Ludwig
van Beethoven(1770-1827)
Complete piano Trios
Intégrale des trios avec piano
Trio Wanderer :
Jean-Marc Phillips-Varjabédian , violon
Raphaël Pidoux, violoncelle
Vincent Coq, piano
Piano Trio n°1,
n°2 et n°3 op. 1
Piano Trio n°4 op. 11 n°1
Piano Trio n°5 et n°6 op. 70
Piano trio n°7 "à l'Archiduc" op.97 n°1
Piano Trio n°8 (Variations op. 121a)
Piano Trio n°9 (Variations op. 44)
Piano trio n°11 WoO. 38
Piano Trio n°12 WoO. 39
Si le Trio Wanderer a choisi de fêter ses 25 ans avec l'enregistrement
de ce coffret de quatre disques consacré à l'intégrale
des trios pour piano de Beethoven qu'ils jouent depuis nombreuses années,
quasiment le début de leur carrière , Beethoven qui avait
déjà acquis une certaine réputation comme pianiste
virtuose et improvisateur lui avait choisi de s'imposer comme compositeur
par la publication de trois trios alors qu'il avait aussi 25 ans.
Ainsi dans une lettre du 18 juin 1794 , Beethoven, âgé
de 24 ans, écrivait à Nikaulaus Simrock, éditeur
musical, en ces termes où l'on voit que ce choix est mûrement
réfléchi et on mesure déjà sa forte personnalité...
"Mon frère qui est présent à Vienne m'a
dit que vous avez déjà gravé mes Variations pour
piano à quatre mains, ou que vous allez le graver. Je suis d'avis
qu'à ce propos vous auriez pu prendre la peine de me consulter-
Que penseriez-vous de moi si je devais me comporter de la même
manière et vendre ses Variations à Artaria , bien que
vous soyez maintenant en train de les graver ? Quoi qu'il en soit ne
vous alarmer pas à ce sujet . Le seul point sur lequel j'insiste
est que vous devez ou renoncer à les graver ou du moins me faire
savoir si vous avez réellement commencé à le faire.
Dans ce cas j'enverrai[...]le manuscrit des variations d'après
lequel vous pourrez les graver. Et cela parce que j'ai apporté
quelques corrections au manuscrit [...]Le fait est que je n'avais aucun
désir de publier actuellement des Variations, voulant attendre
que des oeuvres de moi plus importantes, et qui doivent paraître
sous peu, fussent données au public avant les variations"...
en l'occurrence il s'agissait des trois premiers trios pour piano portant
donc le numéro d'opus 1 qui furent publiées peu après
par les éditions.... Artaria !
Ces trois oeuvres avaient le double avantage d'être plus honorifique
que de simples Variations inspirées d'un thème( ainsi
Beethoven exclut aussi son "trio WoO 38" écrit en fait
avant le trio opus 1 qui sont en fait aussi ides variations et furent
publiées après sa mort) et celui de pouvoir être
plus facilement exécutées que des oeuvres pour orchestre.
Selon certains musicologues c'était aussi une petite revanche
sur Haydn qui selon des propos rapportés par Ferdinand Ries aurait
d'ailleurs critiqué le troisième trio de cet opus en déconseillant
à Beethoven de le publier.
Dans ces premiers trios de Beethoven la place occupée par
le piano est primordiale et l'on voit que leur publication sous le nom
d'opus 1 et donc désignée officiellement par Beethoven
comme "première composition", est une étape
décisive pour lui , ainsi Jean-Paul Montagner, auteur du livret
indique notamment qu'avec ces pages : " Beethoven achève
sa période d'apprentissage pour entrer dans la vie créatrice
adulte ! Celle où violence,brutalité,fureur, côtoient
de façon unique et singulière lyrisme , douceur, candeur.
Ces dernières qualités sont bien présentes dans
les trios de l'opus 1 dont la nature symphonique en 4 mouvements (au
lieu des trois généralement admis dans le genre) et leur
étendue surpassent les modèles de Haydn."
On peut aussi mesurer combien Beethoven était satisfait de
cet opus et plus particulièrement du premier trio par ses autres
propos écrits qu'il écrit dans une lettre à son
ami Johann Andreas Streicher en 1796 au sujet de l'élève
de celui-ci qui avait joué le premier trio devant lui et où
l'on mesure déjà l'importance qu'il accorda au piano tout
au long se sa vie : " Je vous assure cher Streicher, que c'est
la première fois que j'ai réellement éprouvé
du plaisir en entendant exécuter mon Trio ; et vraiment cette
expérience me décidera à composer pour le piano
plus que je ne l'ai fait jusqu'ici . Et je serai satisfait même
si peu de gens me comprennent. Il n'y a pas de doute qu'en ce qui concerne
la manière de jouer, le piano est encore le moins étudié
et le moins développé de tous les instruments ; souvent
on pense qu'on est tout simplement en train d'écouter de la harpe
. Et je suis heureux, mon cher ami, que vous soyez une des rares personnes
qui se rendent compte et qui comprennent que, pourvu que l'on sente
la musique, on peut aussi faire chanter le piano. J'espère qu'un
jour viendra , où la harpe et le piano seront traités
comme deux instruments tout à fait différent. [...]
" .
Beethoven s'est en effet beaucoup consacré au piano puisqu'il
a écrit par le suite 32 sonates pour cet instrument, cinq concertos,
10 sonates pour piano et violon, cinq pour violoncelle et piano, et
pour ce qui concerne précisément les trios avec piano
il est en fait difficile de donner un nombre exact (on voit qu'il n'y
a d'ailleurs pas de trio n°10 dans cette intégrale et certains
musicologues attribuent des numéros différents aux oeuvres
réalisée pour cette formation car certaines ont été
d'ailleurs publiées après sa mort. Ainsi l'opus 97 (trio
n'°7) aurait du être le dernier avec piano de Beethoven.
Pourtant, le 26 juin 1812, il dédia une petite pièce (WoO
39 publiée de façon posthume ici également désigné
Trio op.12) à sa jeune amie Maximilian Brentano âgée
de 10 ans. "Le Maître y pris soin de mettre en avant les
talents de l'enfant en lui confiant une partie de piano aisée
et soigneusement doigtée, soutenue par un violon et violoncelle
relativement discrets, les échanges de motifs entre les trois
comparses demeurant circonscrits mais toujours efficaces[...] en quelques
mesures d'une exquise pureté, Beethoven prend congé de
ce genre intimiste.[...] au cours de la révision de l'opus
44, au début de l'été 1816, le musicien esquissa
encore un trio en fa mineur, mais abandonna au milieu du premier mouvement"
indique encore Jean-Paul Montagner. L'extrait de cette simple pièce,
écrite donc pour pianiste amateur, que vous pourrez écouter
plus bas, nous font regretter que dans les quinze années qui
suivirent il ne revint pas à cette forme, privilégiant
les quatuors et heureusement aussi les sonates pour le piano, car on
peut imaginer qu'il aurait alors peut-être de nouveau mis en avant
le piano !
Le Trio Wanderer lui il est vrai n'a pas pour ambition de privilégier
un instrument ou l'autre, c'est sans doute un des secrets de sa longévité,
et il ne manquera certainement pas d'oeuvres de compositeurs disparus
ou vivants à nous offrir encore dans les années à
venir tant pour les amateurs de piano que de violon ou violoncelle,
dans une carrière qu'on ne peut que souhaiter encore très
longue car leur enthousiasme sincère à jouer et partager
cette musique pour ces trois instruments fait le bonheur de leur public
fidèle qui ne cherche même plus à comparer leur
interprétation avec celle d'un autre trio (disparu ou toujours
vivant) tout simplement parce qu'il leur fait confiance, à bon
escient, pour offrir un répertoire choisi avec intelligence et
sensibilité et une musique toujours émouvante et plaisante.
Et c'est ici encore le cas ! Vincent Coq, pianiste
du trio Wanderer, a bien voulu répondre à quelques questions
pour partager aussi par les mots sa passion musicale :
D'abord
juste une petite "mise au point" pour se repérer dans
la complexe numérotation des trios de votre coffret : celui-ci
comporte 11 trios puisqu'il intègre les sept trios qui ont un
numéro d'opus (op.) et sous le nom de trio n°8 et sous le
nom de trio n°9 en fait des variations; par contre pas de trio numéro
10... Les deux trios WoO 38 et WoO 39 numérotés
"trio 11" et "trio 12" alors que parfois le wo38
est considéré comme trio numéro 8 et le woo39 comme
trio n°9, ausssi pouvez vous expliquer comment sont attribués
ces numéros et même le nom de "trio" pour des
variations ?
En fait, le choix des numéros n'a pas vraiment d'importance
Ce qui compte ce sont les opus en général qui concernent
les oeuvres publiés par le compositeur lui-même (chez
Beethoven les numérotations Woo concernent les oeuvres qui
sont restées non publiées du vivant du compositeur, par
choix par exemple). Ici Harmonia a je pense omis le numéro 10
car il doit correspondre à la transcription pour trio que Beethoven
a fait de son septuor op.20 (il a aussi d'ailleurs transcrit sa
2e symphonie pour trio). Nous avons choisi de n'enregistrer que
les oeuvres originales pour trio. Pour les deux recueils de variations :
ce sont tout simplement des trios pour piano, violon et violoncelle
dont la forme d'écriture choisie par Beethoven est la variation.
La place tenue par le piano et le rôle
de celui-ci dans les trios de Beethoven est-il identique dans l'ensemble
des trios ou évolue-t-il dans le temps et qu'est-ce qui le caractérise
plus particulièrement/trios d'autres compositeurs ?
La place du piano dans le trio évolue effectivement avec le
temps chez Beethoven. Au départ, Beethoven se situe dans la ligne
de Haydn (surtout les op.1 N1 & N2). Le piano y tient une place
prépondérante et le violoncelle bien que beaucoup plus
indépendant que chez Haydn a encore une place en retrait par
rapport au violon. Le piano est particulièrement virtuose car
il ne faut pas oublier que Beethoven était un grand pianiste
et que ces trios étaient vraiment des pièces de concerts.
A partir de l'opus 70 n°1, Beethoven réalise un parfait
équilibre entre les trois instruments. A travers ce trio, il
fixe de façon magistrale la forme du trio avec piano pour le
siècle à venir.
Lorsque les trois trios de l'opus 1 furent jouer
pour la première fois , Haydn qui était présent
en dit du bien mais conseilla à Beethoven de ne pas publier le
troisième alors que Beethoven le tenait précisément
pour le meilleur. Vous-même que pensez-vous de ce trio par rapport
aux deux autres ?
Il semble que cette histoire souvent rapportée soit en fait
une légende (Haydn pour des raisons de lieu n'a pas pu discuter
avec Beethoven à ce sujet à cette période). Ce
qui est certain c'est que les deux premiers de l'opus 1 ont
encore des accents rappelant la musique de Haydn, bien que la forme
y soit plus relâchée. Dans l'op 1 n°3, on découvre
un Beethoven plus révolutionnaire, avec des accents violents,
presque chaotique dans le premier mouvement et le finale. C'est
la première oeuvre où il affirme sa personnalité
si particulière.
La critique allemande reprocha à Beethoven
de "manquer de naturel" dans son écriture, cette critique
vous semble-t-elle justifiée ?
Ce qui prouve que les critiques se sont très souvent trompés
au cours des âges... Manquer de naturel ? Je dirais plutôt
ne pas céder à la facilité. Beethoven ne cherchait
pas à plaire, attitude qui s'amplifia avec le temps. Il
est contemporain des premiers romantiques, de l'arrivée
de l'opéra italien comme Rossini, une musique très
mélodique et plus simple.
A l'audition de l'opus 70 Hoffman déclara
"Beethoven porte au fond de son âme l'esprit romantique"
, en quoi cet opus est-il à votre avis d'un esprit romantique
et en tant que pianiste trouvez-vous que ses sonates ont aussi pris
un "esprit romantique" à cette période ?
