Schumann Sonates pour piano Olivier Chauzu

Robert Schumann( 1810-1856)
Les trois sonates pour piano
Sonate op.11 en fa dièse mineur
Sonate op.22 en sol mineur
Sonate op.14 "Concerto sans orchestre" en fa mineur

Olivier Chauzu, piano

Ce nouveau disque du pianiste Olivier Chauzu, qui avait précédemment enregistré deux sonates de Beethoven, permet de le retrouver cette fois avec les trois sonates de grande envergure d'un autre compositeur qui tient également une grande place dans son répertoire : Schumann, auquel il a aussi consacré un disque, en 2008. Il est très rare de réunir ces trois sonates dans un même disque, et pourtant, ainsi l'explique Olivier Chauzu à l'occasion d'un nouvel entretien à lire ci-dessous, il est intéressant de les regrouper car si elles se ressemblent, dans le sens que chacune donne un panorama complet de l'univers schumannien, celui-ci est exprimé de manière différente dans chacune d'elle.

Schumann a composé ces trois uniques sonates ( hormis trois autres destinées à la jeunesse) dans une période restreinte : la première, de dimension colossale, entre 1832 et 1835, la deuxième, de dimension plus modeste et qui en fait porte le numéro d'opus le plus tardif, opus22, entre 1833 et 1836, enfin la troisième , a été composé entre 1835 et 1836, puis Schumann la révisa en 1853. Clara Wieck-Schumann demanda au compositeur d'apporter des corrections au mouvement final de la deuxième sonate, opus 22 , qu'elle trouvait trop difficile, et du fait de sa parution retardée celle-ci porte en fait un numéro d'opus supérieur à la troisième sonate opus 14... Robert Schumann dut aussi faire diverses concessions sur sa troisième sonate : dans un premier temps à la demande de l'éditeur il supprima deux scherzos et la fît paraître comme "Concerto sans orchestre" puis le compositeur la révisa des années plus tard (en 1853) en ôtant quelques variations du mouvement lent et en réintroduisant un des deux scherzos...
Des oeuvres qui restent difficiles malgré les modifications apportées et dont l'écoute globale, permet aussi de mesurer la fantastique énergie contenue dans une telle expression de multiples sentiments forts, qu'ils soient exprimés par le personnage mythique de Florestan, passionné et démonstratif, ou celui d'Eusebius, rêveur et plus pacifique, sans être pour autant faible, personnages romantiques derrière lesquels avait coutume de s'exprimer le compositeur. Et s'il est bien une qualité essentielle qui domine dans ce disque c'est l'énergie avec laquelle ses trois sonates sont menées d'un bout à l'autre par le pianiste Olivier Chauzu, une énergie dynamique, sans lourdeur, mais où au contraire multiples rebondissements donnent une vigueur particulière au discours musical, dont l'intensité expressive qui en résulte, contribue à en maintenir l'intérêt alors même que le compositeur parfois se répète... ainsi pourrez-vous le mesurer en écoutant, par exemple, plus bas dans cette page, le premier mouvement de la sonate opus 14, splendide "allegro brillante" , fiévreux et orageux parfois, aucune monotonie ici comme dans l'album entier !
Après avoir enregistré deux sonates de Beethoven, vous revenez à Schumann, compositeur auquel vous aviez également déjà consacré un disque en 2008, peut-on ou non faire un rapprochement quelconque entre les sonates de Beethoven(toutes composées bien avant) et celles de Schumann ?
Le rapprochement effectivement peut venir du fait que ce sont deux compositeurs allemands et il peut y avoir un héritage. Ils ont en commun cette rigueur de la structure (quoi qu'on en dise sur Schumann), cette manière de tirer du rythme une source d'expression (chez Schumann, le rythme devenant souvent obsessionnel).
Si Schumann est souvent apprécié dans les formes courtes, il l'est souvent moins pour ces sonates, vous-même qu’aimez-vous particulièrement dans ces trois œuvres ?
Tout cela peut être dû à des idées reçues et à une seule idée que l'on se fait de Schumann : il serait le compositeur de pièces courtes, donnant une grande oeuvre comme ses Carnaval, ou de petites scènes (les Scènes d'enfants). Or, Schumann est un compositeur beaucoup plus complexe et doté d'un grand nombre de facettes.
Ses trois sonates sont uniques, dans le sens que chacune est un monde à elle seule, derrière une structure implacable. La première est un voyage de l'ombre, de la peur, de l'inquiétude, vers la lumière et le triomphe, un peu à la manière du concerto. La seconde est une bourrasque de tempête, courte et puissante, emportant tout sur son passage (l'Appassionnata de Beethoven n'est pas très éloignée), la troisième est une oeuvre atteignant une dimension symphonique. On peut parler du caractère sans cesse en mouvement des oeuvres schumanniennes, mais cela ne va pas sans une écriture très sctructurée.
Il est rare de regrouper dans un même disque les trois sonates de Schumann et vous publiez sous un nouveau label, dans quelles circonstances ce disque a-t-il pu être réalisé et comment s’est passé son enregistrement ?
En effet, il semble que c'est la première fois que les trois sonates entrent dans un seul CD. La rencontre avec ce label s'est produite sur la base de l'amour pour la musique de Schumann. Lorsque j'enregistre, j'aime garder l'atmosphère du concert, Je refuse systématiquement d'enregistrer par "petits bouts". Pour moi, l'émotion est antithétique de la chirurgie que préconisent quelques directeurs d'enregistrement. Il faut enregistrer par grandes périodes, si possible chacun des mouvements en entier. Et tant pis pour les imprécisions et les fausses notes.
Votre interprétation est très dynamique et montre un Schumann particulièrement enragé et angoissé, plus que passionné et rêveur, est-ce ainsi que vous l’imaginez à travers ces trois sonates au caractère sombre (et toutes en tonalités mineur) ?
Tout dépend de ce qu'on appelle par "rêveur". Schumann n'est pas un "doux rêveur". Eusébius est certes un rêveur, par opposition à la force et l'énergie de Florestan, mais il n'est pas non plus une personne dépourvue de caractère. La profonde énergie qui transparaît dans les oeuvres de Schumann, quelles qu'elles soient, fait qu'aucun moment n'est un moment mort. Chaque instant est un instant rempli d'angoisse et de Sturm und Drang, exception faite de quelques rares moments dans lesquels la voix est prostrée, sans énergie, et se perd sous des basses menaçantes. Ces sonates offrent peu de ces moments, même le thème et variations sur un thème de Clara de la troisième sonate veut échapper à cette prostration. L'humeur schumannien, de même, ne sera jamais l'humour français de Poulenc, mais une idée très précise qu'il est trop difficile d'exprimer par des mots. Ecoutons l'Humoresque pour le comprendre.
Vous semblez aussi ne pas avoir choisi de donner un caractère de marche funèbre au mouvement "Quazi variazioni " issu d'un thème Andantino de Clara Wieck, pourquoi avez-vous personnellement fait ce choix ?
Certes, nous avons un thème qui évoque une marche, d'une grande tristesse. L'idée de "funèbre", même si elle n'est pas complètement fausse, est pour moi une idée reçue, ou plutôt une simplification de la pensée schumannienne. Non, ce n'est pas une marche funèbre au sens strict du terme. Schumann note bien sur la partition qu'il s'agit d'un ANDANTINO (qui doit avancer, plus encore que l'andante), donc même si le sentiment est un sentiment de grande affliction, pouvant évoquer de loin, entre autres choses, un caractère funèbre, la mélodie ne doit en aucun cas être plombée par une verticalité qui lui ôterait son caractère mélodique et conférerait un faux caractère brahmsien voire brucknérien.
D'ailleurs, lorsque l'on compare ce mouvement lent avec d'autres marches funèbres de l'époque romantique, on se rend compte de la différence d'écriture. La marche funèbre de la sonate opus 26 de Beethoven offre un thème à dominante harmonique, situé dans la partie grave du clavier. De même la marche funèbre de la sonate opus 35 de Chopin offre un balancement lancinant entre deux accords, du 1er degré et du 6e degré de si bémol mineur, situés également dans la partie grave du piano, soulignant des harmonies massives et chargées. L'andantino de Clara Wieck, à l'inverse, offre un thème se déployant dans le medium aigu, voire carrément dans l'aigu du clavier. Il doit garder une simplicité quasi enfantine, une horizontalité, qui va à l'inverse du caractère "percussif" du piano. Donc le tempo doit être choisi en fonction de ces paramètres. La mélodie doit se développer sans être statique.
