Schubert
Sonate en si bémol majeur D960
Schubert/Liszt
Der muller und der Bach
Der Doppelgänger
Valse-Caprice n°6 "Soirées de Vienne"
Frédéric d'Oria Nicolas, piano
Alors que le pianiste Frédéric d'Oria-Nicolas
confiait en 2005 dans une interview pour pianobleu.com qu'il se
sentait très proche du compositeur Prokofiev dont il annote
la correspondance à paraître aux éditions
Fayard, c'est en fait autour de l'oeuvre de Schubert qu'il consacre
son premier disque, une surprise certes mais qui confirme par
la qualité de cet enregistrement, déjà très
largement félicité à juste titre pour la
clarté de son jeu, qu'il ne faut jamais étiqueter
un pianiste dans un répertoire donné mais suivre
son évolution. Une évolution qui peut être
aussi considérable chez les compositeurs ainsi peut-on
le mesurer précisément dans la Sonate D960 : "Achevée
en 1828, peu de temps avant la mort du compositeur, et un an après
la disparition de Beethoven, cette sonate semble sonner le glas
d'une époque de l'histoire de la musique. Avec cette page
, Schubert livre son testament et enterre définitivement
l'ère du classisisme viennois" ainsi l'explique
Feriel Kaddour auteur du livret. Schubert n'avait alors que trente-et-un
ans. Frédéric d'Oria-Nicolas qui lui en a trente
s'approprie cette sonate dans une interprétation très
personnelle dont la pulsation originale captive l'auditeur quelle
que soit la couleur sonore traversée au fil de cette longue
oeuvre d'une grande intériorité. A cette sonate
le pianiste a choisi d'ajouter trois transcriptions d'oeuvres
de Schubert transcrites par Liszt, un choix qu'il a notamment
bien voulu expliquer lors de ses réponses à de nouvelles
questions autour de ce disque. Il invite les internautes à
en écouter l'une de ces transcriptions : celle du sombre
et douloureux lieder transcrit pour piano seul "Der Doppelgänger".
Pourquoi pour votre premier disque sous
le label Fondamenta dont vous êtes directeur artistique
avez-vous choisi d'enregistrer un disque Schubert plutôt
que Prokofiev dont vous aviez dit vous sentir très proche
lors de votre précédent interview ? Que représente
ce compositeur dans votre répertoire ?
J'ai attendu plusieurs années avant de m'aventurer au
disque. Il me semblait important de relever un défi et
je voulais m'assurer des conditions d'enregistrement. Ce disque
est le fruit d'un travail d'équipe et d'une étroite
collaboration entre Philippe Copin - le préparateur du
Steinway qui a servi pour cet enregistrement, Nicolas Thelliez
- notre preneur de son et moi-même.
La D960 est un monument de la musique et fait également
partie de ces uvres qui suscitent une réflexion profonde
sur l'interprétation pour en tirer une vision d'ensemble.
Elle est, en quelque sorte, révélatrice de l'âme
de celui qui la sert.
Cette dernière sonate s'inscrit, en ce sens, aux côtés
d'uvres telles que les Goldberg, l'Opus 111 et toute la
musique romantique dans son ensemble qui posent des questions
auxquelles il n'y a pas qu'une réponse et un nouveau
regard est toujours intéressant pour le mélomane
curieux.
La musique de Schubert prend une place de plus en plus large
dans mon répertoire. J'ai joué plusieurs sonates,
une grande partie des Impromptus et des moments musicaux et ses
deux trios pour violon, violoncelle et piano ainsi qu'une infime
partie de ses nombreux Lieder.
Mon amour pour Schubert ne diminue en rien celui que je porte
à l'uvre d'autres compositeurs comme Prokofiev dont
j'ai joué en concert plusieurs transcriptions de ballets,
trois des huit sonates pour piano et les deux premiers concertos.
Le second en sol majeur Op. 16 figure parmi mes concertos préférés
et je serais particulièrement heureux d'avoir l'occasion
de l'enregistrer.
Trouvez-vous chez Schubert des points
communs avec Prokofiev ?
S'il y a un point commun entre Schubert et Prokofiev, c'est
qu'ils sont, tout comme Chopin et Schumann, de très grands
mélodistes Il faut écouter la musique de ballet
ou les opéras de Prokofiev pour s'en convaincre. On pense
également à Mozart lorsque l'on évoque l'inspiration
mélodique mais il n'y a pas cette lutte structurelle dans
ses grandes compositions. Tout y est fluide et naturel.
Pouvez-vous expliquer le fil rouge de votre programme ?
Je voulais consacrer ce premier disque à un seul compositeur
qu'à la condition que le programme reflète une atmosphère,
un univers et qu'il soit agréable pour l'auditeur de l'écouter
de la première à la dernière note comme un
programme de récital. Je voulais également qu'il
soit représentatif des divers aspects de l'uvre de
Schubert : des formes courtes aux caractères opposés,
un thème populaire paraphrasé par Liszt et une forme
longue - sa dernière sonate, où certains y voient
l'aboutissement de son art. Il est possible d'y percevoir, notamment
dans le Final, toute l'admiration et la passion qu'il avait pour
Beethoven, disparu en 1826, l'année où Schubert
écrit cette sonate.
Schubert est mort dans la pauvreté la plus totale et son
vu le plus cher sera d'être enterré près
de Beethoven. L'histoire de l'homme me parle : le refus de son
père de le voir embrasser une carrière de musicien
sa détresse intérieure, sa simplicité et
son dévouement pour la musique plus que pour tout autre
chose me touchent particulièrement.
Que pensez-vous des deux lieders originaux
écrits par Schubert en comparaison aux transcriptions faites
par Liszt ?
Liszt a été un compositeur et un pianiste de génie
mais il était sur le plan humain également, une
personne hors du commun. Quelle culture, quelle ouverture d'esprit,
quelle âme ! J'ai le sentiment en lisant ses transcriptions
(Bach, Beethoven, Schubert, Rossini, Paganini, etc.) qu'il comprenait
toute la musique de son temps et celle qui l'avait précédée
! On devrait imprimer sa préface des transcriptions des
Symphonies de Beethoven dans chaque cours de musicologie - quel
modernisme ! Sa force dans ces transcriptions est d'en faire des
pièces pour piano à part entière. Il modifie
la forme du Der Muller und der Bach et la tonalité du Doppelgänger
mais pour pouvoir en garder toute l'essence au piano Comme
la traduction, une transcription trop littérale ne permet
pas toujours d'en capter tout le sens, voire même de s'en
éloigner !
Toute interprétation est, en partie, nourrie également
par la culture. Aucun musicien respectable n'envisagerait d'appréhender
une sonate de Beethoven sans connaître ce qui la précède
ou la suit ou sans connaître les Symphonies... De la même
manière, on ne peut prendre conscience de la portée
de l'uvre Schubertienne qu'en ayant parcouru sa musique
pour voix. Je suis un inconditionnel des Lieder de Schubert et
me suis plongé de jours entiers à les déchiffrer
ou les écouter. Toute la musique de Schubert n'est que
chant. Il y a deux ans, j'ai eu le plaisir d'accompagner Laurent
Naouri dans le Winterreise. J'aimerais avoir l'occasion de m'investir
davantage dans ce répertoire qui m'a beaucoup enrichi et
qui m'apporte un plaisir unique.
Jouez-vous depuis longtemps la Sonate D960
et quel travail particulier vous a-t-elle demandé ?
J'ai commencé à travailler la D960 vers 19 ans.
Je l'ai joué pour la première fois à Moscou
un an après. Depuis, elle a évidemment évolué
et évoluera encore. Elle fait partie de ces uvres
dont la vision ne peut être figée et c'est chaque
fois une aventure différente que de la jouer en concert.
Je l'ai appréhendée comme toutes les uvres
de mon répertoire en apprenant une page après l'autre
(rires): l'immense respect que l'on voue aux chefs-d'uvre
ne doit jamais se muter en une Sacralisation qui nous empêche
de prendre des risques ou de planter des convictions. L'Idéal
et le Sacré sont deux choses bien distinctes
Plus généralement qu'est-ce
qui vous tient le plus à cur dans votre interprétation
des pièces de ce programme ?
Sincèrement ? Que je sois satisfait du résultat
et de ne pas avoir de regret. Mon exigence peut parfois tourner
à l'obsessionnel (et pas seulement en musique) et je voulais
un résultat digne des objectifs que je m'étais fixés.
Ensuite, j'espère évidemment comme tous mes collègues
que le fruit de mon travail sera bien accueilli et que mes auditeurs
auront autant de plaisir à écouter ce disque que
j'en ai eu à le réaliser.
A l'heure de la crise du disque n'est-il
pas difficile de se lancer dans la création d'un nouveau
label de disque ?
Les difficultés ne m'effraient pas, elles ont toujours
été un moteur pour moi ou je ne serais pas parti
à l'âge de 19 ans à Moscou, dans un pays passionnant
mais difficile, sans connaître un mot de Russe et personne
d'autre que Tatiana Zelikman, mon professeur
Je pense que si le CD rencontre des problèmes indéniables,
l'enregistrement n'est sûrement pas mort ! Il faut garder
une ligne qualitative et ne rien sous-estimer, laisser une entière
liberté de choix à l'interprète dès
l'instant où l'on se lance dans un projet afin que le produit
fini lui ressemble. Cela n'exclut évidemment pas de le
conseiller sur ses éventuels choix mais sûrement
pas d'imposer ceux de la maison de disques. Notre volonté
est d'accompagner les musiciens à réaliser des projets
ambitieux et novateurs, de redonner envie aux gens de s'approprier
cette qualité ! Il faut également proposer d'autres
alternatives comme le téléchargement mais de manière
économique, ergonomique et qualitative. Si ces trois conditions
sont réunies, le consommateur n'aura aucune réticence
à ce qu'il soit encadré légalement et qu'il
soit payant ! Toute l'équipe de Fondamenta y travaille
activement. Je vous en dirai davantage dans quelques semaines
Le programme de ce disque correspond-il
à un de vos programmes de concerts, aurez-vous bientôt
l'occasion de le jouer et quelle
est votre actualité ?
Je vais certainement en jouer une partie du programme du disque
Schubert à l'automne prochain au château de la Verrerie
et dans le cadre du Festival Piano en Valois. Je viens de rentrer
d'une tournée avec divers programmes en Russie, Angleterre,
Suisse et France depuis le mois de janvier. J'ai notamment donné
un récital Brahms, Rachmaninov, Dukas avec Alexander Kobrin
à la salle Gaveau. La chaîne Mezzo doit diffuser
ce concert en France à partir du mois de mai. Il sera également
retransmis dans 27 autres pays. En juillet, je donnerai plusieurs
concerts en Aubrac et en Suisse. En août, je participe en
tant que membre du jury au deuxième concours Blüthner
de Vienne. Enfin, je travaille aux côtés de Svetlin
Roussev en ce moment sur un disque consacré aux troisièmes
sonates de Grieg et Medtner pour violon et piano dont la sortie
est prévue pour juin 2009.
Pour écouter
Schubert/Liszt
Der Doppelgänger
interprété par Frédéric d'Oria-Nicolas
avec l'aimable autorisation du label Fondamenta
cliquez sur le triangle du lecteur ci-dessous
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