oeuvres de
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Kirill Zaborov ( né en 1970)
A découvrir ce nouveau disque, premier enregistrement de la pianiste Laurence Oldak, originaire de Toulouse, qui a un parcours de concertiste déjà bien rempli et enseigne au Conservatoire d'Asnières, après avoir notamment été dans la classe de Dominique Merlet et de Jacques Rouvier, pendant six ans, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, et avoir suivi nombreuses masterclasses auprès de célèbres pianistes pédagogues russes.
On regrettera que le label Fuga Libera ait fait le choix de ne proposer en vente au grand public que le format numérique. Mais les amateurs de vrais disques, encore nombreux, pourront néanmoins se procurer, dans le format CD ( avec livret) tel celui reçu par pianobleu.com, en le commandant directement à l'adresse mentionnée plus bas dans cette page et bientôt directement depuis le site internet de la pianiste qui pour sa part confie, à l'occasion d'un entretien à lire ci-dessous, aimer aussi l'objet physique...
Si ce disque sort en cette année, qui correspond au centenaire de la disparition de Scriabine, c'est aussi parce qu'il résulte de la rencontre entre la pianiste et le compositeur d'origine russe Kirill Zaborov, qui vit à Paris, et dont les compositions s'harmonisent parfaitement avec celles de Scriabine. Un compositeur à découvrir aussi bien sûr, d'autant plus que le piano est le principale instrument pour lequel il compose. Ainsi il indique dans la partie du livret qui porte sur ses propres oeuvres que "le piano solo constitue le véhicule principal de son expression, dont le style se nourrit constamment de tendances et de vocabulaires divers. Parmi eux , la musique classique russe et germanique occupe une place prépondérante., tout comme un certain minimalisme issu de l'improvisation et que j'intègre dans mon écriture d'aujourd'hui". Ses "Dix apparitions" que Laurence Oldak a créé en novembre 2012, sont de courtes pièces très expressives, tout autant que les "Huit études" op.42 de Scriabine qui font partie du programme de ce disque, ou de deux études issues de l'op.8, et , par exemple, on retrouve dans la huitième apparition , une douceur céleste , proche de la quatrième des huit études op.42 de Scriabine, que Laurence Oldak offre dans un jeu d'une infinie tendresse qui exalte la beauté du chant, à écouter plus bas dans cette page. Kiriil Zaborov s'est inspiré de perceptions aussi bien visuelles que sonores, ce qui n'est d'ailleurs pas sans faire penser à son prédécesseur, mais la variété des climats qu'il offre lui est bien personnelle, et nous parle parfois encore plus directement, sans doute parce que plus proches de nous. Ainsi sa "Suite entrelacs" qui a pourtant une forme stylistique plus ancienne ( passacaille et fugue) surprend par sa modernité . Elle provient en fait de son langage harmonique, ainsi l'explique la pianiste, dans notre propre "dialogue" - qui vous en dira plus sur ce "Dialogue" musical entre deux compositeurs, à cent ans d'intervalle, - et vous pourrez également voir la bande annonce de cet album :
Dans quelle circonstance ce disque a-t-il pu être enregistré ? Comment avez-vous vécu ce premier enregistrement ?
L'idée de cet album est née peu après ma rencontre avec le compositeur Kirill Zaborov, dont l'association de la musique à celle de Alexandre Scriabine s'est imposée à mon esprit assez naturellement. Quelque temps après l'enregistrement du master, je me suis mis en quête d'une maison de disque en vue d'un partenariat autour de la distribution du cd. Après quelque temps de prospections et de propositions diverses le label belge Fuga Libera a répondu avec enthousiasme et s'est proposé de travailler avec moi. Suite à cela un accord fut conclu pour une parution en avril 2015.
Comment s'est effectuée votre rencontre avec Kirill Zaborov ?
Avec Kirill Zaborov, ce n'est pas seulement une rencontre mais un partenariat que nous avons entrepris depuis 2012, nous avons travaillé plusieurs oeuvres et puis décidé au fil des semaines de faire un disque ensemble. Nous avons beaucoup réfléchi au programme du disque. C'est un compositeur francorusse nourri par sa culture d'origine, ses compositions s'harmonisent à mon sens parfaitement avec Scriabine.
Que représente Scriabine dans votre répertoire, et qu’aimez vous plus particulièrement dans sa musique ?
Alexandre Scriabine est un compositeur qui a toujours occupé une place importante dans ma vie de musicienne. Je l'ai découvert durant mes années d'études et sa musique a rapidement figuré à mes programmes de concert, en particulier sa quatrième sonate que j'ai commencé à jouer étant très jeune. Les qualités qui m'ont subjugué d'emblée dans ses œuvres, et que je n'ai cessé d'aimer au fil des années sont avant tout son langage harmonique à nul autre pareil. Mais aussi son vocabulaire rythmique qui me paraît d'une grande modernité. La multiplication des équivoques majeur/mineur, son expressivité exacerbée, son évolution musicale après une première période encore un peu marquée par le romantisme de Chopin (mais néanmoins déjà très personnelle) et sa totale implication dans l'art ne cessent de m'émouvoir et de me fasciner.
Votre disque Dialogue regroupe des pièces de Alexandre Scriabine, dont on commémore le centenaire de la disparition cette année, et Kirill Zaborov, talentueux compositeur contemporain franco-russe, qui sont très courtes, d’ailleurs au total votre disque comporte 31 pièces . Qu’appréciez-vous dans cette musique et peut-on qualifier de "minimaliste" la musique de Kirill Zaborov ?
Personnellement je ne qualifierais pas ce programme de minimaliste. Il s'agit avant tout de compositions issues de la brièveté musicale. J'insiste sur cette différence. Chopin fut l'un des principaux maîtres de ce genre et de nombreux autres compositeurs venus à sa suite, notamment au 20ème et 21ème siècle ont écrit, dans leurs styles personnels, des pièces courtes, voire très courtes. Dans le piano russe par exemple on peut citer des cycles de préludes opus 34 de Shostakovich, les Visions Fugitives de Prokofiev, certaines préludes de Rachmaninov et évidemment d'innombrables pièces de Scriabine, très souvent de très courte durée aussi. Ce que j'apprécie avant tout dans des pièces de ce genre est une grande variété de climats à l'intérieur d'un espace musical restreint.
La suite Entrelacs, issus de deux mouvements de sa "Suite Fantaisie" qui date de 1999 s’inspire de passacaille et fugue, que pensez-vous du fait qu’un compositeur actuel s'inspire de ces formes anciennes ?
La modernité d'un compositeur s'évalue d'avantage à son langage harmonique et non aux formes (contenants) à travers lesquelles il choisit d'exprimer son style (contenu). Les créations musicales qui ont une résonance forte en moi sont celles qui ont toujours un lien fort avec la tradition. Et celle-ci ne peut être passée. Sur le plan purement formel la suite "Entrelacs" est certes composée en résonance avec l'époque baroque mais de par son style elle n'appartient qu'à l'époque de sa composition. C'est ce mélange de forme baroque et de langage harmonique et mélodique actuel qui m'a surtout plu.
Ses "Dix apparitions" nous ramènent à l’univers de Scriabine, puisqu’elle s’inspire de perceptions aussi bien visuelles que sonores, de même ses deux préludes en semblent proches…
"Dix Apparitions" est la pièce que j'ai crée en premier peu avant l'enregistrement. Elle nous ramène à la notion de la brièveté musicale dont il a été question plus haut. J'associe cette œuvre à un kaléidoscope. Chaque pièce a un climat très particulier et coloré, avec tantôt des éléments rythmiques, tantôt harmoniques faisant appel à des influences diverses, dont l'improvisation. Il se peut que certaines pièces se distinguent par une économie de notes plus marquée. Quant aux deux préludes ils me rappellent effectivement l'univers de Scriabine de par la nostalgie presque douloureuse de leur discours. Cela m'a touché d'emblée.
En 2006, Kirill Zaborov a composé un hommage à un autre compositeur russe Dimitri Chostakovitch, que pensez-vous de la musique de cet autre compositeur russe / celle de Scriabine et que pensez-vous de cet hommage qui figure aussi dans votre disque ?
Bien que dédiée à un autre compositeur russe que Scriabine j'ai pensé intéressant de juxtaposer cette pièce de Kirill ( composée en 2006) à celles qu'il a écrites plus tard. De par sa structure, ses couleurs harmoniques et ses élans faits de liberté intuitive, j'ai pensé que cette pièce apporterait une contribution intéressante à l'ensemble du programme.
Les œuvres de Scriabine que vous avez choisies font partie de ce que l’on considère traditionnellement comme sa première et deuxième période, pourquoi avez-vous choisi uniquement des œuvres de ces deux périodes ?
C'est une question complexe car il est difficile d'expliquer pourquoi on aime plus telle œuvre qu'une autre, telle période plutôt qu'une autre chez un artiste. Il s'agit là d'attirance personnelle, elle aussi résultant de mille et une raisons échappant à la conscience. Mais si je devais tenter d'apporter un semblant d'explication je dirais que les deux premières périodes de Scriabine sont d'avantage en phase avec ce à quoi j'ai été sensibilisée dès mon plus jeune âge. A savoir la musique romantique, Chopin au premier chef. Même si Scriabine est suprêmement personnel dans ces pages il maintient encore un certain lien avec le romantisme. Les études opus 42 et la quatrième sonate ont été composées à peu de temps d'intervalle et elles sont pour moi bien d'avantage que des études ou une sonate. Le programme musical que ces œuvres proposent est absolument nouveau et brillant au sens le plus noble du terme. Il fait appel à des sens visuels autant qu'auditifs et à travers cela tout un pan de l'histoire de la Russie s'ouvre à l'auditeur.
Le pianiste Kirill Zaborov est également un pianiste de jazz, que pensez-vous du jazz en général et plus particulièrement de ce qu’il joue dans ce style ?
Kirill Zaborov n'a pas encore enregistré d'album en tant que pianiste de jazz mais ce projet s'inscrit dans un futur assez proche. J'aime le jazz de tradition, des artistes comme Dexter Gordon, Miles Davis. Mais aussi des musiciens plus actuels, comme Keith Jarrett par exemple qui fête cette année son 70 ème anniversaire. Le jazz et son évolution tout au long du XXème siècle me semble être une contribution importante à la musique de notre temps. Le classique et le jazz peuvent se nourrir l'un de l'autre. La musique que développe Kirill dans ce genre maintient d'ailleurs d'une certaine façon un lien avec la musique classique et contemporaine dans le sens où elle a un souci constant d'associer la spontanéité de l'improvisation à la rigueur de l'écriture.
Quels sont vos prochains concerts ?
Dès l'automne prochain, un concert est prévu au centre culturel de Russie qui est aussi le conservatoire Alexandre Scriabine .
Que pensez-vous du fait que votre disque ne soit disponible en "vrai disque " que par correspondance
alors que nombre de mélomanes de musique classique ne sont pas équipés d'équipement de qualité pour les écouter dans ce format numérique qui demanderait qu'ils changent leur matériel,
et que pensez-vous de l'écoute d'un disque sur un smartphone ou une tablette numérique, ce qui est majoritairement le sort de la musique numérique ?
En effet, les aléas du marché amènent les labels à opter pour le numérique , parfois les artistes doivent s'y plier pour être visibles. Pour ma part j'aime l'objet physique et je comprends les gens dont c' est la préférence. Aussi le cd "Dialogue" est d'ores et déjà disponible en physique via l'association Artis Musica . Il sera également en vente à l'issue de mes concerts la saison prochaine ainsi que via mon site internet. Je n' ai pas écouté de disque sur une tablette ou un smartphone, personnellement j'aime écouter des disques sur des enceintes.
Pour écouter Alexandre Scriabine
Etude n°4 - opus 42
Laurence Oldak, piano
extrait du disque Scriabin/Zaborov
paru chez Fuga Libera,
avec son aimable autorisation
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous
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Pour vous procurer le DISQUE :
Ecrire à l'association Artis Musica 19 avenue de la cristallerie 92310 Sèvres. Le cd est au prix de 15 euros, + 2 euros de frais de port.
A voir Scriabin / Zaborov - "Dialogue" , Laurence Oldak, piano - bande-annonce
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