Interrogé sur son répertoire de prédilection
en 2009, lors de la sortie de son premier disque d'oeuvres de
Clementi, Vittorio
Forte avait déjà fait part de son "amour
profond" pour Schumann aux côtés d'autres
compositeurs. Après ce premier succès discographique
le label Lyrinx a offert au jeune pianiste de nouveau la possibilité
d'enregistrer un disque et il a choisi le compositeur allemand
il est vrai un peu oublié face à Chopin lors de
leur bicentenaire de naissance en 2010 mais année au cours
de laquelle Vittorio Forte a eu cependant l'occasion de jouer
nombreuses fois les oeuvres de ce disque qui datent toutes trois
de la fin de la période pendant laquelle Schumann a exclusivement
composé pour le piano(1829-1839).
Comme dans la plupart de ses oeuvres Schumann y trouve son inspiration
dans la littérature ainsi dans Fantasiestücke,
recueil où la nuit est omniprésente, la cinquième
pièce que vous pourrez écouter plus bas
dans cette page "In der Narcht " traduit l'histoire
tragique du couple d'amoureux Héro et Léandre tirée
de la mythologie grecque (Héro guettant avec une lampe
sur le rivage Léandre qui la nuit lutte contre les flots
pour la rejoindre. Robert Schumann de son aveu, s'identifiait
à Léandre par ces difficultés à atteindre
l'inaccessible Clara). Le titre de Fantasiestücke
étant lui-même emprunté à Hoffman,
poète allemand qui a également inspiré Schumann
dans ses "Kreisleriana" écrites l'année
suivante où l'on retrouve tous les accents du romantisme
allemand et oeuvre dans laquelle, explique Vittorio Forte qui
a aussi écrit le livre de son disque "nous retrouvons
" les deux personnages créés par la pensée
"malade" de Schumann : Florestan et Eusebius. En effet
chaque pièce impaire présente un caractère
violent, halluciné déchiré, en contraste
avec les pièces paires, lentes, intimistes, parfois presque
mystiques." Les Kreisleriana sont très
proches de l'opus 12 Fantasiestücke, ainsi elles ont
le sous-titre de... "Fantaisies", en allemand
ce mot signifie aussi l'acte d'improviser et en musique correspond
à des compositions de structure assez libre et proche de
l'improvisation... caractéristiques qui tiennent particulièrement
à coeur au pianiste Vittorio Forte, ainsi le confie-t-il
à l'occasion d'un nouvel entretien(voir ci-dessous), et
le pianiste offre ici une interprétation très vivante
et contrastée sans exagération respectant le caractère
naturel de telles improvisations.
Vous aviez indiqué lors de l'interview
sur votre parcours "avoir un amour profond "
pour Schumann, pouvez-vous en dire un peu plus sur celui-ci alors
que sort votre second disque consacré à ce compositeur
?
J'ai été séduit très jeune par la
complexité de l'esprit schumannien. Je trouve que le mot
"romantisme" prend tout son sens dans sa musique. J'ai
vraiment senti le besoin de lui consacrer mon deuxième
disque et j'ai été heureux que Lyrinx me suive dans
cette "nouvelle aventure".
Quelle place a-t-il occupé ses
deux dernières années dans votre planning de concerts
et dans votre travail quotidien ?
Les uvres de Schumann ont été les marqueurs
de mon évolution artistique. Une grande partie de mon répertoire
pianistique est consacrée à Chopin et Schumann,
et depuis plus de trois ans ils sont, l'un comme l'autre, toujours
présents dans mes programmes de concert. Ce n'est pas un
hasard si pour mes premiers récitals aux USA mon programme
leur a été presque entièrement dédié.
Comme pour mon premier disque, je voulais me sentir totalement
à l'aise musicalement lors de l'enregistrement pour pouvoir
laisser une place à l'imagination et c'est pour cela que
j'ai énormément joué les pièces de
ce disque en concert. J'ai alterné les périodes
de travail intense et d'approfondissement au piano, avec des moments
de repos consacré à la lecture de biographie et
tout particulièrement du journal intime de Schumann que
j'ai trouvé bouleversant et qui m'a encore plus rapproché
de cet être humain dont le génie était égal
à sa souffrance. Je me suis penché aussi sur les
possibles pathologies dont Schumann était atteint et me
suis interrogé sur les conséquences qu'elles pouvaient
avoir sur son écriture.
Vous aviez déjà souligné
votre " faible " pour les Kreisleriana, qu'aimez-vous
plus précisément dans cette uvre ?
Les contrastes. "Kreisleriana" représente
la preuve tangible de la personnalité multi-facettes de
Schumann, un peu comme l'Humoresque op.20, mais avec une audace
remarquable et dans une construction plus architecturale de la
pensée musicale. Je crois que les contrastes font la beauté
d'une uvre d'art quelle que soit l'esthétique propre
de l'uvre en question.
Vous avez choisi d'enregistrer également
le recueil "Fantasiestücke" comme "Kriesleriana",où
règne les tempéraments des personnages Eusebius
et Florestan des contes d'Hoffman, avez-vous lu ces contes , et
que pensez-vous de la façon dont Schumann s'en est inspiré
?
Je n'ai pas lu les contes d'Hoffmann dans leur intégralité.
L'admiration de Schumann pour Hoffmann a certainement inspiré
l'écriture des Kreisleriana mais j'ose croire que c'est
plutôt le sens littéraire de Schumann lui-même
qui s'exprime dans ses uvres. Elles ont, selon moi, un pouvoir
suggestif et pas forcément descriptif. Par exemple, il
est assez exceptionnel de voir comment Schumann traduit dans les
"Fantasiestücke" tous les sentiments liés
à la nuit au sens propre comme figuré. Et nous savons
combien les nuits étaient difficiles pour lui ! Cette
poésie rêveuse mêlée à un tourment
dévorant m'a incité à choisir ces pièces
pour mon enregistrement.
Qu'est-ce
qui vous a tenu le plus à cur dans votre interprétation
, quel travail particulier cela vous a-t-il demandé par
rapport aux uvres de Clementi ?
J'ai voulu encore une fois laisser une large place à
l'improvisation du moment dans l'interprétation des uvres
de Schumann. Cela demande une grande liberté, donc a fortiori
beaucoup de travail lent et réfléchi.
Comme pour le disque "Clementi", deux prises ont suffi
pour cet enregistrement. Ce n'est pas du "live" mais
je ne peux m'empêcher de penser qu'il faut essayer de donner
en studio la même ferveur et la même présence
qu'en concert.
Vous sentez vous plus proche de l'un des
personnages inspirateur Eusebius ou Florestan, l'un d'eux vous
a-t-il demandé plus de travail que l'autre ?
J'aime penser qu'Eusebius et Florestan sont en chacun de nous!!!
Il suffit d'écouter ce qu'ils ont à nous dire. Il
faut "habiter" la musique de Schumann, comme lui était
"habité" par ses personnages !!!
Pourquoi avez-vous choisi d'ajouter à
ce programme l'"Arabesque" ?
C'est un petit bijou de simplicité et de légèreté.
Une sorte de tendre commentaire musical pour séparer deux
oeuvres majeures. Et en plus l'Arabesque a été la
première pièce que j'ai jouée de Schumann...
il y a quelques années.
Avez-vous vécu ce nouvel enregistrement
de façon aussi agréable que le premier ?
C'est toujours une très belle expérience ! Suite
au succès du disque des uvres de Clementi j'ai été
heureux que Suzanne et René Gambini me proposent un nouveau
projet. Et même si le catalogue Lyrinx présente déjà
des versions de référence des uvres de Schumann,
ils ont accepté que je choisisse le compositeur allemand
pour ce deuxième album. J'apprécie beaucoup la façon
de travailler de René Gambini. Il est de très bon
conseil, et sait respecter le choix des artistes. Nous avons enregistré
ce disque à Marseille dans une ancienne chapelle, où
l'atmosphère est assez surréaliste et en complète
opposition avec la "froideur" d'un studio. En plus j'ai
un faible pour la cité phocéenne! C'est peut-être
mes origines méridionales.
Quels sont vos prochains concerts et autres
actualités ?
J'ai eu l'immense plaisir de jouer pour la première fois
le deuxième concerto pour piano et orchestre de Brahms
au théâtre de Vevey et au Victoria hall de Genève
le 30 septembre et le 1er octobre dernier. Je crois que je garderais
un souvenir impérissable de cette expérience. Je
donnerais le 6 octobre un récital entièrement consacré
aux uvres de Schumann dans le cadre du 1er festival de piano
organisé par Intermezzo, association dont je suis le fondateur
avec mon épouse Inès Maleviolles. En Novembre j'animerais
une causerie sur Franz Liszt et en Décembre je donnerais
mon dernier récital de l'année dans le cadre de
la série "Liszt en Provence" au Château
Saint Estéve. L'année 2012 s'annonce aussi très
riche, avec peut-être un retour aux USA à l'automne
et une série de concerts de musique de chambre avec les
musiciens de l'Orchestre des Pays de Savoie.
Pour écouter
Schumann
Fantasiesctücke op.12
In der Nacht
Vittorio Forte, piano
avec l'aimable autorisation
du label Lyrinx
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous