Glinka / Balakirev
Une vie pour le Tsar
Balakirev
Sonate pour piano en si bémol mineur
Glinka / Balakirev
L'alouette
Balakirev
Islamey
La pianiste japonaise Etsuko
Hirose qui vit en France depuis l'âge de quinze ans, est désormais
bien connue du public de la Folle journée de Nantes où
elle a joué souvent et c'est dans le cadre de celle-ci que ce
nouveau disque qui parait chez le label Mirare a été enregistré.
Une Folle journée qui en 2012 avait pour thème "Le
sacre russe de Rimsky Korsakov à Chostakovitch"...
Le compositeur Mily Balakirev (1837-1910) est le fondateur et l'animateur
"aussi efficace et dévoué que dictatorial "
du Groupe des Cinq, et dont précisément faisait parti
Rimsky Korsakov mais Balakirev assez curieusement est aujourd'hui oublié.
Outre le Groupe des Cinq, Balakirev, issu lui-même d'un milieu
social pauvre fonda et codirigea aussi à partir de 1862 l'école
gratuite de musique dont le but était de mettre l'enseignement
musical à la portée de toutes les classes sociales indique
l'auteur du livret André Lichke, musicologue spécialiste
de la musique russe. C'est sa rencontre dès l'âge de 18
ans avec le compositeur Glinka auquel il soumit une fantaisie pour piano
sur des thèmes de "La vie pour le Tsar", qu'il
remania par la suite, qui détermina le but qu'il se fixa alors
de poursuivre l'oeuvre que Glinka avait entamée : l'élaboration
d'une école musicale russe... .
La vie créatrice de Balakirev fut intense dans ses années
de jeunesse pour connaître une éclipse totale dans les
années 1870, puis un retour progressif à la créativité
après 1880. Ses compositions sont essentiellement centrées
sur quelques tonalités de prédilection ainsi celle en
si bémol majeur qu'il utilisa dans sa sonate, une sonate qu'il
remania plusieurs fois de 1850 à 1905 et d'inspirations multiples
explique Etsuko Hirose qui a bien voulu répondre également
à quelques questions au sujet de son disque.
Les oeuvres de Balakirev sont peu connues sans doute pour la raison
qu'elles sont très difficiles à jouer ainsi "Islamey"
qui eu longtemps la réputation d'être l'oeuvre la plus
difficile jamais écrite pour le piano et dont Ravel par la suite
releva le défi technique en déclarant vouloir faire plus
difficile encore avec le "Scarbo" de Gaspard de la
nuit. Vous pourrez écouter plus bas dans cette page non pas cette
oeuvre célèbre mais la Toccata composée en 1902
par Balakirev, donc des années après Islamey et encore
un défi technique, ne vous fiez pas au thème initial !
On rapproche à raison les oeuvres de Balakirev à celles
de Liszt et Chopin mais vous constaterez que cette pièce de la
fin de la période créatrice de Balakirev est aussi bien
personnelle et avant tout russe ! Un monde où nous transporte
sans peine la pianiste Hitsuko Hirose qui considère qu'il y a
plus difficile à jouer et confie que "interpréter
la musique de Balakirev c'est s'immerger, s'engager dans son monde
L'uvre de Balakirev a besoin de l'amour de son interprète
qui se sent bien récompensé lorsqu'il réunit les
innombrables notes à la poésie inspirée du compositeur."
Votre
disque a été enregistré en direct pendant la Folle
Journée de Nantes. Comment avez-vous vécu ce (ou ces)
concerts par rapport aux concerts non enregistrés ?
Ce disque est un mélange d'enregistrements Live et de sessions
d'enregistrements effectués entre mes concerts donnés
à Nantes, car y figurent des uvres que je n'ai pas jouées
au cours de la Folle Journée de Nantes de 2012. L'ambiance de
la folle journée me passionne, on y sent l'effervescence, la
curiosité des auditeurs, la proximité entre le public
et l'interprète, et je ressens très fortement les réactions
du public ce qui, en retour, m'inspire et me soutient énormément
Je considère que la musique ne va pas à sens unique mais
se crée avec le public, dans un partage de moments uniques. Pour
cette raison, et malgré la pression de l'enregistrement Live,
j'ai réussi à garder une bonne concentration et à
graver sur ce disque mes passions inspirées par le public nantais
Quand avez-vous découvert la musique
de Balakirev, que pensez-vous de ce compositeur ?
Depuis quelques années, je jouais régulièrement
en concert Islamey et d'autres pièces de Balakirev, compositeur
raffiné, imaginatif, d'une exigence folle vis-à-vis de
lui-même, qui a laissé une uvre musicale concentrée,
d'une force expressive rare, encore trop peu connue. L'écriture
de Balakirev est dense, complexe, polyphonique, ce qui en rend l'interprétation
très difficile. Mais derrière ces grandes exigences techniques,
Balakirev a réussi l'alliance entre la virtuosité extrême
et l'expressivité, ce qui donne à ses uvres une
humanité et une beauté indicibles.
Interpréter la musique de Balakirev c'est s'immerger, s'engager
dans son monde il faut sentir et savourer la moindre note, sinon
s'instaure une relation distante et superficielle L'uvre
de Balakirev a besoin de l'amour de son interprète qui se sent
bien récompensé lorsqu'il réunit les innombrables
notes à la poésie inspirée du compositeur.
Les variations de Balakirev sont réalisées
à partir de deux thèmes, dont l'un n'apparaît qu'au
milieu de la pièce, et se situent en fait entre la paraphrase
d'opéra et les véritables variations qui habituellement
sont sur un thème. Que pensez-vous de cette forme originale basée
sur deux thèmes qu'il a aussi semble-t-il utilisée pour
l'Alouette, construite à partir de deux thèmes ?
