Louis Aubert Jean Pierre Armengaud Olivier Chauzu Piano Alessandro Fagiuoli Violon
Louis Aubert (1877-1968)
Sillages
Sonate pour violon et piano
Habanera (version pour piano 4 mains)
Feuilles d'images
Jean-Pierre Armengaud, piano
Alessandro Fagiuoli, violon
Olivier Chauzu, piano 2
Après un disque de Scriabine, le pianiste Jean-Pierre Armengaud retourne à la musique française , et retrouve Olivier Chauzu, avec lequel il a déjà enregistré des oeuvres de Debussy à quatre mains, ici dans deux oeuvres de son programme original d'oeuvres pour piano d'un compositeur, d'origine bretonne, beaucoup moins connu aujourd'hui que Debussy : Louis Aubert. Le violoniste Alessandro Faguioli se joint à Jean-Pierre Armengaud dans une sonate pour violon et piano. Cette oeuvre est ici en premier enregistrement mondial, de même que la version pour piano quatre mains de "Habanera" et "Feuille d'Images" miniatures pour piano à quatre mains.
Aujourd'hui, peu nombreux en effet sont ceux qui connaissent le compositeur Louis Aubert, né en 1877 à Paramé (désormais intégré à Saint Malo) . Il commença par se faire remarquer du public, par sa voix de soprano lors d'un concert à Paris, où ses parents l'avaient envoyé étudier la musique au conservatoire. Une belle voix décelée en fait très tôt ainsi que son oreille très fine et ses dons précoces pour le piano. Après différents maîtres, il entre en 1893, dans la classe de composition de Gabriel Fauré, où il devint notamment un grand ami de
Maurice Ravel, dont il créa des "Valses nobles et sentimentales" et partenaire de piano à quatre mains de Claude Debussy dans le cycle En blanc et noir.
Vice-président
de la célèbre Société musicale Indépendante pendant plus de trente ans, Louis Aubert a
pourtant toujours été, dans l’ombre des “grands”, au premier plan de la vie musicale de la première moitié du 20ème siècle. Il est vrai que bien qu'ayant vécu trente ans de plus que Ravel, le compositeur pianiste et pédagogue a composé aussi peu d'oeuvres que lui, et encore moins pour le piano seul . Il a certes aussi composé des oeuvres orchestrales, et pour la voix, dont nombreuses mélodies et un opéra au joli titre : "Forêt bleue" à partir de contes de Charles Perrault. Le pianiste Jean-Pierre Armengaud , qui nous a déjà permis de découvrir des compositeurs français " oubliés", avait à coeur de partager sa musique qui pour lui : "mérite vraiment d'être reconnue. L'interprète le sent quand il passe des centaines d'heures à le travailler. Je n'y ai senti aucune scholastique appliquée, comme c'est parfois le cas dans la musique française de cette époque, mais une spontanéité doublée d'un souci d'équilibre entre le discours, le son et la forme sans jamais sentir d'a priori idéologique." confie-t-il à l'occasion d'un bref échange sur ce disque qui parait sous le label Grand Piano/Naxos (distribution Outhere) et il a choisi d'y réunir quelques
unes des meilleures oeuvres de ce compositeur.
Les premières mesures du tryptique "Sillages" que vous pouvez découvrir plus bas dans cette page créent immédiatement une belle surprise et c'est une oeuvre de plus de vingt minutes absolument exceptionnelle. Le programme de la création qui eut lieu le 19 janvier 1913, rapporté dans le livret par le musicologue Gérald Hugon, renseigne précisément sur l'inspiration de chaque mouvement de cette musique très évocatrice : "« Le premier, nous transporte du rivage à la ligne d’horizon, en suivant les traces d’une pensée qui nous extériorise malgré nous et nous entraîne vers l’infini. Le second porte en exergue ces mots que l’on peut voir inscrits sur le clocher d’Urrugne en pays basque « Vulnerant omnes, ultima necat » [toutes blessent, la dernière tue]. Sur des accords lents aux harmonies étranges, il semble que l’on ressente les blessures que nous font les heures en passant, cependant qu’un chant populaire basque nous emmène avec son expression languide jusqu’à la dernière, celle qui verra se fermer nos yeux. Le troisième nous transporte dans la nuit oppressante, et nous cherchons dans ce brouillard la lueur indécise et vacillante qui peu à peu s’agrandit et s’intensifie pour enfin nous montrer le port. ».
Le pianiste Jean-Pierre Armengaud, confie quant à lui, dans le livret cette-fois, sur le plan purement musical : "Avant de plonger dans la structure de l’oeuvre, on sent la présence du compositeur pianiste dont les phalanges ont fréquenté la fluidité de Debussy, la finesse de Ravel, l’intransigeance sonore de Satie, la cambrure rauque et douloureuse des accords d’Albéniz, de Falla, tout comme la rondeur sourde de Bartók, provocante de Stravinsky… Cette rondeur positionnelle de la main, proche du clavier au service d’une harmonie resserrée, nécessite le poids du bras et ouvre sur une grande intériorité du son au fond des touches, tantôt rumeur de colères sublimées, tantôt douceur égale sous la pression de ces petits tambours du coeur qu’anime la pulpe des doigts du pianiste. "
La Sonate pour piano et violon , écrite en 1924, est à la mémoire de son maître Gabriel Fauré, tel le mentionne la dédicace. A son sujet Jean-Pierre Armengaud commente :" Celle-ci, dont l’édition fait partie des grandes sonates de violon françaises à côté de Debussy, Ravel, Fauré et Roussel…, est emblématique de l’écriture de Louis Aubert. Celui-ci sait faire vivre ensemble un parfait équilibre structurel d’esprit classique avec un lyrisme tantôt élégiaque tantôt tendu du violon, dont la ductilité et la fermeté des lignes s’inscrit dans la meilleure des traditions de la musique française, et avec un certain nombre d’harmonies dissonantes qui préfigurent Messiaen ou de chevauchées rythmiques qui évoquent Bartók ou Jolivet." Alessandro Fagiuoli qui partage cette sonate avec lui est diplômé du 'Conservatoire Benedetto Marcello à Venise, et connaît bien ce répertoire puisqu'il a ensuite suivie des études avec Enzo Porta précisément sur la musique du 20ème siècle. Et même si la fin de ce siècle l'intéresse plus particulièrement, cette oeuvre a des couleurs plus modernes que ne laisserait présager sa date de composition. Vous pouvez découvrir les premières mesures de cette oeuvre plus bas dans cette page et écouter pour la première fois ici Alessandro Fagiuoli, qui a reçu une bourse de la Biennale de Venise pour son interprétation d'oeuvres tardives du compositeur Nono, le conduisant à se spécialiser dans la musique contemporaine, notamment au sein du quatuor Paul Klee, un quatuor qui a bénéficié de résidences à l'Abbaye Royale de Fontevraud en France et à l'Université d'Evry à Paris. Il joue sur un violon Eugenio Degani de 1880.
"Habanera" (1917–1918) est l’oeuvre orchestrale d’Aubert la plus souvent jouée. Jean-Pierre Armengaud, a eu l'occasion , dans son adolescence de voir saluer longuement le compositeur à la fin de celle-ci , la transcription pour piano à quatre mains, écrite par le compositeur lui-même et publiée en 1919, qu'il joue ici avec le pianiste Olivier Chauzu, nous permet de mesurer son intensité progressive par palliers, qui atteint des sommets de densité sonore impressionnants, avant de ramener le calme initial.
A l'inverse, Louis Aubert orchestra ultérieurement "Feuille d’images", recueil de pièces enfantines pour piano à quatre mains publié en 1930, L'auteur du livret explique que celle-ci obéit à une conception particulière : "la partie supérieure, toujours restreinte pour chaque main à un registre précis, est réservée à l’élève, la partie basse plus difficile étant confiée au professeur. Il en résulte cinq pièces successivement calme et tendre (I), ingénue (II), avec des échos de valses ravéliennes (III), mais encore une habanera lancinante (IV) et une danse pleine d’humour (V)." Des images bien sûr elles aussi très évocatrices , comme le suggère d'ailleurs leur titre :" Confidence" très recueillie est si calme que l'on se demanderait presque si deux mains mains ne suffiraient pas à la jouer mais la "Chanson de route, avec entrain " on l'on peut entendre plusieurs voix dans un rythme beaucoup plus rapide, efface cette éventuelle question, la belle et prenante "Sérénade" avec des échos de valses ravéliennes les justifient bien sûr aussi, de même " Des paysages lointains" qui est aussi une Habanera , il est vrai que celle-ci a inspiré d'autres compositeurs français à la même époque, dont d'ailleurs Ravel mais ce serait une erreur de trop assimiler les deux compositeurs, et la " Danse de l'ours en peluche : goguenard et pesant" qui suit nous en dissuade , transportant l'auditeur en fait dans un tout autre monde avec une musique d'une modernité plus proche de celle de compositeurs tel Bartók ou Stravinsky effectivement, comme vous pourrez le constater dans le court extrait .
Pour écouter les extraits
Louis Aubert
Pierre Armengaud , piano
cliquez sur le triangle des lecteurs
ci-dessous
Extrait de Sillages
ou cet autre lecteur
Extrait de la sonate pour violon et piano
avec Alessandro Fagiuoli
ou cet autre lecteur
Extrait de Feuille d'images
Danse de l'ours en peluche
avec le pianiste Olivier Chauzu