Guillaume de Chassy,piano
Thomas Savy, clarinettes
Arnault Cuisinier, contrebasse
Voici un disque "Silences" particulièrement
bienvenu pour aider à aborder la nouvelle année
sereinement.
Certes il vous faudra attendre le 24 février 2012 pour
vous le procurer mais découvrez dès à présent
quelques extraits de ce prochain disque avec le pianiste Guillaume
de Chassy à paraître chez le label Beejazz.
Après un précédent disque solo Guillaume
de Chassy est cette fois accompagné de deux musiciens,
Thomas Savy, multi intrumentiste ici clarinettiste, et le contrebassiste
Arnault Cuisinier, qui tous deux partagent la culture de la musique
classique et le souci du beau son avec Guillaume de Chassy.
Cet album "Silences" a été enregistré
en octobre dernier dans un lieu particulièrement adapté
à une recherche sonore. Un lieu très paisible et
aussi propice à une musique sereine : L'abbaye de Noirlac.
Celle-ci est considérée comme "l'une des
plus belles abbaye cistercienne d'Europe" et "est le
reflet de l'ascétisme monacal ", un lieu dont
on ne compte plus les années mais les siècles puisque
cette abbaye date du douzième siècle. Aujourd'hui
c'est un "Centre culturel de rencontre, qui ambitionne
de lier la richesse patrimoniale du monument à une actualité
artistique dense et éclectique".
Les trois musiciens, qui se disent "mécréants
convaincus", ont choisi ce lieu pour le recueillement
qui s'y impose et pour la chance unique qu'il leur offrait d'atteindre
là un idéal poétique et humaniste. Bref un
lieu idyllique pour réaliser une musique collective lente
et apaisée, telle la souhaitaient-ils en réponse
à notre époque qui semble celle "de la vitesse
à tout prix" et qui interroge aussi par sa glorification
de la "performance individuelle", et son "monde
cerné par le tumulte et le chaos" .
Dans un de ces précédents disques, paru il y a
deux ans "Songs from the last century" Guillaume
de Chassy et le contrebassiste Daniel Yvinec s'étaient
aussi isolés : une semaine dans une maison au bord de l'océan
atlantique pour éprouver quelques 150 chansons essentiellement
anglo-saxonnes qui ont marqué le vingtième siècle
; cette fois hormis "Adieu , Chérie" issu
d'une chanson du film du même titre (1945), joué
ici en piano solo, le répertoire d'origine est instrumental,
et plus sobre, essentiellement tendre et mélancolique hormis
deux morceaux jazz "Birth of the trio" et "Majeur"
de Pierre Dayraud, ainsi il invite à porter l'oreille "du
côté de chez Schubert" - Sonate opus 78
que l'on peut justement découvrir un double disque récent
du pianiste Paul Lewis, voir
ici), et également "du côté de
chez..." des compositeurs du début du vingtième
siècle : Poulenc (les chemins de l'amour), Prokofiev
(Concerto n°2) et Chostakovitch (deux préludes de l'opus
87)... Un répertoire qui après un démarrage
un peu plus mouvementé "Du côté de
chez Poulenc part1" (probable reflet du tumulte et chaos
de notre monde) leur inspire le plus souvent une belle musique
nostalgique, riche en "silences" purs ou réultant
de l'émotion, dans la lignée de la poésie
musicale habituellement offerte par le pianiste Guillaume de Chassy,
et à laquelle les deux autres musiciens adhèrent
en totale harmonie avec leur propre personnalité. Cette
musique ouvre la porte à trois parties de musique plus
libre dénommées... "Silences".
Silences musicaux plus intenses et plus personnels pour un voyage
qui s'éloigne du passé et prend de la hauteur de
vue et surtout d'oreille sur l'instant présent grâce
à la résonance exceptionnelle permettant une meilleure
écoute et sensation des vibrations de chacun, un partage
musical dont s'éclipse momentanément la clarinette
pour revenir apporter sa couleur chaleureuse dans la partie finale...
dont il reste à chacun d'imaginer la suite dans le long
silence final qui en résulte.
Une sélection de très courts extraits de quelques
morceaux vous permettra de vous en faire une idée (pour
les trois premiers extraits il s'agit du début des morceaux
mais pour les autres ce sont des extraits qui paraissent plus
significatifs) à écouter et écouter également
un morceau entier . Guillaume de Chassy a bien voulu répondre
à quelques questions sur cette nouvelle expérience
:
Pouvez-vous
présenter les deux musiciens qui vous accompagnent pour
ce nouvel enregistrement ?
