Rapsodie Espagnole TRIO HOBOKEN Jérôme Granjon piano
Rapsodie
Espagnole
TRIO HOBOKEN
Maurice Ravel
Trio en la mineur
Joaquin Turina
Trio "Circulo" op.91
Maurice Ravel
Rapsodie espagnole (arrangement Kaspar)
Emmanuel Chabrier
España(arrangement Chevillard - Kaspar)
Jérôme Granjon, piano
Saskia Lethiec, violon
Eric Picard, violoncelle
Coïncidence heureuse alors que vient de se terminer la "folle
journée" de Nantes présentant un vaste panorama
de la musique française et espagnole de 1850 jusqu'à nos
jours, le trio Hoboken convie à une grande soirée musicale
festive, Vendredi 8 février 2013 à Paris, salle Cortot
à Paris - 20 heures 30 , sous le signe des liens et de la fascination
réciproque entre les compositeurs français et espagnols
au début du XXème siècle, en fait le concert de
sortie de ce disque "Rapsodie espagnole" mais dont
le programme sera légèrement différent puisque
Debussy sera aussi de la fête ce qui permettra de la prolonger
!
Ravel est au cur de ce programme avec son trio sur des thèmes
traditionnels basques, un chef duvre du répertoire...
composé à Saint Jean de Luz et au sujet duquel Ravel écrivit
à son ami Maurice Delage : " J'y travaille avec la sûreté
et la sérénité d'un fou" ! Que de folies
! Oui folie aussi peut-être pour les interprètes car le
quatrième mouvement "Final" "avec sa
vigueur , sa métrique régulière et ses incroyables
effets orchestraux constitue un véritable défi pour les
interprètes "explique l'auteur du livret, Frédéric
Sounac, ce que ne dément pas le pianiste Jérôme
Granjon qui a bien voulu répondre à quelques questions
à l'occasion de la sortie de ce disque.
Un disque qui pourrait marqué les 10 ans du trio Hoboken, fondé
en 2003 par les trois jeunes musiciens riches de leurs expériences
de solistes et passionnés par luvre de Joseph Haydn
(Hoboken est le nom du musicologue néerlandais à qui lon
doit le catalogue thématique de luvre du compositeur),
mais en fait c'est un anniversaire qui leur avait échappé,
l'esprit déjà bien occupé par la musique !
Le programme est particulièrement original puisque le compositeur
et chef d'orchestre Olivier Kaspar a réalisé spécialement
pour le Trio Hoboken un arrangement de la Rapsodie Espagnole, composée
à l'origine pour piano à quatre mains et très rapidement
pour orchestre par Ravel, ici à découvrir donc dans une
version qui se veut non pas de "de chambre" mais "sous
un nouveau visage, connu et inconnu à la fois". Qui
connaît déjà les deux autres versions mesurera donc
une partie des nouvelles facettes de cette oeuvre dans un extrait à
écouter plus bas dans cette page.
La célèbre "España" de Chabrier,
est aussi dans une version inédite pour trio puisque Olivier
Kaspar a revu la version pour trio réalisé par Camille
Chevillard, Emmanuel Chabrier ayant composé celle-ci suite à
un voyage de plusieurs mois en Espagne, principalement inspiré
par des thèmes folkloriques, avait quant à lui dans un
premier temps écrite celle-ci pour deux pianos puis pour orchestre
afin d'en faire partager toute l'énergie communicative ..."
Il faut que les gens se lèvent et s'embrassent" aurait
dit le compositeur peu avant la création aux concerts Lamoureux
en 1883, ce qui donne à penser que le trio Hoboken aurait peut
être pu choisir de jouer ce concert le 14 février pour
la Saint Valentin, quoique ce n'est en fait peut-être pas une
bonne idée... par contre ce pourrait-être une idée
de cadeau pour ce jour qui approche et ainsi partager à deux
l'euphorie de cette musique que le compositeur Mahler jugea comme "
le début de la musique moderne" ! Mais il ne faut
pas oublier non plus un autre jour... celui évoqué par
le compositeur andaloux Joaquin Turina qui séjourna à
Paris de 1903 à 1914, qui dans "Circulo...fantaisie pour
piano, violoncelle et piano", libre succession de trois mouvements
évoque les heures du jour (lever,midi et crépuscule) ,
où l'on peut notamment entendre des citations de mélodies
de flamenco et appels festifs de corrida, et tentative de composition
cyclique. S'il n'avait pas la tête à leur anniversaire
les musiciens du trio Hoboken s'avèrent par contre bien l'avoir
à partager multiples aspects festifs par cet enregistrement particulièrement
énergique et sensuel !
Jérôme
Granjon, les internautes de piano bleu avait pu vous découvrir
lannée dernière avec votre disque piano solo "Dans
les brouillards", pouvez-vous présenter brièvement
les deux autres musiciens du trio
Hoboken, pourquoi vous êtes vous « choisi » hormis
un répertoire commun Haydn et sur quoi tient votre entente qui
dure depuis dix ans précisément cette année ?
