Jean-Sébastien
Bach
Le clavier bien tempéré Livre 2
Zhu Xiao-Mei
Imaginer la pianiste Zhu Xiao-Mei lors de son séjour en
camp de rééducation, pendant la révolution
culturelle, recopiant en cachette les partitions du clavier bien
tempéré et le jouant en faisant croire qu'il s'agissait
de musique officielle chinoise suffit à comprendre combien
cette oeuvre peut représenter pour elle... oeuvre parfois
appelée la "bible" du pianiste, elle fût
en tout cas force de réconfort(elle lui réchauffait
même les doigts lorsqu'elle la jouait dans une pièce
de la chaleur d'un frigo !) et surtout "musique de bonheur,
et du bien" elle contribua à ouvrir les yeux de
Zhu Xiao-Mei et à comprendre que cette musique avait une
capacité à lui rendre courage, à la rendre
heureuse et à lui faire retrouver sa dignité. Aujourd'hui
la pianiste offre en premier lieu son interprétation du second
livre parce qu'il a toujours été tenu dans l'ombre
du premier livre et qu'il mérite lui aussi d'être mis
en avant, selon ses propos dans l'interview publiée dans
le livret qui accompagne les deux CD.
Le livre 2(composé de 1740 à 1744), tout comme le
premier(composé de 1720 à 1722), est constitué
de 24 préludes et fugues dont l'ordre est celui de la gamme
chromatique. Un prélude et une fugue sont présentés
dans chacune des tonalités, en partant de Do majeur, et montant
de demi-ton en demi-ton jusqu'à Si mineur....mais plus que
d'aborder cette oeuvre par ses aspects techniques, ce qu'en dit
Zhu Xiao-Mei permet de mieux la comprendre : "C'est
une oeuvre qu'on peut tout aussi bien aborder par son côté
humain. C'est une oeuvre tellement riche, tellement profonde, d'une
telle hauteur d'inspiration et tellement sensible". Zhu
Xioa-Mei explique ainsi admirablement pourquoi cette musique est
à son avis musique du bonheur : "Sa continuité
est un élément d'explication ; Elle a la beauté
de l'eau qui coule. Bien sûr elle a ses débuts et ses
fins de phrases, ses séquences et ses respirations, à
l'instar d'un grand poème, mais la manière qu'a Bach
de composer, sa science incroyable du contrepoint induisent un perpétuel
tuilage des lignes, même aux articulations les plus saillantes
du discours. Sa musique ne s'arrête pas, les voix se répondent
les unes aux autres, l'une s'efface, l'autre reprend le dessus,
la fin est un commencement, le commencement une fin..."
Ce qui étonne toujours lorsqu'on écoute Bach c'est
qu'on a effectivement le sentiment que la musique coule de soi,
parfois même comme une évidence, et semble simple alors
qu'en fait si l'on tente de la jouer on s'aperçoit combien
elle est très difficile, et Zhu Xiao-Mei l'explique aussi
fort bien :" Les doigts doivent être d'une autonomie
parfaite. La main gauche et la main droite se situent strictement
sur le mêm plan. Et si vous manquez une note, une seule, tout
s'écroule. Je pense aussi que si vous la jouez au piano,
il faut rechercher le plus de couleurs possibles. Cela nécessite
un travail minutieux de la pédale. Il vous faut développer
un vrai toucher avec les pieds. L'idéal serait de la jouer
pieds nus ! ". Mais les qualités essentielles pour
la jouer sont, toujours selon Zhu Xiao- Mei, de savoir chanter et
danser : "Chanter, c'est à dire tenir le souffle,
porter chaque phrase comme on ferait d'une bougie qu'on ne veut
pas éteindre un soir de vent. [...] La danse suppose le rythme.
Et aussi le choix d'un bon tempo : on ne peut pas danser sur une
musique dont le tempo est trop lent ou trop rapide. L'idée
de Bach est porteuse d'une énergie fabuleuse. Une énergie
qui n'a rien à voir bien sûr avec l'agitation. Une
énergie vitale à nouveau."
Zhu Xiao-Mei donne aussi d'importants conseils sur la façon
de l'écouter, ainsi il faut..."Prendre son temps.
Nous sommes dans une monde où tout va tellement vite que
nous n'avons plus le temps d'écouter, de regarder, d'admirer.
Or il faut du temps pour admirer les belles choses. Il convient
ensuite d'avoir l'esprit disponible. Pour voir au fond d'un lac,
il faut que la surface soit lisse et calme. Plus elle l'est, plus
on voit en profondeur. Il en est de même de l'esprit : plus
il est calme et détaché plus il peut voir profond.
Je vous conseillerais enfin de l'écouter par petits morceaux,
par blocs de six préludes et fugues, ou en commençant
par les plus faciles d'accès : pour moi les préludes
en do majeur, do mineur, do dièse majeur,ré mineur,
fa mineur et sol majeur.".
Pour débuter dans cette écoute, vous trouverez dans
cette page, avec l'aimable autorisation du label Mirare, un extrait
de ce double cd : le prélude et la fugue en do majeur. Nul
doute qu'à son écoute vous éprouviez le besoin
de prolonger votre promenade le long de cette rivière de
notes, en compagnie d'une artiste qui nous en dévoile tous
les charmes cachés avec un talent inouï.
Pour écouter le prélude et
la fugue en Do majeur Bwv 870, mais seulement si votre esprit est
bien disponible et que vous avez pris le temps de lire le texte
qui précède, utilisez le lecteur ci-dessous, cliquez
sur le triangle...
Pour en savoir plus sur Zhu Xiao-Mei, et son récent livre
"La rivière et son secret"...cliquez
ici
A noter sur vos agendas :
Zhu Xiao-Mei donnera un concert à Paris les
15 et 16 décembre à la Cité de la Musique
1er concert : Bach - Le Clavier bien tempéré, Livre
II, Préludes et fugues I à XII
2ème concert : Bach - Le Clavier bien tempéré,
Livre II, Préludes et fugues XIII à XXIV
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