Bela Bartok (1881-1945)
Deux images (1910) pour Orchestre
Transcription de Zoltán Kocsis pour deux pianos
Achille-Claude Debussy (1862 – 1918)
Jeux (1912 – 13) Poème dansé
Transcription de Jean-Efflam Bavouzet pour deux Pianos
Igor Stravinsky (1882 – 1971)
Le Sacre du printemps (1911 – 13) Ballet pour Orchestra Transcription du Compositeur pour Piano à quatre mains
Jean-Efflam Bavouzet, piano
François-Frédéric Guy, piano
Avec ce disque, qui paraît sous le label Chandos, nous découvrons une autre facette du pianiste François-Frédéric Guy , dont piano bleu et ses internautes suivent depuis nombreuses années les enregistrements. Ainsi à l'occasion d'un nouvel entretien ( à lire ci-dessous) au sujet de ce disque de transcriptions pour deux pianistes, il confie qu'il a failli bifurquer vers la direction d'orchestre dans les années 90 et, qu'étant finalement devenu pianiste, ces concerts de transcriptions sont en quelque sorte "sa thérapie" et lui permettent de garder le contact physique avec les œuvres pour orchestre. Il explique également qu'il partage, avec le pianiste Jean-Efflam Bavouzet, avec lequel il joue régulièrement, une passion totale et inépuisable pour l'exploration du répertoire pianistique et symphonique, ainsi que pour la création contemporaine, et que ce disque est un peu l'aboutissement de ce travail en commun mais aussi, l'espère-t-il, un début d'une future collaboration.
Il est parfois difficile de savoir si les transcriptions pour piano d'oeuvres orchestrales sont, quant à elles, leur aboutissement, ou au contraire à l'origine d'une oeuvre orchestrale, lorsqu'elles sont de la main même des compositeurs. A l'écoute de ces trois transcriptions pour deux pianistes nous pouvons tout autant imaginer les oeuvres orchestrales que les trois compositeurs
essayant leurs partitions au piano pendant
qu’ils étaient en train de les écrire, comme l'indique l'auteur du livret, Paul Griffith.
Certains compositeurs, réalisent eux-mêmes des transcriptions de leurs oeuvres, ainsi "Le Sacre du printemps", après ses premières
exécutions ( avec orchestre) à Paris et à Londres, en 1913 comme les deux autres oeuvres de ce disque, fut publié immédiatement dans sa version pour piano à quatre
mains, et c'est dans cette version qu'elle
devint connue pendant la première guerre mondiale. Jean-Efflam Bavouzet et François-Frédéric Guy ont choisi de jouer cette transcription, non pas sur un seul piano comme le prévoit la partition de Stravinsky lui-même, mais sur deux instruments. Jean-Efflam Bavouzet s'en explique dans une autre partie du livret : "La densité de l’écriture de la
version à quatre mains et le volume sonore exigé de l'oeuvre ont été deux facteurs qui
nous ont fait opter pour la jouer sur deux
pianos, profitant ainsi au maximum de la
puissance des instruments." cela vous en laisse imaginer la puissance, si vous avez déjà eu l'occasion de l'écouter dans une version sur un seul piano, cette description des rituels de printemps des
peuples ancestraux de l’Europe du Nord, étant déjà très prenante dans la version sur un seul instrument. Une version d'ailleurs qui fut jouée à l'époque par Stravinsky et Debussy au piano.
Par contre on ne peut imaginer les deux compositeurs, réunis sur un même piano pour jouer "Jeux" , pour la simple raison que Debussy n'a réalisé qu'un seul opus pour deux pianos : "En blanc et noir”. Il en existe cependant aussi une partition pour un seul piano, une oeuvre que le pianiste Jean-Efflam Bavouzet a déjà enregistré dans son intégrale pour piano seul de Debussy mais en confiant alors dans le livret, qu'en plusieurs endroits, ce que Debussy a écrit dans sa réduction pour piano seul est proprement injouable car en plus des deux portées traditionnelles Debussy a rajouté au dessus et en dessous des éléments musicaux importants qu’il a laissés visiblement à la discrétion du pianiste. Une complexité telle laissant parfois désirer une main supplémentaire. D'ailleurs il mentionnait que c’était à vrai dire cette frustration qui l’avait poussé à réaliser, il y a quelques années, une version à deux pianos.
Une complexité qui existe aussi dans l'oeuvre orchestrale, et Jean-Efflam Bavouzet indique cette fois, que l’oeuvre si compliquée et
en constante évolution avec sa multitude
impressionnante de thèmes s’enchaînant
sans jamais se faire réentendre, se déroule
d’une manière presque plus claire sans sa
luxuriance orchestrale. Et ce ne sont pas les amateurs de piano qui, découvriront peut-être cette oeuvre par cette transcription, qui s'en plaindront ! Ni même les chefs d'orchestre ainsi, Pierre Boulez qui a souvent dirigé l'oeuvre orchestrale, écrit dans l'avant-propos de cette transcription parue chez Durand : "Pourquoi les interprètes ne jouiraient-ils pas
du même privilège, celui d’adapter pour leur
instrument – dans ce cas, le piano – une
oeuvre qu’ils aiment, mais que l’auteur a
destiné à l’orchestre ! L’oeuvre pourra en
acquérir une réalité nouvelle sans perdre sa
substance ; elle sera en mesure d’augmenter
sa capacité de toucher un plus large public
grâce à de plus nombreux interprètes." .
Un public qui s'intéressera particulièrement dans cette transcription à deux pianos à l’interaction entre les pianistes, soulignée par Paul Griffith, ainsi le rebondissement entre eux des
lignes et des motifs, qui fait à certains égards
approcher la musique encore plus près du
scénario du ballet : celui-ci met en scène trois
joueurs de tennis – un jeune homme et deux
jeunes femmes – qui vont et viennent dans
diverses combinaisons, chacun étant attiré par les deux autres. Ainsi pourrez-vous le mesurer dans l'extrait ( plus bas dans cette page) même s'il s'agit là d'une danse non pas à deux mais à trois.
Bartók, comme Debussy, réalisa une
version pour piano solo de son oeuvre, et il est indéniable que cette transcription pour deux pianos, réalisée par Zoltan Kocsis en 1975, absolument magnifique, enthousiasmera un large public, tant la première d'entre elles " En pleine fleur" , proche de l'univers de Debussy, que la seconde "Dans villageoise" plus proche de Stravinsky. On aurait pu imaginer que cette oeuvre, qui fait le lien entre les deux autres soit au centre du disque, en fait elle le débute, il est vrai que c'est une très belle ouverture pour ce disque que vous pourrez au choix écouter en boucle ou bien prolonger par l'écoute de la version orchestrale de Pierre Boulez " interprétation inoubliable qu'on peut trouver dans son coffret intégrale dédié au compositeur hongrois" signalée par François Frédéric Guy. Pierre Boulez est d'ailleurs, un autre point commun de ces trois oeuvres, explique Jean-Efflam Bavouzet : "Non seulement il n’a eu de
cesse de diriger et “défendre” ces oeuvres,
en particulier Jeux dont il fût l’un des premiers à l’imposer dans les salles de concert,
mais ses interprétations magistrales ont
marqué, comme au fer rouge, nos sensibilités
musicales. Nous aimerions, mon ami
François-Frédéric et moi même, lui dédier
ce disque pour son quatre-vingt dixième
anniversaire."
Dans quelle circonstance avez-vous enregistré ce disque aux côtés de Jean-Efflam Bavouzet, dont notamment sa propre transcription pour deux pianos de Jeux de Debussy qui figure au programme, et est dédiée à Pierre Boulez ?
Je connais Jean-Efflam depuis plus de 10 ans ; et c'est un artiste exceptionnel à tout point de vue et nous partageons cette passion totale et inépuisable pour l'exploration du répertoire pianistique et symphonique, ainsi que pour la création contemporaine. Nous jouons ensemble régulièrement depuis plusieurs années et ce disque est un peu l'aboutissement de ce travail en commun autant que le début je l'espère d'une fructueuse collaboration !!
J'ai assisté quasiment en direct à la naissance de cette transcription pour deux pianos de Jeux sur laquelle Jean-Efflam a travaillé 10 ans ! La première fois que nous l'avons jouée c'était sur le manuscrit bien avant que Durand ne la publie ! J'ai été l'un des premiers pianistes avec Zoltan Kocsis à la jouer avec Jean-Efflam. Nous avons par la suite réfléchi à un programme autour de "Jeux " et l'année 1913 a guidé notre choix : Le Sacre du Printemps de Stravinsky et les deux images opus 10 de Bartok dont Kocsis a publié une magnifique transcription chez Musica Budapest.
De façon générale que pensez-vous des transcriptions pour piano d’œuvres conçues pour l’orchestre, qu’elles soient ou non écrites après, notamment pensez-vous qu’elles doivent être totalement fidèle à l’œuvre ou peuvent n’en exalter que le « meilleur » , et quelles qualités particulières doivent –elles absolument posséder ?
