Alors que viennent de se terminer les épreuves du concours international de Piano Clara Haskil, paraîtra le 24 septembre 2013 ce disque enregistré par Adam Laloum , pianiste qui a précisément obtenu le premier prix et le prix du public de ce concours en 2009. Depuis il a enregistré un disque consacré à Brahms paru aussi sous le label Mirare, et s'il n'a pas l'intention de se spécialiser dans un répertoire, ainsi l'indiquait -il lors d'un entretien pour piano bleu, c'est aujourd'hui au compositeur sans doute le plus proche de Brahms que ce nouvel enregistrement est consacré, avec deux oeuvres de Robert Schumann qui, comme leurs titres ne le montrent pas, sont en fait deux impressionnantes et splendides Fantaisies, ancrées également dans le romantisme allemand.
Au sujet de la première oeuvre : " Grande Humoresque" , Schumann écrivait à un ami français : " Les Français ne peuvent pas comprendre non plus le terme d'Humoresque. Et il est bien malheureux que votre langue n'ait pas de mot exact pour rendre justement deux particularités aussi enracinées dans la nationalité allemande que l'exaltation du rêve et l'humour : lequel est précisément un mélange heureux d'exaltation et d'esprit farceur", il parla aussi de cette oeuvre comme l'une des plus déprimées, une page inquiétante et vagabonde, "pleine de douleur"... et i écrivit à sa futur femme Clara Wieck qu'il avait "ri et pleuré" lors de son écriture.
Si le vocabulaire français est trop réduit pour traduire le mot "Humoresque" , il est par contre parfois très précis... mais pas toujours simple à utiliser pour d'autres notions, à en lire le livret écrit par le musicologue Rodolphe Bruneau-Boulmier, titré "Le poète parle" : " Adam Laloum révèle maintenant le Schumann le plus ineffable. Non pas indicible ( car il n'y aurait absolument rien à dire), mais ineffable comme ce qui est exprimable, par ce qu'il a sur lui infiniment, interminablement, à dire. C'est le mystère Schumann - fait de paradoxes, brisures et éclats multiples, qu'approche ici le jeune pianiste ".
De même l'auteur du livret nous montre certaines autres subtilités du langage encore par cette autre commentaire sur la musique de Schumann : "L’un des nombreux mystères schumanniens peut aussi s’approcher grâce à la force littéraire qui émane de l’œuvre musicale. Lui qui se rêvait libraire ou poète, n’est pas quelqu’un qui compose, mais un artiste qui écrit sa musique. "...
Schumann lui-même se libère des contraintes que pourraient imposer les mots si on les suit à la lettre, ainsi la Sonate opus 11 est en fait une Fantaisie... puisque L'auteur du livret indique à ce sujet : "Une forme sévère, comme celle de la sonate, ne peut supporter l’inspiration féroce et jaillissante de Schumann. L’opus 11 est plus un élan rhapsodique qu’une sonate classiquement architecturée, plus improvisée que composée. Si l’œuvre commence par la tendresse d’un chant, une mélodie sans parole, elle ne cesse par la suite de s’enflammer, de déraper, de piétiner. Cette fantaisie nommée sonate irradie tout le clavier, invite à des danses tourbillonnantes, des échappées fantastiques." Liberté fructueuse donc, comme souvent.
A voir Adam Laloum en récital ( par exemple la vidéo en bas de page) on pourrait aussi dire qu'il ne joue pas du piano mais qu'il vit la musique comme s'il l'improvisait, et s'exprimait en direct par elle. Et pourtant, ou plutôt justement, il confiait sa peur au sujet des deux oeuvres de ce disque :" J’ai toujours eu très peur d’aborder ces deux œuvres, il y a toujours quelque chose d’un peu diabolique dans cette musique, sans parler d’un nombre de notes et de voix enchevêtrées plutôt décourageant à la lecture. L’Humoresque était pour moi une sorte de rêve et de cauchemar mélangé, avec cette voix intérieure, ces mystères, et ce gouffre de douleur (…) Tous les fantasmes qu’elle m’a inspirés, les espérances, tous ces souvenirs qui n’ont jamais existé... J’y ai mis beaucoup trop de choses et maintenant cette pièce me fait peur... ".
"Beaucoup trop de choses" pour lui, mais "choses" qui ressurgissent chacune précisément au bon moment, au fur et à mesure qu'il déroule la partition sur le clavier du piano, avec un poids significatif, une respiration ni trop chantante ni trop rapide. "Beaucoup trop de choses" qui contribuent à offrir ici aux auditeurs des moments de poésie forts rares, ainsi à écouter l'extrait ci-dessous... Oui "le poète parle", et le pianiste aussi, dans un langage universel, il parle d'autant plus qu'il ne lit pas, et laisse ainsi exploser de véritables émotions, quelle qu'en soit leur nature, dans un jeu des plus instinctifs. Et, n'ayons pas peur des mots, même a priori le plus simple mais qui fait parfois sourire les mauvais esprits, et sous-entend beaucoup de choses : cet enregistrement est beau.
Pour écouter
Robert Schumann
"Grande Humoresque" opus 20
Einfach und zart -Intermezzo
Adam Laloum, piano
avec l'aimable autorisation
du label Mirare
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