ressources,
aussi bien abstraites dans les sons que concrètes dans
leur agencement.
Arnaud Desvignes
a bien voulu présenter sa nouvelle partition et répondre
à quelques questions, vous pourrez également entendre
une interprétation de la pièce :
Pouvez-vous présenter l'uvre
de la partition que vous proposez aux internautes de jouer ? Dans
quelles circonstances l'avez-vous composée et qu'est-ce
qui vous a inspiré ?
" El loco " est inspiré du tableau éponyme
de Pablo Picasso qui se trouve dans son musée à
Barcelone. C'est un petit et humble hommage au génie du
maître espagnol qui a su, notamment dans cette peinture,
rendre toute l'humanité du fou en question. C'est une interrogation
sur la normalité, sur le regard que l'on porte à
ce qui nous est étranger et, souvent, à ce qui nous
remplit de crainte. On peut d'ailleurs lire cela dans les yeux
du fou qui nous renvoient à notre propre violence. La forme
est libre mais la pièce pour piano n'est en aucun cas calqué
note pour note sur le dessin ; elle s'en inspire très librement
ainsi que de la musique folklorique espagnole qui affleure par
endroit. Comme un écho à l'obsédant regard
du pauvre homme en guenilles et aux pieds nus.
Quelles sont pour vous les meilleures
conditions pour composer ? comment travaillez-vous idéalement
et comment avez-vous travaillé pour cette uvre précisément
?
Le silence, une table, une chaise, un crayon, une gomme et du
papier musique. Et particulièrement à la campagne.
Excepté le fait que je n'étais pas à la campagne
quand j'ai écrit " El loco ", j'ai pu
m'asseoir tranquillement à un bureau avec une large fenêtre
sur les cours intérieures de Barcelone pour écrire
cette pièce et bénéficier du calme et de
la concentration nécessaire.
Quel conseil principal donneriez-vous
aux internautes qui veulent se risquer à la jouer ?
Cette pièce ne présente pas de difficultés
insurmontables. Les principales étant dans le respect du
rythme et des résonances. Le son étant une de mes
préoccupations majeures, il est important de respecter
ces résonances et d'utiliser la pédale comme il
se doit. Comme on utilisait ce terme à propos des petites
palais du XVIIIème siècle, cette pièce est
une petite folie, mais bien encadrée, où la folie
se meut comme dans une camisole.
Ici vous nous fournissez un mp3 interprété
par votre logiciel de gravure, que pensez-vous du son obtenu
par ce logiciel par rapport à celui que vous attendez d'un
véritable interprète ?
Je n'ai malheureusement pas eu les moyens de présenter
cette pièce autrement et je le regrette. Le logiciel fournit
néanmoins une lecture assez stricte de la pièce,
mais trop glacée. Il manque tout le phrasé qu'un
vrai pianiste saurait apporter. De plus, je pense qu'on ne peut
toujours pas comparer le son d'un logiciel de gravure au son d'un
véritable piano ; d'autant plus que, dans cette pièce,
les résonances jouent un rôle primordial et que seuls
un pianiste et un vrai piano peuvent les rendre.
Quels sont vos compositeurs de référence
?
Il y en a tellement depuis Pérotin Pour ce
qui est de mes contemporains, plusieurs noms me viennent vite
à l'esprit :
- Tristan Murail : puisque l'on parle musique pour piano, j'ai
en mémoire ses fabuleuses pièces que sont "
Territoires de l'oubli ", " La Mandragore " ou
" Comme un il suspendu et poli par le songe ".
- Gérard Pesson : la poésie de sa musique, la retenue
dans l'usage et, si j'ose dire, l'usure qu'il fait du son. Son
récent et magnifique disque de la majeure partie de ses
uvres pour piano.
- Pascal Dusapin : immense compositeur, autodidacte. Au piano,
je pense à ses études récentes. Et surtout
ses grandes pièces pour orchestre et ses opéras.
- Henri Dutilleux : pour son indépendance, la constance
de sa maîtrise musicale et le passeur qu'il est à
mes yeux.
- Pierre Boulez : pour tout le travail qu'il a accompli, son uvre
bien entendu, mais aussi la défense d'une certaine musique
après la guerre et la fondation d'institutions incontournables
aujourd'hui.
Il y a aussi les jeunes comme Jérôme Combier, Colin
Roche, Bruno Mantovani, Yann Robin et tellement d'autres. Les
anciens : Grisey, Ligeti, Stockhausen, Xenakis. Mais je ne vais
pas les citer tous. Et puis ceux de Monteverdi à Webern
qui ont tellement apporté à la musique.
Pouvez-vous en dire plus sur votre conception
du mouvement dans la musique ?
Je pense " mouvement " dans la musique de deux manières
et ces deux manières vont de pair quand j'écris.