J'ai toujours été passionné de les transcriptions de ces œuvres orchestrales pour piano et encore plus pour 2 pianos ! Plus jeune j'ai souvent donné en concert des transcriptions des poèmes symphoniques de Strauss comme "Mort et Transfiguration" ou la symphonie Domestique ... J'ai failli bifurqué vers la direction d'orchestre dans les années 90 et comme je suis finalement devenu pianiste, ces concerts de transcriptions sont en quelque sorte ma thérapie et me permettent de garder le contact physique avec les œuvres pour orchestre. Je joue également très souvent des transcriptions d'oeuvres de Wagner .
La fidélité de la transcription à l'œuvre originale dépend surtout du génie du transcripteur. De sa capacité à restituer autant que faire ce peut les timbres de l'orchestre. À lui de trouver les formules qui vont faire sonner le piano de manière orchestrale ! C'est à mon sens ce que réussit magistralement Jean-Efflam dans "Jeux" et ce qui a provoqué l'admiration de Pierre Boulez notamment.
Parfois les compositeurs conçoivent leurs œuvres orchestrales au piano, ainsi celle de Stravinsky, et parfois les transcriptions sont réalisées après les œuvres orchestrales, soit par le compositeur lui-même soit d’autres musiciens ainsi les deux autres transcriptions de ce disque , arrivez-vous à mesurer cela au niveau des partitions ?
Les transcriptions réalisées par les compositeurs ne sont pas toujours les meilleures. Debussy a piètrement transcrit "la Mer" alors que Caplet l'a sublimement restituée ! A l'inverse imagine t-on meilleure transcription des Danses Symphoniques de Rachmaninoff que celle de l'auteur ?
Le pianiste hongrois Zoltan Kocsis a merveilleusement transcrit les fameuses 10 dernières minutes de la Walkyrie appelées "le Charme des Flammes". Virtuosité flamboyante au service de l'orchestre wagnérien dans toute sa puissance et sa splendeur.
Vous jouez "Le Sacre du Printemps" non pas à quatre mains sur un seul piano, mais sur deux pianos, cela vous a-t-il conduit à vous partager différemment la partition ? Et pensez-vous que les transcriptions sur deux pianos sont en général plus fidèles en ce qui concerne la sonorité que celle sur un seul ?
Nous jouons la version originale de Stravinsky pour piano à quatre mains, mais augmentée de nombreux détails orchestraux que la répartition à deux pianos autorise. Çe qui rend la transcription finale en fait plus fidèle à l'auteur que sa propre transcription assez pauvre dans bien des endroits... Il est amusant de noter que la création du Sacre à 4 mains fut jouée par Stravinsky et Debussy au piano. Les deux génies étaient finalement des pianistes assez moyens ! Ce qui explique peut-être a posteriori la relative faiblesse de la version à quatre mains.
Aviez-vous eu l’occasion d’écouter souvent l’œuvre orchestrale "Jeux" avant de découvrir la transcription de Jean-Eflam Bavouzet, qui est assez récente : de 2005, ou bien est-ce cette transcription qui vous a donné envie d’écouter l’œuvre originale, et que pensez-vous de la transcription par rapport à l’œuvre originale ?
Oui bien-sûr je connaissais l'œuvre orchestrale avant de jouer la transcription bien qu'elle ne soit pas très populaire et assez touffue du point de vue de l'orchestration. Curieusement je préfère de loin la transcription. Bien entendu les timbres magiques de l’orchestre debussyste font défaut au piano mais le piano réussit à la musique de Debussy et la structure est beaucoup plus limpide dans la version à deux pianos.
Qu’en est-il pour les deux autres œuvres , sachant que la transcription du « Sacre du Printemps » est du compositeur lui-même et que celle de « Deux images « de Bartok a été réalisée en 1975 par Zoltan Kocsis ?
Pour Bartok, j'ai effectivement d'abord joué la transcription qui m'a donné envie d'écouter la version orchestrale. Pierre Boulez en a donné une interprétation inoubliable qu'on peut trouver dans son coffret intégrale dédié au compositeur hongrois.
Quant au Sacre c’est une œuvre que j'ai commencé à écouter il y a 30 ans et dont j'ai acheté la partition d'orchestre très jeune. Elle m'accompagne depuis toujours et reste pour moi un des fondamentaux de la musique avec la 9ème de Beethoven ou la 5ème de Bruckner.
Les trois œuvres datent de la même année : 1913, un siècle plus tard, vous semblent-elles toujours
toutes aussi actuelles, ou au contraire pensez-vous que l’un de ces trois compositeurs a eu une plus grande influence sur la musique actuelle ?
Chacun de ces trois compositeurs a marqué à sa façon la musique contemporaine ! Ce n'est pas pour rien que Pierre Boulez a enregistré l'intégralité de leurs œuvres aux côtés de celles des trois viennois !!!
Bartok a connu la musique de Debussy lors d'un voyage à Paris en 1910 qui a fortement influencé ses premières œuvres et singulièrement la première des "Deux images" opus 10. Puis il a réalisé une alchimie absolument exceptionnelle entre musique savante - utilisant la règle du nombre d'or comme un mathématicien - et folklore de son pays natal. Ce qui rend sa musique attachante et en même temps peut être un peu trop intellectuelle pour le grand public.
Debussy et Stravinsky s'admiraient mutuellement et chacun a opéré, à sa manière une révolution musicale : Debussy brouille et superpose les harmonies traditionnelles comme Monet ou van Gogh l'avait fait pour la peinture. Stravinsky pulvérise la rythmique traditionnelle pour retrouver une pulsation organique et primale tout en se servant de thèmes folkloriques russes, ce qui pourrait le rapprocher de Bartok - la boucle est bouclée. Messiaen fera la synthèse de Debussy et Bartok et démontrera le caractère fondateur de ces compositeurs pour la musique contemporaine.
Il est intéressant de constater les passerelles qui existent entre les trois œuvres présentes sur ce disque. Outre l'influence debussyste sur le premier portrait de Bartok, on peut également rapprocher le second portrait du caractère primale du Sacre du Printemps. Quant à "Jeux", on est face à une des partitions les plus modernes de Debussy qui lorgne parfois vers Stravinsky dont il intègre certains acquis rythmiques du Sacre ou de Petroushka... j'admire par-dessus tout ce foisonnement d'idées, d'ambiances, de rythmes combinées dans une forme continue et unifiée. Évidemment Le Sacre est une telle révolution sonore qu'il surpasse tout ce qui a pu être composé à cette époque et il éclipse nombre de chefs d'œuvres comme Jeux ou la sublime mais bruyante suite Scythe de Prokofiev. Encore en 2015 la puissance, l'ingéniosité, la magie poétique et la rythmique organique du Sacre reste ébouriffante et d'une étonnante actualité.
Que pensez-vous d’arrangements, avec piano, réalisé par des jazzmen, d’œuvres classiques qu’elles soient ou non orchestrale à l’origine ?
Je n'ai aucun avis sur cette question et ne connais aucun de ces arrangements ...
Vous-même , vous arrive-t-il à titre personnel de transcrire au piano des œuvres orchestrales ou de musique de chambre pour le simple plaisir de les jouer ?
Oh oui ! j'ai souvent donné en bis le Lied "Urlicht" extrait de la 2ème symphonie de Mahler que j'ai moi-même transcrit. Ou la coda de la 4ème symphonie de Bruckner !
Quels sont vos prochains concerts ensemble , outre celui au Solistes à Bagatelle, et séparément et autres projets ?
Nous venons de jouer le programme du disque au Wigmore Hall de Londres ainsi qu'à l'Arsenal de Metz et serons effectivement présents dans le magnifique festival d'Anne-Marie Réby les Solistes à Bagatelles le 5 septembre prochain. Nous jouerons le Sacre et Jeux.
Pendant l’été chacun va suivre sa route des festivals. Pour ma part, l’été sera plus que jamais placé sous le signe de Beethoven: trois intégrales des concertos que je dirigerai du piano: Montpellier du 23 au 25 Juillet avec le Sinfonia Varsovia, le Festival Berlioz où nous célébrerons les 100 jours de Napoléon avec une soirée folle pour une intégrale folle des 5 concertos en deux concerts avec l’Orchestre de Chambre de Paris, avec casse-croûte du grognard à l’entr’acte! Puis enfin en septembre le festival de Besançon (22 et 23 septembre) où je retrouverai le Sinfonia Varsovia… Également un récital Beethoven au festival de La Roque Antheron le 29 juillet. Et pour commencer l’été, le festival des Salines en Musique autour d’Arbois, de ses vins et charcutailles et qui débutera le 15 juillet et se clôturera comme à l’habitude dans la sublime villa Paladienne de Syam le 19 juillet.
Pour écouter
Achille-Claude Debussy (1862 – 1918)
Jeux (1912 – 13) Poème dansé
Ils dansent désormais tous les trois.
Transcription de Jean-Efflam Bavouzet pour deux Pianos
Jean-Efflam Bavouzet, piano
François-Frédéric Guy, piano
avec l'aimable autorisation
du label Chandos
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