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JOSEPH HAYDN Dernières sonates et Variations Mathieu Dupouy
PIANOFORTE
JOSEPH
HAYDN ( 1732 - 1809 )
Dernières sonates et Variations
Mathieu Dupouy, PIANOFORTE
Sonate en Do majeur, Hob.XVI: 50
Sonate en Mi bémol majeur, Hob.XVI: 52
Sonate en Ré majeur, Hob.XVI: 51
Variations en Fa mineur, Hib.XVII: 6
Variations sur "Gott erhalte Franz den Kaiser", Hob.XVII:Anhang
Mathieu Dupouy
est un musicien qui se distingue à la fois par sa passion pour
le clavecin, le clavicorde, et le pianoforte et par son répertoire
sur ces instruments puisqu'il joue indifféremment de la musique
baroque, classique mais aussi contemporaine. Ce disque est son troisième
disque à paraître chez le label Hérisson dont il
est co-producteur. Alors que nombreux pianistes ont enregistré
des sonates de Haydn sur piano moderne, c'est sur un pianoforte (Jacob
Weinesde 1807) qu'il a logiquement choisi de réaliser son enregistrement
des dernières sonates de Haydn, un choix d'instrument viennois
qui pourrait cependant surprendre puisque le compositeur réalisa
ces sonates lors de sa période dîte "Londonienne"
mais le claveciniste/pianofortiste/clavicordiste qui est aussi l'auteur
du livret de son disque explique dans celui-ci que l'on prétend
à tord que Haydn, impressionné par la qualité des
pianos anglais( qui sont toujours considéré implicitement
supérieurs aux instruments viennois puisque leur mécanique
est l'ancêtre de notre piano moderne) aurait écrit ses
dernières sonates dans un nouveau style typique des ces instruments,
le plus significatif étant que Haydn n'utilise pas l'étendue
des pianos anglais : Haydn reste à une exception près
limité aux 5 octave FA-Fa3 du piano Viennois...
Certes tout cela peut sembler bien technique, par contre Mathieu Dupouy
qui a bien voulu répondre à quelques questions sur son
disque ne remet pas en cause le fait que ces sonates soient différentes
des précédédentes : "C'est à Londres
que se crée le monde musical dans lequel nous vivons maintenant,
avec des concerts à entrée payante, devant un public bourgeois,
et des musiciens vivant de concerts. Je crois que c'est en cela que
Haydn modifie son style dans ces sonates : leur rapport au public est
différent. D'où leur longueur, leur virtuosité,
leur expressivité plus intense." Ce sont donc des oeuvres
faites pour combler un public d'amateurs exigeants que nous pouvons
écouter dans ce disque dans une sonorité certes inhabituelle
pour nous oreilles habituées au piano moderne mais il faut reconnaître
que cet instrument leur donne une autre dimension ainsi par exemple
vous pourrez écouter plus bas dans cette page l'adagio de la
sonate en mi bémol majeur , et voir une vidéo de l'enregistrement
des Variations en Fa mineur , nul ne peut contester que les notes basses
semblent moins assombries que sur un piano moderne et les notes aigus
plus claires, et la résonance plus intense. Bref une sensation
très différente il faut bien le reconnaître... Et
pour de candides auditeurs du 21ème siècle, non musicologues,
à vrai dire la question ne se pose pas vraiment de savoir si
ses sonates nous transportent à Londres ou Vienne mais plus de
constater que Mathieu Dupouy nous offre ici un voyage dans le temps
qui a tout pour plaire par ses sensations nouvelles et extrêmes
sur moins de six octaves... Un disque authentique telle une nourriture
biologique ayant conservé toutes ses saveurs et qui donne aussi
envie d'entendre une oeuvre contemporaine sur un tel instrument !
Vous
avez étudié le clavecin , comment êtes-vous passé
de cet instrument au pianoforte et qu'appréciez vous plus
particulièrement dans cet instrument par rapport au clavecin
et du clavicorde également... ?
Chaque instrument a son langage, mais on peut aussi apprendre beaucoup
d'un instrument différent. Cela a toujours été
le cas : par exemple à l'époque baroque on dit qu'il faut
écouter des chanteurs pour apprendre à jouer de son instrument,
mais Chopin le disait aussi, et les jazzmen le disent toujours... J'ai
pour ma part beaucoup appris des qualités de ces instruments
très différents. Il y a les lignes directrices de ce qu'on
veut faire entendre, l'idéal, et le matériau concret sur
lequel on s'exprime. Le clavecin est très versatile : par sa
cérébralité, l'ascèse de sa sonorité,
il peut exprimer toute la noblesse d'un Bach, sa religiosité
et ses constructions vertigineuses. Mais il peut aussi crépiter
de façon idéale chez Scarlatti ou les virginalistes anglais.
Il peut aussi devenir d'une incroyable sensualité quand toutes
ses subtilités de toucher sont exploitées chez François
Couperin. Le clavicorde est un instrument « souterrain »,
aimé depuis toujours des musiciens mais réservé
à la pratique solitaire, jusqu'à ce qu'on voue un véritable
culte justement à la solitude : ce sera l'Empfindsamkeit
et la musique de Carl Philipp Emanuel Bach. Avec le clavicorde, chaque
son est à inventer, chaque son est un univers. Avec ses dynamiques
contrôlables à plus grande échelle, le pianoforte
est l'instrument du classicisme : il permet les nuances, l'expression
du sentiment, mais aussi la construction, la forme. Et suivre l'évolution
de la facture du pianoforte parallèlement à celle du répertoire
est quelque chose de fascinant...
Ce disque est votre troisième disque
chez le label hérisson. Pouvez-vous présenter ce label
et expliquer dans quelles circonstances il a pu être réalisé
?
Ce label est une aventure commune lancée avec l'ingénieur
du son et directeur du label, Denis Vautrin. Nous existons depuis maintenant
4 ans et en sommes à notre huitième disque, avec plusieurs
autres en cours de montage. Nous tenons à défendre la
pertinence du disque classique dans un univers de plus en plus mercantile :
nos productions sont des coups de coeurs, en toute indépendance
artistique, des réalisations tout aussi soignées que celles
des grands labels (prises de son, textes des livrets qui ne sont pas
des fiches wikipédia recopiées, travail visuel de notre
photographe Claire Jachymiak...). Nous faisons des disques comme nous
faisons de la musique, sans préjugés, sans oeillières,
sans recherche de niches, voilà pourquoi il y a de la musique
baroque mais aussi de la musique contemporaine. Nous faisons les projets
au coup par coup, suivant les rencontres et les possibilités.
J'espère que les gens y seront sensibles et nous suivront, et
que nous pourrons continuer à leur faire partager ce qui nous
tient à coeur. Chaque disque est un défi financier mais
nous espérons que cette aventure pourra se pérenniser
: toute aide dans ce sens sera la bienvenue !
Vous avez enregistré sur un pianoforte
original de 1807, pouvez vous présenter cet instrument, notamment
savez-vous à qui il a appartenu avant, quelles sont ses qualités
sonores particulières et combien d'octaves a-t-il ?
C'est mon épouse, Soo Park, qui est également pianiste
et pianofortiste, qui a eu l'occasion de jouer ce piano lors d'un concert
en Slovénie. Son propriétaire était un accordeur
et restaurateur tchèque (pour la petite histoire, ce piano apparaît
dans le film Amadeus, tourné à Prague). Il s'agit d'un
instrument tchèque, de facture dite viennoise, du tout début
du XIXè siècle, déjà à 6 octaves,
mais encore avec des genouillères au lieu de pédales,
et une esthétique sonore et une construction légère
encore très ancrés dans le XVIIIè siècle.
Cette esthétique charnière m'a tout de suite semblé
convenir parfaitement à ces oeuvres qui sont le testament
pianistique de Joseph Haydn. Nous avons pu faire venir ce piano à
Paris et je dois dire que malgré son âge c'est un instrument
techniquement très fiable, aux grandes possibilités expressives,
qui donne beaucoup à l'interprète.
Que pensez-vous des pianos modernes , en jouez
vous aussi parfois ?
Je joue assez rarement du piano moderne, mais cela peut m'arriver
par exemple dans des phases de répétition d'opéras.
Ma démarche personnelle est vraiment dans la recherche de l'adéquation
entre l'oeuvre et son médium, quel qu'il soit. Je crois donc
que le piano moderne est un formidable instrument pour la musique de
nos jours. Il faut que le piano soit beau et que l'on sache en utiliser
toutes les couleurs, les possibilités de plans sonores, l'éventail
dynamique, la projection... comme par exemple Keith Jarrett le fait
de façon remarquable. C'est un fantastique pianiste, et dont
la musique colle idéalement aux qualités de l'instrument.
Que représente Haydn dans votre répertoire
?
C'est avec Haydn que j'ai appris le pianoforte, j'ai travaillé
presque toutes ses sonates lorsque j'ai commencé à étudier
cet instrument. La musique de Haydn me fascine, comme celle de CPE Bach,
parce que la forme y est très libre : ce n'est pas un moule qui
est plaqué sur l'oeuvre, mais un déroulement progressif.
J'apprécie beaucoup ce défi pour l'interprète de
devoir penser à la fois le détail et la ligne, le tout
et la partie, gérer les silences et les ruptures d'affect. C'est
aussi un parcours chronologique qui m'a fait venir à Haydn après
CPE Bach, à qui il doit tant (mon premier disque chez label-hérisson,
au clavicorde). Je compte ensuite continuer mon chemin chez des compositeurs
qui me tiennent particulièrement à coeur : Mozart,
Beethoven, Schubert, voire Schumann et Brahms.
Vous constatez un langage renouvelé dans
les sonates écrites par Haydn à Londres mais vous contestez
le fait que celles-ci tiennent compte des qualités de ces pianos
notamment parce qu'elles n'utilisent pas toute l'étendue
de notes permises par ces pianos / pianos viennois, en quoi le langage
est-il nouveau cependant selon vous et pourquoi avez-vous choisi de
les enregistrer plutôt que des sonates antérieures ?
La découverte par Haydn des pianos anglais lors de son voyage
à Londres est réelle, leur supposée supériorité
et fascination de Haydn pour eux sont des vieilles légendes musicologiques
datant d'une époque où les gens ne connaissaient pas vraiment
ces instruments. Les factures viennoises et anglaises sont restées
violemment antagonistes pendant très longtemps, et la situation
était telle que pas un pianiste à Vienne n'arrivait à
jouer les pianos anglais, tellement leur technique pianistique était
dépendante de la mécanique viennoise. La preuve la plus
objective de cela est que Haydn ne fait pas appel à l'étendue
(supérieure) des pianos anglais mais reste dans les limites des
pianos qu'il connaissait. C'est pour cela que j'ai choisi de les jouer
sur un piano de type viennois tardif, particulièrement adapté
à cette période. Il n'en reste pas moins que le langage
de Haydn voit là son dernier développement, et qu'il a
probablement été influencé par la vie musicale
londonienne. La vie que Haydn avait connue jusque là était
celle d'un musicien de cour, employé par l'aristocratie pour
composer des oeuvres de commandes. Lorsqu'il écrivait pour
le piano, c'était pour un public d'amateur, dans des salons privés.
C'est à Londres que se crée le monde musical dans lequel
nous vivons maintenant, avec des concerts à entrée payante,
devant un public bourgeois, et des musiciens vivant de concerts. Je
crois que c'est en cela que Haydn modifie son style dans ces sonates
: leur rapport au public est différent. D'où leur longueur,
leur virtuosité, leur expressivité plus intense. La sonate
en Ré Majeur fait quelque peu exception et elle est probablement
destinée à un cercle plus privé.
Vous constatez une grande modernité dans
les variations en fa mineur notamment « utilisation de toute l'étendue
» pouvez vous préciser de quelle étendue il s'agit
? Celles de pianos anglais ou viennois puisqu'elles ont été
écrites à Vienne ?
Les variations en fa mineur sont écrites pour un piano à
5 octaves, tel qu'on en trouvait à Vienne. C'est le cas également
de toute la musique pour clavier de Mozart, du jeune Beethoven... Ce
qui est remarquable c'est que les notes extrêmes y sont particulièrement
mises en valeur. Le fait qu'elle soient réellement les dernières
notes du piano a un effet psychologique, qu'il faut penser à
réintégrer quand par exemple on joue ces oeuvres au
piano moderne.
Vous indiquez que les variations sur «
Gott erhalte Franz der Kaiser » à l'origine
hymne autrichien deviendra l'hymne allemand , pouvez-vous expliquer
plus précisément cela et en quoi cette oeuvre méritait-elle
d'être la " fierté"de Haydn, vous
même qu'aimez vous dans ces variations ?
L'hymne « Gott erhalte Franz den Kaiser » est né
chez Haydn du stimulus dû à la découverte du «
God save the King » anglais. Haydn a souhaité composer
un hymne pour l'Autriche qui réponde aux mêmes qualités
de concentration mélodique, de la même façon qu'on
voit Beethoven plus tard travailler sans relâche pour arriver
à la mélodie si simple en apparence de « l'Ode à
la Joie ». Cette mélodie est restée l'hymne autrichien
jusqu'à la chute de la monarchie en 1918. Elle est devenue par
la suite l'hymne allemand lors de la république de Weimar, en
1922, et l'est restée jusqu'à nos jours. Haydn a par la
suite composé les variations qui constituent le mouvement lent
du quatuor dit « l'Empereur », puis cette version pour piano
seul, qui est sa dernière oeuvre pour clavier. Je crois que
la fierté de Haydn vient du fait d'avoir réussi à
composer une oeuvre qui a immédiatement été
intégrée dans la mémoire collective, une mélodie
que tout le monde connait, qui a franchi la barrière du langage
savant et écrit pour passer dans l'oralité des musique
traditionnelles. On dit que, vieux et malade, il la jouait chaque jour
à son piano, alors que les troupes napoléoniennes bombardaient
Vienne. J'y vois pour ma part comme une sombre prémonition des
jours sombres qu'allait traverser l'Europe, une oeuvre crépusculaire
au même titre que les derniers lieder de Richard Strauss écrits
dans une Europe en ruines, en particulier dans la dernière variation,
qui loin de conclure en apothéose ce qui devrait être une
glorification du Kaiser, se termine sur des accords sombres et dissonants
: Haydn appelait cette pièce « ma prière »...
Finalement remettez-vous totalement en cause
les différentes périodes créatrices que les musicologues
distinguent (notamment le regroupement des cinq dernières sonates)
et avez-vous eu l'occasion d'échanger à ce sujet
avec des musicologues, dans l'affirmatif qu'en pensent-ils
désormais ?
Le livre qui je crois analyse de façon la plus convaincante
les sonates de Haydn est celui de Laszlo Somfaï «The Keyboard
Sonatas of Joseph Haydn ». Son approche est d'une grande rigueur
et il part vraiment du texte même des sonates pour établir
une classification, avec un petit regret qu'il n'ait pas pris également
en considération les trios avec piano, puisque Haydn lui-même
ne fait pas de différence, appelant tout « sonate ».
Mais je ne suis pas musicologue moi-même, juste un interprète
curieux, et le métier d'interprète me prend suffisamment
de temps comme ça !
Vous avez enregistré trois disques de
musique classique mais aimez aussi la musique contemporaine, avez-vous
un projet d'enregistrement dans ce style et sur quel instrument
?
Il n'y a pas de projet concret pour l'instant mais c'est effectivement
une idée que je garde de côté. La question de l'instrument
dépend de quelles pièces on veut interpréter précisément
mais en tous cas, même si bien sûr je rends hommage aux
gens qui ont permis par leurs commandes l'écriture des grandes
pièces du XXè siècle, je crois que ce répertoire
doit cesser d'être l'apanage de quelques spécialistes du
clavecin contemporain. C'est en ce sens que je l'interprète
: avec le même travail de sonorité que s'il s'agissait
de Bach, Couperin ou Scarlatti.
Pour écouter
Sonate en Mi bémol Majeur Hob. XVI:50
Joseph Haydn
Mathieu Dupouy, pianoforte
avec l'aimable autorisation
du label Herisson
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous