Bach Art de la fugue Cédric Pescia PIANO

Jean-Sébastien Bach
L'Art de la fugue (BW1080)
Cédric Pescia, piano

L'on avait pu découvrir le pianiste Cédric Pescia dès 2006, lors de la parution de son premier disque consacré à des oeuvres de Schumann, mais auparavant, en 2004, il avait enregistré un disque des "Variations Goldberg" de Jean-Sébastien Bach, un compositeur qu'il déclarait avoir "le plus fréquenté". Depuis il a enregistré nombreux disques, que vous avez pu découvrir sur pianobleu.com et, voici dix ans plus tard, ce très beau disque, qui parait sous le label Aeon, où il revient au compositeur dont on peut dire que la musique, et notamment l'Art de la Fugue, constitue son pain quotidien depuis presque vingt ans, ainsi le confie-t-il à l'occasion d'un nouvel entretien à lire ci-dessous.

Mais au fait fait qu'est-ce qu'une fugue précisément , et notamment comment Bach la concevait-il ? Le musicologue Philippe Albéra, qui a écrit le texte du livret de son disque l'explique de manière aussi claire que possible aussi est-il intéressant de rapporter ces propos : " "La fugue est une forme d'écriture rigoureuse qui appelle la concentration. Bach l'a pratiquée tout au long de sa vie avec une fantaisie sans cesse renouvelée. Elle repose sur un sujet qui génère l'ensemble de la composition et, dans l'Art de la fugue, l'ensemble même du recueil. Toutes les figures sont déduites de cette matrice originelle et en exploitent les multiples possibilités de transformation et de combinatoire. Le sujet d'une fugue n'est donc ni un thème au sens de la musique classico-romantique, ni une mélodie ; c'est une structure destinée à s'incarner de différentes manières et dans différents contextes au cours du morceau. Dans l'Art de la fugue, le sujet initial sera renversé (n° 3, 4, 5, etc.), pointé (n° 2, 5, 6, 7), morcelé (n° 10, 11), fleuri (n° 9, 13), varié (n° 8, 14), traité en augmentation et en diminution rythmiques  (n° 12, 14), dans l'esprit de la variation (toutes ces figures transformées sont démultipliées à l'intérieur de chacune des fugues et dans les canons)."
Il parait que tout le monde s'accorde aujourd"hui à considérer cette oeuvre comme "un monument de l'histoire musicale", bien qu'elle demeure incomplète et laisse diverses énigmes non résolues, comme notamment le fait que la dernière fugue soit inachevée. Elle a longtemps circulé dans les seuls milieux professionnels car était considérée uniquement comme une oeuvre pédagogique et parfois considérée aussi pour être jouée par plusieurs instruments du fait de son écriture sur quatre clés différentes afin de distinguer les voix, ce qui en fait était courant à cette époque, chaque voix étant ici chargée à part égale du sens musical. Son organisation qui va du plus simple au plus complexe a aussi contribué à cette réputation d'oeuvre pédagogique. Mais bien d'autres caractéristiques de ces pièces, qui montrent encore toute l'étendue de l'inspiration de Bach, qui va bien au delà d'un simple exercice technique logiquement structuré, font de celles-ci une véritable oeuvre d'Art à part entière, et nombreux autres compositeurs s'en sont inspirés par la suite. De fait on s'aperçoit aussi que ce qui est "le plus simple" est déjà complexe !
Cédric Pescia a choisi d'enregistrer sur son propre piano accordé spécialement pour cette oeuvre, afin d'en donner un timbre moins brillant, mais surtout à force de vivre depuis nombreuses années avec celle-ci, il donne une vie bien spécifique à chacune des voix. Oui des voix vivantes, chargées d'émotion, et ont donc une âme, ici conduites par un "chef de chœur " particulièrement adroit et sensible pour parvenir à leur faire offrir le plus beau des chants sur son piano, dans un belle harmonie sonore et un phrasé musical des plus mélodieux, que ce soit dans des fugues aux rythmes lent ou rapide. Ainsi vous pourrez écouter le contrepoint X plus bas dans cette page, exemple typique de contrepoint dont certains autres pianistes ne rendent pas la même émotion dans leur interprétation nettement plus mécanique. Un très beau double disque à vous procurer absolument !
Vous confiiez lors de notre premier entretien que Bach est le compositeur que vous ayez le plus travaillé, et votre premier disque lui était consacré (Variations Goldberg) pourquoi avez-vous attendu 10 années pour enregistrer à nouveau un disque consacré à une œuvre de ce compositeur , et peut-on dire que Bach est "votre pain quotidien "?
Oui, Bach est mon "pain quotidien" : depuis 20 ans il n'y a quasiment pas un jour où je n'ai pas joué une partie de l'Art de la fugue. Pour tout musicien, l'acte de rompre le silence, jour après jour, représente une responsabilité. Chaque matin la musique de Bach me permet de passer du silence (intérieur et extérieur) à l'univers des sons. C'est un acte presque mystique, une expérience intellectuelle, spirituelle et tactile (pour mes mains, aucune musique n'est plus agréable à jouer que la polyphonie de Bach).
Bien que je travaille l'œuvre depuis que j'ai 17 ans, je ne l'ai interprétée en public pour la première fois qu'à l'âge de 34 ans. C'est seulement après l'avoir jouée une vingtaine de fois que j'ai commencé à envisager de l'enregistrer. 
Considérez-vous « L’Art de la fugue » avant tout comme un recueil pédagogique ?
Oui, bien sûr, c'est un recueil pédagogique même si ce terme est un peu réducteur : l'Art de la Fugue est avant tout une œuvre prodigieusement inspirée, d'une fantaisie inouïe, d'une force tellurique. 
Cette œuvre va du plus simple au plus complexe , mais n’est-ce pas déjà complexe dès le départ ?
Ecrire des fugues semble avoir été pour Bach évident, on ne le sent jamais en difficulté ou en manque d'inspiration. 
Évidemment les fugues sont complexes à lire et à jouer, mais j'essaie de ne pas rendre cette complexité apparente, au contraire, je tente de rendre cette musique aussi naturelle, expressive et chantante que possible. 
Et quelles sont les principales difficultés de cette œuvre ?
La richesse polyphonique, l'indépendance de chaque voix, l'hétérogénéité de style et de caractère de chaque fugue (bien que toute l'œuvre soit dans une seule tonalité et basée sur un seul thème), l'apprentissage par cœur (j'ai appris chacune des voix isolément et toutes les combinaisons possibles des voix entre elles ; c'est un travail qui a duré des années; ce n'était pas du tout une fin en soi, seulement un moyen d'être plus près du mystère et de la grandeur de l'œuvre). Et aussi la nécessité de rester humble face à cette œuvre: cette musique ne se prête absolument pas à l'esbroufe; l'interprète n'est ici qu'un "passeur" qui doit transformer en sons (en émotions) les signes écrits par Bach. 
Avez-vous l’habitude de la jouer dans son intégralité ou partiellement ?
Je la joue dans intégralité et ne conçois pas d'en jouer seulement des extraits en concert, il s'agit d'une seule matière organique composée de 20 pièces indissociables
Ce recueil est organisé en contrepoint, fugues et canons, dont l'auteur du livret de votre disque donne une explication mais pourquoi sont-elles appelés "contrapunctus" (contrepoint) avant de prendre le nom de canons en cours de recueil ou fugue en fin de recueil ?
Les "titres" ne proviennent pour la plupart pas de la plume de Bach, mais des éditeurs. L'ordre des fugues et des canons n'a pas non plus été précisé par Bach et est laissé au libre choix de l'éditeur et de l'interprète. 
Bach n’a pas achevé son recueil, quelles sont aujourd’hui les interrogations qui restent au sujet de cette œuvre et les vôtres en tant qu'interprète ?
Nous ignorons pourquoi l'oeuvre n'est pas terminée. Des interprètes ou musicologues ont essayé de l'achever, certains avec grand talent. Néanmoins je préfère m'arrêter là où la plume de Bach s'est arrêtée. 
Cet inachèvement est bouleversant ; à la place de l'apothéose attendue, Bach prend congé de l'histoire de la musique (et de ses interprètes et auditeurs) sur la pointe des pieds. Je me suis habitué à cette "fin", elle fait pour moi partie intégrante de l'œuvre.
Vous avez choisi d’accorder votre piano Steinway d’une façon particulière, avez-vous fait cet accord vous-même et comment procéder vous pour un concert dans le cas où c’est une personne particulière qui vous l’a accordé ?
Je n'ai pas fait cet accord moi-même, c'est l'accordeur avec lequel je travaille depuis des années (et qui a restauré le sublime Steinway de 1901 qui est désormais en ma possession et que j'ai utilisé pour cet enregistrement) qui l'a mis au point et réalisé, après des recherches importantes et de nombreux essais. C'est un tempérament de type mésotonique.
Les avantages principaux de cet accord sont la présence de tierces naturelles (dans le cadre du tempérament égal habituel, les tierces sont altérées) et un chromatisme vraiment "coloré" (un pléonasme, mais il faut bien reconnaître que le chromatisme du tempérament égal n'est pas vraiment coloré....). 
Grâce à cet accord (et sans que l'accordeur n'intervienne sur les marteaux) le timbre de mon piano a été considérablement modifié : de caractère généralement brillant, il est devenu plus sombre. 
Cet accord était très inspirant pour moi et a sans aucun doute eu une influence sur mon interprétation, principalement au niveau de l'agogique et de l'expressivité des passages chromatiques. 
Cela étant dit, je joue aussi l'Art de la fugue sur des pianos accordés en tempérament égal : mon interprétation est alors différente et éclaire d'autres facettes (idem lorsque il m'arrive de la jouer à l'orgue ou au clavecin). L'œuvre est tellement riche qu'elle nécessite différentes approches.
Quels sont vos principaux concerts à venir et aurez-vous l’occasion d’y jouer totalement ou partiellement l’Art de la fugue ou d’autres œuvres de Bach ?
Je joue assez rarement en France : j'ai un concert le 26 mars 2014 à la Cité de la musique à Paris, j'y jouerai avec le pianiste allemand Severin von Eckardstein un des chefs-d'œuvre de la musique du 20ème siècle: Mantra de Stockhausen. 
Aucune exécution de l'Art de la Fugue n'est prévue en France pour le moment.

Pour écouter
Jean-Sébastien Bach
L'art de la fugue - Contrepoint X, a 4
Cédric Pescia, piano
avec l'aimable autorisation
du label
Aeon
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