Beethoven
sonates pour piano
n°28 opus 101
n°29 "Hammerklavier" opus 106
Olivier Chauzu, piano
Le pianiste Olivier Chauzu
apprécie particulièrement les oeuvres de grande
envergure, ainsi son quatrième disque qui paraît
chez le label Calliope permet cette fois de le découvrir
dans la célèbre immense sonate "Hammerklavier"(
pour clavier à marteaux) de Beethoven dont le compositeur
lui-même reconnut "Voilà une sonate qui donnera
de la besogne aux pianistes". Propos tenus non seulement
parce qu'elle est longue mais aussi parce que la difficulté
de son langage augmente au fil de l'oeuvre, Beethoven ayant voulu
dans celle-ci dépasser les limites sonores du piano. Olivier
Chauzu a couplé cette sonate avec la sonate précédente
que déjà le compositeur souhaitait titrée
" Sonate pour piano ou Hammer-Klavier[...]mais si le titre
est déjà gravé , j'avance deux propositions
: ou je paie de mes deniers le nouveau titre à graver,
ou bien on le retient pour une autre sonate que je composerai"
ainsi peut-on lire dans une correspondance de celui-ci à
son éditeur Tobias Haslinger (que l'on peut d'ailleurs
lire dans le récent livre des correspondances de Beethoven
récemment réédité chez Actes sud ->voir
ici). Une sonate qu'il avait aussi pensé appeler "Sonate
en la difficile à jouer" ...peut-on lire dans
une autre lettre à l'imprimeur Sigmund Anton Steiner (surnommé
lieutenant général), titre qu'il donne en précisant
: " Sans doute mon lieutenant général va-t-il
resté interdit songeant que "difficile " est
une idée relative, ce qui étant difficile à
l'un étant facile à un autre, et que par conséquent
ce terme n'a pas une signification bien définie. Mais mon
Lieutenant Général doit savoir que ce terme a une
signification bien définie, car ce qui est difficile est
en outre beau, bon, grand ,etc."...
Difficulté absolue et non relative donc dans ce beau, bon
et grand programme qui n'a nullement effrayé le pianiste
Olivier Chauzu, qui pourrait bien avec ce disque marquer le point
de départ d'un monument : l'intégrale des sonates
de Beethoven ainsi confie-t-il dans ses réponses à
de nouvelles questions à l'occasion de ce disque. L'écouter
jouer le second mouvement de cette sonate op.101 - Vivace alla
marcia- (plus bas dans cette page) montre qu'il a tout à
fait l'énergie et l'étoffe pour ce challenge, il
a d'ailleurs déjà à son répertoire
la quasi totalité de celles-ci !
Vous
avez choisi cette fois d'enregistrer les deux sonates op.101 et
op.106 de Beethoven, considérées comme les deux
premières de la " troisième manière
" de ce compositeur. Pourquoi avez-vous précisément
choisi ces deux sonates parmi les cinq dernières car si
l'opus 106 est une des plus réputées parmi celle-ci
l'opus 101 l'est moins, avez-vous le projet d'enregistrer également
les trois suivantes ?
Il y a dans ces cinq dernières sonates,
de même que dans les derniers quatuors, une dimension humaine
d'une portée immense. Bien que chacune ait une caractérisation
particulière, elles ont un point commun évident :
une certaine idée de victoire, puisque chacune se termine
dans une tonalité majeure, que ce soit dans la sérénité,
dans une nuance piano (opus 109, opus 111) ou dans le triomphe
(opus 101, opus 106, opus 110) : victoire sur le chaos, victoire
sur le néant, l'on pourrait extrapoler en disant qu'il
s'agit d'une victoire sur notre condition humaine en ce qu'elle
contient de limité, de mortel, et pourtant pourvue de cette
soif d'infini et d'éternité. Il y a une dimension
héroïquement généreuse, un message humain,
de cet humain à la fois écrasé et héroïque
capable de grandes actions au prix de sa vie, comme on le retrouve
entre autres dans le mythe de Prométhée.
Cela pourrait faire partie d'un projet futur d'enregistrer, non
seulement les trois dernières sonates, mais aussi les trente-deux,
qui sont LE monument pianistique du dix-neuvième siècle,
passage obligé de tout pianiste professionnel.
Selon Schindler la sonate
opus 101 obéirait à un programme en quatre étapes
: "Sentiments rêveurs, invitation à l'action,
retour des sentiments rêveurs, action " que pensez-vous
personnellement de cette analyse ?
Je suis globalement d'accord, tout en apportant certaines précisions.
Le premier mouvement est davantage qu'une expression de sentiments
rêveurs : c'est une contemplation, une méditation
intérieure dont l'axe musicologique principal est la recherche
de la tonalité, c'est une rêverie, entrecoupée
de moments d'exaltations, de hiatus, d'arrêts, de points
d'orgue, et qui se termine par une résolution qui n'est
que fallacieuse, puisque le deuxième mouvement éclate
" attaca " dans une tonalité inattendue
et claironnante qui vous prend à la gorge. Le mouvement
lent, très court, est, à l'instar du premier mouvement,
une méditation intérieure poignante, exprimée
avec désolation dans une tonalité mineure, contrairement
au début, dans laquelle se dessinent des lignes très
tendues écrites en accords de main droite et aboutissant
à une septième diminuée inexorable. Mais
tout n'est pas perdu. Cette terrible tension se résout
immédiatement, après une courte cadence, par un
finale très actif, que je qualifierais plutôt de
triomphal. La véritable résolution de cette sonate
se trouve donc dans ce finale, qui affiche résolument la
tonalité de la majeur comme l'axe principal de la sonate,
chose qui n'était jamais très claire auparavant.
Votre intégrale des uvres
de Paul Dukas comportait une sonate d'une très grande envergure
, durant plus de 45 minutes comme l'Hammerklavier de Beethoven,
hormis cette similitude de durée ces sonates, qui ont 80
ans d'écart, ont-elles d'autres similitudes, l'une d'elle
vous a-t-elle semblé plus difficile à interpréter
et comment expliquez-vous que la sonate de Dukas soit moins réputée
que l'Hammerklavier ?
La sonate de Dukas provient directement du beethovénisme,
à cette différence près que, dans l'intervalle,
Wagner est passé par là. Elles ont toutes deux quatre
mouvements, elles contiennent toutes deux des fugues. De plus,
le dernier mouvement de la sonate de Dukas débute également
par une sorte de récitatif, qui peut rappeler le récitatif
contenu dans le largo qui précède dans l'Hammerklavier
l'éclatement de la fugue. Le finale, dans les deux sonates,
est une sorte de marche vers le triomphe, vers un sommet, un climax,
l'orchestration imaginée par Dukas étant celle d'un
orchestre énorme, à la manière des orchestres
germaniques de la fin du XIXè siècle, Mahler ou
Bruckner. Cela se traduit au piano par l'utilisation de la totalité
du clavier, par un ambitus poussé à l'extrême,
et une technique pianistique très lisztienne. Le traitement
de la fugue est différente dans les deux cas: Dukas a recours
à la fugue dans un moment de doute profond, l'épisode
médian du scherzo, une sorte de voyage singulier, étrange
et presque maléfique qui précède le cataclysme
final du scherzo. Beethoven se sert de la fugue pour dépasser
une situation embarrassante, l'emploi de la fugue est souvent
chez lui une libération. C'est pratiquement le contraire
chez Dukas. Bien sûr, il y a des exceptions : la fugue du
mouvement lent de la symphonie héroïque intervient
dans un moment de désespoir.
Quant à la difficulté d'interprétation, les
deux sonates sont terribles pianistiquement. Terribles pour la
concentration, terribles pour les doigts, terribles pour l'idée
musicale... Le purgatoire dans lequel est tombé la sonate
de Dukas est inexplicable, en tout cas fort injuste.
Aimez -vous particulièrement les
uvres gigantesques ? Pourquoi ?
J'adore, en effet, jouer en public des uvres sinon gigantesques,
du moins des uvres pianistiques symphoniques, dont la longueur
occasionnelle nous fait un instant oublier la réalité,
ces uvres qui nous plongent dans un monde d'ailleurs. Je
recherche continuellement, en concert, un oubli de ma personne,
je pense que l'artiste-interprète doit s'éclipser
derrière l'uvre et disparaître. Dans une uvre
de grandes dimensions, et qui de surcroît est admirablement
bien construite, c'est plus facile. Quand je joue les Kreisleriana
de Schumann, au moment où je termine j'ai l'impression
de me réveiller de quelque chose. J'ai peut-être
fait des cauchemars, car c'est une uvre plutôt très
noire, mais le fait est que je sais que j'ai rêvé
et me suis évadé de la réalité de
la salle de concert. Si le public a eu la même expérience,
mon but a été atteint.
