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Chopin Dufourt Nima Sarkechik

Frédéric CHOPIN(1810-1849)
Etudes op.10
Ballades
Hugues DUFOURT(1943)
La ligne gravissant la chute
Hommage à Chopin
Nima SARKECHIK, piano

Certes ce disque du pianiste Nima Sarkechik date déjà de plusieurs mois mais à l'approche de l'année du bicentenaire de la naissance de Chopin il s'avère aussi tout à fait dans l'actualité du moment d'autant plus que cet album réunit à la fois des oeuvres de ce compositeur et une oeuvre du compositeur Hugues Dufourt qui lui rend un hommage. Celle-ci a été directement créée par Nima Sarkechik lors de l'enregistrement. Le titre "La ligne gravissant la chute" est tiré d'un poème de Tal Coat qui fut un grand peintre et un grand poète originaire du Finistère sud. Le poème' dit :
"la ligne gravissant la chute,
ensevelie dans son ombre
dans le surgissement de l'arête,
s'éclaire d'un bond

Nima Sarkechik a bien voulu nous présenter cette oeuvre et répondre à d'autres questions autour de son premier disque, qui permet de découvrir cet interprète, indéniablement un jeune talent à suivre, et qui a d'ailleurs été lors de la sortie de cet album récompensé d'un "4 étoiles" du Monde de la musique et "5 diapasons" du magazine éponyme. Vous pourrez également écouter un extrait, la seconde ballade de Chopin, un exemple qui vous permettra de mesurer, tout comme le suggère le poème, les deux mouvements contraires d'un trait unique qui selon Hugues Dufourt caractérisent "la démarche de Chopin qui fait coexister sans rupture surrection et pesanteur, ascension et chute, angoisse et essor"... une musique volcanique !
Dans quelles circonstances précises l'enregistrement de ce disque a-t-il été réalisé ?
Le projet d'enregistrement de ce disque est né de l'initiative de Marc Monnet, Directeur Artistique du Printemps des Arts de Monte Carlo. Il m'avait proposé de jouer dans le cadre de ce Festival pour une "nuit Chopin" que nous partagerions avec Caroline Sageman et Alexandre Tharaud. Je lui ai donc proposé de jouer les 4 Ballades et les Etudes op.10.
Quelques semaines plus tard, Marc Monnet me propose également d'enregistrer le programme du concert (prévu au moins 8 mois plus tard...1er avril 2008) dans la "collection Printemps des Arts de Monte Carlo" sous le label ZigZag Territoires.
Pour la dernière pierre de cet édifice inattendu, il lui vint l'idée de commander une pièce au compositeur Hugues Dufourt en hommage à Frédéric Chopin, que je pourrai créer lors de la nuit Chopin, et pourquoi pas l'enregistrer également...
Évidement , une pièce d'une telle exigence en terme de "tradition" (hommage à Frédéric Chopin...) ne peut naître qu'au terme d'une intense et profonde gestation mentale. Aussi, trois semaines avant le début des séances d'enregistrement je recevais une page manuscrite par jour ! Et le travail a été d'un acharnement assez bestial...
Ainsi, ce projet a vu le jour quasi intégralement dans l'esprit de Marc Monnet ! Et l'idée a évidemment séduit tous les acteurs de cette belle aventure, par sa pertinence, et son originalité ; enregistrer une pièce qui n'a pas encore été créée nous a semblé bien atypique...et donc alléchant ! Sylvie Brély et Franck Jaffrès, co-fondateurs de ZigZagTerritoires, mais aussi Alban Moraud (qui a supervisé les séances d'enregistrement) ont donc tout mis en oeuvre pour parfaire ce projet, avec tout le talent qui les incarne.
Que représente Chopin dans votre répertoire ? Hugues Dufourt explique dans le livret que Brendel considère que Chopin constitue un monde pianistique à part requérant de l'interprète une vocation particulière ainsi qu'un sens aigu de l'abnégation. Partagez-vous cet avis de Brendel ?
Chopin est une figure de proue dans le répertoire pianistique. Il n'a pas réellement de précurseur, ni tout à fait de continuateur, il garde une place à part dans l'ensemble de l'oeuvre pour piano. Aussi, le point de vue de Brendel prend tout son sens : l'immersion dans l'univers chopinien exige une grande implication stylistique et morale, une abnégation de soi qui peut volontiers requérir une vie entière de dévouement à ce seul répertoire. Il est des exemples marquants de ce "monachisme" : Alfred Cortot, Dinu Lipatti, Arthur Rubinstein pour ne citer que les plus évidents.
Il m'est donc difficile de dire avec pertinence ce que Chopin représente aujourd'hui dans mon répertoire, je ne peux me garantir une fidélité assidue à son oeuvre, compte tenu de ma grande curiosité pour l'ensemble du répertoire pour piano. Il me paraît cependant être une école du chant, au sens le plus strict du terme, avec tout le lyrisme Bellinien que l'on y décèle. La technique pure n'est que stratagème pour servir la musique, ici peut-être plus que dans tout autre répertoire. A l'écoute des enregistrement du début du XXème siècle (Raoul Pugno, Vladimir de Pachmann), nous avons un témoignage relativement vierge de toute méprise interprétative, car plus proche dans le temps, mais aussi étranger à l'influence des courants d'interprétation véhiculés par l'immensité des enregistrements plus tardifs. Et pourtant, une liberté inouïe se dégage de ces interprétations comme rarement cela peut s'entendre aujourd'hui, aucune filiation concrète n'est décelable dans l'étude comparative de ces interprétations, si ce n'est la tendance à la liberté poussée à son paroxysme. La "tradition" proprement dite est donc un terme qui s'applique avec un sens tout particulier à la musique de Chopin. Et la quête de celle-ci est tout à fait passionnante !
Que pensez-vous personnellement de la pièce d'Hugues Dufourt, en quoi vous-même la considérez-vous effectivement comme un hommage à Chopin ?
"La Ligne gravissant la chute" est la première pièce que j'ai eu l'occasion et la grande joie d'approfondir aux côtés d'un compositeur tel que Hugues Dufourt, autrement dit d'un artiste qui ne cherche plus, mais qui trouve (dixit Picasso). Il s'agit d'une expérience marquante, et il m'est difficile de juger avec objectivité la véritable valeur de cette pièce, en supposant qu'un jugement soit nécessaire, car en somme, je garde un souvenir ému et intense de cette oeuvre, elle représente pour moi bien plus qu'un simple hommage à Frédéric Chopin, elle est la pierre de touche d'un programme qui a fait l'objet de mon 1er disque, c'est vous dire le peu d'objectivité qui m'habite à la description de mes sentiments à son égard !
Une chose est sure : comme je l'ai dit auparavant l'apprentissage en fut brutal, à l'image de la partition qui associe le raffinement de la recherche sonore à une violence rappelant certains aspects des sonates de Prokofiev, tout en conservant un art certain de la mélodie. Cette "violence lyrique" demeure une des plus flagrantes caractéristiques de Chopin. Hugues Dufourt m'a d'ailleurs évoqué l'expression de sa propre colère qui y apparaît en filigrane. C'est une œuvre minérale, saisissante par ses puissants accords aux harmonies complexes, puis libérés par des traits qui résultent à l'évidence des techniques compositionnelles des Etudes de Chopin. Car Chopin est l'inventeur en quelque sorte (comme bon nombre d'immenses compositeurs : Beethoven ou Brahms, pour ne citer qu'eux...) d'une toute nouvelle manière d'aborder le clavier, des difficultés inédites, mais toujours liées à un souci musical permanent. Il s'agit d'une nouveauté dans le paysage pianistique de l'époque. Et c'est en grande partie l'une des caractéristiques qui a la plus influencé la trame compositionnelle de cet hommage au compositeur Polonais.
Mais d'autres aspects significatifs se font les garants d'une grande fidélité à la structure chopinienne : l'architecture générale de la pièce et le climax final (à l'image des Ballades ou des Scherzi), la précision des dynamiques de La Ligne gravissant la chute évoquent indiscutablement de nombreuses filiations avec l'univers de Chopin, dont il serait bien inutile d'en énumérer la liste ici...
Cette pièce est-elle plus difficile à jouer que les études ou ballades de Chopin , demande-t-elle des qualités différentes ? Quelle difficulté particulière avez vous éventuellement rencontré(es) pour l'interpréter?
Toute comparaison en termes de "difficulté" serait indélicat, car toute relative pour chacun d'une part, et différente en fonction de l'oeuvre et de l'époque d'autre part. Cependant, je peux affirmer que "La ligne gravissant la chute" tout comme l'ensemble de l'oeuvre pour piano d'Hugues Dufourt exige un travail long et patient afin d'intégrer tout à fait les "lignes" mélodiques et positionnelles qui constituent ses "traits", nombreux dans son écriture pour clavier. Il s'agit en fait d'une écriture assez harmonique, même dans les passages virtuoses ; les accords sont souvent "éclatés" pour former les grandes envolées de la mains droite qui sont en fait constituées par des enchaînements parfois très longs et rapides (et puissants...) de positions de la main. Ce sont véritablement ces enchaînements qui m'ont posés le plus de difficultés. Je partage donc volontiers l'avis de Leon Fleisher, qui prétend que la plus grande difficulté au piano réside ni dans le son, ni dans le phrasé, mais bien dans le fait de jouer le plus vite et le plus fort possible le plus longtemps possible !
Avez-vous eu l'occasion de voir des tableaux ou lire des poèmes de Tal Coat, peintre/poète à l'origine du titre de la pièce d'Hugues Dufourt et dans l'affirmatif cela vous a-t-il été utile d'une quelconque manière pour votre interprétation ?
Je dois avouer que je suis resté complètement hermétique à son art poétique. En revanche, j'ai eu l'occasion de voir quelques une de ses toiles, qui m'ont grandement plu. Mais aucun lien ne m'a été naturellement insufflé par la contemplation de ces toiles. J'émets volontiers l'hypothèse que même dans les arts différents d'un même artiste, des liens spécifiques ne sont pas toujours pertinents...mais ce poème de Tal Coat a manifestement inspiré Hugues Dufourt pour la composition de l'hommage à Chopin, et c'est bien là l'essentiel.
Cécile Reynaud auteur du livret mentionne que les quatre Ballades, contrairement aux Etudes qui savent poétiser sans aucune référence extra-musicale, répondent plus à un modèle littéraire. En quoi le ressentez-vous sur le plan musical, et cela a-t-il une incidence quelconque sur votre façon d'aborder leur interprétation ?
Ce point n'a jamais vraiment été clarifié, et il ne le sera probablement jamais. Nous savons aujourd'hui que Chopin n'était ni friand des titres poétiques pour ses oeuvres, ni de l'idée explicite de l'inspiration extra-musicale. Il était de ceux qui n'envisageaient l'existence de la musique que comme un art autonome qui ne trouve son inspiration qu'en elle-même. Aussi, l'explication extra-musicale véhiculée pas Schumann (qui l'aurait lu sur une lettre de Chopin qui lui était adressée...) et éloquemment repris par Cortot ne s'appuie sur aucune certitude. Cependant, c'est un stratagème pédagogique puissant, et il est clair que les histoires qu'on alloue aux Ballades de Chopin sont un apport de plus à la compréhension du discours musical. Mais il ne s'agit surtout pas d'y trouver l'explication ultime et le prétexte originel à la création de ces 4 Ballades, du moins pour moi.
Comment vous-même travaillez-vous les œuvres de Chopin et plus particulièrement les ballades et études.
L'univers quasi autonome de la musique de Frédéric Chopin m'exhorte en général à m'imbiber des traces discographiques aussi vierges que possible de tout courant de mode d'interprétation contemporaine. C'est donc à l'écoute des enregistrements de Dinu Lipatti, de Raoul Pugno (et de ces écrits...rares mais existants), de Vladimir de Pachmann, d'Ignaz Friedmann, de Cortot et Rubinstein que je puise les éléments de compréhension les plus fiables du langage Chopinien. Le travail se fait donc beaucoup par l'écoute, bien plus que par le travail acharné au clavier.
Hugues Dufourt était-il présent avant l'enregistrement, et comment avez-vous travaillé avec lui ?
Hugues Dufourt et moi-même nous sommes vus trois fois avant l'enregistrement (où il était évidemment présent) afin de travailler sur sa pièce. Je lui jouait "La ligne gravissant la Chute", et noue parlions, beaucoup, des élans psychologiques qui l'ont exhortés à écrire tel ou tel passage. En somme, il s'est efforcé de me transmettre l'essence même du flux qui caractérise sa musique, et moi de l'intégrer.
Travaillez-vous souvent avec d'autres compositeurs contemporains ?
Travailler avec un compositeur n'est pas fréquent. En général, on peut espérer le faire lorsqu'il s'agit d'une création (la première fois qu'une oeuvre est jouée en public...). Le compositeur est alors tout à fait disposé à consacrer du temps à l'élaboration de l'interprétation idéale. Car le temps d'un compositeur prolifique est précieux! A chaque rencontre musicale avec un compositeur, et surtout lorsqu'un qu'un travail commun se met en place, l'expérience s'avère être toujours très enrichissante. Lorsqu'il s'agit de personnalités telles qu'Hugues Dufourt, qui a connu tant de choses, côtoyé tant de grandes figures de la musique, je dois reconnaître que pour le jeune pianiste que je suis, c'est une expérience unique.
Pour écouter avec l'aimable autorisation du label Zig-Zag Territoires
Ballade n°2 Op.38 en Fa Majeur- Frédéric Chopin

Nima Sarkechik, piano
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