Chopin Edna Stern sur un piano Pleyel de 1842
Frédéric
Chopin
Trois nouvelles études
Ballade n°2
Sonate n°2
Valse n°5
Prélude en ut dièse mineur op.45
Valse n°12
Ballade n°3
Valse n°7
Prélude n°20 en ut mineur
Edna Stern
La pianiste Edna Stern est également pianofortiste et
a d'ailleurs chez elle des pianos anciens, aussi lorsque la Cité
de la musique de Paris lui a proposé de donner des concerts
et d'enregistrer sur une pièce de collection de son musée
: un piano pleyel 1842 dont le modèle correspond exactement
à un modèle que Chopin lui-même avait chez
lui, le projet l'a enthousiasmé. Elle a logiquement choisi
pour cet album les pièces qui lui tenaient le plus à
coeur pour diverses raisons, ainsi les trois nouvelles études
qui sont dit-elle "un témoignage de la virtuosité
de Chopin", la deuxième ballade inspirée,
comme l'a suggéré Cortot, par le poème "Le
Switez" dont elle dit dans le livret du disque qu'elle
a rédigé : "j'aime beaucoup cette évocation,
car j'ai toujours imaginé le thème rapide comme
une descente aux enfers venant de la main droite et le mouvement
du diable pour saisir sa main gauche", quant à
la troisième ballade également inspirée d'un
poème de Mickiewicz c'est pour elle "un mélange
de beauté et de puissance".
Autre oeuvre importante de ce disque la Sonate n°2 qui témoigne
pour elle que les oeuvres de Chopin "possèdent
une puissance considérable et un appel à la révolution
caché sous leur beauté" . Edna Stern a
complété ce beau programme qui permet d'apprécier
les qualités sonores originales profondes de ce piano de
pièces plus courtes selon une certaine logique ainsi par
exemple la note qui "conclut la troisième ballade
est apparemment la même note qui commence la valse-un sol
dièse- mais au moment où arrive la tierce douloureuse
(basée sur ut dièse), on aborde une autre atmosphère".
Une autre pièce lui tenait particulièrement à
coeur : le prélude en ut dièse mineur op.45 : "
Cette pièce est une petite perle- un poème, raffiné
et exquis" . Edna Stern nous fait par son choix judicieux
et son toucher diversifié vivre un très beau voyage
temporel au coeur de la musique de Chopin telle qu'il l'entendait.
Il ne reste qu'à fermer les yeux et apprécier le
flux typique et délicat de mouvement et d'harmonie de l'oeuvre
de ce compositeur qui fait dire à Edna Stern qu'elle voudrait
inscrire en tête de l'oeuvre de Chopin " Est-il
art plus tendre que cette lenteur ?..."
Edna Stern a bien voulu répondre à quelques questions
au sujet de ce disque et de son actualité :
Que représente Chopin dans votre
répertoire ?
Chopin prend une place centrale dans mon répertoire.Quand
j'écris " une place centrale ", l'expression
va au delà de la signification "importante",
je veux également parler de son élément littéralement
central dans la chronologie du répertoire pianistique,
et le fait que Chopin eprésente pour moi le lien direct
entre Bach/Mozart et les compositeurs du XXème siècle,
ainsi que le premier compositeur dont l'idéal instrumental
-le piano Pleyel, se rapproche le premier de nos pianos actuels.
D'ailleurs, on se demande parfois à ce sujet, si le terme
"pianoforte" est approprié à ce genre
d'instrument, ou si on devrait plutôt l'appeler "piano
ancien".
Chopin est à la fois le compositeur qui m'a aidé
à comprendre Bach et Mozart, et il est également
le compositeur dont les uvres m'ont formée à
jouer Debussy, Scriabine et Rachmaninov.
Comment est
né ce projet de disque sur un piano Pleyel 1842, avez-vous
établi votre programme en fonction de ce piano sur lequel
vous jouez ou est-ce l'inverse : avez-vous choisi le piano en
fonction de votre programme ?
Un jour de Juillet, je reçois un téléphone
de la cité de la musique qui me propose d'enregistrer sur
le Pleyel 1842 faisant partie de la collection du musée,
et dont le modèle correspond exactement au piano que Chopin
avait chez lui, un modèle Pleyel à queue grand patron.
Ce projet était dans le cadre de l'intégrale Chopin
donnée à la cité et où je jouais deux
concerts. J'étais évidemment plus que ravie de la
chance d'enregistrer un programme Chopin de mon choix sur le piano
préféré de Chopin qui le décrivait
comme " non plus ultra ".
Le choix du programme était libre, j'avais déjà
choisis mes deux programmes de concerts, et parmi ces programmes
de deux heures il fallait que je choisisse celui que je trouvais
se prêter le mieux à ce disque et à ce piano.
Je trouvais les couleurs de ce Pleyel très profondes, surtout
dans les basses et j'en ai profité pour enregistrer les
pièces qui me tenaient beaucoup à cur tel
la 2ème Sonate, la 2ème Ballade et le Prélude
op. 45.
Dans
le livret du disque vous déclarez d'une part : " Je
voudrais en tête de l'uvre de Chopin inscrire les
vers exquis de Valéry : " Est-il art plus tendre que
cette lenteur
" ? " et d'autre part vous dites
aussi " Je ne suis pas d'accord avec Nietzche et je ne
dirais pas que les uvres de Chopin tendent à "
voir et vénérer " la beauté . ses uvres
possèdent une puissance considérable et un appel
à la révolution caché sous la beauté,
comme le dit Schumann : " des canons enterrés sous
des fleurs"
n'est-ce pas antinomique de conjuguer
la tendresse de la lenteur avec un appel à la révolution,
cela ne risque-t-il pas d'être sans effet, à votre
avis qu'est-ce qui prime véritablement ?
En ce qui concerne les vers de Valéry, c'est André
Gide dans son livre " Notes sur Chopin " qui les utilise
pour exprimer son opinion, que je partage en effet, que Chopin
ne devrait pas être joué de façon à
vouloir impressionner. Chopin ne devrait pas être joué
dans une pensée ciblant la vitesse et la virtuosité,
mais bien au contraire dans la délectation du mouvement
et des harmonies, de les sentir sous ses doigts comme une force
hypnotique, de prendre plaisir de chaque moment magique de cette
écriture profonde et inspirée.
L'affirmation de Nietzsche est problématique et je ne la
partage pas, car elle place Chopin dans une limite. Comme si Chopin
visait uniquement la beauté dans sa composition. Je partage
plutôt l'opinion de Schumann qui disait que si le Tsar de
Russie réaliserait la force révolutionnaire enfouie
sous les simples Mazurkas de Chopin, il bannirait sa musique et
d'où sa description de l'uvre de Chopin " des
canons enterrés sous des fleurs ".
Cette description place Chopin comme un compositeur pour qui la
beauté (les fleurs) est centrale, quoique n'étant
pas une beauté faible ou sentimentale, mais une beauté
qui cache une force, et qui place aussi toute la production de
Chopin dans sa perspective politique. Chopin était le plus
grand défendeur de son pays, la Pologne envahie par la
Russie, et personne ne travaillait plus que lui à exprimer
le désir de liberté et identité nationale.
Vous débutez votre disque par les
trois nouvelles études qui sont un témoignage de
la virtuosité de Chopin. Ces pièces vous semblent-elles
plus difficiles à jouer sur un pianoforte qu'un piano actuel
?
Je commence sur cet opus posthume de trois études qui
sont un témoignage que la virtuosité de Chopin était
différente des autres compositeurs de son époque
comme Liszt ou Paganini. Ce ne sont pas des études rapides
mais Andantino et Allegretto, qui explorent et travaillent un
aspect essentiel dans l'uvre de Chopin qui est le rubato
et l'indépendance des voix et des mains. Cet intérêt
montre le lien puissant existant entre Bach et Chopin. Chacun
de ces deux compositeurs explore à sa manière l'art
de jouer séparé mais ensemble. Des voix indépendantes
mais liées par un tout commun. La question sur la difficulté
de les jouer sur piano ancien ou moderne me pose un vrai problème,
car cela dépend énormément des pianos- ils
sont tous différents. Je dirai donc que ce n'est ni plus
facile ni plus difficile, c'est différent.
L'important dans les deux cas, est de trouver la manière
qui sera la plus belle et expressive à faire ressortir
les pièces à travers les qualités uniques
du piano qu'on joue.
Vous avez choisi d'enregistrer les ballades
n°2 et 3 et faites référence pour toutes deux
aux poèmes qui les ont inspirées, est-ce important
pour vous d'avoir des références littéraires
pour votre interprétation et plus généralement
comment avez-vous travaillé pour cet enregistrement ? A
quoi avez-vous attachez le plus d'importance dans votre interprétation
?
D'un côté, je trouve que la musique, et surtout
celle de Chopin, n'est liée à rien d'autre que la
musique en elle même. C'est un autre langage pur qui n'a
besoin d'aucune traduction.
D'autre part, je cherche toujours cette immersion totale dans
un univers du compositeur, ce qui veut dire lire ses biographies,
mais aussi les écrits de l'époque, voir les uvres
d'art, le contexte politique. C'est alors que petit à petit,
on parvient à comprendre aussi la philosophie du compositeur,
sa façon de vivre et d'être. Pour moi, cette approche
ouvre une perspective importante sur l'interprétation.
En ce qui concerne les deux ballades que j'ai enregistrées,
il n'y a pas de vraies preuves qu'elles sont liées à
des uvres littéraires précises. On pense qu'elles
ont été inspirées par des poèmes de
Mickiewicz. Comme je l'écris dans le livret du disque,
il y a des suppositions, et j'ai choisis d'apporter celles fournies
par Alfred Cortot qui me semblent les plus belles et justes.
Vous indiquez que la sonate n°2 n'a
en fait pas été conçue par Chopin comme un
tout , Schumann ayant dit que le compositeur a rassemblé
ici "quatre de ses enfants les plus indisciplinés
et les a réunis, pensant peut-être les faire passer
clandestinement comme une sonate dans une société
où ils ne seraient peut-être pas jugés présentables
individuellement " pourtant certains y voient comme une
représentation de quatre visages différents de la
mort
et dans une lettre à son ami Fontana Chopin
fait référence à cette sonate dont il écrit
les trois mouvements complémentaires à la "
marche funèbre " , aussi pourquoi à
votre avis n'est-elle pas un tout ?
Cette sonate est certainement un tout, en dépit du fait
que ses mouvements n'ont pas été conçu de
façon chronologique. Personnellement, je ne perçois
pas ces quatre mouvement comme étant différents
visages de la mort, mais plus comme étant des différentes
étapes dans la vie, culminant sur la marche funèbre
et suivit par l'esprit errant du dernier mouvement.
Sur l'improbabilité de l'unité de cette sonate qu'exprime
Schumann, par le fait que ces mouvements soit si indépendants
et si différents, on pourrait néanmoins l'expliquer
comme étant le paradoxe rubato, comment deux mains qui
jouent indépendamment et des rythmes différents
font-elles un tout.
Votre disque comportent plusieurs préludes
et valses, cette sélection a-t-elle été difficile
à réaliser ?
Une sélection est toujours une question de hasard, d'intuition
et d'attirance. Certaines de ces pièces font partie d'autographes
exposés à l'exposition Chopin de la cité
de la Musique, mon projet de disque étant de près
lié à cet événement, je les ai inclus.
D'autres pièces comme le prélude op. 45 ou la grande
valse op. 42, étaient des pièces que je voulais
absolument inclure dans le disque comme ayant un rôle à
jouer dans le déroulement du CD.
Comment s'est passé votre enregistrement,
et est-il difficile de revenir à un piano moderne après
avoir joué sur un tel instrument ? Avez vous souvent l'occasion
de jouer sur des instruments anciens ?
J'ai eu la possibilité de me familiariser avec ce piano
sur une période d'environ deux mois avant l'enregistrement.
J'étais aussi en contact permanent avec l'équipe
qui restaurait l'instrument et était témoin de son
développement et évolution. En général,
je joue le plus souvent des pianos modernes, mais ayant chez moi
plusieurs pianos anciens, j'ai l'habitude de passer de l'un à
l'autre et cela ne représente pas une grande difficulté.
Vous avez récemment joué
du piano dans une patinoire de glace, entourée de patineurs,
comment avez vous vécu cette curieuse expérience,
notamment n'est-ce pas difficile de jouer avec le bruit des patineurs
et dans une atmosphère froide ? Avez vous eu l'occasion
de discuter avec quelques patineurs par la suite et dans l'affirmatif
qu'on-t-il penser quant à eux ?
C'était très très froid...
Mais agréable, la musique est tellement liée au
mouvement.
Et non, je n'ai pas eu l'occasion de discuter avec les patineurs
car j'étais assez pressée d'aller à la Cinémathèque
Française voir le " Prince qu'on sort " de Larry
Semon. Un film muet de 1925 accompagné au piano et qui
raconte l'histoire de Dorothée au pays d'Oz.
Vous enseignez au royal collège
of music de Londres depuis septembre 2009, que pensez vous de
cette nouvelle fonction ?
J'enseigne au Royal Collège depuis Septembre, ce qui
correspond aussi à la période dans laquelle j'étais
immergée dans Chopin pour qui la pédagogie constitue
un aspect essentiel.
Il y a le bonheur de partager et de voir la personne que vous
enseigner soudain comprendre. Je trouve aussi que l'enseignement
est une importante réflexion sur la musique, justement
car il faut trouver la manière la plus limpide d'expliquer
ce qui se passe musicalement.
Quels sont vos prochains concerts et éventuels autres projets
?
Je suis complètement prise en ce moment par les dernières
étapes de mon prochain disque de concertos de Mozart qui
devrait sortir en Septembre 2010 chez Zig-Zag Territoires !
En concert je jouerai avec la violoncelliste Ophélie Gaillard
avec qui je viens également d'enregistrer un CD Chopin,
en Sonate le 7 Avril dans le cadre Metis, du Festival Saint-Denis
à Epinay-sur-Seine, à Paris- au Théâtre
de L'Athéné le 28 Juin, et au Wigmore Hall de Londres
le 7 Juillet. En récital Chopin solo je jouerai au Festival
Lanaudière au Canada et plusieurs concerts dans le sud
de la France.
A écouter
: andantino en fa mineur ( trois nouvelles études) Chopin
interprété par Edna Stern sur un piano Pleyel de
1842
avec l'aimable autorisation du label Naïve
cliquez sur le triangle du lecteur ci-dessous
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