L'on avait pu découvrir le pianiste, compositeur et improvisateur, Alexandre Saada, lors de la parution de son premier disque piano solo, "Present" , il y a cinq ans, un disque dont "seules quelques bribes d'idées étaient écrites,
la majorité des morceaux improvisés." expliquait-il alors à l'occasion d'un entretien.
Ce nouveau disque "Portraits" est son troisième en solo ( et le 6ème album de toute sa production), et si dans "Present" il avait mis beaucoup de lui-même, ii a choisi cette fois d'improviser totalement en s'inspirant de sa perception d'hommes et femmes qui l'entourent.
Il faut préciser qu'Alexandre Saada a aussi une passion pour la photographie, et même si ce n'est pas directement le fait de réaliser des portraits photographiques qui l'a inspiré , ainsi confie-t-il à l'occasion d'un nouvel entretien à lire ci-dessous , cela le conduit à aller à la rencontre des gens qu'il photographie et dans ses portraits au piano, il essaye de se plonger dans ce qu'il peux percevoir de la personne "portraitisée". Une perception qu'il a d'autant plus aiguisée puisqu'il a un mystérieux don de synesthésie ...
Un disque qui, par son propos, nous invite à mettre treize personnes, tour à tour, sur la chaise vide qui illustre l'album. Des personnes dont les personnalités se recoupent souvent, sans doute n'est-ce pas un hasard si le pianiste les a choisies, toutes portent en elles une flamme poétique., qu'elles semblent, plus ou moins assurées, nostalgiques, ou emplies d'espoir, être d'ici ou d'ailleurs, et qu'on les imagine parfois en fait plus en mouvement qu'inactives, lorsque la musique s'anime. D'ailleurs Alexandre Saada a souvent improvisé non pas sur des photographies mais des films, et bien sûr son expérience en la matière, son talent à associer image et musique, lui permet de nous offrir là, sans aucune préparation particulière, une musique qui avant tout nous parle, et nous émeut. Et chacun pourra peut-être aussi y mettre des images de personnes de son propre entourage mais ce qui touche avant tout c'est la beauté de ses portraits, tracé par la pointe fine de la délicatesse de sa musique, et par petite touches de couleurs évocatrices, non pas des portraits photographiques mais juste des évocations ou suggestions, telles des esquisses, qui ouvrent la porte à notre propre imagination. Et sa musique certes spontanée, mais riche de sa connaissance en musique classique, jazz , orientale etc... en dessine les plus beaux contours, les plus belles facettes. Une belle invitation à la rencontre, sans esprit critique, bien au contraire, pas de caricature non plus, et sachez qu'Alexandre Saada , qui revient d'une tournée en Chine, réalise aussi cela parfois directement en concert, sans qu'il ne vous soumette à une questionnaire de Proust, comme dans le jeu du portrait chinois, aussi libre à vous de vous prêter à ce jeu sans crainte, car sa musique porte aussi en elle une bienveillance naturelle qui ôte tout risque d'être déçu(e) ! Découvrez deux extraits de portraits plus bas dans la page.
Outre être musicien, vous avez aussi une passion pour la photographie, et vous avez un site internet sur lequel figure des portraits photographiques, est-ce le fait de réaliser ces photographies qui vous a donné l’envie aussi de traduire musicalement des portraits et certaines des photographies vous ont-elles inspirées pour des impros de ce disque ?
