Dans les brouillards JEROME GRANJON Piano
Dans
les brouillards
autour de 1912
Leos Janácek (1854-1928)
Dans les brouillards
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Cinq préludes op. 74
Arnold Schoenberg (1874-1951)
Six pièces pour piano op. 19
Claude Debussy (1862-1918)
Préludes (deuxième livre)
Jérôme Granjon, piano.
Pour son premier disque en solo le pianiste Jérôme
Granjon, membre du Trio Hoboken, qui a notamment pu être remarqué
en soliste à Tokyo en 2011 dans son interprétation de
l'intégrale des Préludes de Debussy accompagnée
d'une conférence, a choisi de réunir le second livre des
préludes fini de composer par Debussy il y a exactement un siècle
avec plusieurs oeuvres pour piano d'autres compositeurs qu'ils aiment
aussi particulièrement et dont il a remarqué en les travaillant
qu'elles avaient une "affinité secrète"
avec ce livre et constaté par la suite qu'elles étaient
presque de la même année (autour de 1910-1914).
Ainsi l'oeuvre "Dans les brouillards", aussi appelée
parfois "Dans les brumes " - mais comme il s'agit de
la traduction d'un titre donné par le compositeur tchèque
Leos Janacek, admirateur de l'oeuvre de Debussy, on ne chipotera pas
pour cette différence même si les scientifiques et marins
eux font la différence - dont les pièces très lyriques
qui portent toutes un chant en elle qu'il soit suspendu, rêveur,
enfantin ou inspiré du folklore morave, et écrites dans
une période désespoir."Dans les brouillards"
n'a rien à voir avec un phénomène météorologique
mais plutôt un errement de douleur... n'est pas si éloignée
dans son esprit de "Brouillards" titre français
sans contestation possible donné au premier prélude de
ce second livre de Debussy comme l'explique dans la vidéo de
présentation de son disque(voir plus bas) le pianiste Jérôme
Granjon : "Quand j'interroge ces oeuvres là j'ai l'impression
qu'au delà de la description d'un phénomène météorologique
il y a là une manière d'interroger l'avenir, de regarder
devant soi sans trop savoir où on va"....
Sans doute ce type d'interrogation se renouvelle-t-elle souvent artistiquement,
domaine très créatif par essence, mais pour Jérôme
Granjon il semble certain qu'à la veille du premier conflit mondial
nous avons affaire à une période charnière, où
l'expression artistique, et pas seulement en musique, s'apprête
à faire un saut dans le vide ..." On a l'impression que
les artistes ont une sorte de prescience de la catastrophe, et éprouvent
le besoin d'un changement de paradigme". Chez Debussy ce prélude
"Brouillards" que vous pourrez écouter plus
bas dans cette page est selon Jérôme Granjon " une
féérie bitonale absolument étonnante, qui met le
pianiste au défi de créer un climat opaque, plein d'appels
et de bruissements" .