Le fait de savoir que Beethoven était
sourd lorsqu'il composa ses sonates rendent-elles ses sonates
particulièrement attractives pour un interprète
car l'autorisant à plus de liberté dans leur interprétation
, tout en prêtant leurs oreilles au compositeur , et ainsi
donc pouvoir par exemple s'autoriser à remettre en cause
des indications métronomique lorsqu'il y en a ou des indications
portées en début de mouvement ?
L'indication de Beethoven au tout début de l'opus 106
est impossible à respecter. Nous savons que le résultat
serait inaudible. Mais quand on interprète du Beethoven,
à vrai dire on ne se sent jamais très libre. Même
si on doit rechercher cette liberté, mais sans s'évader
de l'esprit dans lequel cela a été conçu.
Vous même quels choix personnels
avez-vous faits et à quoi avez vous attaché le plus
d'importance dans votre interprétation, qu'est-ce qui vous
a donné le plus de " fil à retordre "
dans l'Hammerklavier et la sonate n°28 ?
Ce qui est le plus important dans des uvres de cette envergure,
c'est la conduite de la pensée, la structure interne, la
logique du discours musical. Le plus gros obstacle est le vagabondage
de notre esprit, la concentration qui se dilue. Il faut aborder
l'interprétation de ces uvres l'esprit totalement
vierge d'émotion, une bonne santé intellectuelle
et bien entendu autant que possible physique. Réussir un
bon équilibre entre émotion et contrôle. Plus
que dans n'importe quelle autre répertoire.
Vous êtes-vous senti moins libre
dans votre interprétation de la sonate de Dukas que dans
celle de l'Hammerklavier ?
Au contraire, Dukas laisse une marge plus grande à la
liberté, aux idées immédiates, à l'improvisation,
que Beethoven.
Edwin Fisher a déclaré :
" Il en est de cette Hammerklavier comme d'une cathédrale
gothique. Il y a toujours quelque chose à réparer,
à revoir. On en a jamais fini avec elle ", êtes-vous
vous d'accord avec lui ? Vous même y a-t-il depuis votre
enregistrement déjà quelque chose que vous changeriez
?
En réabordant cette uvre, certaines de nos options
musicales sont abandonnées, d'autres reprises. Ce genre
de répertoire est à conserver toute une vie. Oui,
je change mon interprétation selon l'humeur et l'inspiration
du moment, même si les sonates de Beethoven ne laissent
pas une grande marge à l'improvisation (bien que Beethoven
fût un improvisateur hors du commun).
Avez-vous écouté d'autres
interprétations avant d'aborder ces uvres, quelles
sont celles avec lesquelles vous vous êtes senti plus en
accord ?
J'écoute toujours un maximum d'interprétations
pour mûrir la mienne. J'essaie de le faire bien avant la
date du concert ou de l'enregistrement, afin de pouvoir assimiler
les différents points de vue, d'y réfléchir,
et d'en extraire le mien. Les interprétations que j'affectionne
ne sont pas forcément celles que je choisis miennes du
point de vue de mon interprétation personnelle. Ainsi,
je suis un admirateur inconditionnel de Brendel, pour le cantabile
qui s'y dégage (cantabile tel que le définit André
Tubeuf dans son ouvrage sur Beethoven), d'Arrau pour cette immense
générosité et cette puissance, de Kempff
pour sa chaleur et cette sonorité miraculeuse, de Pollini
pour son contrôle absolu et son humilité. Dans les
pianistes actuels, j'aime l'interprétation d'Alessio Bax,
tellement respectueuse du texte et si peu " pianistique ".
Il y en a d'autres, bien évidemment.
Quels sont vos prochains concerts et autres
projets en cours ?
Je reviens d'une tournée au Canada, au cours de laquelle
j'ai joué cette sonate de Beethoven, ainsi que la sonate
en si mineur de Chopin, du Schumann, et une création du
compositeur Philippe Forget. Puis je pars bientôt au Mexique,
où je jouerai le concerto pour la main gauche de Ravel
avec l'Orchestre Philharmonique de Mexico sous la direction de
Marco Parisotto. Enfin, certains concerts en Région Parisienne,
au château de la Chesnaie de Beauchamp en particulier, ainsi
qu'au Grand Théâtre d'Angers.
Pour écouter
Beethoven-Vivace alla marcia - sonate n°28
Olivier Chauzu, piano
avec l'aimable autorisation du label
Calliope
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