C'est vrai que je fais beaucoup de portraits en photo. Je ne crois pas que cela m'a directement inspiré le fait de faire des portraits au piano mais il y a un lien évident. Lorsque je fais des photos, j'utilise un objectif 50mm qui m'oblige à être proche des choses que je photographie et je n'aime pas prendre des photos de gens à la dérobée. Je vais voir les gens que je photographie, leur parle, leur demande si je peux les photographier et on se regarde droit dans les yeux. C'est cela que je veux capter, leur regard, un véritable échange entre nous. Dans mes portraits au piano, j'essaye de me plonger dans ce que je peux percevoir de la personne "portraitisée", j'essaye de communiquer avec elle, de savoir ce qu'elle me raconte sans me parler, à travers son regard, capter ses attentes, ses doutes, ses espoirs…
Donc finalement si ces deux façons de faire des portraits ne sont pas liées, c'est la même envie de raconter la beauté que je trouve dans chacune de ces rencontres. J'ai fait beaucoup de portraits au piano en Chine et j'étais très heureux de voir à quel point les gens se prêtaient au jeu et avaient envie de se découvrir sous un autre angle.
Si l’on compare, de manière générale, les photographies et les pièces musicales, un portrait photographique a l’inconvénient de figer les personnes sur un aspect unique de leur personnalité alors qu’un portrait musical offre la possibilité d’en montrer multiples facettes, et offre plus de liberté, à quel moment considérez-vous qu’un portrait musical est terminé ( vous obligez-vous à aborder toutes les facettes que vous avez-perçues d’une personne afin d’être le plus fidèle à votre ressenti, ou bien vous limitez-vous à une seule mais en la faisant évolué, et dans ce cas à quel moment considérez-vous que l’improvisation est terminée, ou en raccordez-vous plusieurs comme elles viennent spontanément et là encore à quel moment décidez-vous que l’improvisation est terminée ? Ces improvisations ont d’ailleurs une durée très variable, avez-vous une éventuelle explication à cela ?
Cette question est marrante car après un concert, une personne m'a demandé justement quand je savais qu'une improvisation était fini. Je lui ai répondu que tous les gens présents au concerts savaient en même temps que moi que l'improvisation était fini, parce qu'à la fin d'une histoire, on pressent tous que c'est la fin. Je n'essaye pas vraiment de m'attacher à plusieurs facettes ni à en raconter une que je fais évoluer, je ne sais pas vraiment ce que je vais raconter avant de commencer. Je me laisse plutôt porter par la musique et les différentes facettes que j'aborde viennent à moi en temps voulu. J'essaye d'être le plus disponible possible, de n'être qu'un canal et de laisser la musique venir. C'est ce que tout musicien qui improvise essaye de faire, être "vide" pour pouvoir se remplir de la musique qui vient. La durée des portraits varie donc en fonction du récit qui se présente.
Lors d'un précèdent entretien, vous aviez fait référence à une citation de Michel Petrucciani : "L'important dans une improvisation c'est de bien commencer et de bien finir, et de s'arrêter avant de se mettre à tourner en rond"…. Auriez –vous envie d’ajouter quelques phrases pour compléter cette citation, quelles sont les choses les plus importantes pour vous dans une improvisation ?
Ce que disait Michel Petrucciani m'accompagne chaque fois que j'improvise parce que c'est tout simplement l'idée de laisser venir la musique et de la laisser partir quand les choses sont dites. Il est très important pour moi de ne pas tomber dans des réflexes qui facilitent le jeu, ne pas jouer ce qu'on appelle des "plans", des idées travaillées à l'avance derrière lesquelles il est facile de se cacher. Je cultive l'erreur, l'imperfection, la spontanéité, c'est ma façon d'être sincère.
Vous expliquez être synesthète, comment l’avez-vous détecté, ou bien comment cette aptitude vous est-elle venue, sachant que vous avez eu notamment des formations pour sur l'écriture de musique de film qui vous a appris la façon très concrète de coller de la musique à l'image et peut-être d’autres formations qui y ont contribué aussi ?
Tout petit les chiffres, les jours de la semaine, les sons, avaient pour moi une couleur. Le 2 est rouge, le 7 est vert… tout est très logique pour moi. Je me suis rendu compte assez récemment que ce n'était pas le cas pour tout le monde et j'ai appris que cela s'appelait la synesthésie. Le rapport que j'ai aux gens quand j'essaye de faire leur portrait au piano est du même ordre. Les sonorités, les harmonies, les phrases mélodiques, racontent des traits de caractère, des états d'âme ou même l'histoire d'une personne, de façon très clair pour moi. J'ai bien sûr conscience de la subjectivité de la chose. Mais au fond, ce n'est pas plus subjectif que toute forme d'expression artistique ou que tout ce que l'on capte de la vie à travers nos sens tous les jours.
Vous expliquez que chaque personne, dans ce qu’il dégage vous inspire des sensations rythmiques et mélodiques, une matière sonore et couleur musicale différente… avez-vous eu éventuellement l’occasion de faire écouter aux personnes qui vous ont inspiré vos improvisations et si c’est le cas qu’elle a été leur réaction, ou bien avez-vous , ou non, envie de dire à ces personnes qu’elles sont à l’origine d’une improvisation ?
J'ai dit à certaines personnes quel était leur portrait mais je ne pense pas que ce soit le plus intéressant. En revanche, certaines personnes ont pensé à telle personne par rapport à telle musique. Une personne a été très touchée par un morceau sans savoir que c'était son portrait. Ce qui m'intéresse, c'est que l'auditeur se questionne sur ce qui peut être dit à travers la musique. Quand on pense qu'une musique est le portrait de quelqu'un, l'écoute est différente. Chacun associe spontanément les sonorités, les harmonies, la structure d'une pièce, ses ruptures, sa couleur générale… à des impressions et fait ainsi la même démarche que moi. C'est ce qui me plait le plus, que celui qui écoute se demande ce que ça lui raconte d'une personne quelle qu'elle soit.
Dans quelle condition avez-vous réalisé cet enregistrement , et comment vous y êtes-vous préparé , notamment avez-vous comme pour votre disque « Le Présent » préparé quelques bribes d’idées et y avait-il un public lors de l’enregistrement ( éventuelles personnes en portrait) ?
J'ai enregistré ce disque en deux heures d'improvisations dans l'auditorium de l'ancien espace Yamaha, rue Scribe. J'avais un très beau piano à disposition, j'ai placé deux micros et ai enregistré sans préparation. Je ne savais pas vraiment de qui j'allais faire le portrait, j'avais quelques idées vagues mais je n'y ai pas réfléchi. Il est important pour moi de jouer le jeu jusqu'au bout, de ne pas penser à la personne avant, cela me mettrai déjà sur une piste même inconsciemment et cela tuerait la spontanéité de l'improvisation. J'aime beaucoup faire cela en concert car je ne sais pas qui va se désigner pour que j'en fasse le portrait et je ne sais rien de la personne qui se porte volontaire.
Ce disque comporte 13 portraits, lors de l’enregistrement en avez-vous réalisé plus et ensuite fait une sélection, ou bien tous vous ont-ils plu ? Et si vous avez fait une sélection quels ont été vos critères ?
Je n'ai pas vraiment à faire de sélection car si un portrait commence, il trouve rapidement sa cohérence. Parfois je tâtonne un peu, puis la musique arrive. Je garde quasiment tout car sur le coup je n'ai pas vraiment conscience de ce que je fais, c'est à la réécoute que je découvre le portrait. Et puis chacun de nous écoute les choses différemment selon l'humeur, l'heure de la journée… alors j'aime bien laisser sa chance à chaque portrait. Ah, ça me revient, j'ai supprimé un des portraits. En effet, c'était le seul que je n'arrivais pas à inscrire parmi les autres.
Quels sont vos prochains concerts et projets en cours, notamment avez-vous le projet , comme avec votre premier disque « Présent« de réaliser une masterclasse autour de ses improvisations ?
Je reviens d'une tournée en Chine, j'y ai donné une dizaine de concerts et plusieurs masterclass autour de ma façon d'improviser. J'ai pu échanger beaucoup avec le public chinois pour qui l'improvisation reste un domaine relativement inconnu. Mon prochain concert sera très prochainement au Silencio à Paris.
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extrait Portrait 1
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