Là encore, je vais donner un avis divergent. Pour moi Beethoven
n'est pas romantique et je reprendrais la thèse de Charles
Rosen développé dans son magistral ouvrage "Le Style
Classique" dans lequel il explique que Beethoven devient au
cours de sa vie de plus en plus classique. Je n'ai pas beaucoup
le temps ici de m'étendre mais je vais juste me pencher
sur ce point précis. Le style classique se caractérise
par une écriture qui cherche à maîtriser la forme
pour mettre en avant les tensions dramatiques de l'oeuvre,
l'expression et les sentiments sont alors exaltés par la
puissance de cette construction. Avec le temps, Beethoven est parvenu
génialement à cette maîtrise et tout particulièrement
dans l'opus 70 n°1 qui est absolument parfait. Les romantiques
auront plus de mal à contenir les sentiments dans une forme puissante,
l'énergie s'échappe et rayonne. Chez Schubert
par exemple, bien qu'il essaie de contenir ses sonates dans le
cadre traditionnel, ses sentiments débordent en de divines longueurs.
L'opus 97 a été écrit en
1811, et en 1812 Beethoven a écrit une autre courte pièce
pour piano violon et violoncelle , alors que l'opus 97 est reconnu comme
son trio le mieux réussi il n'a ensuite plus composé pour
cette formation hormis donc cette courte pièce pour une jeune
élève, savez-vous pour quelles raisons il ne s'est plus
intéressé à cette formation si ce n'est peut être
le fait que les copistes ont eu beaucoup de difficultés pour
parvenir à une version qui lui convienne (plus de quatre ans
pour parvenir à une version publiable) ?
En fait, je ne sais pas vraiment pourquoi Beethoven s'est désintéressé
du trio avec piano. Sa surdité ne lui permettait plus vraiment
de se produire sur scène dans cette formation qu'il aimait
particulièrement. Dans le domaine de la musique de chambre, il
s'est presque exclusivement tourné vers le quatuor à
cordes. Peut-être justement pouvait-t-il se servir de cette homogénéité
de timbre comme d'un laboratoire pour des constructions musicales,
repoussant les limites du style classique jusqu'à une quasi
abstraction.
L'Archiduc est une des oeuvres que Beethoven a le plus aimé
jouer en concert. Sa dimension est exceptionnelle pour un trio mais
cette musique n'a rien d'écrasant. Si vigueur et humour
sont omniprésents dans le Scherzo et le final, on y retrouve
le sentiment de conversation intime d'An die ferme Geliebte op.
96.
Le petit trio Woo39 est écrit pour une pianiste amateur ;
c'est juste une petite pièce pleine de charme sans prétention
qui a la particularité d'avoir été complètement
doigté par Beethoven. Quant au terme cauchemar des copistes,
il suffit de voir un manuscrit pour comprendre : pattes de mouches,
ratures, coupures rendent les manuscrits de Beethoven difficilement
lisibles.
Dans votre vidéo pour vos 25 ans vous
mentionnez que vous jouez régulièrement les trios de Beethoven
après une première intégrale dès 1990, qu'est
ce qui vous a tenu à coeur de faire évoluer dans vos
interprétations de ces trios ?
Les trios de Beethoven sont la pierre angulaire du répertoire
de trio avec piano de Beethoven. Haydn a écrit 45 trios mais
comme je le dis précédemment c'est Beethoven qui
va trouver l'équilibre parfait pour cette formation. Cet
ensemble, jalonné de chefs-d'oeuvre est incontournable
pour un ensemble comme le nôtre et l'on a jamais finit de
l'explorer.
Quels sont vos prochains concerts en pays francophones
et ailleurs qui vous tiennent particulièrement à coeur ?
Pour rester dans Beethoven: l'intégrale en trois concerts
des trios de Beethoven cet été au festival de la Roque
d'Anthéron et que nous redonnerons en janvier prochain à
Lyon.
Pour écouter
Beethoven
extrait du piano trio n°12 Wo0 39
par le Trio Wanderer
avec l'aimable autorisation
du label Harmonia Mundi
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous