Chopin Hélène Tysman
Chopin
Sonate n°2 opus 35
24 Préludes opus 28
Hélène Tysman
Chopin ne disposa que d'un piano loué localement dont
la médiocrité l'exaspérait lorsqu'il acheva
en janvier 1839 les Préludes, alors qu'il passait un pénible
hiver avec George Sand aux Baléares, relatent les deux
auteurs du livret du disque, qui en sont également producteurs,
Hervé et Catherine Dumesny. Certes des sentiments d'énervement,
voire de désespoir ont traversé aussi momentanément
la jeune pianiste Hélène Tysman lors de l'enregistrement
de son disque puisque répondant ici à nombreuses
questions à l'occasion de la sortie de son premier disque
elle relate notamment que "la première journée
d'enregistrement a été réduite à néant
en raison de la pédale sourdine du piano qui criait à
en réveiller Chopin dans sa tombe !"...Heureusement
tout s'est arrangé et bien sûr c'est avant tout le
parcours d'une longue recherche personnelle auprès de nombreux
prestigieux professeurs qui lui ont beaucoup apporté( voir
ici) , et sa sensibilité personnelle, et non ce facheux
contretemps, qui lui permettent aujourd'hui d'offrir ici un enregistrement
remarquable par la tension qui y règne. Ce n'est assurément
pas un Chopin "charmeur" ou "léger"
que la jeune femme fait transparaître par son interprétation
magnifiquement colorée et d'un relief à donner le
vertige dans ce programme judicieusement construit, mais un Chopin
dont elle exalte avec une incroyable originalité, et clarté,
tous les états d'âmes et aspirations qu'il a précisément
mis dans ses préludes.
La sonate n°2, s'avère un excellent choix pour compléter
ce cycle... jugez-en vous-même par ma sélection(voir
plus bas) dans les vidéos d'Hélène Tysman
et son disque : l'une des vidéos est l'enregistrement du
1er mouvement de la sonate n°2, le rapprochement avec le 16
ème prélude de l'opus 28 montre la similarité
de premières mesures comme le signale d'ailleurs Hélène
Tysman mais aussi la même fièvre qui traverse ses
deux extraits, quant au deuxième prélude ne peut-on
pas y entendre une lugubre "marche funèbre"
certes d'un pas un peu plus rapide, mais d'une tristesse à
l'image de l'ainsi nommé -"Marche funèbre"-
troisième mouvement de la sonate n°2.. . et enfin il
y a bien sûr, comme le signale aussi Hélène
Tysman, le prélude 14 qui n'est pas sans rappeler le troublant
final de la sonate ? Nul doute que tous ces extraits qui vous
permettront d'apprécier également son jeu particulièrement
captivant et énergique, sans pour cela jouer dans un rythme
des plus rapides, vous montreront combien Hélène
Tysman montre une réelle affinité avec la musique
de Chopin, transmettant toutes les vibrations de ces oeuvres avec
intensité. Ces nombreuses réponses ci-dessous ne
feront que vous le confirmer... pas étonnant qu'elle ait
déjà en poche le 1er Prix du Concours International
Chopin à Darmstadt (2006) et que la Fondation Chopin de
Hanovre (en Allemagne) lui ait également décerner
des Prix, et qu'elle fasse partie des sélectionnées
du célèbre Concours Chopin de Varsovie qui aura
lieu en octobre 2010.
Quand avez-vous découvert la musique
de Chopin, qu'en avez-vous pensé alors et quelle place
représente-t-elle aujourd'hui pour vous . Vous êtes-vous
également intéressée à la vie de ce
compositeur ?
De même qu'il y a toujours eu des pianos et du jazz dans
la maison de mes parents, il y a toujours eu de la musique de
Chopin (ce qui est peut-être également lié
aux origines polonaises de la famille de mon père, fuyant
Varsovie à cause de la guerre).
C'est probablement l'une des premières musiques que j'ai
dû entendre au piano alors il était assez normal
d'avoir envie de jouer ce compositeur. Jouer Chopin quand j'étais
petite, c'était comme " vraiment " commencer
à jouer du piano, ce dont j'étais évidemment
très fière !
Par ailleurs je crois avoir depuis toujours été
particulièrement touchée par ce compositeur. Il
y a eu un moment où il me semblait trop difficile et je
l'ai laissé de côté en jouant notamment plus
de Liszt et de Schumann. Puis je suis retournée sur Chopin,
comme après une longue absence et beaucoup de choses m'ont
semblé plus évidentes ou du moins plus naturelles.