Mouvement dans la forme puisqu'en musique l'on va toujours d'un
point à un autre dans le temps et l'espace (on pourrait
même dire que l'on a changé de lieu après
un concert étant donné l'impact du temps musical
sur ce lieu) ; cette conception du mouvement dans la forme peut
avoir de fortes implications sur la teneur de cette forme, à
savoir, par exemple, la non-répétition de thème
ou de cellule rythmique au cours de cette pièce, comme
des éléments musicaux laissés à l'abandon,
éléments qui se suffisent à eux-mêmes.
Mouvement aussi dans la structure harmonique puisque je fonctionne
par progressions chromatiques, de l'énoncé d'un
son en passant par les onze autres qui le suivent dans l'ordre
que je souhaite, au moment où j'écris ce que j'entends.
Sans pour autant rentrer dans un système sériel
puisque une cellule thématique peut ne comporter que quatre
ou cinq sons ; l'harmonisation peut alors utiliser les sons qui
restent.
Par ailleurs, j'utilise parfois la micro-tonalité pour
me rapprocher au plus d'un son polarisé dans la partition,
son autour duquel évoluent les autres et vers lequel ils
tendent.
Vous considérez la musique comme
une langue, cela signifie-t-il qu'elle est pour vous plus proche
d'un langage parlé et de la poésie que du chant
et qu'elle doit forcément transmettre un message ?
La musique est une langue en elle-même, qui a ses codes,
sa grammaire, son orthographe, son écriture, ses structures.
Elle est différente de notre langage parlé : il
nous est tous arrivé de ne pouvoir mettre des mots sur
ce qu'on avait ressenti lors d'un concert.
En revanche, et je fais la distinction entre langage parlé
et poésie, la musique est très proche de cette dernière,
dans le sens où les mots n'ont plus seulement une vocation
utilitariste pour décrire quelque chose, mais où
ces mots dépassent cette simple description pour atteindre
un autre univers. Un autre universel. C'est la même chose
pour les sons en musique.
La musique peut être utilisée de manière politique
et, dans ce sens, transmettre un message. Et si c'est le cas,
je crois, à ce moment précis, que la musique doit,
à l'instar de tous les autres arts, délivrer cet
unique message : celui d'élever l'homme au-dessus de l'animal.
La musique ne doit pas servir à détruire mais à
sublimer notre propre violence, à la dépasser, à
transformer son énergie vers un but plus élevé,
réellement créateur. Mais c'est un message implicite
et propre à tous les arts. Cela dépend de l'utilisation
qu'on veut bien en faire par la suite.
Par ailleurs, la musique EST chant, avant toute chose. J'ai le
souvenir d'un de mes professeurs qui me répétait
souvent vouloir qu'une uvre de musique chante : " il
faut que cela chante " me disait-il. C'est tout le principe
de la musicalité.
Et puis, l'interprétation que l'on a d'une uvre,
est tellement multiple, propre à chacun, à ce que
chacun veut bien comprendre, qu'il est vain de vouloir lui donner
un sens précis. Chacun y puise ce qu'il veut bien y puiser.
Enfin, il existe aussi bien des musiques à programme que
des musiques dites pures. Ces dernières trouvent un champ
d'expérience assez large aujourd'hui avec une certaine
abstraction musicale. Au-delà de cette opposition un peu
surfaite, je pense simplement que la musique a besoin de sens
et qu'écrire de la musique est, avant toute chose, donner
du sens.
Avez-vous parfois peur que votre langage
soit incompris ?
Je vous répondrai que cela dépend de l'auditeur.
Il y eut tellement d'expériences musicales au cours du
siècle dernier, et, pour certaines, d'une si grande radicalité,
que je ne crains pas l'incompréhension. Tout au plus, craindrais-je
le désintérêt. Mais je n'écris pas
pour flatter qui que ce soit ou pour lancer une mode. Je ne m'enferme
pas non plus dans une tour d'ivoire. Ecouter la musique contemporaine
est surtout une question d'ouverture d'esprit ; on peut y venir
aussi bien très cultivé que totalement ignorant
de la chose. Je pense aussi que pénétrer un univers
est une chose particulière et qu'il faut parfois du temps
pour y parvenir.
Vous avez-vous vous-même étudié
le piano , et cet instrument tient une part importante dans vos
compositions ; est-ce l'instrument pour lequel vous préférez
composer ?
J'ai appris le piano à l'âge de quatre ans et c'est
un instrument pour lequel j'ai toujours écrit. Mes premiers
balbutiements d'écriture ont été pour le
piano vers l'âge de douze, treize ans. Puis, même
si j'ai toujours eu beaucoup de plaisir notamment à improviser
sur cet instrument, parfois pendant des heures, je l'ai mis à
distance pour la composition, préférant l'écoute
intérieure dans l'acte de composer. C'est ainsi que j'aime
écrire pour tous les instruments et découvrir ce
qui fait leurs particularités. Je ne peux pas dire que
je préfère écrire pour le piano : j'aime
tous les instruments pour leur timbre propre et, lorsque j'écris
pour un ou plusieurs instruments, c'est parce que je " sens
" leurs timbres et que j'ai envie d'écrire pour ces
timbres-là.