Si le tempo est trop lent, l'on perd la structure rythmique, qui doit aboutir à ces rondes en accord concluant le mouvement: là oui nous avons un caractère éminemment funèbre : la voix est prostrée. Mais dire que l'ensemble du mouvement est une marche funèbre est une erreur. Le gros problème de l'interprétation schumannienne réside dans le choix du tempo. L'écriture schumannienne évoque très souvent cette voix intérieure et même si l'on doit avoir cette tristesse intérieure, en aucun cas la mélodie ne doit se perdre dans un tempo qui en ôterait les méandres si caractéristiques de la pensée schumannienne.
Ces trois sonates ont été composées dans une période restreinte, y mesurez- vous cependant une évolution importante dans l’inspiration du compositeur même si la sonate op.14 n’est pas ici dans sa version d’origine qui comportait 5 mouvements ?
Les oeuvres composées par Schumann durant cette période féconde (alors qu'il n'avait qu'entre 20 et 25 ans) n'offrent pas d'évolution particulière. Ce n'est qu'à partir des années 1850 que l'on trouvera un autre Schumann, affecté par la maladie, qui peu à peu cessera d'écrire. Ce qui est passionnant chez Schumann, c'est de voir l'extrême richesse et complexité de cette musique, sur des oeuvres qu'il s'est dépêché d'écrire en une petite vingtaine d'années, comme une urgence.
La sonate op.14 est la moins connue et la moins souvent jouée en raison, dit-on parfois, de sa plus grande difficulté pianistique mais les autres sonates ne sont-elles pas en fait tout aussi difficile et éprouvantes à jouer ? Comment vous êtes –vous préparé à cet enregistrement ?
C'est surtout du point de vue du stress qu'il est difficile de jouer ces oeuvres. L'extrême tension des phrases finit par nous affecter et répercuter sur notre vie intérieure, nos états d'âme. Si nous entrons dans ce monde schumannien, si douloureux, si passionnel, il faut se réserver une porte de sortie et revenir quelquefois à la clarté et la lumière de Mozart. De plus, ces trois sonates offrent, il est vrai, une écriture pianistique très virtuose, et en cela, la pianiste Clara est célébrée.
Avez–vous souvent joué ces sonates en concert isolément ou ensemble ?
Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de jouer ces trois sonates en concert, car les mêmes choses sont dites dans chacune des trois, écrites de manière différente. Un tel programme de concert aurait une valeur musicologique, pour les spécialistes de Schumann, mais pour le public et surtout pour l'interprète cela donnerait une redondance. Je ne l'ai jamais fait. Mais le coupler avec du Beethoven, ou même du Chopin (son contemporain tellement différent) est à mon sens une meilleure idée.
Par contre pour un enregistrement , en fait les trois sonates se ressemblent, et il est intéressant de les regrouper dans le sens que chacune donne un panorama complet de l'univers schumannien, mais exprimé de manière différente.
La première insistera sur ce voyage des ténèbres, de la prostration vers la lumière triomphale (qui est finalement pure énergie).
La deuxième insistera davantage sur cet aspect tempêtueux qui engloutit tout sur son passage, après un interlude (le deuxième mouvement) d'une simplicité rappelant les scènes d'enfants : je dois ajouter que c'est la seule qui termine en mineur, alors que les deux autres terminent en majeur.
La troisième se rapprochera davantage du côté humoristique au sens allemand du mot, sarcastique, carnavalesque, voire quelquefois funèbre et désenchantée, avec une insistance accordée aux effets orchestraux. Chacune dit la même chose, mais en insistant plus sur tel ou tel aspect. D'où la nécessité de les écouter à la suite, même si l'audition peut se révéler spécialement stressante.
Quels sont vos prochains concerts ?
-le 16 mars à 11h, Auditorium Bellevue à Biarritz,
récital Chopin: 4e ballade, 3e sonate, 3e scherzo, Andante spianato et grande polonaise
-le 22 mars à 20h, Regent Theater de Toronto,
1er concerto de Liszt et Fantaisie Hongroise de Liszt
- le 15 avril 20h au Goethe Institut de Paris,
1ere sonate de Schumann et 3e sonate de Chopin


Pour écouter
Robert Schumann
Sonate op.14
allegro brillante
Olivier Chauzu, piano
avec l'aimable autorisation
du label
Azur Classical
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