Le trio, à part moi-même est composé de Saskia
Lethiec, violoniste et de Eric Picard, violoncelliste. Nous avons tous
les trois une activité de soliste et de chambriste en dehors
du trio. En plus Saskia est professeur au Conservatoire à Rayonnement
Régional de Versailles et Eric est violoncelle solo de l'Orchestre
de Paris. Pour ma part, j'enseigne au Conservatoire à Rayonnement
Départemental de Romainville.
Qu'est ce qui fait notre rencontre et la durée de notre entente
? Pour lessentiel bien sûr des affinités musicales
mais aussi une complémentarité de nos qualités,
une volonté commune d'exploration du répertoire pour trio
avec piano, depuis Haydn qui nous a réunis jusqu'à la
musique d'aujourd'hui, le trio pouvant également servir de base
à des formations plus larges (quatuor, quintette...). Et puis
une telle aventure est aussi l'histoire de l'amitié qui nous
lie tous les trois, du plaisir de travailler, voyager, jouer ensemble.
Célébrerez-vous dailleurs
ces 10 ans d'une manière particulière ou bien ce disque
et votre concert le 8 février 2013, à caractère
festif célèbrent-ils précisément votre "décennie"
?
A vrai dire je crois qu'aucun de nous n'a réalisé que
c'était le 10ème anniversaire du trio ! Nous sommes en
ce moment trop accaparés par différents projets (concerts
autour de la sortie du disque, tournée en Argentine et au Brésil,
projets autour de Haydn, Chostakovitch...) pour nous occuper d'anniversaires.
Cest lénergie et la joie qui émane de cette
musique qui donnera nous lespérons à cette soirée
un caractère festif !
Vous avez choisi un thème pour votre
disque en parfait accord avec celui de la Folle journée de Nantes
qui vient davoir lieu , est-ce un hasard ou cet événement
vous a t-il inspiré ?
Cette proximité thématique est tout à fait fortuite.
Ce projet de disque autour de la fascination réciproque entre
l' Espagne et la France remonte à assez longtemps. Il nous a
fallu le préciser, obtenir les droits pour la transcription de
la Rapsodie Espagnole de Ravel (qui n'est pas encore dans le domaine
public), susciter les transcriptions auprès d'Olivier Kaspar
qui a fait un magnifique travail, convaincre le label Anima Records
sans le soutien duquel ce projet n'aurait pu être possible, sans
oublier notre temps de préparation et de concerts (nous avons
notamment joué ce programme en mai dernier au Mexique), l'enregistrement,
la postproduction...C'est donc une fois que le projet était bien
avancé que nous avons découvert que c'était très
proche de celui de la "Folle Journée". Ce qui prouve
que les idées sont dans l'air et circulent à notre insu
et c'est très bien ainsi !
Lintroduction de votre livret rédigé
par Frédéric Sounac situe dailleurs longuement le
paysage musical de la France au début du 20ème siècle
et les relations entre les artistes français et espagnols pourquoi
aimez -vous cette période ?
C'est une période très riche ou Paris est le centre,
ou du moins un centre important, de la vie musicale. Nous pensons que
les musiciens français, qui sont restés longtemps fascinés
et un peu sous l'emprise de la musique allemande avec notamment à
la fin du 19ème siècle l'influence très forte de
Wagner, se sont renouvelés et vivifiés au contact de tous
les artistes espagnols, dans plusieurs domaines de l'art (en peinture
également), qui sont venus à Paris, attirés par
le prestige artistique de la ville. Il nous semble que la musique française
y a retrouvé sa dimension latine, et que la musique espagnole
y a acquis un raffinement de couleurs qui l'a considérablement
enrichie (le trio de Turina en est un très bel exemple). C'est
aussi une période de foisonnement et de fièvre expérimentale
ou la matière musicale se plaît à se transformer
en de multiples transcriptions. Ravel l'a fait toute sa vie (du piano
vers l'orchestre mais aussi à rebours) et il n'est pas le seul.
C'est un autre aspect important de cet enregistrement et nous croyons
qu'il est tout à fait dans l'esprit de cette époque qui
a voulu repousser les limites du jeu instrumental et partir à
la recherche de timbres et d'alliages nouveaux. De ce point de vue,
ce que fait Ravel dans son trio est tout simplement inouï !
L'auteur du livret indique également
que le trio de Ravel est un véritable défi pour les interprètes
, quel travail particulier vous a-t-il demandé en tant que pianiste
et le défi est-il de la même importance pour tous les musiciens
du trio ?
Le trio de Ravel est une uvre d'une telle science d'écriture
pour les instruments, d'une telle nouveauté et d'une telle envergure,
que ce soit par sa dimension orchestrale ou par son ampleur, qu'elle
exige forcément beaucoup des interprètes. On peut supposer
que Ravel a poussé l'écriture, donc la difficulté,
aussi loin qu'il pensait possible à des instrumentistes de le
suivre. De plus il est très précis dans ses indications
: tempos, nuances, accentuations...Toute la difficulté consiste
d'abord à maîtriser le texte techniquement parlant, à
produire une texture qui soit orchestrale tout en gardant sa transparence
(gros travail d'équilibre des timbres au piano puis tous les
trois), à intégrer toutes les exigences écrites
si précisément par Ravel sans perdre la fluidité
et le naturel. Le tout sur une fresque qui dure une demie-heure. Autant
dire que c'est un gros travail qui s'étend sur des mois et même
des années !
Quelles sont les caractéristiques espagnoles
ou basques qui vous semblent particulièrement innovantes ou intéressantes
dans le trio de Ravel ?
Elles se situent surtout dans le 1er mouvement, avec notamment ces
rythmes inégaux de la danse dite « zortziko ». Mais
ces rythmes inégaux, alternance de binaire et de ternaire, se
retrouvent tout au long de l'oeuvre et en particulier dans le final
qui en ce sens semble répondre au 1er mouvement.
Pourquoi avez-vous choisi dassocier à
ce trio luvre « Circulo » plus proche dune
fantaisie, plutôt quun de ses deux précédents
trios ?
Ce trio nous a beaucoup séduit par son côté profondément
espagnol (mélodie flamenco du 2nd mouvement, effets de guitare,
danses endiablées), son unité cyclique et poétique
et en même temps son raffinement dans les couleurs harmoniques
qui évoquent fortement l'univers de Debussy ou de Ravel, ce qui
en fait une uvre très originale. Si des musiciens comme
Ravel (tout comme Debussy, même s'il n'est pas sur cet enregistrement)
ont tiré de leur fascination pour l'Espagne une source d'inspiration
sans cesse renouvelée, on voit là qu'un musicien comme
Turina s'est imprégné en profondeur de la subtilité
des couleurs des grands musiciens français. Les deux autres trios
de Turina, qui sont au demeurant également très beaux,
nous ont paru plus conventionnels de ces points de vue.
Quapporte la revision de Olivier Kaspar
à luvre de Chabrier España par rapport à
celle de Camille Chevillard ?
La transcription de Camille Chevillard est très bien écrite
pour le trio et sonne très naturellement, avec notamment l'excellente
idée de transposer l'oeuvre en sol majeur (au lieu de fa majeur
dans la version originale pour orchestre) ce qui la rend plus aisée
pour les cordes. Par contre elle raccourcit l'oeuvre de 2 minutes en
omettant les passages les plus délicats à réaliser
en trio. Et elle « allège » un peu trop la texture
par endroits. Il faut dire que cette uvre, sous son aspect léger,
enlevé, désinvolte, est impressionnante de modernité
d'écriture (Mahler ne sy est pas trompé qui disait
quavec cette uvre commençait la musique moderne)
! Olivier Kaspar l'a tout d'abord complétée pour restituer
l'intégralité de l'oeuvre, puis en collaboration avec
nous a réintégré au maximum tous les détails,
des coups de grosse caisse (qui est presque soliste dans cette pièce !)
aux trilles de flûtes pour lui restituer sa plénitude exubérante.
Vous avez également demandé à
Olivier Kaspar de réaliser un arrangement pour trio de luvre
pour piano quatre mains Rapsodie espagnole, que Ravel avait aussi conçu
pour un orchestre, est-ce une uvre que vous avez aussi eu loccasion
dans sa forme originale et lintérêt (le plaisir )
de la jouer est-il plus grand pour le pianiste dans la version originale
( quel que soit la partie prise / piano ) ou dans cette version ?
Je n'ai pas joué la version pour piano 4 mains par contre j'ai
bien sûr travaillé dessus en étudiant la transcription
pour trio. Il me semble que la version pour trio, par les possibilités
quoffre la réunion des trois instruments, donne une sorte
de version « intermédiaire » entre la version originale
pour 4 mains et la version pour orchestre. Elle garde quelque chose
de l'intimité et du dépouillement de la version pour piano
mais permet de développer une richesse de timbres et d'enchevêtrements
qui évoque déjà fortement l'orchestre. Pour notre
part nous laimons beaucoup !
Travailler sur ces transmutations musicales a été pour
nous un travail extrêmement riche et stimulant, qui nous a entraînés
à aller chercher des sonorités inédites, à
repousser les limites de nos instruments, à solliciter en permanence
notre imagination sonore. Nous sentons que cette plongée dans
cet univers sonore et stylistique nous a beaucoup enrichis et espérons
que les auditeurs partageront la joie et lémerveillement
qui nous ont accompagnés tout au long de cette aventure !
Pour écouter
Maurice Ravel
Rapsodie espagnole (arrangement Kaspar)
Malagueña
Trio Hoboken
avec l'aimable autorisation
du label Anima records
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ci-dessous