Difficile de rester indifférent(e) à la peinture
qui illustre le disque Neuvième Vague de Vahan Mardirossian
et ce sont, confie le pianiste, dans la nouvelle interview ci-dessous,
précisément les titres des sonates de Beethoven
qu'il a choisi de réunir dans ce double disque qui lui
a rappelé ce tableau du peintre arménien Hovanness
Aïvazovsky. Une illustration effectivement splendide qui,
comme il le dit, englobe les titres des sonates (Pathétique,
Tempête, Clair de Lune...). Un tableau d'ombre et de
lumière à l'image de la musique de Beethoven qui
d'ailleurs évoque à la fois le cauchemar et le rêve,
dans une musique tour à tour profonde ,enjouée et
folle...et parfois même ambiguë ainsi l'auteur du livret,
Franck Ciup, indique au sujet de la sonate "Clair de lune"
: "le poète allemand Ludwig Rellstab y voyait en
écoutant celle-ci, la promenade en barque de deux amoureux
, au clair de lune sur le lac des quatre cantons" et Beethoven
dans une interprétation quasi hypnotique, évoquait,
parait-il des fantômes traînant leur chaîne
dans un château hanté ; thème plaintif en
écho, répondant aux immuables triolets comme des
âmes désolées, errantes, inconsolables..."
ce qui n'est pas du tout la même chose !!! A l'écoute
de l'interprétation de Vahan Mardirossian, particulièrement
lente, et d'une grande intériorisation, la profondeur de
ce mouvement se révèle et c'est effectivement plus
cette dernière image, certes moins réjouissante
mais combien plus émouvante, qui viendrait à l'esprit.
Oui assurément son interprétation en est des plus
remarquables... et mériterait toutes les récompenses
...
Et, oui, une nouvelle fois, l'éloge de la lenteur mérite
d'être fait...( voir la vidéo plus bas mais le son
n'a rien à voir avec le disque qu'il faut absolument vous
procurer).
Les deux sonates "Grande sonate pathétique
" et "Tempête" sont à dominante
aussi sombre que le laisse deviner leurs titres mais pour la dernière
certains ont pu voir dans le célèbre troisième
mouvement un cheval au galop ou plus vraisemblablement, plutôt
qu'un déchaînement de la nature celui de l'esprit
ou encore une lutte entre la vie et la mort... il est bon de rappeler
d'ailleurs que ce n'est pas Beethoven lui-même qui leur
donna ces titres.
La lumière apparaît à travers les nuages dans
la sonate "Pastorale" dont vous pourrez écouter
ci-dessous le mouvement Andante (extrait du disque), mouvement
que Beethoven, au témoignage de Czerny, se jouait souvent
à lui-même... une sonate que Vahan Mardirossian aurait
plus volontiers expédiée dans les étoiles
que "Clair de lune"qui a été choisie
par la NASA, et comme on le comprend car elle fait miraculeusement
naître un sentiment de joie et bonheur... certes encore
faut-il que les éventuels auditeurs soient munis de lecteur
de Cd pour écouter comme le dit Vahan Mardirossian et bien
que l'on imagine que la NASA a du prévoir l'équipement
nécessaire on se prend aussi aisément à imaginer
suite à ses propos et à l'écoute de cette
sonate un pianiste-astronaute messager de la paix, précisément
lui, Vahan Mardirossian, dont l'auteur du livret, également
son ami dit pour conclure un long paragraphe de nombreuses citations
d'éloges des médias : "Il ne me reste donc
pas grand chose à dire, sinon que l'homme a un coeur immense
d'enfant perdu dans un monde si cruel, et que derrière
cette énorme personnalité qui badine souvent avec
jovialité, se cache outre le virtuose incontesté,
le génie musical et l'absolu professionnalisme qui le caractérise,
un monument de tendresse en marbre, de générosité
en or, d'amour en diamant qui scintille de ses milles facettes
vers le soleil." Et effectivement qu'ajouter encore après
cet éloge des plus poétiques...voici son interview
:
Vous
aviez le projet d'une intégrale de Brahms cependant vous
sortez un disque de sonates de Beethoven... que représente
Beethoven dans votre répertoire et plus particulièrement
les sonates en jouez-vous aussi l'intégralité ?
En effet, j'avais décidé d'enregistrer une intégrale
de Brahms, dont le premier volume à paru chez Intrada voici
déjà 4 ans. Mais ma nature amoureuse de nouveautés
et de changement ne me permets pas de me "stagner" dans
une période précise et encore moins auprès
d'un seul compositeur, aussi génial qu'il soit, pour une
longue période. Voilà pourquoi, après ce
premier volume de Brahms je suis parti pour m'enrichir d'avantage
me baigner dans d'autres périodes et compositeurs (la Musique
Arménienne - "Armenia" avec les frères
Phillips et un récital Liszt). Pour mon neuvième
enregistrement j'ai décidé de me pencher sur Beethoven,
car malheureusement jusqu'aujourd'hui je l'avais un peu délaissé.
Hélas, je ne joue pas (encore) l'intégralité
de ses sonates, mais compte bien un beau jour compléter
cette lacune.
Votre projet d'intégrale Brahms
va-t-il pouvoir se poursuivre ? Dans quelles circonstances ce
disque de Beethoven a pu être réalisé ?
Bien entendu, l'intégral Brahms va se réaliser
(en tout cas je l'espère). Je suis déjà en
train de réfléchir sur le programme de deuxième
volume. En ce qui concerne Beethoven, ce disque est née
d'une manière absolument soudaine. Je venais de mettre
les quatre sonates à mon répertoire et faisais des
récitals mono-thématiques quand après un
concert dans le théâtre St Bonnet à Bourges
nous avons eu l'idée de les graver. Ayant deux jours de
libre après le récital, nous avons contacté
l'ingénieur du son Philippe Petit, qui a réussi
à dégager de son planning ces deux jours et venir
à Bourges. Ainsi est né ce nouveau CD.
Pourquoi ce titre : " Neuvième
vague " et comment en avez-vous déterminé
le programme, pourquoi l'avez vous limité à ces
quatre sonates alors qu'il semble rester un peu de place sur le
deuxième CD pour une autre sonate, je pense notamment à
une autre célèbre sonate qui a aussi un titre :"Appassionata"
?
La "Neuvième Vague" marque la création
d'un nouveau label "Maestria records". Ce titre m'est
venu à l'esprit tout naturellement. J'étais en train
de chercher une illustration qui pourrait englober les titres
de sonates (Pathétique, Tempête, Clair de Lune...)
quand je me suis rappelé le chef d'oeuvres d'Hovanness
Aïvazovsky - un célèbre peintre arménien
qui s'était spécialisé dans les images de
la mer. Faisant une recherche je suis tombé sur ce tableau
"Neuvième Vague" qui est exposé à
l'Ermitage de Saint-Petersburg. J'étais littéralement
subjugué par les couleurs et la beauté de ce tableau.
Je voyais une Tempête au Clair de Lune et une sorte de radeau
de la méduse avec les naufragés Pathétiques...
Ce tableau ne m'a pas laissé de choix. Puis son titre "Neuvième
Vague" - Je trouvais ça très symbolique, car
il s'agit de mon neuvième enregistrement.
En ce qui concerne de rajouter une sonate, j'ai toujours conçu
mes disques comme des récitals et la cinquième sonate
aurait été de trop. Même si l'Appassionata
fait partie de mon répertoire, je l'ai volontairement exclue
de ce cd en me disant que cela me donnera un point de départ
pour un de mes prochains cds.
La première sonate de votre disque,
a pour titre " Grande sonate pathétique "
en quoi ce titre qui n'a pas été donné par
Beethoven lui-même vous semble-t-il ou non bien adaptée
à cette oeuvre ?
Nous savons très bien que Beethoven était très
loin de ce qu'on peux appeler aujourd'hui "Marketing".
La Musique avant tout !!! Pathétique !!! Le plus
difficile dans cette oeuvre c'est ne pas l'être soi-même,
car la limpidité du matériel peut tromper plus d'un.
C'est une sonate très complexe, et même si c'est
une oeuvre de jeunesse et qu'elle peut avoir des lueurs de ressemblance
avec la Fantaisie et Sonate en do mineur de Mozart, le Grand Beethoven
est déjà là. Grande Sonate Pathétique
(elle fait à peine 20 min )- à cette époque
ils étaient loin d'imaginer que quelques années
plus tard il allait écrire le Hammerklavier. C'est une
oeuvre qui me poursuit depuis mon enfance, car j'ai ouvert pour
la première fois cette partition quand j'avais 8 ans et
j'ai une tendresse particulière envers elle.
La sonate "Clair de lune "
a été envoyée par la Nasa vers une étoile
explique l'auteur de votre livret, Franck Ciup, en quoi cette
sonate vous semble-t-elle mériter un tel sort, être
représentative de notre civilisation ?
La sonate "Clair de Lune" fait partie de ces
quelques échantillons de notre civilisation qui ont été
réunis dans un satellite et envoyé dans l'espace
sans une destination précise en espérant qu'un jour
et si une vie parallèle ou future extraterrestre existe,
ceux qui le trouveront auront une idée de notre civilisation
(il faut encore qu'ils aient des lecteurs cd !!!). C'est une des
pages les plus profondes (1er mvt), ou les plus enjoués
(2nd mvt) ou les plus fous (3 mvt) qui ravissent le public et
fatiguent le pianiste. Dans une forme de sonate classique nous
trouvons 4 mouvements : un Allegro, un Adagio (ou Andante), un
court Scherzo et une Finale. Dans la sonate "Clair de
Lune" j'ai l'impression que Beethoven volontairement
"occulte" le premier mouvement et commence sa sonate
directement par le second mouvement. Je crois que tout être
qui a fait du piano dans sa vie a déjà essayé
de jouer tant bien que mal ne serait-ce que les deux premières
mesures. Moi-même je n'ai pas échappé à
cette tentation. Mais plus le temps passe et plus je crois que
cela fait partie des pages les plus difficiles de l'histoire de
la musique malgré son évidente simplicité.
Interrogé sur la sonate op31 n°2,
Beethoven a conseillé de lire "La Tempête"
de Shakespeare, vous-même l'avez vous lu et cela vous semble-t-il
utile pour votre interprétation de cette uvre ?
Les bruits courent dans le petit milieu des musicologues que
ce conseil Beethoven le donna pour expliquer l'Appassionata .
Je suis persuadé que tout ce que Beethoven voulait qu'on
sache pour la comprendre se trouve dans la partition. Encore une
forme atypique, surtout le premier mouvement. Les passages les
plus méditatifs s'enchaînent d'une manière
soudaine avec des éclats de fougue sans égal. Une
chose très intéressante : Beethoven marque une pédale
de 3-4 mesures en demandant surtout ne pas la changer. Ceci crée
une sorte de malaise sonore absolument génial et sans précédent.
J'ai essayé de m'effacer le plus possible afin de laisser
la musique de Beethoven parler à sa juste valeur, à
ma place. Plus j'avance dans ce métier et plus je suis
persuadé que nous détériorons les oeuvres
des Grands de ce monde en leur imposant notre personnalité,
car cette musique contrairement à nous est éternelle.
Si seulement nous étions à la hauteur de ce qu'on
joue...
La sonate "Pastorale",
notamment son mouvement andante, a été selon Czerny
longtemps la sonate préférée de Beethoven
est-elle aussi votre sonate préférée
?
Oh oui, c'est ma préférée !!! Je ne saurais
même pas en expliquer les raisons. La seule chose que je
sais, ce qu'elle m'accompagnera jusqu'à ma tombe. C'est
un message de paix. Par ailleurs, si on me demandait mon avis,
c'est cette sonate que j'aurais envoyée dans l'espace.
Ce qui interroge, c'est le refus total (à part les 10 secondes
finales) de mouvement rapide et passionné. Comme si le
temps prenait un suspend et que la nature écoutait au lieu
d'agir. La seule chose que je déteste dans cette sonate,
c'est qu'elle a une fin...
Depuis votre précédente
interview, en 2005, il me semble que vous avez réalisé
votre rêve de devenir chef d'orchestre pouvez-vous
en parler ?
En effet, j'ai fini par réaliser mon rêve d'enfance
et la raison de toute ma vie. Ce n'est pas nouveau, je dirige
depuis l'âge de 15 ans. Pendant 2 ans je fus à la
tête de l'orchestre de chambre des jeunes dans ma ville
natale. Malheureusement en arrivant en France je n'ai pas pu intégrer
la classe de Direction au conservatoire à cause de la langue.
A l'époque je ne parlais pas Français et la première
épreuve incluait un commentaire sur écoute et une
analyse. J'ai donc rendu des copies blanches car je ne comprenais
même pas la question pour y répondre. Par la suite
j'ai démarré la carrière de pianiste et le
temps m'a fait défaut pour reprendre la direction. Ce qui
n'a pas empêché que je continue à travailler
par mes propres moyens en rencontrant, discutant, participant
à des répétitions et prenant des conseils
des chefs avec qui je jouais des concertos. C'est suite à
cela que j'ai eu l'immense honneur de participer à une
master-classe de Kurt Masur et oser m'imposer dans cette voie.
Aujourd'hui tout mon acharnement a porté ses fruits car
après avoir dirigé plusieurs orchestres en France
et l'étranger j'ai été nommé chef
principal à l'orchestre de Caen, avec lequel je me suis
déjà produit quelques fois. Je commence officiellement
avec eux en septembre prochain dans un programme Tchaikovsky.
En tant que pianiste , quels sont vos
prochains concerts ?
Contrairement à ce qu'on peut croire, je ne vais pas
pour autant délaisser le piano au profit de la direction.
Je compte bien de mener de front les deux. Ainsi je suis en train
de réfléchir au programme de mon prochain disque
et suis heureux de faire prochainement mes débuts avec
l'Orchestre de Paris sous la direction de Paavo Jarvi. Par ailleurs
je ferai plusieurs apparitions en récital et musique de
chambre dans plusieurs festivals.
Pour écouter
le second mouvement de
la sonate op.28
"Pastorale"
- andante
Beethoven
par Vahan Mardirossian
avec l'aimable autorisation
du label Maestria
cliquez sur le triangle du lecteur ci-dessous
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