Par ailleurs, je n'avais pas écrit depuis un moment pour
le piano : ma dernière pièce, " Soliol ",
date de 2002( "Soliol" a été éditée
aux Editions Musicales Rubin et elle est donc disponible à
la vente) . Et je m'y suis remis, non sans plaisir, l'été
dernier : deux pièces sont ainsi nées, " Feuillage
" et " Cloître ". Je pense même à
une troisième pièce venant parachever cette sorte
de triptyque, triptyque qui ferait au total plus d'une demi-heure
de musique.
Le pianiste Nima
Sarkechik a interprété Soliol, une de vos premières
suites pour piano, au Festival de Radio France à Montpellier
en juillet 2009, comment avez-vous vécu cette création
puisque vous étiez présent et quels échos
en avez vous reçus en retour ?
J'ai très bien vécu cette création : j'étais
fou de joie quand Nima m'a dit qu'il la jouerait à Montpellier,
pas très loin de l'endroit où elle avait d'ailleurs
été écrite, dans les Cévennes. J'avais
rencontré Nima quelques temps auparavant et lui avait confié
quelques uvres. Je lui suis très reconnaissant d'avoir
choisi " Soliol " et de l'avoir si bien interprétée.
Il a un toucher très sûr et donne à entendre
une très large palette de nuances.
Je pense par ailleurs que le public a apprécié l'uvre
: une femme notamment, après le concert, m'a dit que j'avais
bien su rendre la beauté des Cévennes (puisque "
Soliol " est une suite cévenole pour piano et que,
même si elle n'emprunte rien à la musique populaire
locale, elle s'attache à " décrire " les
lieux). Je peux aussi dire que le public était un public
de qualité qui a su écouter l'uvre.
Quels sont les pianistes hormis vous-même
et Nima Sarkechik qui ont joué vos pièces
Malheureusement aucun. Ma musique est peu jouée, non
seulement parce que je suis jeune mais aussi parce que j'ai un
parcours particulier d'autodidacte et que je n'ai pas suivi la
" voie royale ".
Etes-vous à la recherche d'éventuels
interprètes ou bien travaillez-vous actuellement avec des
pianistes sur un projet ?
J'ai dédié " Feuillage " à Nima,
non seulement en guise de remerciement mais aussi parce que je
sais qu'il en fera quelque chose de bien. J'ai aussi l'idée
d'un concerto pour piano dont j'ai déjà plusieurs
esquisses.
Je serai également très heureux que des pianistes
s'intéressent à ma musique et la fassent connaître.
Quelle est la part de vos compositions
faites " sur commande " ?
Le quintette à vent Artecombo m'a passé commande
il y a deux ans. J'ai terminé l'uvre et attends sa
création avec impatience !
Une amie clarinettiste m'a aussi passé commande d'une pièce
pour clarinette et marimba et cela m'enchante beaucoup car leur
timbre me plaît énormément.
En dehors de cela, je n'ai pas beaucoup de commande et j'écris
spontanément selon mon inspiration et mes possibilités
de travail. J'ai toujours beaucoup d'idées et c'est surtout
le temps qui me manque.
Lorsqu'il ne s'agit pas d'une commande,
qu'est-ce qui vous inspire le plus souvent ?
Tout m'inspire. Savoir observer, avoir l'il est très
important. Ce peut être aussi un mot et ce que ce mot représente.
Penser à quelqu'un également. Ce peut être
un écrit, un tableau, une sculpture. Je dois dire que j'apprécie
particulièrement la nature, les arbres surtout, et que
c'est toujours un bonheur pour moi de sillonner la campagne, de
marcher le long de la mer ou crapahuter sur le flanc d'une montagne.
En tous cas, et si elle ne fait pas l'objet directement d'une
inspiration, la nature participe beaucoup à l'épanouissement
de mon écriture.
Avez-vous une (ou plusieurs) de vos compositions
que vous chérissez particulièrement ? la(les)quelle(s)
?
J'aime tous mes enfants ! Mais, il est vrai que, le temps passant,
et même si je suis toujours heureux de l'avoir écrite,
je prends de la distance avec une uvre. Pierre Boulez disait
qu'il fallait tuer son uvre pour pouvoir passer à
la suivante. Sans forcément aller jusque là, je
crois qu'il a en grande partie raison et qu'une nouvelle uvre
est une nouvelle aventure.
Partition de "El Loco"- Arnaud Desvignes
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