Arnault Cuisinier et Thomas Savy font partie de ces quelques
musiciens de jazz qui ont une profonde culture de la musique classique.
Tous deux sont bien sûr largement "médaillés"
dans le domaine du jazz et des musiques improvisées, mais
ils ont gardé ce souci du beau son, ce sens de la respiration
et cet art des nuances qui caractérisent les musiciens
classiques.
Je connaissais Arnault de longue date pour jouer dans son quartet
(avec lequel nous avons sorti un disque en 2010 sur le label Laborie).
En plus d'être un contrebassiste transfrontalier entre classique
et jazz, c'est aussi un excellent chanteur classique (baryton).
Quant à Thomas, j'adorais son travail à la clarinette
basse, dont il est aujourd'hui le représentant le plus
remarquable en France. Je l'ai appelé en lui proposant
de jouer cette fois de la clarinette soprano dans mon projet,
ce qui l'a immédiatement enchanté : il a pratiqué
Mozart, Schubert et Brahms sur cet instrument. Dès la première
répétition avec ces deux musiciens, j'ai aimé
le son de notre trio et senti profondément une communauté
de pensée. Nous voulions tous trois aller dans la même
direction : il ne restait plus qu'à travailler...
Comment est née l'idée d'enregistrer
dans l'abbaye de Noirlac ?
En juillet 2010, j'ai donné un concert dans cette abbaye
avec Brigitte Engerer.
L'organisateur et directeur du centre culturel de Noirlac, Paul
Fournier, m'a ensuite proposé une collaboration plus approfondie.
J'ai commencé à réfléchir avec ma
maison de disques (Beejazz) à un nouvel enregistrement
qui pourrait s'inscrire dans l'esprit du lieu et s'adapter à
son acoustique exceptionnelle. Je me suis vite orienté
vers un projet "chambriste", intimiste, inspiré
certainement par le trio Jimmy Giuffre (clarinette)-Paul Bley
(piano) -Steve Swallow (contrebasse)de 1961, formation éphémère
mais restée mythique dans l'histoire du jazz. Côté
classique, j'avais dans l'oreille les sonoritées entendues
chez Prokofiev, Schubert ou Berg . Une fois le choix- crucial-de
mes partenaires réalisé, j'ai dû m'adapter
aux conditions si spéciales de notre studio cistercien.
L'abbaye de Noirlac est un lieu d'une beauté et d'une sérénité
extraordinaires, qui ont été pour beaucoup dans
notre inspiration durant l'enregistrement.
La qualité du silence, l'odeur des pierres et la paix de
la campagne environnante contribuent à cette magie.
Votre musique semble très difficile
à définir : vous même dites dans votre texte
de présentation : "musique lente" , "musique
apaisée", "musique économe et collective"aussi
est-ce par l'ensemble de ces termes qu'il faudrait éventuellement
"l'étiqueter" plutôt que comme "musique
jazz" et en quoi est-elle "musique jazz"
plus que "musique contemporaine" hormis peut-être
le fait d'improviser mais l'improvisation est aussi pratiquée
par des musiciens de l'univers dit "classique" ou "musique
savante" ... ?
D'accord avec votre analyse, si tant est qu'il faille à
tout prix "étiqueter" une musique...
Plus j'avance dans mon travail de musicien et plus je me rapproche
de ce que je suis au plus profond de moi ; et ce "quelque
chose" échappe décidément aux classifications.
C'est avant tout de la musique- ... tout court. Dans l'album "Silences",
si notre conception du son et des nuances nous rapproche d'un
trio de musique classique, notre manière d'improviser avec
le rythme, la mélodie et l'harmonie est bien caractéristique
du jazz.
Vous dites qu'une fois dans les lieux
vous avez "gommé" vos partitions et "épuré
vos improvisations", en raison du tumulte et chaos de
notre monde , voulu réaliser une musique apaisée
, pour vous la musique doit donc être utilisée dans
un démarche pacifiste, est-ce une réponse à
des musiques au contraire révolutionnaires et en tant que
musicien pensez-vous aussi avoir un message à faire passer
dans ce sens ?
Je ne veux pas opposer une musique à une autre. Cependant,
ce que je cherche dans la musique est une manière de réenchanter
le monde, de m'apporter (et d'apporter aux autres) une certaine
pureté, une forme de consolation au milieu du tumulte et
de la laideur qui m'aggressent.
Par ailleurs, lors de mes concerts, j'aime parler au public de
l'importance de la beauté, de la sincérité
et du partage dans nos sociétés de plus en plus
brutales et vulgaires. Plus l'Art en général et
la musique en particulier sont soumis aux règles du divertissement
et du marketing et plus nous, artistes, avons le devoir de défendre
ces valeurs simplement humanistes.
Musicalement, le lieu de votre enregistrement
propice à une certaine réverbération du son
qui emplit déjà un grand espace sonore ou fait ressentir
le son avec une plus grande intériorité et amplitude
n'est-il pas aussi propice justement à un épurement
sonore ?
Oui, plus que dans aucun autre de mes enregistrements précédents,
le lieu de la captation -ce majesteux réfectoire roman
du XIIe siècle- a profondément influé sur
nos modes de jeu et sur l'esprit de notre musique.
Qu'aviez vous préparé avant
l'enregistrement et avez gommé ?
J'avais prévu un certains nombre de thèmes très
typés "jazz", donc assez virtuoses, qui se sont
avérés totalement déplacés, inexécutables,
dans l'acoustique très réverbérée
de l'abbaye.
Seuls deux ont "survécu" (Birth of a trio et
Majeur), moyennant un sérieux toilettage et une approche
très collective et sobre de l'improvisation.
Par ailleurs, nous avons consacré de grands moments à
des improvisations totalement libres, qui ont donné la
série de pièces intitulées "Silences"
1,2 et 3. Au final, c'est bien l'acoustique et l'esprit de l'abbaye
qui ont contribué à façonner notre musique.
C'est une expérience fascinante...
Comment avez-vous sélectionné
les compositions classiques à l'origine de vos autres improvisations
?
Ces oeuvres m'accompagnent depuis de nombreuses années.
J'ai découvert la chanson "Les Chemins de l'Amour"
d'abord par Yvonne Printemps puis je l'ai adaptée dans
le spectacle "De l'amour et autres démons",
hommage aux chansons de stars des années 30 que j'ai monté
avec la soprano Geneviève Boulestreau.
Je dois la découverte des préludes de Chostakovitch
et de la sonate Op. 78 de Schubert à Sviatoslav Richter,
mon pianiste absolu, qui les jouait comme personne.
Quant au 2e concerto pour piano de Prokofiev, véritable
monument, je l'écoutais tout enfant (interprété
par Michel Béroff) dans la voiture de mes parents.
Et à côté de ces partitions
classiques il y a la musique de "Adieu chérie"
: un film qui raconte l'histoire d'un jeune bourgeois fêtard
qui propose a une belle entraîneuse d'entrer dans sa famille,
et de s'y faire épouser en lieu et place d'une riche héritière....
quelle est la raison de ce choix ?
Je suis un fan transi de Danielle Darrieux, qui chante divinement
cette chanson dans le film.
Et la mélodie se situe quelque part entre Poulenc et Irving
Berlin, entre le Montparnasse et le Broadway des années
40 (l'âge d'or de la chanson) ce qui lui donne un charme
irrésistible de paradis perdu.
Cette musique semble difficile à
jouer ailleurs , mais avez-vous cependant des concerts de prévu
où vous pourrez la jouer dans des conditions proches peut-être...
?
Ce trio n'est sans doute pas adaptées aux grandes scènes
amplifiées en plein air. Il est, en revanche, idéal
pour les configuration acoustiques : scènes intimistes
de musique classique ou de jazz, églises, chapelles, musées,
salons etc
Par exemple, les concerts de sortie de l'album auront lieu à
Paris dans le foyer du théâtre du Châtelet,
les 7 et 8 mars 2012 : un lieu magnifique où j'ai déjà
joué en piano solo. La proximité du public et l'absence
d'amplification y sont très stimulants pour les musiciens.
Pour écouter
de courts extraits
de "Silences"
Guillaume de Chassy,piano
Thomas Savy, clarinettes
Arnault Cuisinier, contrebasse
cliquez sur le triangle des lecteurs
ci-dessous
Du
côté de chez Poulenc 1
Du côte de Chostakovitch
Birth of a trio
Du côté
de chez Poulenc Part2 Majeur
Du Côté de chez Prokofiev