Je considère plutôt que Balakirev a ajouté une
petite introduction avant de commencer ses paraphrases, dans l'esprit
même de l'art de la transcription lisztienne. Balakirev ira encore
plus loin que Liszt, dans ce domaine, en élargissant la capacité
pianistique et la palette sonore, faisant entendre le son de la balalaïka,
de l'orchestre, du chur des paysans, et des chants profonds, superposés,
multicolores, aux ornements flamboyants.
La pièce " L'Alouette " de
Glinka/Balakirev fait beaucoup penser à des uvres de Liszt,
or, comme les variations sur " Une vie pour le Tsar ", Balakirev
a revu ses pièces qu'il avait écrites en 1850 en 1899.
Savez-vous si en 1850 ces pièces étaient déjà
aussi proches de la musique de Liszt dès 1850 ? Et y a-t-il une
explication particulière à cette forte influence de la
musique de Liszt sur Balakirev ?
Balakirev a beaucoup été inspiré par ses prédécesseurs,
Glinka, Chopin, et surtout Liszt qui a influencé sa vocation
pour la virtuosité pianistique et la forme du poème symphonique.
De Liszt, il a également hérité sa " philosophie
". Balakirev considérait que chaque note doit avoir un sens,
une émotion, une raison d'être comme Liszt, qu'il
avait beaucoup étudié, et qui considérait que "
la virtuosité est un moyen de sublimation " et que "
la musique est une succession de sons qui se désirent mutuellement,
qui s'embrassent et qui ne doivent pas être enchaînés
à coups de baguette " Je pense aussi que la proximité
de ces deux compositeurs tient au fait qu'excellents pianistes, ils
étaient capables d'improviser parfaitement, à tout moment,
et sur n'importe quel thème.
Que pensez-vous aussi du fait que Balakirev
était attaché à certaines tonalités, et
qu'en est-il précisément dans les uvres de votre
disque, sont-elles effectivement dans ces tonalités ?
Balakirev était attaché aux tonalités de Ré
bémol majeur et si bémol mineur, qui comportent cinq bémols,
notamment dans ses compositions pour piano. Ces tonalités sont
plus ou moins présentes dans les uvres de mon disque, ce
qui lui assure une certaine unité, mais j'ai pris soin de choisir
des uvres de caractère varié, qui reprennent des
tonalités romantiques, avec un côté majestueux (Ré
bémol) et un côté mélancolique (si bémol),
ces deux tonalités coïncidant avec le caractère de
Balakirev.
Islamey a eu longtemps la réputation
d'être l'uvre pour piano la plus difficile. Que pensez-vous
aujourd'hui de sa difficulté technique par rapport à d'autres
uvres écrites depuis (notamment Scarbo de Ravel) ou même,
en fait, de pièces écrites avant Islamey ? Vous a-t-elle
demandé un lourd travail ? Lequel ?
Personnellement, je trouve qu'Islamey est une uvre beaucoup
plus difficile que Scarbo. Mais il existe des uvres encore plus
difficiles, et qui exigent beaucoup plus de travail qu'Islamey.
La structure d'Islamey est à la fois répétitive,
chargée, et l'interprétation peut glisser assez facilement
vers une démonstration fastidieuse de virtuosité ! La
vraie difficulté de cette pièce est de transcender tous
ces problèmes techniques et d'exprimer le sens original d'Islamey,
à savoir l'émerveillement de Balakirev, lors de son voyage
en 1863 dans une région du Caucase, pays qui l'impressionna par
la beauté majestueuse de sa nature luxuriante Séduit
par l'exotisme du pays, Balakirev déploie dans cette uvre
son sens de la couleur et de la virtuosité, en contraste avec
la sensualité et la poésie du deuxième thème,
tiré d'une chanson de mariage tartare.
Balakirev n'a composé qu'une sonate ;
que pensez-vous personnellement plus particulièrement de cette
uvre par rapport à ses autres pièces et aux sonates
d'autres compositeurs ?
L'originalité de cette sonate tient tout d'abord au fait que
le 1er mouvement commence par une Fugue, sur un thème slave de
long souffle qui évoque la musique de Borodine. Le 2ème
mouvement est une Mazurka ; c'est la seule sonate pour piano, de la
littérature romantique, à utiliser une mazurka, plutôt
qu'un scherzo ou un menuet. Fortement rythmé, habilement varié
et modulé, c'est un rappel kaléidoscopique d'images de
fêtes villageoises russes. Dans le 3ème mouvement, un motif
lyrique se fait entendre sur des arpèges chopiniens joués
à la main gauche. Le finale est une danse frénétique,
caractérisée par des syncopes qui recèlent une
sorte d'anxiété, en alternance avec des parties lyriques
généreuses. Après le feu d'artifice fougueux, d'une
virtuosité ahurissante, la sonate s'achève dans une atmosphère
méditative, et la manière dont la musique retourne au
silence, avec une seule note à la basse, évoque la Sonate
de Liszt .
Quels sont vos prochains concerts et autres
projets ?
Je joue en octobre le Concerto "Jeunehomme " de Mozart,
avec l'Orchestre de NHK à Tokyo, le 3ème Concerto de Beethoven
avec le Sinfonia Varsovia à Varsovie, et j'effectue ensuite une
tournée en Turquie
Pour écouter
Mily Balakirev
Toccata
Etsuko Hirose, piano
avec l'aimable autorisation
du label Mirare
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous