Prokofiev Oeuvres pour piano Abdel Rahman El Bacha

Sergueï Prokofiev (1891-1953)
Abdel Rahman El Bacha, piano

Toccata opus 11
Dix pièces pour piano opus 12
Sonate n°2 en ré mineur opus 14
Sarcasmes opus 17
Visions fugitives opus 22

Toujours dans le cadre de la Folle journée de Nantes consacrée cette année aux compositeurs russes le label Mirare a choisi de faire enregistrer par le pianiste Abdel Rahman el Bacha des pages pour piano composées par Prokofiev entre 1912 et 1917.
Réputé pour avoir joué plusieurs fois l'intégrale des oeuvres de Chopin en concert, Abdel Rahman el Bacha a également reçu dès 1983 le prix de l'académie Charles Cros pour ses premiers enregistrements d'oeuvres de ce compositeur, Prokofiev est aussi déjà très présent dans sa discographie ainsi il a aussi enregistré ses dernières années l'intégrale des concertos de ce compositeur.
Le programme réunit des oeuvres qui encadrent d'ailleurs un de ses plus grands chefs d'oeuvres : le second concerto opus 16 explique Frans C.Lemaire auteur du livret précisant que celui-ci a été composé en 1913 mais ne nous est connu que par la restitution faite en 1923, la partition originale ayant été perdue...
Pour ce qui concerne plus précisément les oeuvres réunies ici qui correspondent donc à ce que l'on appelle parfois la première période russe de Prokofiev, le compositeur ayant quitté momentanément son pays à partir du 7 mai 1918 pour un séjour en occident, une période considérée comme la plus créative du compositeur. La Toccata opus 11 qui ouvre ce disque est une oeuvre "célèbre pour ses redoutables difficultés et son caractère motorique qui préfigure l'esthétique machiniste qui va une dizaine d'années plus tard caractériser certains courants artistiques de la russie soviétique.".
Datée de 1912, il est probable que certaines des 10 pièces pour piano de l'opus 12 furent écrites plusieurs années auparavant et huit des titres montrent d'ailleurs un retour à des structures du passé : "Gavotte" "Rigaudon" " Prélude en do" ... seul deux "scherzo" dont l'un dit humouristique rappellent les turbulences qui caractériseront de plus en plus son jeu.
Des turbulences qui parfois effraieront la critique de l'époque ainsi l'auteur du livret rapporte que lorsque Prokofiev joua sa seconde sonate le 20 novembre 1918, accompagnée de pièces de Scriabine et Rachmaninov, la critique reconnaît au pianiste des "doigts d'acier, des biceps et triceps d'acier", mais elle ne voit dans la sonate qu'un "cortège de mammouth ou de dinosaures"... Le compositeur Francis Poulenc a eu un avis divergent ainsi sur le dernier mouvement de cette sonate, que vous pourrez écouter plus bas dans cette page , qu'il qualifia de "Mi-tarentelle, mi-toccata"... et comme vous pourrez vous en apercevoir celui-ci n'a rien de la lourdeur de pas de danses de mammouth... Une critique pour le moins sarcastique donc et pour laquelle le compositeur aurait peut-être pu rappeler à leurs auteurs son opus 17, composé entre 1912 rt 1914, en réponse à leur coup de griffe un peu trop rapide ou sarcasme qui aujourd'hui fait plutôt sourire car ainsi commenta-t-il la dernière des cinq pièces de ce recueil par ses propos : "Nous nous permettons parfois un rire malveillant à propos de quelqu'un ou de quelque chose , mais si nous y regardons de plus près, nous nous rendons compte combien nous avons ri de ce qui était, en réalité triste et pitoyable. Nous devenons honteux de ce rire moqueur qui résonne à nos oreilles comme si c'était maintenant de nous mêmes qu'il s'agissait" , propos qui dénonce l'envers d'une agressivité trop précipitée... ce mouvement ayant le caractère "Precipitosissimi" . Prokofiev précisa qu'il n'y a rien de tel pour les quatre autres morceaux par contre toutes sont aussi des pièces au caractère agité ( "Tempetuoso" , "allegro rubato", "allegro precipitato", "smanioso" ("dément") et l'auteur du livret juge que sans doute cet opus mériterait plus le titre de pièces sarcastiques ( en raison de leur caractère) que celui de sarcasmes (absent en fait du contenu) .
Le cycle "Visions fugitives" a été inspiré par des vers du poème "Je ne connais pas la sagesse" de l'auteur symboliste Constantin Blamont " Mimoletnotsi" et là encore l'auteur du livret juge en fait que le titre est inapproprié faisant référence aux vers suivants : " J'ignore la sagesse utile pour les masses, Et ne mets dans mes vers que ce qui fuit et passe, Car l'instant passager contient pour moi un monde, Empli de jeux et d'opalines ondes."... Instants fugitifs plus que Visions donc, et que certains musicologues suggèrent également de nommer "préludes" considérant que ces pièces sont à la musique de leur époque ce que furent les Préludes de Chopin à la musique romantique. Contrairement aux Sarcasmes les caractères les plus divers figurent dans ce recueil de vingt pièces très courtes (moins d'une minute chacune) certes certaines sont encore très agitée telles la 14ème "Feroce : fougueuse et percutante " ou la dix-neuvième " presto agitissimo e accentuato épisode révolutionnaire"...mais plus nombreuses sont lyriques, rêveuses, allègres... ou au contraire nostalgique, visions ou instants apaisés d'une grande sagesse... Le pianiste Abdel Rahman El Bacha pour qui la clarté et la douceur sont des valeurs musicales toujours précieuses dans le jeu pianistique exalte ces différents caractères tant dans cette oeuvre que celles plus agitées qui n'en demeurent pas moins contrastées, un très beau programme à écouter tant en disque qu'en concert(voir également trois vidéos trouvées sur youtube, plus bas dans cette page) ! ... Abdel rahman El Bacha a bien voulu répondre à quelques questions au sujet de ce disque :
Vous avez précédemment enregistré les cinq concertos de Prokofiev, et votre disque des premières oeuvres de Prokofiev paru chez Forlane avait obtenu le prix de l'académie Charles Cros en 1983 que représente ce compositeur pour vous , vous accompagne-t-il aussi souvent que Chopin dont vous avez réalisé une intégrale ?
J'ai découvert la musique de Prokofiev à l'âge de 15 ans, par la 7ème sonate et la Toccata; il se trouve que cette musique convenait à mon jeu assez naturellement, au point que mon professeur au conservatoire de Paris m'a recommandé le 2ème concerto pour ma finale au concours Reine Elisabeth en 1978, et ce fut également des œuvres de Prokofiev que j'ai choisies pour mon premier enregistrement .
Prokofiev est pour moi l'expression musicale d'un esprit rebelle, jeune, vigoureux; une musique moderne, saine (malgré ses "sarcasmes" et sa "suggestion diabolique"!) originale, provocante , mais pas gratuitement, avec beaucoup d'humour (si rare dans la musique classique!), un art positif et...masculin. Elle atteint souvent une puissance lyrique et une densité dramatique qui place son auteur au premier rang des grands musiciens du 20ème siècle. L'invention mélodique de Prokofiev est très riche, et son imagination sans limite. Malgré le classicisme qu'ils ont en commun, Chopin et Prokofiev sont aux antipodes l'un de l'autre. Par rapport à Chopin, la musique de Prokofiev peut être un excellent complément, rétablissant un équilibre précieux dans ma vie de musicien.
Votre disque réunit les oeuvres pour piano composées de 1912 à 1917 et qui encadrent ainsi le second concerto, peut-on faire un rapprochement de ces oeuvres pour piano seul avec ce concerto ?
Le 2ème concerto est l'époque des audaces harmoniques, de quelques "sauvageries" qui en font le digne contemporain du "Sacre". La forme reste classique et la virtuosité poussée vers ses limites. Ce sont également des caractéristiques que l'on peut trouver dans les opus de mon enregistrement ; néanmoins, ce programme permet de mettre en valeur l'extrême diversité de ses idées musicales à cette époque; il n'est pas possible de trouver une telle diversité dans une seule œuvre, fut-elle aussi importante que le 2ème concerto.
Cette période est considérée comme la plus créatrice du compositeur et à l'intérieur l'on mesure une grande évolution en cinq ans,d'ailleurs l'opus 12 contient certaines pièces probablement antérieures, que pensez-vous personnellement de l'évolution de son oeuvre au cours de ces années ?
Le style évolue vers une plus grande liberté formelle, explorant de nouvelles couleurs sonores. La puissance dramatique s'approfondit.
Vous aviez indiqué dans une précédente interview avoir à coeur de rechercher la clarté et une douceur de jeu dans vos interprétations sans doute pensiez vous alors plus aux oeuvres de Chopin et Beethoven pour cette dernière caractéristique que celles de Prokofiev qui est souvent dans un registre plus violent,que pensez vous de la violence (ou le sarcasme) parfois contenue dans les oeuvres de Prokofiev mais il est vrai aussi de la douceur présente ainsi dans les "Visions fugitives" ?
La clarté et la douceur sont des valeurs musicales toujours précieuses dans le jeu pianistique; s'agissant plus particulièrement d'œuvres importantes, parfois complexes, la clarté permet la perception du texte musical dans sa richesse contrapuntique et harmonique, dans ses traits virtuoses. La rudesse sonore est plus simple à obtenir du piano (de part ses caractéristiques d'instrument à marteaux) que la douceur. Or, même dans des œuvres où l'aspect martelé de l'instrument est exploité, comme dans la Toccata, les parties "p" et "pp" doivent être assez douces pour mettre suffisamment en valeur la puissance des parties "f" ou "ff"; la douceur n'est toutefois pour moi pas seulement une "quantité" sonore, mais surtout une "qualité"; j'ajouterai que la violence en musique n'est pas forcément synonyme de brutalité, ou d'agressivité, car elle concerne à mon avis plus l'expression que la force musculaire. La musique de Prokofiev est souvent lyrique, ce qui exige de son interprète plus que de simples "qualités sportives".
Vous avez eu l'occasion de jouer le programme de votre disque à la Folle journée de Nantes, ainsi que d'autres oeuvres, comment avez vous vécu personnellement cet événement, quelle concentration particulière demande-t-elle et est-elle ou non plus difficile à jouer en concert avec un public réceptif et comment vivez-vous la violence parfois exprimée?
Les œuvres de Prokofiev prennent toute leur importance sur la scène; le public perçoit plus facilement leur richesse expressive et dynamique, car c'est une musique qui peut être théâtrale, sans jamais tomber dans la banalité. Pour l'interprète qui maîtrise son instrument, et qui aime ce style musical, elle le met en valeur sur tous les plans, car rien ne manque à l'art de Prokofiev. La concentration ne me paraît pas un problème particulier pour jouer cette musique, car elle reste assez naturelle, si on la compare à celle de Bartòk ou Schönberg. Elle exige en revanche une bonne condition physique de la part de son interprète.

Pour écouter
Prokoviev
Sonate n°2 en ré mineur opus 14
Vivace (quatrième mouvement)
Abdel Rahman El Bacha, piano
avec l'aimable autorisation
du label
Mirare
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Nantes Folles Journées russes Abdel Rahman El Bacha, Prokofiev scherzo sonate n°2
Nantes Folles Journées russes Abdel Rahman El Bacha,
Prokofiev visions fugitives "ridiculosamente"

120205 Nantes Folles Journées 2012 russes Abdel Rahman El Bacha, Prokofiev opus 12 "Rigaudon"

 

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