Jérôme Granjon a choisi pour illustrer ce disque une
oeuvre d'un peintre tchèque Frantisek Kupka : Etude pour Amorpha
datant de 1911 qui présente un entrelac de couleurs et de formes
à l'effet magnétiques résultant des effets du soleil
sur un vitrail. Une oeuvre d'un esprit très moderne pour l'époque
qui parait-il provoqua un scandale. Epoque où l'on peut mesurer
par le choix d'oeuvres musicales de Jérôme Granjon que
les compositeurs ressentent le besoin de renouveler leur langage. Ainsi
outre ces deux oeuvres de Debussy et Janacek très innovantes,
les six courtes pièces du compositeur autrichien Schoenberg,
encore plus réduites que des préludes, semblables à
des haïkus( forme poétique très brève d'origine
japonaise visant à dire l'évanescence des choses qui n'a
été connue en occident qu'au début du 20ème
siècle précisément aussi...), expriment en très
peu de notes des sensations très fugaces, un choix qui permet
à la fois de mesurer la modernité de ce langage, dans
une oeuvre qui permet de ressentir des sensations nouvelles et de fait
si l'on se laisse guidé par le titre du disque assez proches
de celles que l'on peut avoir lorsque que l'on entrevoit quelques formes
plus nettes à travers les "trous" du brouillard ou
de se guider parfois à l'aveuglette lorsque le brouillard s'épaissit,
car il n'y a ici pas de mélodie permettant de se repérer
aisément. Sans doute aussi leur atonalité n'est pas étrangère
non plus à cette sensation. Il en est de même dans les
cinq préludes op.74 de Scriabine, également très
courts et qui offrent cependant un univers différent et qu'il
soit "Douloureux, déchirant ", " Très
lent, contemplatif" , "Allegro, dramatico" , "Lent,
vague, indécis" ou "Fier, belliqueux" sont
tous très sombres... brouillards nocturnes comme ceux de Janacek
également très sombres ? Quoi qu'il en soit c'est dans
un univers poétique mystérieux et inquiétant, que
le pianiste Jérôme Granjon offre dans ce disque au programme
fort bien construit dont l'objectif n'est pas de développer une
thèse mais de faire partager un ressenti personnel et montrer
des passerelles. Un enregistrement qui nous touche aussi par le "délicat
sourire" que Debussy apporte dans ses préludes du livre
2 " par des réminiscences d'Au clair de la lune",
du "God save the queen" ou de "La Marseillaise"
souligné par Frédéric Sounac auteur du livret,
autres reflets d'une année pas si lointaine de nous en fait.
A
voir votre discographie il semble que vous ayez privilégié
votre activité dans le trio plus que vos propres enregistrements,
qu'est-ce qui vous a donné envie de faire votre propre disque
et pourquoi pas un avant ?
Comme je l'ai évoqué dans vos questions au sujet de
mon parcours, j'ai toujours mené de front une activité
de soliste et de chambriste. Ceci dit, il est vrai que faire un disque
en solo m'a sans doute plus longtemps intimidé que de faire un
disque en musique de chambre. Et à un moment, tout simplement,
il m'a semblé que le fruit était mûr et j'ai eu
la chance de rencontrer un producteur (Anima records) qui a cru en un
projet que je portais en moi depuis quelques temps déjà
et l'a soutenu.
Toutes les oeuvres que vous avez choisies ont
été composées il y a environ 100 ans, et sont donc
de quatre compositeurs qui ont vécu à la même époque,
savez-vous si les uns ou les autres ont eu l'occasion de se rencontrer
et de discuter de leur musique hormis le fait d'une éventuelle
barrière de différence de langage puisque l'un est tchèque
l'autre russe, un autre autrichien et enfin français... ou bien
si l'un a donné son avis sur la musique de l'autre sans même
l'avoir rencontré mais juste écouter...?
Janacek s'est beaucoup intéressé à la musique
de Debussy, tout en refusant farouchement de reconnaître une quelconque
influence de la musique "impressionniste française".
Debussy a connu et s'est probablement intéressé à
la musique de Schoenberg (certaines des dernières oeuvres en
témoignent), il connaissait bien la musique russe, a-t-il bien
connu celle de Scriabine ? Schoenberg , dans les concerts qu'il organisait,
a
beaucoup programmé Debussy et Scriabine. Quant à ce dernier,
rien n'indique qu'il se soit jamais intéressé à
une autre musique que la sienne !
Comment avez vous travaillé pour préparer
ce disque, vous aimez aussi beaucoup la littérature , quelles
recherches bibliographiques , voire artistique avez-vous mené
, au-delà des études des partitions et sur quelle période
?
Quand je travaille une oeuvre ou un programme, je pars tout simplement
du texte musical. J'essaie au maximum de m'approprier son langage. Après,
et c'est plus fort que moi, je cherche à en savoir plus sur le
compositeur, sur le contexte artistique, mais pas seulement (j'aime
bien aussi l'histoire sans être un spécialiste). Tout cela
nourrit certainement mes interprétations, mais, d'une manière
qui très largement
m'échappe.
Quelles sont vos conclusions sur les raisons
qui peuvent expliquer peut-être une une "similitude d'esthétisme"
que vous avez retrouvé dans les oeuvres de ces musiciens alors
qu'ils vivaient dans des pays différents ?
Je ne parlerais pas d'esthétiques similaires, mais plutôt
de passerelles entre ces différents styles et d'interrogations
communes, auxquelles chacun a donné une réponse différente.
Je pense que cette période est une période charnière,
comme si quelque chose du passé s'était essoufflé
et que l'expression artistique basculait dans un ou plutôt des
univers inconnus à explorer.
Vous avez choisi des cycles composées
de "miniatures", aimez-vous particulièrement cette
forme ou pour quelles raisons l'avez-vous choisie ?
Je l'ai choisie pour ce disque mais cela ne veut pas dire que je l'aime
exclusivement ! Il m'a semblé que dans le "propos"
de ce disque, dans ce qu'il avait peut-être à dire sur
quelque chose d'un peu insaisissable, une
forme plus importante aurait alourdi et donc déséquilibré
l'ensemble. Curieusement, je ne construirais pas forcément les
choses de la même manière pour un concert, qui nécessite
plus à mon avis un "plat de résistance".
Qu'est-ce qui vous a tenu le plus à coeur
dans votre interprétation, notamment avez vous une éventuelle
préférence pour l'un de ces compositeurs et avez-vous
travaillé ces pièces simultanément ou bien chaque
compositeur à des moments différents ?
Ce qui est sûr, c'est que je joue les Préludes de Debussy
et le Janacek depuis plus longtemps. Scriabine aussi, mais pas les Préludes
de l'opus 74. Pour Schoenberg, j'étais assez novice. Mais je
dois dire que j'adore les
quatre oeuvres !
L'une (ou plusieurs) oeuvre(s) vous ont-elles
posé plus de difficulté qu'une autre (ou plusieurs autres)
?
Chacun a ses difficultés et une des principale difficulté
pour moi a été de dégager une cohérence
et une poétique d'ensemble sans tomber dans le "ton sur
ton", car chacun a un univers sonore qui lui est propre.
Cette année sont célébrés
les 150 ans de naissance de Debussy, avez-vous des projets particuliers
de concerts autour de cet événement ? Quels sont vos prochains
concerts ?
J'ai joué plusieurs fois l'intégrale des deux livres
des Préludes de Debussy avec grand bonheur, j'ai été
frappé de voir combien ce qui m'était apparu comme un
challenge pour moi, mais aussi pour l'audience, rencontrait une réelle
adhésion auprès du public. Je joue également le
programme "1912" légèrement modifié.
Et comme je l'indiquais au dessus, j'ai plusieurs concerts en musique
de chambre, notamment en trio, mais également tout un programme
St Saens avec harmonium en Armagnac.
Vous avez enregistré sur un piano Fazioli
(cf vidéo) , est-ce un piano que vous affectionnez particulièrement
et comment avez-vous vécu cet enregistrement ?
Chaque piano est un cas unique, et je dois dire que je n'ai pas eu
que des expériences heureuses avec les Fazioli ; peut-être
demandent-ils de techniciens spécialisés qui font souvent
défaut. Ceci dit j'ai été tout de suite enchanté
par le Fazioli de l'église St Marcel à Paris, pour la
richesse de son timbre, la profondeur de ses basses, les possibilités
de transparence qu'il offre (ô combien importantes notamment pour
Debussy), et la qualité de son réglage. Le travail avec
le directeur artistique, Joël Perrot, s'est fait dans une très
bonne intelligence musicale et a rendu cette expérience non seulement
agréable mais très enrichissante pour moi. Nous avons
ainsi travaillé main dans la main depuis l'enregistrement jusqu'aux
choix lors du montage.
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© pianobleu.com - ISSN 2264-2056 ----
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