Peut-être ce compositeur demande-t-il une telle maîtrise
de l'instrument avant de pouvoir véritablement l'aborder
? En même temps je dirais que, de tous mes professeurs,
Chopin est de loin celui qui m'a le plus appris (et continue de
m'apprendre) sur le piano (la technique du son, de la pédale,
du legato, etc) et aussi de l'harmonie, de la polyphonie
Un point de la vie de Chopin m'a souvent interpellé :
le fait que son père, d'origine française, ait décidé
de quitter définitivement (et apparemment assez brutalement)
la France pour s'installer en Pologne. D'après ce que j'avais
lu, il n'aurait jamais voulu raconter ni à son fils ni
à sa femme pourquoi il avait à ce point voulu rompre
avec son pays natal (on suggère des mésaventures
amoureuses). Ce qui est fou c'est que, sans jamais en parler avec
son fils, celui-ci se retrouve à voyager dans l'Europe
(en principe il devait finir à Vienne ou Londres) et, comme
par hasard, arrive à Paris pour n'en plus repartir. Son
père meurt en Pologne, après avoir pour ainsi dire
fui sa patrie française tandis que son fils polonais meurt
en France après avoir quitté (non sans déchirement)
sa patrie polonaise
En cette année anniversaire de
la naissance de Chopin où sortent de nombreux enregistrements
de ce compositeur, est-ce un challenge plus difficile de sortir
un disque consacré à ce compositeur pour un jeune
talent comme vous ou au contraire voyez-vous en cet anniversaire
une bonne opportunité de vous mesurer à des talents
confirmés ?
Lorsque ce disque a été enregistré et,
au plus loin que je me rappelle, lorsque son idée a été
élaborée, j'étais à cent lieux de
penser qu'il y aurait une année Chopin arrivant un an plus
tard au moment de sa parution ! Ceci dit, vous avez raison, il
n'est pas évident pour un jeune musicien de proposer des
uvres déjà tellement jouées et enregistrées
par les plus grands. En ce qui me concerne pourtant, ce programme
était presque une condition sine qua non pour ce premier
disque, donc rien à voir avec des exigences extérieures
d'anniversaire ou autres ! En effet les préludes de Chopin
m'accompagnent et me sont assez proches depuis quelques années
déjà et je rêvais de pouvoir les enregistrer.
Bien sûr c'est un challenge, voire un acte assez prétentieux
de vouloir enregistrer cette uvre (très importante
et à mon sens peut-être la plus difficile de tout
le répertoire pianistique). Pourtant ce qui m'a permis
cette audace, c'est la conviction qu'il y a encore d'infinis possibilités
d'interprétation. D'ailleurs, pour ma part, je n'ai encore
jamais entendu une version qui m'ait totalement convaincue du
début à la fin, même chez les plus grands
pianistes. Cette uvre est d'une telle difficulté
et en même temps d'une telle simplicité voire innocence
(à la façon des variations Goldberg de Bach) qu'elle
n'est peut-être pas prête encore à dévoiler
son mystère
je trouve cela plutôt réjouissant
car, même avec les empruntes de Cortot, Eschenbach (enregistrement
de jeunesse), Pogorelich, Argerich, et bien d'autres encore, il
restera toujours de la place pour d'autres empruntes. Personnellement
je continue de la travailler et de découvrir des subtilités
à chaque fois que j'ai la rejoue en public.
Pour
quelle raison avez-vous choisi d'enregistrer en complément
des préludes la deuxième sonate de Chopin ?
Tout d'abord je pensais qu'une oeuvre un peu "légère"
ou disons de moins grande envergure aurait risqué d'être
totalement absorbée par les préludes, si imposant
en eux-mêmes. J'ai donc trouvé que la sonate venait
appuyer les préludes et surtout mettre en relief l'une
et l'autre oeuvre parfaitement. Par ailleurs, le producteur m'ayant
entendu jouer la sonate, il souhaitait beaucoup que cette oeuvre
figure dans ce disque. J'étais également très
heureuse de pouvoir l'enregistrer et j'ai par la suite trouvé
fort intéressant la mise en relief de ces deux uvres
par elles-mêmes. L'une compacte, dense, l'autre plus longue
et en même temps plus courte (car découpée
en de courtes pièces). Cela montre une certaine relativité
du temps dans la musique : une uvre longue semble-t-elle
vraiment plus longue qu'une uvre plus courte ? N'a-t-on
pas l'impression d'une éternité dans certains des
préludes et en même temps que ces 24 préludes
passent comme une seconde ? D'autre part, la sonate, bien que
découpée en quatre mouvements aux caractères
très différents, présente une vraie unité
dans laquelle on ne peut séparer les mouvements entre eux
sous peine d'entraver son déroulement interne.
Mise à part cette idée un peu métaphysique
du rapport au temps, je trouvais intéressant de voir certains
détails dans l'écriture des préludes retrouvés
dans la sonate (exemple main gauche du début de la sonate
avec la main gauche du 16ème prélude, ou final de
la sonate avec le 14ème prélude
) Il faut savoir
que les préludes ont été composés
bien avant la sonate et qu'ils regroupent, à mon avis,
toute la base de l'écriture de Chopin qui se retrouvera
dans le reste de ses uvres.
Il est aussi intéressant pour l'auditeur moins averti de
la musique de Chopin de découvrir ce compositeur à
la fois dans une uvre d'une extrême puissance et en
même temps dans les préludes parfois puissants mais
souvent extrêmement intimistes, voire miniatures, fins et
subtils, tels des Haiku japonais
Dans quelles circonstances ce label Oehms
édite-t-il votre disque ? Pourquoi la version française
de votre livret qui existe pourtant, n'a-t-elle pas été
incluse ?
A cette époque, j'avais une proposition d'un label anglais
(pour enregistrer de la musique française) et, comme j'ai
eu finalement la possibilité d'enregistrer un disque à
compte d'auteur grâce au soutien d'un producteur indépendant,
j'ai préféré décliner ce label. Malgré
le risque de ne pas être édité, cela me permettait
de choisir entièrement le répertoire que je souhaitais
enregistrer ainsi que les conditions d'enregistrement, ce qui
était le plus important dans ma démarche. Cette
opportunité qui m'a été donnée est
une chance énorme, je dirais presque un " luxe "
à notre époque de très (trop?) grande production.
Finalement, une fois sorti d'usine, ce disque a reçu beaucoup
d'offres de labels intéressés à le publier,
ce qui m'a rassuré dans le choix que j'avais fait, notamment
sur le programme.
Il se trouve que Oehms, en Allemagne, m'a proposé un contrat
à long terme avec de grandes libertés sur mes choix
de répertoire et manière d'enregistrer. C'est une
maison indépendante très engagée et courageuse
en ces temps difficiles pour les jeunes musiciens. J'ai donc signé
avec ce label qui est également distribué internationalement
(en France, son distributeur est Codaex). Pour cette raison, le
livret édité par Oehms a dû être réduit
aux versions allemande et anglaise (bien que vous ayez fort raison,
étant moi-même une artiste française, j'ai
déjà eu plusieurs remarques concernant l'absence
de version française !).
Qu'est-ce que pour vous la "note
bleue" que rappellent les auteurs de votre livret, citant
George Sand ?
A cette époque il y avait une réelle connivence
entre artistes. Musiciens côtoyaient naturellement peintres
qui côtoyaient écrivains etc. Et cette idée
de " note bleue " a été je crois inventée
par Delacroix et reprise par George Sand à propos de Chopin.
Celui-ci avait en effet coutume de commencer ses improvisations
un peu en tâtonnant, en cherchant l'harmonie ou la note
qui amènerait toute l'atmosphère de l'uvre
et c'est ainsi que l'a décrit George Sand. Ce qui est intéressant
en tout cas c'est la recherche de relation entre son et couleur
et surtout le mot employé par George Sand elle-même
à cette époque : " la modernité ".
Cette " note bleue ", c'est la note rajouté à
une harmonie à la base plutôt classique et qui devient
ainsi tout d'un coup une nouveauté (dans cette recherche,
Debussy ne diffère pas de Chopin).
Les
auteurs de votre livret découpe les 24 préludes
en distinguant quatre parties, partagez-vous cette analyse originale
?
En fait, je ne vois pas exactement l'uvre de cette façon
car je la vois en tant qu'interprète, à l'intérieur
même de son déroulement mais il serait fastidieux
d'expliquer ici ma vision analytique par rapport à celle
musicologique du livret que je trouve tout à fait intéressante.
Tout ce que je peux dire, en tant qu'interprète, c'est
que j'ai toujours ressenti une sorte de césure entre le
12ème et le 13ème prélude. A partir du 13ème
prélude, le temps est déjà installé
et il se déroule plus paisiblement, plus lentement, en
opposition aux 12 premiers préludes plus frais et en général
plus courts et plus rapides
j'ai parfois le sentiment, en
les jouant, d'une personne jeune pendant les 12 premiers préludes,
et d'une personne plus mûre pour les 12 derniers (même
si ça reste très relatif).
Qu'est-ce qui vous tient le plus à
cur dans votre interprétation des préludes
et de la deuxième sonate de Chopin ? Avez-vous travaillé
de façon particulière pour les enregistrer ?
C'était à la fois un challenge d'enregistrer les
préludes et en même temps l'unique occasion peut-être
de rendre les 24 aussi proches possibles de ce que je voulais.
Cela m'a toujours paru presque impossible en concert. Il y a une
telle exigence à la fois technique et émotionnelle
dans ce cycle, qu'il semble particulièrement ardu de les
interpréter " parfaitement " en public. L'enregistrement
me permettait donc ce fantasme ! Cela n'a pas été
plus simple pour autant
La raison est que je tenais absolument
au déroulement interne de l'uvre, notamment aux silences
et aux pauses entre chaque prélude, aussi importants à
mon avis, que les notes elles-mêmes. Je n'ai donc pratiquement
joué que des prises entières des 24 préludes,
chaque fois du début à la fin! (il y en a eu quatre
ou cinq je crois), puis quelques préludes ici ou là
pour essayer d'améliorer encore certains détails.
La sonate a été enregistrée à peu
près de la même manière, cherchant une unité
notamment entre les deux premiers et les deux derniers mouvements.
Beaucoup d'états d'âmes sont
traversés au cours des préludes de Chopin, y en
a-t-il certains qui vous correspondent mieux... certains qui vous
semblent plus faciles à jouer ?
J'aime chacun des "états d'âme" de ces
préludes ! Il n'y en a pas un que j'aime moins que l'autre
je suis chaque fois éblouie par chacun des préludes,
aussi court soit-il ! Et d'ailleurs bien qu'il y ait une certaine
couleur propre à chacun d'eux, je dirais que l'état
d'âme peut varier beaucoup selon la personne qui les joue,
l'endroit et le temps
La seconde sonate de Chopin est réputée
surtout en raison de son troisième mouvement : "marche
funèbre" mais ne pensez-vous pas que le quatrième
mouvement en fait plus l'originalité ?
Dans cette sonate, un drame nous est présenté,
peut-être un peu à la façon une tragédie
grecque, une situation qui va en se développant jusqu'au
point de non-retour où l'on sait que l'on va irrémédiablement
vers la mort. En cela je vois comme une césure entre le
2ème et le 3ème mouvements. Toute cette sonate me
fait l'effet d'une "Marche fatale ", une "course
vers la mort ", que ce soit dans le troisième mouvement
comme dans le deuxième ou le final et même le premier.
Cela me rappelle les descriptions tolstoïennes de la guerre
et de ces jeunes soldats en première ligne auxquels il
ne restait plus que le courage pour avancer (et quel courage !).
Ainsi, le quatrième mouvement apporte, selon moi, la véritable
dimension de toute la sonate. C'est comme un dernier coup à
l'auditeur, sonnant le glas de la mort (peut-être plus que
dans la Marche, par l'angoisse qu'il crée avec son écriture
assez distante et en un sens dépourvue de "sentiments",
comme "désincarnée").
J'ai parfois l'impression dans cette oeuvre d'un paroxysme de
la souffrance. Comme si à chaque niveau extrême de
souffrance atteint, l'effet "planant" des parties centrales
incroyablement mélodiques arrivait, tel un mirage ou plutôt
tel le paroxysme d'une souffrance en délire
Le final
serait alors le dernier degré de folie qui mène
à la mort.
Ce final a dû être un choc pour la plupart des auditeurs
de l'époque de Chopin. Je l'imagine à peu près
comme ce qu'a pu être la création du Boléro
de Ravel dont une dame s'était exclamé, non sans
pertinence, que ce n'était " pas de la musique "!
C'est justement dans des passages comme ceux-là que l'on
aperçoit la modernité d'une musique. Ici cela annonce
déjà le jeune Debussy (pour autant ce quatrième
mouvement n'est pas du Debussy et il faut réussir à
garder une certaine rigueur pour ne sentir que mieux, du bout
des lèvres, l'appel des premières couleurs impressionnistes
et non moins effrayantes - tel La Chute de La Maison Usher d'E.A.
Poe, qui a tant inspiré Debussy
)
Par ailleurs la reprise du premier mouvement telle quel me semble
très importante, comme l'a découvert récemment
Charles Rosen, car elle redonne tout son sens aux premières
mesures.
Il s'agissait
de votre premier enregistrement d'un disque, comment avez-vous
vécu celui-ci ?
Pour les anecdotes, je dirais qu'il faisait terriblement froid
dans cette petite église des derniers jours de décembre
2008 ! et que, étant obligés de couper le chauffage
pour que son bruit ne gêne pas l'enregistrement, la plupart
des prises ont en fait été faites avec des mains
gelées ! (et heureusement l'âme très chaude
!) Par ailleurs, je me suis presque totalement décomposée
lorsque j'ai vu la première journée réduite
à néant en raison de la pédale sourdine du
piano qui criait à en réveiller Chopin dans sa tombe
! (il faut dire que j'utilise souvent beaucoup de demi, voire
quart de pédales et sourdines) Nous avons tout essayé
: les réglages classiques, l'huile, le savon et même
le talc ! Finalement nous avons réussi tant bien que mal
à l'arranger, mais cela a coûté la journée
d'enregistrement... Passé l'énervement puis le désespoir,
j'ai dû apprendre à gérer ce petit incident.
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