Variations sur un thème original en ré majeur opus
21 n°1
Huit Klavierstücke opus 76
Deux Rhapsodies opus 79
Trois Intermezzi opus 117
Adam Laloum, piano
Le pianiste Adam Laloum n'a
pas eu un parcours traditionnel, sa première rencontre
avec le piano à l'âge de six ans n'a duré
qu'une heure, le professeur ayant rapidement jugé qu'il
n'était pas fait pour jouer de cet instrument parce qu'il
était... trop agité !
Heureusement quatre ans plus tard une personne de sa famille a
trouvé le moyen de canaliser cette agitation puisqu'il
s'est alors mis à apprendre tout seul simplement après
avoir jouer avec elle la "Lettre à Elise"
de Beethoven. Adam Laloum a ensuite travaillé avec d'autres
professeurs qui n'ont pas non plus toujours été
sur la même longueur d'onde que le jeune homme que l'on
devine certes d'une forte personnalité puisqu'il confie
à l'occasion d'un entretien pour la sortie de ce disque(voir
ici), qu'il ne fonctionne que instinctivement, jouant avec
son coeur, et sans appliquer de méthodes rigoureuses, mais
à long terme ce caractère se révèle,
faut-il s'en surprendre, plus un atout qu'un défaut pour
interpréter des oeuvres au piano. Parmi ses professeurs
d'ailleurs quelques uns ont su, confie-t-il, le réconcilier
avec la musique, ainsi la pianiste Claire
Désert qui a sorti en début d'année un
disque également consacré à des oeuvres de
Brahms et Robert et Clara Schumann, c'est donc avec l'un de ses
élèves, dont le talent est aujourd'hui reconnu ,
il est notamment lauréat du premier prix au concours Clara
Haskil en 2009, que le label Mirare a choisi de compléter
ses enregistrements de ce compositeur qui était à
l'honneur lors de la dernière Folle journée de Nantes.
A écouter ce disque Brahms, et à voir le pianiste
en concert, l'on mesure le chemin parcouru par Adam Laloum depuis
cette anecdote de son enfance, car les oeuvres qu'il a choisies
ont majoritairement un caractère plus méditatif
qu'expansif, ainsi que ce soit dans les Variations opus 21
n°1, écrites par Brahms à 24 ans, soit
l'âge actuel d'Adam Laloum, et que le compositeur qualifia
lui-même de "Variations philosophiques"
d'un "nouveau style plus strict et plus pur"
qui n'ont rien d'extraverti, ou les Huit Klavierstücke opus
76 "qui laissent place aux paysages intérieurs
, au monde clos où domine la rêverie et la mélancolie",
ainsi l'explique Rodolphe Bruneau-Boulmier, auteur du livret,
et encore dans des oeuvres plus tardives tel l'opus 117 écrites
au soir de la vie du compositeur et où " même
un auditeur serait de trop pour cette musique - non du secret,
mais du mystère car on ne sait pas ce qui se cache derrière
: angoisses métaphysique, sans doute, exploration du silence
certainement".
Oeuvres intimistes certes mais dans lesquelles se cache une forte
agitation extérieure en fait très contenue que certains
épisodes au caractère orageux ou passionné
laisse deviner... Agitation également parfois plus extériorisée
ainsi dans les deux Rhapsodies de l'opus 79 dans lesquelles
un ami de Brahms, Theodor Billroth y voyait le retour du "Johannes
Brahms et tempétueux"(voir plus bas une vidéo).
Le très romantique Cappricio n°1 de l'opus 76 offert
par Brahms à Clara Schumann que vous pourrez écouter
également est un parfait exemple d'agitation toujours très
présente mais retenue. Clara Schumann parait-il le trouvait
"très difficile", car c'est un périlleux
exercice d'équilibre à atteindre entre les envolées
et les chutes, tout se trouve entre le souffle et les retombées
explique encore Rodolphe Bruneau-Boulmier. Assurément Adam
Laloum trouve ce juste équilibre sonore et maîtrise
aujourd'hui comme un roi dans son propre pays toute agitation
au piano dans une interprétation touchante où la
douce rêverie poétique exprimée avec talent
écarte toute violence naissante traduite avec une énergie
controlée tout à fait convaincante ! Il a bien voulu
répondre, en complément à des questions sur
son parcours, à quelques autres questions sur son disque
:
Lors de votre premier concert avec orchestre,
vous avez interprété un Concerto de Brahms. Ce compositeur
tient-il depuis toujours une place particulière dans votre
répertoire ?
Johannes Brahms est un compositeur auquel je suis très
attaché. Plusieurs de ses oeuvres ont marqué
mon adolescence. Je garde précieusement un disque du quatuor
Alban Berg contenant le Quintette avec clarinette opus 115 et
le Quintette à deux altos opus 111. Les oeuvres pour
clarinette de Brahms sont d'un recueillement particulièrement
émouvant. Le 2ème Concerto est aussi associé
à des moments importants de ma vie. Je crois qu'il
en va de même pour toutes les oeuvres que nous interprétons
en concert, nous avons tous une histoire avec chaque oeuvre,
des histoires plus ou moins profondes ou marquantes. La musique
reste notre nourriture essentielle.
Vous avez bâti votre programme comme
un journal intime du compositeur, ainsi Brahms appelait les Variations
de l'opus 21 « Variations philosophiques »,
en quoi ce qualificatif vous semble-t-il justifié notamment
en regard des précédentes variations qu'il
avait écrites ?
La variation est une forme fétiche de Brahms. On sent
déjà avec les Variations sur un thème de
Schumann opus 9 un art particulier pour les jeux de contrastes
ou de continuité entre les variations, une inspiration
libre qui semble sortir de la variation académique. La
première grande réussite fut le second mouvement
du Premier Sextuor opus 18.
Les variations opus 21 n°1 sont d'une tendresse infinie.
La tonalité de ré majeur en accentue le sentiment
de sérénité et de lumière. Ce thème
baignant sur une pédale de ré a quelque chose de
très positif, une forme de bonté, de générosité.
Quelques épisodes orageux viennent troubler cette quiétude.
La variation finale consolatrice est d'une beauté
très émouvante.
Ces variations sont dépourvues de toute virtuosité
et d'artifices. On sent la démarche humble d'un
compositeur à la recherche de pureté, un hommage
ému à Bach.
L'opus 76 dans lequel l'écrivain
Eduard Hanslick voyait des monologues, est composé de quatre
capriccii et de quatre intermezzi, trouvez-vous que ces monologues
ont des différences importantes selon ces deux formes ?
A la première écoute, on entend une différence
de caractère entre Capriccii et Intermezzi. Les Capriccii
sont souvent tourmentés, agités et parfois violents
et sauvages comme l'opus 76 n°5 par exemple. L'Intermezzo
semble plus résigné, tourné vers l'intérieur.
Quant au point de vue purement formel, toutes sortes de formes
Capriccii et Intermezzi ont la même forme, utilisée
de manière complètement différente. Capriccii
et Intermezzi forment la dualité du recueil, à la
manière d'Eusebius et Florestan chez Schumann. Brahms
n'avait pas composé pour piano seul depuis les Variations
Paganini opus 35. Cet opus 76 marque clairement un changement
d'écriture, de forme, il n'écrira plus
que des pièces relativement brèves pour piano seul.
Le terme de monologue convient particulièrement à
ces pièces ; elles ne semblent pas destinées
à être jouées dans des grandes salles pour
un public en attente de péripéties extraordinaires.
Elles ne sont pas non plus une musique de salon usant de charmes
discrets. C'est une musique d'une très grande
intimité ouvrant la voie au testament que constituent les
derniers opus pour piano.
Theodor Billroth, ami de Brahms, voyait
dans les deux Rhapsodies opus 79 le retour du « Johannes
jeune et tempétueux », êtes-vous d'accord
avec ce jugement ?
On sent beaucoup d'énergie dans ces Rhapsodies,
elles sont animées d'une sombre force. Elan juvénile ?
Je ne sais pas. Les variations écrites plus de vingt ans
avant paraissent plus apaisées en effet. Je ne crois pas
que Brahms soit mort dans la paix intérieure. Ses dernières
oeuvres sont souvent très ombragées, angoissées
et tournées vers la mort.
Les Rhapsodies opus 79 prennent le ton de la légende nordique.
Un ton viril et sombre pour une musique extrêmement tendue.
Quoiqu'il en soit, ces Rhapsodies sont pleines de passion
et d'énergie. La Rhapsodie opus 119 n°4, dernière
pièce pour piano laissée par le compositeur possède
ce même élan.
Enfin votre programme se termine par un
recueil que Brahms composa à la fin de sa vie, parmi toutes
les oeuvres de votre disque, l'un composée lorsque
Brahms avait précisément votre âge... d'autres
au milieu de sa vie et donc cet opus 117, laquelle vous touche
le plus et pourquoi ?
Il est difficile de répondre à cette question,
je suis ému par toutes ces oeuvres, c'est pourquoi
je les ai enregistrées. Evidemment les oeuvres tardives,
où l'on sent la mort approcher nous touchent différemment.
Les trois Intermezzi opus 117 en font partie. Cette tendresse,
cette mélancolie, ces interrogations. Comme le final du
Quintette avec clarinette, l'Intermezzo opus 117 n°3,
avec son errance immobile, constitue une sorte d'adieu au
monde terrestre. Dans cet opus, contrairement à tous les
autres, les trois pièces sont lentes et tournées
vers l'intérieur, ici aucune volonté d'équilibre
entre les pièces, il y règne le climat intime de
la confidence. Je pense qu'à l'écoute
de cette musique, personne ne peut rester indifférent.
Avez-vous des pianistes de référence
quant aux interprétations de Brahms ?
Oui bien sûr, il y a des enregistrements très beaux
comme ceux d'Edwin Fischer ou de Schnabel que j'aime
infiniment. Julius Katchen m'a aussi beaucoup marqué
par son extrême sensibilité. Je garderai toujours
en mémoire les quatre Ballades que Radu Lupu avait donné
en concert au Châtelet en 2007. La totalité du concert
était sublime, mais lorsque Radu Lupu a commencé
la première Ballade, j'ai eu l'impression que
Brahms lui-même était au piano. Je ne pense pas avoir
été le seul. En bis il donna plusieurs Intermezzi
opus 117, 118... L'émotion dans la salle était
très palpable.
Quels sont vos prochains concerts et autres
projets ?
Il y aura plusieurs festivals cet été comme les
festivals de Colmar, la Roque d'Anthéron ou le Périgord
Noir. Il devrait y avoir un nouvel enregistrement au courant de
l'année. Le programme n'est pas encore choisi.
Pour écouter
Johannes Brahms
Cappricio en fa dièse mineur n°1 opus 76
Adam Laloum, piano
avec l'aimable autorisation
du label Mirare
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