Roger Muraro Récital Chopin

Roger Muraro
Récital Chopin

A une période où sortent diverses "intégrales" Chopin à "petits prix" , enregistrer des œuvres de ce compositeur peut sembler un défi d'interprète mais à l'inverse cela peut être un simple désir de partager sa vision de Chopin, en l'occurrence c'est ici à une rencontre avec Chopin, tel un rendez-vous qui aurait pu avoir lieu dans son salon, que Roger Muraro invite l'auditeur. Il ne s'agit pas pour le pianiste d'en montrer des caractéristiques qui sortiraient de l'ordinaire, tant de choses ont été écrites sur Chopin...mais de valoriser celles qui lui importent le plus. A l'image du sombre sous-bois où une lumière vient doucement miroiter dans l'eau, qui illustre le livret, le programme conçu par Roger Muraro met en lumière les origines polonaises du compositeur et l'influence du Bel canto italien qu'il aimait tant, et est essentiellement articulé autour de la poésie sombre, voire funèbre du compositeur, qui se traduit dans "l'exaltation des forces intérieures, la déchirure des apparences, l'incendie allumé au cœur de la forêt des sentiments mis à nu", ainsi dans le fiévreux nocturne n°1 opus27 débutant ce programme, dans lequel règnent l'interrogation et l'inquiétude.

La dramatique Sonate n°2 opus 35 qui suit est bâtie autour de la "Marche funèbre", que Chopin avait écrite quelques années avant cette sonate de quatre mouvements, autant de visages différents de la mort, images de tension et lutte entre vie et mort se terminant par "un coup de vent sur la tombe".... Après ce récit émotionnel intense, le nocturne n°2 opus15, œuvre de jeunesse, offre une douce respiration d'un grand lyrisme que Roger Muraro traduit telle une rêverie paisible qui fait oublier les visions fantastiques effrayantes de l'œuvre précédente.

Rêverie poétique encore, nostalgie de l'Italie, dans l'unique Barcarolle écrite par Chopin, souvent considérée, à raison, comme l'une des plus belles œuvres du compositeur et dont Roger Muraro fait miroiter les multiples jeux de lumières ondoyant sur l'eau dans un jeu de couleurs contrastées, livrant un splendide tableau impressionniste des plus révélateurs. Italie déjà évoquée semble-t-il vingt ans plus tôt même dans une danse polonaise, la Mazurka n°3 opus30 où certains musicologues entendent vibrer les mandolines dans l'air plein de parfums et de soupirs. Quant à la Mazurka n°4 opus30, considéré comme un des plus beaux morceaux polonais de Chopin, elle est selon Alfred Cortot "toute pénétrée de la poésie mazovienne". L'une et l'autre de ces mazurkas oscillent encore entre l'ombre et la lumière, entre la douceur et l'ardeur, prenant appui sur le rythme de la danse pour développer ce battement intérieur de l'âme de Chopin, ses contrastes, ses tourments et ses rêves.
Dans les mouvements ondulatoires de l'Andante spianato renaît l'atmosphère fluide et de rêverie de la Barcarolle, il contraste pleinement avec celui de la Grande Polonaise opus22 dont il est un commencement. Roger Muraro donne une interprétation des plus énergiques de cette Grande Polonaise combinant lyrisme et puissance dans une écriture très virtuose.

Le programme se referme par un nostalgique Nocturne posthume, écrit par Chopin à l'âge de vingt ans alors qu'il vient de quitter son pays et ne sait s'il y reviendra, une autre rêverie mélancolique... qui clôt ce rendez-vous avec Chopin comme en suspens, dans l'attente du prochain...une autre façon de partager l'âme d'un compositeur non pas par une exhaustivité, trop lourde, inégale et quasi anonyme, mais par un juste dosage permettant de mesurer toute la sensibilité tant du compositeur que son interprète.

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