Lux aeterna
Visions de Bach
Beatrice Berrut, piano
Johann Sebastian Bach
- Siciliano (Kempff)
- Aria (Siloti)
- Chaconne (Busoni)
- Orgel-Choralvorspiele (Busoni)
Thierry Escaich - Trois études baroques pour piano
- Jeux de doubles
A l'occasion de la sortie de son nouveau disque piano seul , la pianiste Beatrice Berrut a bien voulu répondre à nombreuses questions sur son disque, voir ci-dessous, et son parcours (cliquez sur son nom ) . Une pianiste que vous aviez notamment pu découvrir en juin 2013 lors de la sortie de son précédent disque d'oeuvres russes pour piano et violoncelle, enregistré avec la violoncelliste Camille Thomas. Sa précédente discographie, dont notamment un disque de sonates de Schumann, a été louangée par la critique
internationale, Fanfare Record Magazine compare ses interprétations à celles d’Horowitz et
Diapason fait l’éloge de « sa sonorité cuivré, du charme et de la chaleur de son jeu ».
Dans le livret de ce nouvel album, qu'elle a rédigé elle-même, Beatrice Berrut explique : « Le recueillement, la sobriété et la modestie de la musique de Bach sont profondément émouvants. En cette époque où tant d'importance est accordée au paraître, sa musique demeure, nous pousse à l'introspection et soulève des questions existentielles qui, malgré le passage des siècles, restent actuelles. J'ai fait le choix d'oeuvres transcrites par Busoni, Siloti ou Kempff, et non celui d'oeuvres écrites pour le clavecin, car leurs transcriptions tendent un fil entre l'époque de Bach et notre monde moderne. C'est la preuve tangible de l'universalité et de l'atemporalité de sa musique : elle jette des ponts entre des hommes de différents siècles."
Des ponts qui nous mènent effectivement jusqu'à l'époque actuelle puisque la pianiste a également choisi d'ajouter à son programme des oeuvres de Thierry Escaich, ainsi "Trois études baroques", dont c'est ici un premier enregistrement mondial. Beatrice Berrut explique également dans le livret son choix : "La musique de Thierry Escaich puise également ses racines dans celle de Bach. C'est ainsi que ses dernières oeuvres, rappellent la musique du cantor de Leipzig, tout en la rendant étrangement teintée des couleurs du 21ème siècle : bouquets d'harmonies colorées, rythmes endiablés, moments d'extase mystique ? ». "Trois études baroques" que l'ont aimeraient encore plus nombreuses, tant elles nous semblent proches de notre univers actuel tout en gardant les repères du passé, ainsi un "vivacissimo" agité, un "andante" angoissé au tempo d'ailleurs qui reste assez rapide et un "moderato" dont le thème de début au caractère violent finit par s'apaiser en final .
Des études que l'on ne retrouvent d'ailleurs pas sous cette dénomination dans le catalogue du compositeur mais regroupent Les "Deux études baroques" et l'"Etude passacaille" publiées en 2009... Etudes que l'on peut espèrer être un jour complétées encore par d'autres bien que le compositeur, également organiste et improvisateur, qui en 2013 a été élu à l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France, a pour le moment composé minoritairement des oeuvres pour le piano. Sachez par contre que ce 14 janvier 2015 l'Orchestre de Paris joue son Concerto pour orchestre lors du Premier gala d'ouverture de la Philharmonie de Paris une première mondiale puisque cette oeuvre a été composée spécialement pour l'occasion. Un concert qui sera diffusé sur Arte.
Beatrice Berrut a également choisi d'ajouter une autre oeuvre de Thierry Escaich qui n'est pas directement liée à Bach mais cependant à l'époque baroque, une oeuvre pour laquelle, confie-elle également, elle a eu un "coup de foudre immédiat" : " Jeux de double" qui est un miroir à la Gavotte et ses six doubles de Rameau qui en reprend le thème et se développe en une suite de variations qui prennent de plus en plus d'ampleur sonore pour atteindre celle d'un orgue voire d'un orchestre. Une pièce impressionnante, effectivement très enthousiasmante !
Vous pourrez écouter un extrait audio de ce disque, un des dix préludes chorals de Bach/Busoni dont la principale difficulté est la diversité des touchers requis pour reproduire le plus authentiquement possible le style original des pièces pour orgue, ainsi que d'autres extraits dans deux vidéos plus bas dans cette page, qui vous permettront d'apprécier tant le talent de cette pianiste à offrir ce programme original passionnant, que la qualité sonore de son piano : un piano prototype de Bösendorfer, "Le plus bel instrument qu’il m’a été donné de rencontrer", confie-t-elle dans l'entretien à lire ci-dessous.
Dans quelles conditions ce disque a-t-il pu être réalisé ?
Ce disque a pu être réalisé avec le soutien de différentes fondations, et la collaboration précieuse de la salle de Flagey et du fabricant de pianos Bösendorfer. Ma rencontre avec Aparté s’est faite très spontanément, et nous nous sommes vite mis d’accord sur ce répertoire, que nous trouvions original et « décalé », tout en tournant autour de ce qu’on pourrait considérer comme le père de la musique occidentale.
Votre disque comprend un premier enregistrement mondial de trois études baroques de Thierry Escaich ; avez-vous eu l’occasion de rencontrer ce compositeur et cette œuvre est-elle en fait le point de départ de votre disque qui par ailleurs comporte des transcriptions d’œuvres de Bach ou est-ce Bach qui vous a conduit à Escaich ?
