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Brahms Klavierstücke Philippe Cassard
Johannes
Brahms
Klavierstücke opus 116 - 119
Philippe Cassard
Après un disque et un livre consacrés tous deux
à Schubert, le pianiste Philippe Cassard a choisi d'enregistrer
les dernières oeuvres pour piano seul de Johannes Brahms
car il trouve, explique-t-il dans l'interview ci-dessous, des
correspondances plus ou moins souterraines entre le Schubert de
1828, à l'orée du grand romantisme allemand, et
ces vingt pièces ultimes délivrées par Brahms.
Si les deux derniers de ces quatre opus s'appellent Klavierstücke,
le premier se nomme "Fantasien" et le second "3
Intermezzi" et en fait quatorze de ces pièces sont
des "Intermezzo" y compris des pièces du recueil
"Fantasien" , trois autres des "Capriccio",
auquelles s'ajoutent : une " Ballade" , une "Romanze"
, et une "Rhapsodie"... des noms qui n'aident pas vraiment
à se retrouver spontanément dans ces pièces
et c'est effectivement comme un tout ..."Un trésor
de chefs d'oeuvres inépuisables" selon Clara Schumann,
qu'il est préférable de considérer ces 20
dernières pièces écrites par Brahms en deux
étés, cependant celles-ci ont des caractères
différenciés. Philippe Cassard en offre une interprétation
d'une belle clarté par son jeu qui en exalte le chant qu'il
soit de douleur, de rage, ou de sérénité...
dans une atmosphère intime, à l'image des vidéos
prises par Universal chez lui(voir plus bas). Le pianiste fêtera
bientôt, le 12 mars 2010, la 200ème de son émission
"Notes du traducteur"qu'il présente chaque
semaine sur France Musique, comme dans celle-ci il nous aide également
à mieux comprendre ces oeuvres ultimes en répondant
à quelques questions au sujet de ce nouvel enregistrement
:
Que représente Brahms dans votre
répertoire ?
Une partie importante : j'ai appris le 1er Concerto en ré
mineur lorsque j'avais 17 ans, notamment sous la houlette du grand
Leon Fleisher, qui l'avait joué à 16 ans avec Pierre
Monteux ! A mon répertoire figurent les Ballades op.10,
la Sonate op.5 en fa mineur, une grande partie de la musique de
chambre avec piano, une trentaine de Lieder, et, tout au long
de ces 25 dernières années, les différents
opus tardifs. Chaque chose arrive à son heure, je n'étais
pas pressé d'enregistrer ces vingt pièces. Je forme
des voeux pour que le Concerto en ré mineur soit, au cours
des prochaines années, un projet discographique.
Quel rapprochement faites-vous entre ce
disque et votre précédent disque des Impromptus
de Schubert ? Quest-ce qui vous a donné envie denregistrer
ces pièces ?
Il y a manifestement des correspondances plus ou moins souterraines
entre le Schubert de 1828, à l'orée du grand romantisme
allemand, et ces pièces ultimes délivrées
par Brahms au début des années 1890. Même
sentiment de déambulation intérieure, parfois d'errance,
même mélancolie -accentuée chez Brahms par
la Weltschmerz, cette "douleur du monde" si typiquement
allemande en cette fin de XIXème siècle-, même
recours à la petite forme -chez Schubert, ce sera le Moment
Musical ou l'Impromptu. Brahms connaît bien son Schubert,
il a édité les Klavierstücke D946 en 1868,
il en a joué jusqu'à la fin dans des récitals
publics et privés. Et, de-ci, de-là, on reconnaît
certaines tournures schubertiennes caractéristiques : le
rythme une longue/deux brèves (op.116 n°2, op.117 n°3,
op.118 n°2, Rhapsodie op.119), la découpe de certaines
phrases (début de l'op.116 n°6), même si, bien
sûr, l'écriture est beaucoup plus orchestrale, opulente,
parfois massive chez Brahms. Disons que j'avais envie de relier
le grand livre de la Sehnsucht (mélancolie, aspiration
vers l'ailleurs) ouvert par Schubert à ces confessions
toujours lyriques d'un Brahms représentant le dernier bastion
du romantisme allemand.
Les vingt pièces des quatre opus
ont été écrites en deux été(1892
et 1893) et sont réparties dans quatre opus , quest-ce
qui justifie(ou non ) selon vous ces recoupements et des appellations
différentes dailleurs pour les deux premiers recueils
(Fantasien notamment plutôt que Klavierstucke ) ?
Difficile et peu convaincant de "faire son marché"
à travers ces 20 pièces et de n'en extraire que
quelques-unes à la suite : le grand Sviatoslav Richter
l'a fait, mais cet arbitraire m'a toujours paru aller contre la
couleur, la tonalité d'ensemble de chaque cycle.
Il est indéniable que l'opus 116 représente l'aspect
le plus extraverti, spectaculaire, symphonique de l'ensemble des
4 opus, mais en même temps, les contrastes y sont plus vifs,
le climat général plus sombre. Aux échos
des "Fantaisies" profondément libres et paysagées
de Schumann (op.12, 17, 111), Brahms ajoute (et retrouve) une
part de l'accent épique, pathétique de ses premières
compositions (Sonates et Ballades pour piano). Le souffle des
contes et légendes fantastiques que Brahms lisait, adolescent,
traverse les 3 Capriccios. Mais au milieu de la tourmente, il
installe un moment de méditation extraordinaire (le Notturno
op.116 n°4) et une page visitée par des spectres mystérieux
(l'Intermezzo op.116 n°5).
L'opus 117 est plus homogène, trois Intermezzi d'allure
modérée, construisant au fil des pages une vraie
gangue de la mélancolie, de la solitude et de la tristesse
de laquelle on a le plus grand mal de s'extirper. Ce sont là
les véritables "Berceuses de ma douleur"
pour reprendre la définition que Brahms en donnait.
L'opus 118 s'ouvre par une sorte d'improvisation tumultueuse,
désordonnée (schumannienne ?) d'où surgit,
comme en rêve, le merveilleux Intermezzo en la majeur. Là,
Brahms est clairement sous l'influence de la clarinette -il compose
au même moment les Sonates, le Trio et le Quintette avec
clarinette-, chaque phrase, chaque dessin figure cet instrument
et en fait rejaillir toute la tendresse, la douceur, la teinte
nostalgique, le ton confidentiel. Cycle plus hétérogène
que les trois autres, l'op.118 contient une Ballade qui pourrait
être une Rhapsodie ou un Capriccio, une Romance qui convoque,
sous son calme apparent, les mânes du Requiem Allemand et
de la Passacaille de la 4ème Symphonie. Sans oublier le
génial Intermezzo conclusif en mi bémol mineur,
autre grande méditation emplie de souffrance, de questionnements,
de ruminations parvenant des abîmes et d'éclats terribles
qui annoncent les Symphonies de Mahler.
A l'inverse des Intermezzi de l'op.117, c'est vers plus d'allant
et d'énergie que se dirigent les 4 Pièces de l'op.119,
depuis un Adagio introductif à l'atmosphère automnale
poignante jusqu'à cette Rhapsodie triomphante (là
encore, tout à la fois le Schumann du deuxième mouvement
de la Fantaisie et le Schubert de la Wanderer Fantaisie !), massive,
incroyablement symphonique qui porte l'indication Allegro Risoluto.
Quelle vitalité et quel appétit de revanche sur
cette mélancolie qui s'était engouffrée dans
le moindre interstice des 19 pièces précédentes
!
Comment avez-vous abordé ces uvres
considérées comme « le journal intime »
de Brahms ? Quelle difficulté particulière ces uvres
aux caractères très contrastés présentent-elles
et quest-ce qui vous a tenu le plus à cur dans
votre interprétation ?
Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un journal intime.
J'y vois plutôt le regard rétrospectif et attendri
d'un grand artiste sur son oeuvre au soir de sa vie, convoquant
par citations et formules à peine voilées les fantômes
de ses propres oeuvres, mais également les esprits de Schubert,
du couple Schumann, de Beethoven, de la vieille Allemagne. Ayant
ouvert quelques mois auparavant la boîte à souvenirs
par la magie de la clarinette qui lui offre toutes les ressources
sonores et sensibles pour cela, Brahms veut cheminer plus loin
encore dans la confession et l'introspection, avec le seul piano
pour viatique. Mais cette "clarinette/madeleine de Proust"
ne le quitte plus, elle est partout présente dans la manière
de dessiner les thèmes, galber les phrases, jouer en duo
avec une autre... C'est dire toute l'importance qu'il faut donner
au cantabile de ces pièces, sans tomber, bien évidemment,
dans la sentimentalité. Pour autant, il ne faut pas se
retenir de faire sonner le piano dans les pages plus symphoniques,
aux éclats parfois fulgurants. Mais "faire sonner"
ne veut pas dire "cogner", et tout un travail de dosage,
d'écoute, de conduite des progressions dynamiques sera
mis en oeuvre.
Avez-vous des pianistes de référence
de l'interprétation de ces oeuvres ?
Depuis toujours, les interprétations brahmsiennes de
Wilhelm Furtwängler m'ont captivé par leur souffle,
leur énergie, leur lyrisme incandescent, Les orchestres
de Berlin et de Vienne, sous sa baguette, sont galvanisés.
Cette pâte sonore, cette souplesse dans les développements
des symphonies, cet art de la narration absolument unique, j'ai
essayé depuis toujours d'en tirer les enseignements. J'ai
beaucoup écouté les mezzo Christa Ludwig et Brigitte
Fassbaender (la couleur médiane, si brahmsienne !), et
je connais par coeur les Quatuors, les Quintettes et les Sextuors
à cordes, que j'aime à la folie.
Parmi les pianistes, Wilhelm Kempff, Heinrich Neuhaus, Radu Lupu,
Emil Guilels, Leon Fleisher, Julius Katchen, Richard Goode ont
mes préférences. Je ne suis en revanche guère
sensible aux interprétations de Wilhelm Backhaus, d'un
ton si antipathique, sans la moindre tendresse (c'est ce que nos
chers critiques nomment doctement "la hauteur de vue"
: quelle stupidité ! ). On a toujours l'impression de se
faire rabrouer en l'écoutant jouer. Et pourtant, il a entendu
son maïtre Eugène d'Albert jouer les 2 concertos de
Brahms dirigés par le compositeur ! Dans la jeune génération
des Français, Henry Bonamy et Geoffroy Couteau ont donné
de belles interprétations des opus tardifs.
Un caractère a-t-il votre préférence
ou vous plaisez-vous indifféremment dans toutes ses pièces
?
Chacune est un petit monde en soi qui ouvre sur de plus vastes
horizons, et parfois sur l'universel. J'aime ces 20 pièces
sans aucune distinction, même si, assez instinctivement,
la profonde nostalgie des op.116 n°2, op.117 n°2, op.118
n°6, op.119 n°1 me bouleverse. Mais je m'ébroue
avec jubilation dans le dernier Capriccio de l'op.116 ou la Rhapsodie
op.119 !
Comment se sont passées vos séances
denregistrement ?
Trois jours d'immersion totale, très agréables,
où tout est réuni : une salle à l'excellente
acoustique (Curtis Auditorium de Cork, Irlande), un somptueux
Steinway préparé par un fou de piano, Chris Terroni,
attentionné comme un jeune père sur son bébé.
Et mes deux complices de presque 10 ans : Etienne Collard à
la direction artistique, Frédéric Briant au son.
J'ai besoin de me sentir en confiance, et, parce qu'on est "à
vif" pendant ces trois jours, sinon "aimé",
du moins "compris"... Concentration, calme, silence,
et, si possible, un peu d'inspiration et beaucoup d'énergie
pour aller au bout de vous-même sans barguigner : mais ces
musiques de Brahms suscitent tout cela par leur densité,
leur beauté et leur puissance narrative !
Jouerez-vous bientôt ces pièces
en concert et plus généralement quels sont vos prochains
qui vous tiennent particulièrement à cur ?
Tout le mois de mars sera consacré aux opus 117/118/119,
avec la Fantaisie de Schumann et les Variations de Webern ("l'amont"
et "l'aval"), en Angleterre, Irlande, Espagne et puis
le Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
à Paris mardi 30 mars.
Ainsi que beaucoup de programmes des prochains festivals de l'été
2010 ("Grandes Heures de Saint-Emilion, Pontlevoy, Heures
Musicales du Haut-Anjou etc).
Pour écouter des extraits et/ou
vous procurer ce disque.....cliquez
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Pour en savoir plus sur Philippe Cassard...cliquez
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Trois vidéos à voir :
Philippe CASSARD joue BRAHMS op.117 n°2
Philippe CASSARD joue BRAHMS Ballade op.118 n°3
Philippe Cassard joue et parle des opus 116-
119
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