Beethoven
Sonates pour piano op109, 110 et 111
Cédric Pescia
Interviewé en juillet 2008 le pianiste Cédric
Pescia annonçait son projet d'enregistrement "live"
de ces trois dernières sonates de Beethoven c'est finalement
ce disque enregistré dans des conditions proches du "live",
d'une seule prise finale, en studio, qu'il sort chez le label
Claves, conquis par un piano dont le son magnifiquement chantant
l'a enthousiasmé ainsi explique-t-il dans une nouvelle
interview qu'il a bien voulu accordé(voir ci-dessous).
Beethoven, lorsqu'il composa ces trois sonates(trentième
à trente-deuxième) , entre 1820 et 1822, travaillait
sur le projet de la "Missa Solemnis" ce qui explique
qu'on les considère traditionnellement comme une trilogie
car elles reflètent toutes trois "des états
affectifs caractéristiques du compositeur pendant l'édification
de son ultime chef d'oeuvre religieux"selon le musicologue
Claude Rostand. On peut lire parfois que Beethoven considérait
la composition de ses sonates pour piano comme un "gagne
pain" aussi ne faut-il pas s'étonner qu'il entrecoupa
ce long travail de composition de la "Missa Solemnis"
mais surtout avait-il lui aussi envie de profiter du son extraordinaire
qui lui était offert par les nouvelles potentialités
de l'instrument ainsi qu'il l'avait déjà pu expérimenter
lors de sa précédente sonate "Hammerklavier"....
Possibilités que vous pourrez plus particulièrement
mesurer dans le troisième mouvement de l'op109 dont Cédric
Pescia offre une interprétation remarquable, il s'agit
en fait d'un thème suivi de variations, mouvement dans
lequel Beethoven a multiplié les indications d'expressivité.
Ces dernières pages de la partition de l'opus 109 "sont
tissées de triples croches murmurantes", mais surtout
sillonnées de trilles immenses et frémissants, avant
que ne réapparaisse, cantabile , le thème nu, en
noires, dans une lenteur qui semble alors presque irréelle"
explique Etienne Barilier auteur du livret de ce disque... c'est
en dire toute la complexité et richesse, un admirable concentré
du génie de Beethoven à mesurer encore avec plaisir
par ce nouveau disque.
Vous aviez annoncé lenregistrement
"live" des trois dernières sonates de Beethoven
en Suisse mais il semble que finalement vous ayez opté
pour un autre enregistrement, pour quelle raison ? Plus généralement
que pensez-vous du fait denregistrer "live" ?
J'ai joué les trois dernières sonates de Beethoven
de nombreuses fois en public, dans un même concert (sans
pause). En 2003, un des ces concerts avait été enregistré
et j'étais satisfait du résultat musical ; le son
du piano ne me plaisait pas à 100%, mais cela mis à
part, je n'aurais eu aucun problème à ce que cet
enregistrement soit publié.
Lorsque le projet d'un disque CLAVES avec les 3 dernières
sonates de Beethoven s'est concrétisé, j'ai pensé
qu'un nouvel enregistrement « live » serait adapté.
Lorsque je joue ces trois oeuvres en concert, chaque sonate tire
bénéfice du voisinage de ses deux « surs
» ; par exemple l'opus 111 sonne de manière encore
plus forte lorsquelle est précédée
des opus 109 et 110. On pourrait presque dire que les 3 dernières
Sonates forment une sorte de « super-sonate »
en 3 parties.
C'est
ce parcours, cette grande ligne que je voulais essayer de préserver
dans un enregistrement « live ». D'autre part, cette
musique est si « ouverte », il y a tant de possibilités
d'interprétation (qu'on songe à ce qu'ont pu en
faire des pianistes aussi divers que Serkin, Richter, Pollini
ou Gould ; et même chez un seul pianiste, les différences
entre les soirs peuvent être énormes Ainsi,
et pour ne parler que de minutage, mes interprétations
en concert peuvent varier de 12 minutes, en fonction de la salle,
du piano, de l'ambiance de la salle etc..) que paradoxalement,
il me semblait qu'un disque devait conserver une seule de ces
« pistes », et non pas représenter un mélange
entre plusieurs versions, ce qui est nécessairement le
cas lors d'un enregistrement en studio.
Néanmoins, j'ai décidé à la dernière
minute de ne pas enregistrer ces uvres en « live »
; le piano de la Chaux-de-Fonds ne me semblait pas idéalement
adapté à cette musique ; d'autre part, je ne souhaitais
pas être soumis à la pression particulière
d'un enregistrement « live ». J'ai trouvé un
piano magnifiquement chantant à la Siemens Villa de Berlin
; j'ai réalisé l'enregistrement dans des conditions
proches du « live », en faisant des prises très
longues et en jouant à la toute fin les 3 sonates d'affilée
; cette dernière prise constitue la version de base du
disque.
Que représente Beethoven dans votre
répertoire ?
J'ai joué la plupart de ses sonates pour piano, concertos
et uvres de musique de chambre. Beethoven était au
centre de mon répertoire lorsque j'étais plus jeune,
mais aujourd'hui, je dois dire que je suis avant tout fasciné
par le Beethoven tardif : je joue régulièrement
ses dernières sonates pour piano et ses dernières
uvres de musique de chambre avec piano, mais je dois avouer
que je me sens moins proche des uvres de sa 1ère
et 2ème période (les opus 1 à 90).
Ces trois dernières
sonates furent composées par Beethoven parallèlement
à une uvre religieuse quil a mis plus de trois
ans à écrire : la Missa solemnis, pensez-vous que
cette simultanéité de composition ait influencé
son inspiration , de même que les problèmes de
santé qua pu connaître lors le compositeur
?
On observe dans les 3 dernières sonates une grande liberté
de forme et d'expression; sans doute en réaction à
la structure assez « carrée » de la Missa Solemnis.
Certains passages des ces sonates semblent comme « improvisés
» (et annoncent les Bagatelles postérieures de quelques
années). De plus, on y sent une voix très intime
; Beethoven parle (et chante et crie et tape du pied) à
la première personne, ce qui n'est pas toujours le cas
dans la Missa Solemnis, plus désincarnée. J'ai du
mal à parler de cette musique. Elle me touche plus qu'aucune
autre ; je lui dois mes plus belles expériences musicales
(à la maison lors de son étude et sur scène)
; on peut aisément avoir l'image d'un Beethoven sur-humain,
mais ces trois dernières sonates me semblent au contraire
très « humaines » ; leurs parcours, leurs luttes,
leurs conclusions, leur message m'accompagnent, me « défient
» et m'élèvent.
Avez-vous écouté dautres interprétations
avant daborder ces uvres, quelles sont celles que
vous préférez ? Et est-ce intimidant pour vous de
jouer ces uvres après ces interprètes que
vous admirez ?
J'ai entendu de nombreuses versions discographiques, mais cela
remonte à quelques années (lors de la préparation
de cette enregistrement, j'ai décidé de n'écouter
aucune version). J'ai commencé à travailler les
3 dernières sonates de Beethoven alors que j'étudiais
dans la classe de Dominique Merlet (entre 1993 et 1997); à
cette époque, j'ai été particulièrement
impressionné par les versions de Rudolf Serkin et Sviatoslav
Richter, toutes 2 « live » et toutes 2 réalisées
par des pianistes au soir de leur vie . Oui, cela a nécessairement
un côté intimidant d'entendre ces pianistes géniaux
dans cette musique ; mais cela est malgré tout moins intimidant
que le texte lui-même
Quel travail particulier,purement musical
ou non, vous ont demandé ces trois dernières sonates
et à quoi avez-vous attaché le plus dimportance
dans votre interprétation de celles-ci ?
J'ai
consulté des facsimile de tous les manuscrits existants,
de même que les carnets d'esquisse. C'est fascinant d'entrer
ainsi dans le laboratoire de Beethoven ; sans être graphologue,
l'écriture de Beethoven nous dit beaucoup sur l'état
dans lequel il se trouvait au moment de la composition de ces
uvres ; on sent une lutte permanente contre sa condition
mentale et physique, contre la matière sonore, l'instrument,
etc.
Ces sonates sont tellement connues, tellement jouées, leur
aspect expérimental peut de nos jours aisément passer
inapercu. Mon objectif a été de comprendre le geste
compositionnel fort qui a conduit à l'éclosion de
ces chefs-d'uvre et de tenter de retrouver le côté
« brut » de cette musique.
Considérez-vous que lopus
111, dernière sonate donc de Beethoven, soit la plus réussie
des trente-deux sonates, la plus aboutie, et dans laffirmatif
que ce fait justifie que Beethoven nen ait plus composé
par la suite jusquà sa mort quatre ans plus tard
?
Ces trois uvres sont pour moi les plus grandes que Beethoven
ait écrites pour le piano. Je ne considère pas qu'une
soit plus réussie, même si actuellement je dois avouer
un faible pour l'opus 109
Aurez-vous loccasion de jouer prochainement
lune (ou toutes) ces sonates en concert ?
Comme toujours, j'ai du mal à rejouer en concert les
uvres que je viens d' enregistrer. Je participe très
activement au montage de chacun de mes disques ; pendant les mois
qui suivent le montage, je garde très présentes
à l'esprit les prises sélectionnées ; durant
cette phase, je ne peux m'empêcher de reproduire inconsciemment
en concert ce qui est présent sur le disque ; cette
« répétition » me déplait. Pour
cette raison, je ne joue actuellement pas les trois dernières
Sonates de Beethoven; d'ici quelques mois, j'espère pouvoir
aborder à nouveau ces sonates, avec des idées neuves
et un désir d'expérimenter et de découvrir
de nouvelles facettes (l'opus 110 est programmé pour quelques
concerts à l'automne).
Pour écouter le
troisième mouvement de la sonate op109 de Beethoven
Interprété par Cédric Pescia avec l'aimable
autorisation du label Claves
cliquez sur le triangle du lecteur ci-dessous
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ici(fnac) Ces deux sites ont référencé
ces sonates comme des oeuvres au violon allez savoir pourquoi...l'erreur
sera peut-être corrigée ultérieurement.
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