J’ai eu la chance de parler avec Thierry Escaich, et de travailler avec lui sur ses œuvres. Le point de départ de mon enregistrement est Bach, et je voulais lui adjoindre un pendant « moderne », pour ne pas dire rafraîchissant. Je trouvais passionnante l’approche de Escaich, qui tout en utilisant un langage intelligible, décoiffe complètement son auditeur et l’emmène dans des univers qui semblent connus et étrangers en même temps.
Vous avez également choisi l’œuvre "Jeux de doubles" , de Thierry Escaich, qui est un miroir à la Gavotte et ses six doubles non pas de Bach mais de Rameau, pour quelle raison ?
C’est un choix irrationnel, Jeux de Doubles est la première œuvre que j’ai entendue de Escaich, et j’ai eu le coup de foudre immédiat pour ce feu d’artifice. Il s’intégrait dans le programme dans la mesure où il est également inspiré de la musique baroque.
Que représente la musique de Bach dans votre répertoire ? Est-elle votre « pain quotidien » ?
On peut le dire ainsi. J’ai toujours eu du Bach à mon répertoire. J’éprouve un grand plaisir physique à le jouer. C’est un compositeur qui est très mystique, mais qui a tout de même un côté luthérien pragmatique et bien enraciné dans sa terre et ses traditions. Il a un peu la tête dans le chœur des séraphins et les pieds sur terre.
Vous indiquez dans le livret avoir choisi des transcriptions de la musique de Bach , plutôt que celle de Bach elle-même pour clavier, "parce que pour vous elles témoignent de l’universalité et l’atemporalité de la musique de Bach , elle jette des ponts entre des hommes de différents siècles". Parmi ces trois transcripteurs, y en a-t-il un qui à votre avis a transcrit les œuvres originales que vous avez choisies de façon plus novatrice que les autres et pour quelle raison avez-vous choisi essentiellement des transcription de chorals ?
Il est clair que celui qui a transcrit le plus d’œuvres de Bach pour le piano est Busoni. Il s’est vraiment plongé dans l’univers de Bach, et a édité pratiquement toute son œuvre pour clavecin, en plus d’avoir transcrit quantité d’œuvres pour orgue. Dans ce sens-là, c’est très certainement celui qui a le plus d’envergure. Pour moi, sa transcription de la Chaconne est un monument, et une véritable réécriture de la Chaconne pour violon, qui est toute en sobriété. Les chorals m’ont attirée parce qu’ils sont en majeure partie peu joués, et sont de véritables joyaux. Chacun a un caractère et une histoire bien particulière à raconter, et ils nécessitent une grande maîtrise des plans sonores. En effet, la voix du choral à proprement parler est jouée par un jeu particulier à l’orgue, dont le timbre diffère totalement des autres. Au piano, nous n’avons pas cette possibilité, et tout doit se faire dans le toucher et la couleur du son.
Tous sont nés après 1860, que pensez-vous de la façon dont a été considéré l’ensemble de l’œuvre de Bach depuis sa disparition jusqu’à cette seconde partie du 19ème siècle ?
La redécouverte de Bach par Mendelssohn a certainement joué un rôle prépondérant dans l’histoire de la musique. En effet, des compositeurs tels que Chopin, qui jouait beaucoup ses préludes et fugues, ou Schumann, très inspiré par son contrepoint, ou même Schostakovitch, n’auraient pas composé de la même manière sans connaître la musique du cantor de Leipzig.
Toutes les œuvres que vous avez choisies étaient à l’origine non pas pour clavier seul, mais pour d’autres instruments ou accompagnés, par contre de nos jours des jazzmen font aussi des arrangements ou improvisations autour d’œuvres de Bach pour clavier, avez-vous eu l’occasion d’en écouter et dans l’affirmatif qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas beaucoup écouté ce genre d’expérimentations, mais en ai entendu parler. Je trouve que c’est une preuve supplémentaire que l’œuvre de Bach traverse les siècles et qu’elle inspirera toujours les musiciens.
Comment s’est passé cet enregistrement ?
Je tenais à enregistrer dans la salle de Flagey pour y avoir joué quelques fois, et parce que mon CD précédant de musique de chambre y avait été enregistré. Je connaissais donc bien les locaux et suis très admirative de l’acoustique de la salle. Par ailleurs, je suis artiste Bösendorfer, et j’ai pu aller à la fabrique à Vienne choisir le piano que je voulais pour mon enregistrement. J’ai découvert à cette occasion le nouveau prototype qu’ils étaient en train de développer, un modèle unique que j’ai eu la chance d’être la première à enregistrer ! C’est sans aucun doute le plus bel instrument qu’il m’a été donné de rencontrer. Ils me l’ont amené à Flagey, et j’ai eu depuis lors l’occasion de jouer pour sa présentation à Vienne et je le rejouerai à la Philharmonie de Munich en janvier.
Avez-vous eu souvent l’occasion de jouer ces œuvres en concert et les jouerez-vous prochainement ?
Je les ai tournées pendant la saison précédant l’enregistrement, et je les rejoue pour une tournée de vernissage dans des salles telles que la Philharmonie de Munich, Flagey à Bruxelles, le studio Ernest Ansermet de Genève, à Berlin, et bien sûr à Vienne, chez Bösendorfer eux-même !
Pour écouter
Jean-Sébastien Bach/ Busoni
Préludes chorals BV B27
In Dir ist Freude, BWV 615
Beatrice Berrut, piano
avec l'aimable autorisation
du label Aparté
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