TRIO ELEGIAQUE
Virginie Constant, violoncelle
Laurent Le Flêcher, violon
François Dumont, piano
Le pianiste François
Dumont, récemment lauréat du Concours Chopin
de Varsovie, qu'on imagine avoir été très
pris par la préparation de ce concours ne délaisse
pas pour autant la musique de chambre qui lui tient aussi beaucoup
à coeur ainsi ce disque qui vient de sortir permet de l'entendre
à nouveau dans le trio qu'il a constitué en 2003
avec deux autres lauréats de concours : Virginie Constant
est lauréate du concours Maria Canals et Laurent Le flècher
de l'ARD de Munich et que l'on avait pu découvrir dans
un disque du label Peyrolle comportant un trio de Dovorak et de
Haydn... Après avoir enregistré depuis celui-ci
un disque de musique contemporaine pour le label Triton c'est
à un répertoire de musique russe que le trio consacre
son nouveau disque chez ce même label, un disque important
pour ce trio puisque sur celui-ci figure notamment le trio élégiaque
de Rachmaninov à l'origine précisément du
nom de leur propre formation, confie François Dumont à
l'occasion d'un nouvel entretien(voir ci-dessous) .
Certes le propos n'est guère des plus joyeux puisque
le terme élégiaque se rapporte à l'élégie
(du mot grec elegeia, « chant de mort ») , et qu'il
désigne souvent une musique mélancolique, mais à
cette ligne directrice qu'est l'élégie s'ajoute
dans ces trios russes celle de la danse, c'est d'ailleurs une
oeuvre originale d'Ezio Frigerio : "Tombeau de Rudolf
Noureev au cimetière russe de Sainte Geneviève des
bois" qui illustre la pochette de ce disque... choix
qui se justifie donc parfaitement par ces deux caractéristiques
puisque Rudolf Noureev était un danseur renommé
est-il d'ailleurs besoin de le préciser .
Bruno Gousset auteur du livret présente ainsi ces trios
: "Sans chercher à atteindre la conception grandiose
de Brahms, ou de l'Archétype national signé Tchaïkovsky,
ces trois trios illustrent les efforts des musiciens russes en
faveur de la ligne pure au tournant du siècle, avec comme
ligne directrice les deux composantes essentielles et opposées
de l'âme slave : l'élégie et la danse"...
indiquant également que c'est sous l'impulsion d'un mécène
, industriel et éditeur , Mitrophane Belaiev, passionné
de musique de chambre que nombreux compositeurs russes se mirent
à écrire de grandes pages instrumentales. "Sans
lui n'auraient probablement pas vu le jour aucun de ces trios
produits en l'espace de cinq ans et dont le point commun est de
débuter tous par une phrase mélodique magnifique
destinée à s'imprimer durablement dans l'esprit
des auditeurs"... certes et sans les interprètes
qui les portent jusqu'à nos oreilles nous ne profiterions
pas non plus de ces belles compositions ! ... ainsi cet admirable
trio de Rimsky Korsakov dont vous pourrez entendre un extrait,
moins connu que le "Vol du bourdon" du même
compositeur mais qui n'est pas sans le rappeler à partir
de la seconde minute, et dont le trio Elégiaque dans une
interprétation très contrastée et elle fort
heureusement... vive nous permet d'apprécier tant le lyrisme
élégiaque que l'effervescence dansante.
Quest-ce
qui a donné envie à votre trio denregistrer
ces trios russes ?
Nous jouons depuis longtemps le trio élégiaque de
Rachmaninov. Laurent connaissait le trio d'Arensky et nous avons
découvert ensemble le trio de Rimsky-Korsakov qui est totalement
méconnu. Je dois dire que ce fut une découverte
particulièrement excitante et stimulante du point de vue
artistique car ce trio est un monument, un véritable opéra
pour trio avec piano !
Votre disque comporte le premier trio
« élégiaque » de Rachmaninov, cest
également le nom de votre formation avec Virginie Constant
et Laurent Leflêcher cette uvre est-elle à
lorigine du choix du nom de votre trio ou est-ce simplement
ce qualificatif commun à plusieurs trios en fait
qui qui vous a attiré lattention sur ce trio ?
En effet, notre nom fait directement référence
à cette oeuvre, bien que plusieurs oeuvres (notamment de
compositeurs russes) soient qualifiées d'"élégiaques":
le deuxième trio de Rachmaninov s'appelle également
"trio élégiaque", on pense également
au "Pezzo elegiaco" du trio de Tchaikovsky, le troisième
mouvement du trio d'Arensky s'intitule "élégie"...
C'est donc un thème récurrent chez ces compositeurs,
c'est pourquoi ce disque a également une signification
très personnelle par rapport à notre trio !
Nous jouons ensemble depuis 2003, mais Virginie et Laurent se
connaissaient auparavant de même que Virginie et moi. Nous
sommes tous issus du Conservatoire de Paris mais avons des parcours
variés. Je dois dire que cette expérience du trio
est extrêmement importante et gratifiante pour moi, je suis
attaché à ce répertoire et à produire
un travail intense de musique de chambre avec les même partenaires,
c'est tout l'avantage d'un groupe constitué.
Votre disque débute par un trio
dun compositeur peu connu et peu joué en France :
Anton Arensky connaissez vous également ses uvres
pour piano seul et quappréciez-vous dans ce trio
?
Je vous avoue ne pas très bien connaître ses oeuvres
pour piano, vous aiguisez ma curiosité !
Il a écrit deux trios mais le trio no 1 en ré mineur
est très certainement un de ses chef d'oeuvres, et un chef
d'oeuvre du genre par la spontanéité de son inspiration,
son lyrisme et l'équilibre de l'écriture. Arensky
était l'élève de Rimsky-Korsakov et fut le
professeur de Rachmaninov, il y a donc une véritable filiation
entre ce trois oeuvres ! On peut même entendre une parenté
thématique entre l'Elégie (le troisième mouvement
d'Arensky) et le thème du trio de Rachmaninov; ces deux
mouvements sont d'ailleurs tous les deux en sol mineur, tonalité
élégiaque par excellence...
Il existe un enregistrement par Arensky lui-même de son
trio ; bien que la qualité sonore soit assez mauvaise (il
s'agit d'un enregistrement sur rouleaux), cela donne une assez
bonne idée de la liberté déclamatoire des
interprètes de cette époque; tout est élan,
vie, prise de risque... Le tout avec une élégance,
un charme assez 'fin de siècle' qui donnent un cachet très
personnel à ce trio. ( nota : à écouter plus
bas un extrait trouvé sur youtube, mais effectivement la
qualité sonore est mauvaise )
Votre disque comporte également
un trio de Rimsky Korsakov écrit dans la même période
que les deux trios précédents , celui considérait
que la musique de chambre nétait pas son terrain
délection et la partition ne fut publiée quaprès
sa mort que pensez-vous personnellement de ce trio par rapport
aux précédents ?
Ce trio est tout à fait à part, par ses dimensions
et par son écriture qui est véritablement symphonique.
Je le ressens comme une vaste fresque relatant une épopée
slave, qui se termine dans une ambiance festive et exubérante,
avec un thème de danse comme refrain dans le dernier mouvement;
dans ce mouvement, Rimsky-Korsakov utilise tour à tour
une écriture savante (une fugue au chromatisme audacieux
commence le mouvement) et populaire, presque improvisée
avec une ritournelle de danse au violon et une virtuosité
presque tzigane. Le coeur du trio de Rimsky-Korsakov est le mouvement
lent qui est pour moi un pur moment de grâce ; le thème
lyrique et intime se développe dans une atmosphère
de rêve, avant de se mêler aux souples dessins chromatiques
du violon. Cela me rappelle les grands ballets de Tchaikovsky...
La place du piano est-elle différente
dans chacun de ces trios ? Quel travail particulier vous a demandé
linterprétation de ces uvres russes ? A quoi
avez-vous attaché le plus dimportance ?
Le trio le plus pianistique est certainement celui de Rachmaninov,
qui réserve au piano la première exposition du thème.
