Florian Billot PARIS 1884 1959 PIANO

Nouveau ce disque, très apprécié des internautes de pianobleu.com fait parti des "Disques de l'été 2014"

Paris 1884-1959
Florian Billot, piano

César Franck (1822-1890)
Prélude,Choral et Fugue (1884)

Maurice Ravel (1875-1937)
Pavane pour une infante défunte (1899)

Claude Debussy (1862-1918)
L'Isle joyeuse (1904)

Dutilleux (1916-2013)
Sonate pour piano (1946-48)

Francis Poulenc (1899-1963)
Improvisations n°15 " Hommage à Edith Piaf" (1959)

Le pianiste Florian Billot, que l'on avait pu découvrir en 2009 lors de la sortie de son disque "carte de visite" , poursuit un beau parcours depuis cette date. Il a notamment enregistré un disque d'oeuvres de Schumann, Chopin, et Liszt, et voici ce nouveau disque qui parait sous le label Aparte. Cette fois, lui qui n'est pas né à Paris mais pas bien loin : à Laon (en Picardie), met en regard cinq compositeurs dont les oeuvres ont marqué la capitale dans un programme chronologique d'oeuvres écrites entre 1884 et 1959 . Un disque au programme varié, qu'il a mûrement réfléchi, comme vous pourrez vous en apercevoir dans l'entretien qui suit, et qu'il présentera ce 23 janvier 2014 lors d'un concert bien sûr à Paris !

Gabriella Oliveira Guyon, auteur du livret, explique que " la vie musicale de la fin du 19ème siècle à Paris renaît grâce à un nouvel essor de la musique française en réaction à la suprématie germanique. Ainsi, la Société Nationale de musique , grande actrice de ce renouveau, est fondée en 1871 par de nombreux compositeurs dont Faure et Franck."
Et l'on peut donc comprendre qu'après d'être particulièrement consacré au répertoire romantique germanique, Florian Billot lui aussi s'oriente vers la musique française et choisisse de dans son disque de mettre en résonance différentes esthétiques de cette époque musicale.

C'est notamment l'occasion de (re)découvrir l'unique sonate pour piano du compositeur, décédé l'année dernière, Henry Dutilleux. Il parait que le compositeur la considérait comme son opus 1, faute de pouvoir la renier par la suite, car il la trouvait différente de son style qui avait évolué. Quelques années avant Ravel avait aussi été très critique envers sa propre " Pavane pour une infante défunte" qui est également au programme de ce disque, et pourtant l'on sait le succès qu'elle a connu. Quant à la sonate de Dutilleux elle a de nombreuses qualités bien originales même si l'on peut y retrouver quelques caractéristiques communes avec le "Prélude, Choral et Fugue" de Franck qui débute ce disque, composé en 1884, plus de soixante ans plus tôt . Le sentiment d'angoisse de son premier mouvement est aussi plus proche de celui de sonates russes composées dans cet intervalle. Le second mouvement est lui encore plus moderne et original. Quant au troisième mouvement "Choral et variations" , c'est surtout le choral qui le rapproche de l'oeuvre de Franck, et comme Saint Saens considérait déjà que le choral de l'oeuvre de Franck n'en était pas un, on peut se demander ce qu'il aurait pensé de celui de Dutilleux et de ses variations particulièrement inventives !

En fait mieux vaut laisser de côté les critiques sur ces oeuvres qu'elles viennent de leurs propres auteurs ou pas ! Et Florian Billot qui a construit ici un programme très original, porte l'auditeur d'émotions en émotions contrastées, ainsi fait-il suivre cette sonate d'un " Hommage à Edith Piaf" , improvisation écrite en 1959 par Poulenc, qui semble plus ancienne en fait que la sonate de Dutilleux mais termine ce disque avec une douceur apaisante après les multiples chaos traversés lors de la sonate. Comme quoi il ne serait pas si simple de définir la musique française de cette époque et c'est sans nul doute ce qui en fait son intérêt, comme celle d'aujourd'hui : sa diversité !
Pour commencer ce beau voyage, qu'on aurait donc certes pu imaginer plus long mais limité par les contraintes du disque, vous pourrez écouter plus bas dans cette page le premier mouvement de l'oeuvre de Franck , ce qui vous permettra d'apprécier la grande qualité de l'interprétation de Florian Billot, dans ce morceau dit " d'une exécution disgracieuse et incommode" par Saint Saens, et la grâce semble, pourtant, elle , être bien présente dans son jeu plein d'élégance, aux couleurs parfaitement nuancées. Oui, on aimerait que le disque se prolonge encore...

Comment votre répertoire a-t-il évolué depuis notre entretien en 2009 et quels ont été les principaux évènements de votre carrière depuis ?

Même si je ne ferme pas la porte à d’autres époques, mon répertoire s’inscrit principalement dans les périodes romantique et moderne. Ce siècle et demi constitue, au regard de l’histoire de la musique, une bien courte période mais représente une véritable ère musicale de par son abondance et sa riche diversité.
J’ai enregistré en 2010 un disque consacré aux Kreisleriana de Schumann, accompagnées par quelques œuvres de Chopin et Liszt. À l’aube de 2011 (« l’année Liszt »), 2010 célébrait le bicentenaire de la naissance de Chopin mais aussi celle de Schumann. Malheureusement occulté par la forte notoriété de Chopin, j’ai souhaité consacrer la majeure partie de cet enregistrement au génie allemand. 
J’ai aujourd’hui le plaisir, grâce au soutien du même mécène (Coprecs) et à la confiance du label Aparté, d’enregistrer un 3ème opus consacré cette fois-ci à la musique française composée entre 1884 et 1959, un panel varié mêlant modernité et respect des « Anciens ».

Vous indiquiez que vous appréciez de devoir parfois donner des cours en remplacement du pianiste Irakly Avalioni - qui a été un de vos professeurs - lorsqu’il s’absentait pour ses concerts, avez-vous encore souvent l’occasion de le faire ou bien donnez-vous désormais régulièrement vos propres cours ?

Cela fait maintenant une quinzaine d’années que j’exerce le métier de pédagogue, mais il est vrai que c’était auparavant de manière plutôt ponctuelle. Je me trouve aujourd’hui dans la situation d’Irakly car j’ai ma propre classe, et c’est alors à mon tour, si besoin, de me faire remplacer pour assurer mes engagements de concerts.
Enseigner est primordial. Il serait vain et égoïste de garder pour soi les richesses des enseignements reçus. Les transmettre est aussi une manière de valoriser l’apprentissage musical et de tenter de faire grandir la place de la musique dans notre société.

Votre disque « carte de visite » paru en 2009 ne comportait aucune œuvre du répertoire français, or ce nouveau disque est exclusivement consacré à des œuvres "parisiennes" de 1884 à 1959, pourquoi ce choix de lieu et ces dates ?

Le choix des œuvres repose sur l’émotion qu’elles me procurent, la force qu’elles dégagent, et sur l’envie de les défendre à un moment donné. « Prélude Choral et Fugue » est la première œuvre du disque et représente aussi la base de la composition de ce programme. César Franck a joué un rôle important au sein de la Société nationale de Musique en prenant sa présidence. Une société créée pour promouvoir les œuvres des artistes français, je souhaitais alors regarder devant, plutôt que de me plonger dans « l’avant Franck ».  J’ai alors tout de suite pensé à la sonate de Dutilleux. Après ces 2 pièces volumineuses, il me fallait compléter le programme par des pièces plus courtes, d’où la Pavane pour une infante défunte de Ravel, l’Isle joyeuse de Debussy et l’improvisation n°15 « Hommage à Edith Piaf » de Poulenc .

Contrairement aussi à votre disque carte de visite qui comportait essentiellement des œuvres miniatures, vous avez aussi choisi des œuvres plus vastes, outre l'oeuvre de Franck, la sonate de Henri Dutilleux (écrite entre 1946 et 1948), compositeur disparu l’année dernière. Qu’appréciez–vous particulièrement dans cette œuvre et que pensez-vous de la façon dont les medias ont parlé de la disparition de ce compositeur ? Est-ce une de raisons pour laquelle vous avez eu envie de faire « renaître » cette œuvre ?

Equilibrant forme classique et langage moderne, cette Sonate me passionne. Même si Dutilleux recommandait aux pianistes de ne jouer que le 3ème mouvement « Choral et Variations » car il constitue en quelques sortes les 4 mouvements d’une sonate, la richesse des 2 précédents mouvements est telle que sur ce disque, les écarter aurait été à mon sens une erreur.
Nous avons perdu une des principales icône de la Musique. Sa disparition récente n'a pas eu l'écho que méritait sa dimension. Mais déjà fort joué de son vivant, il est certain que Dutilleux traversera les siècles par la richesse de sa créativité, toujours habitée par un sens  profondément organique.

Au sujet de l' œuvre de Franck (composée en 1884) soit 60 ans plus tôt, Saint Saens a déclaré : « que c’était un morceau d’une exécution disgracieuse et incommode, où le choral n’est pas un choral, où la fugue n’est pas une fugue[…] », outre cette forme de choral que l’on retrouve dans ces deux œuvres, ces oeuvres ont-elles d'autres similitudes ? Et que pensez-vous de cette réflexion de Saint Saens ?

Le concept général d’écriture du « Prélude Choral et Fugue » de Franck est assez proche de celui de Dutilleux dans sa sonate, tous deux basés sur des formes anciennes. Son nom évoque immédiatement J.S Bach et ses préludes et fugues. D’après Vincent d’Indy, le Choral ne se serait d’ailleurs greffé qu’après avoir composé le Prélude et la fugue. Apporter un langage nouveau dans une contrainte de forme déjà existante et expérimentée dans le passé est un défi de taille.
Quant à son exécution pianistique, Saint-Saëns n’est pas le seul à y trouver des embûches. Elle propose un équilibre différent et pousse à la remise en question. Ce n’est cependant pas une raison suffisante pour émettre un jugement sur sa valeur. Même si Saint-Saëns était connu pour son côté conservateur, sa remarque sur la forme me semble aussi très excessive. La fugue n’est pas une « fugue d’école », mais on ne peut ignorer son équilibre et la tension qui s’en dégage, accrue par l’utilisation de la forme cyclique dont Franck est le père.
De plus, le compositeur du « Carnaval des animaux » s’est vu remplacé par Franck à la présidence de la Société Nationale de Musique. Son jugement sur cette œuvre ne dépasserait-il pas la pure et simple critique musicale ?

 Ravel fut lui-même très critique sur sa « Pavane pour une infante défunte  » que vous avez également choisie, déclarant : « j’en perçois fort bien les défauts, l’influence de Chabrier, trop
flagrante et la forme assez pauvre » … que pensez-vous de cette auto critique ?

Les compositeurs se montrent souvent très réservés quant au début de leur vie créatrice. Ce fut le cas pour Ravel mais aussi pour Dutilleux. Trop d’influences viendraient polluer leurs œuvres, ne proposant pas, à leurs oreilles, une matière qui leur est véritablement propre. Les compositeurs sont-ils toujours les mieux placés pour juger de la qualité de leurs œuvres ? On peut s’interroger aussi sur l’autocritique des instrumentistes et de leurs interprétations. Le jugement restera, quoi qu’il arrive, très subjectif. Comme tout grand compositeur, la recherche de l’absolu est permanente. L’équilibre doit être parfait.
Cependant, même si la construction est simple (refrain-couplet-refrain-couplet-refrain), la force est là. Le succès de cette pièce est universel. De plus, Ravel propose une version orchestrale en 1910. N’est-ce pas tout de même une manière d’apprécier une œuvre que de vouloir s’y replonger quelques années plus tard ?

Elle est très différente de l’"Isle joyeuse" de Debussy dont vous la faites suivre, cela peut sembler une curieuse association , en quoi vous semblait-il intéressant de les jouer l’une après l’autre plutôt que de la jouer avec « Masques » écrite aussi par Debussy et qu’on associent souvent ensemble ?

L’idée était de pouvoir mener progressivement l’auditeur à la sonate de Dutilleux, en proposant un panel d’œuvre de musique française. Placer alors cette pièce juste avant la sonate me semblait le plus adapté. Masques fait aussi parti de mon répertoire, mais face aux imposants « Prélude Choral et Fugue » et à la « Sonate » de Dutilleux, je souhaitais donner une place « égale » à Debussy,  Ravel et Poulenc. Même si elle est souvent associée à Masques, l’Isle joyeuse est riche et variée et à mon sens, se suffit à elle même.
Bien d’autres œuvres sont exceptionnelles et font l’objet d’un grand désir d’interprétation, mais la contrainte matérielle existe aussi… En effet, le disque ne peut comporter  2h de musique !

Vous terminez ce disque avec la dernière improvisation de Poulenc en hommage à Edith Piaf, peu connue, est-ce une pièce que vous avez jouée souvent en bis lors de vos concerts en 2013, où l’on célébrait à la fois le cinquantenaire de Poulenc et Piaf . Et que pensez-vous des mélodies de Poulenc et des chansons de Piaf, écrites dans la même périodes, ont-elles ou non des caractéristiques communes ?

J’ai découvert cette pièce en 2000 avec mon professeur Géry Moutier, qui m’avait conseillé de l’interpréter en guise de bis après le 2ème concerto de Rachmaninov.
J’en ai gardé le souvenir et lui ai donné cette place dans ce disque. Sa fraîcheur apporte un souffle différent. Malgré son titre « Improvisation », c’est une œuvre très écrite. Après la courte introduction, le thème est ouvert dans un tempo très lent pour brusquement trouver le tempo principal. Ces indications d’interprétation peuvent rappeler légèrement le refrain de Milord de Piaf, composé aussi en 1959. Par sa sobriété harmonique, cet hommage à Piaf et la chanson française d’après guerre diffère avec ses mélodies sur les textes de Guillaume Apollinaire par exemple.
Faisant un cours hommage à Poulenc, il m’était cher de choisir une pièce faisant allusion au chant, à la Mélodie, dont Poulenc excellait dans l’écriture.

Qu’est-ce qui vous a tenu le plus à cœur dans l’interprétation de ce disque ?

L’idée générale est de proposer un éventail d’œuvre de musique française. S’imprégner d’écritures très variées, modifier son jeu en fonction de l’œuvre et de son sens, trouver une cohérence dans l’unité du programme, ces points d’attention font l’objet d’un travail constant. Actuellement, je préfère proposer sur un disque, une variété d’œuvre de différents compositeurs qu'un ensemble de pièce d’un même auteur.
Chacune de ces pièces renferme leurs secrets. Elles demandent toutes réflexions, et la difficulté d'interprétation d'une œuvre n'est pas toujours proportionnelle à sa durée. Cependant, les œuvres polyphoniques telles que « Prélude, Choral et Fugue » demandent une concentration particulière. L’ampleur de la Sonate de Dutilleux, par l’harmonie, sa variété et sa durée est aussi un riche et vaste travail. Maintenir la tension pour respecter l’œuvre dans son unité me semble être une des entreprises les plus conséquente à réaliser.

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