Dans le trio d'Arensky, les cordes ont en général
la part belle au niveau thématique, de même que chez
Rimsky-Korsakov, bien que l'écriture soit plus virtuose;
il réserve d'ailleurs au piano un grand solo dans le dernier
mouvement.
Nous nous sommes attachés au travail de la sonorité
ainsi qu'à l'équilibre de la structure (notamment
dans le trio de Rimsky-Korsakov). Mais la chose la plus importante
dans cette musique demeure pour moi la flamme, l'ardeur et le
souffle de l'interprétation, l'exaltation du sentiment
passionné qui anime ces oeuvres.
Vous
avez récemment reçu un prix au concours Chopin de
Varsovie, comment avez-vous vécu ce concours ? Pourquoi
avez-vous changé de piano pour la dernière épreuve
?
Ce concours possède une aura gigantesque, historique,
et je n'oublierai jamais ce mois passé à Varsovie
! L'atmosphère, la ferveur du public sont vraiment indescriptibles,
il s'agit d'un événement national en Pologne !
J'ai beaucoup aimé le timbre chaleureux et raffiné
du piano Fazioli, c'est pourquoi j'ai choisi ce piano pour les
trois premières épreuves. Néanmoins, par
expérience, je préfère presque toujours Steinway
lorsque que je joue avec orchestre, c'est pourquoi j'ai changé
de piano pour la finale; je pense que cela était un bon
choix. Il s'agit d'une question d'équilibre sonore, il
faut que le piano possède la masse sonore suffisante pour
faire face à l'orchestre, ce qui est en général
le cas des Steinway.
Comment conciliez-vous votre activité
de pianiste soliste avec celle de musique de chambre ?
Ces deux activités sont pour moi complémentaires
et s'enrichissent mutuellement. Il serait d'ailleurs pour moi
difficile d'imaginer l'un sans l'autre, à savoir une carrière
exclusivement soliste ou uniquement chambriste; il y a bien sûr
de nombreux exemples prestigieux qui démontrent le contraire
mais personnellement cela ne me conviendrait pas. Bien que l'essentiel
de mon activité soit de jouer en récital ou concerto,
je ne cèderais jamais le plaisir de partager la musique
avec d'autres et le privilège de découvrir et de
vivre avec des oeuvres d'une beauté extraordinaire !
Comment sest passé lenregistrement
de votre disque ?
L'enregistrement a eu lieu en l'église de la Grave ;
il s'agit d'une petit église de montagne qui possède
une acoustique extraordinaire. En vérité, c'est
lors du festival de la Meije que nous avons découvert ce
lieu, et nous sommes immédiatement tombés d'accord
avec Geneviève et André Thiébault qui étaient
également sous le charme de l'ambiance sonore du lieu.
Ces trios exigent un investissement émotionnel de chaque
instant, c'est une musique qui doit être défendue
et ne supporte pas la répétition sans perdre de
sa spontanéité. Autant dire que les séances
d'enregistrement ont été intenses, il fallait lutter
pour sortir constamment le meilleur de soi-même, il faisait
également assez froid ce qui, oserais-je dire, nous mettait
en condition pour cette musique !...
Je souhaiterais remercier particulièrement Olivier Légeret
qui a assuré la direction artistique ; son écoute
à la fois détaillée et synthétique
nous a été extrêmement précieuse !
Quels sont vos projets et concerts à
venir tant en trio que seul qui vous tiennent particulièrement
à cur ?
Suite au concours Chopin, une tournée au Japon aura lieu
en janvier 2011 avec l'orchestre philarmonique de Varsovie (sous
la direction d'Antoni Wit). Je donnerai à mon retour un
récital à Verdun puis deux concerts en trio au Parlement
de Bretagne à Rennes (programme russe). Je donnerai début
février un récital au musée d'Orsay avec
un programme "impressionnisme et pré-impressionnisme"
(Liszt, Debussy, Ravel); en avril nous donnerons l'intégrale
des Trios de Beethoven à l'Opéra Comique, ce qui
est un projet extrêmement enthousiasmant !
Pour écouter
le
Nikolaï Andreîvich Rimsky-Korsakov
Trio en ut mineur, adagio-allegro
par le Trio Elegiaque
avec l'aimable autorisation
du label Triton
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous