"Debussy lui-même disait : " N'écoutez les
conseils de personne, sinon du vent qui passe et vous raconte l'histoire
du monde ". Tout est là, je crois. Il faut regarder et écouter
la mer, le vent, les nuages .. Il faut s'ouvrir et être à
l'écoute de la poésie et de la beauté qui sont
en toutes choses en ce monde, et entrer en résonance avec elles,
en essayant d'en approcher le mystère, sans jamais espérer
parvenir à le résoudre. C'est exactement ce que fait la
musique de Debussy. "... Tout est dit ( ou en fait presque
rien... ) dans cette nouvelle déclaration du pianiste Philippe
Bianconi à l'occasion de la sortie de ce disque, un événement
pianistique de la rentrée, certes pas une surprise car l'interprète
ne pouvait bien sûr pas manquer de célébrer le cent
cinquantième anniversaire de la naissance d'un de ses compositeurs
de prédilection, d'ailleurs la carte musicale de nouvel an de
piano bleu pour cette année 2012 était illustrée
par un de ses enregistrements.
Effectivement dès 2007, lors d'un premier entretien sur son parcours
Philippe Bianconi(voir dans la page qui lui est consacrée) ,
confiait combien il aime depuis toujours la musique de ce compositeur,
passion déjà confirmée l'année dernière
dans un disque paru chez le label lyrinx comportant d'autres oeuvres.
Ce nouvel album sort chez le nouveau label "La Dolce Volta",
label qui a déjà acquis une grande réputation pour
la qualité de ses productions, ainsi ce disque est accompagné
d'un très beau livret notamment illustré non pas de peintures
de l'époque impressionniste mais d'oeuvres d'un photographe contemporain,
Axel Arno, qui laissent tout autant place à l'imaginaire.
Claude Debussy n'avait pas prévu que ces Préludes soient
exécutés en une seule fois en concert et il joua lui-même
dès le 25 mai 1910 quatre préludes du premier livre :
"Danseuses de Delphes", "Voiles",
"La Cathédrale engloutie" et "la Danse
de Puck "; un témoin de de cette séance, Paul
Landormy, rapporta ainsi ses impressions : "Il avait fait venir
pour la circonstance un piano Erard, déjà d'un modèle
un peu ancien, mais qui lui convenait particulièrement, un demi-queue
effilé , à la sonorité fine, sans grand éclat,
mais souverainement "distinguée" . On ne peut imaginer
le parti qu'il retira des ressources relativement faible de cet instrument.
On ne peut imaginer son jeu caressant, la subtilité de son toucher
chantant, qui disait tant de choses, pour ainsi parler à demi-voix,
et comme ses moindres intentions pénétraient, et ce qu'elles
avaient parfois même d'incisif dans la réalisation"
et un critique déclara : "Est-il un pianiste qui possède
une plus jolie sonorité que Debussy sur l'Erard ? "(
cf Biographie Debussy de François Lesure) ... deux commentaires
qui font certes les louanges de l'interprète Debussy, mais absolument
pas du compositeur ni de ses Préludes... ce qui pourrait laisser
un peu perplexe quoique en fait c'est bien là aussi une des caractéristiques
essentielles de ces oeuvres : leur qualité sonore et selon l'interprétation
que l'on écoutera le ressenti peut être fort différent
du fait de leur caractère poétique et mystérieux.
Comme l'indique d'ailleurs Philippe Bianconi : "La musique de
Debussy comporte une grande part de mystère, et quelles que soient
les écoutes et le travail sur son uvre, ce mystère
ne se dévoile jamais tout à fait. Et c'est cela qui en
fait le tout le prix. On peut essayer d'analyser tant qu'on veut sa
musique, on finira par trouver des procédés de composition
(encore que souvent le côté discontinu et imprévisible
échappe à toute classification), mais il y reste toujours
quelque chose qui parle à l'inconscient, à la part la
plus insaisissable de notre être."...
Ainsi en ce qui concerne le Prélude "Voiles"
que vous pourrez écouter plus bas, un des quatre que Debussy
joua donc le 25 mai 1910, le doute demeure de savoir si les voiles sont
marines ou aériennes... et cela ne vous ramènera sans
doute pas sur la plage de vos vacances de l'écouter comme l'avait
indiqué Debussy par contre une chose est certaine : à
écouter ce disque de Philippe Bianconi, ici sur un piano Yamaha
qu'il a spécialement sélectionné, on peut imaginer
sans peine "le jeu caressant" de Claude Debussy lorsqu'il
les joua lui-même ..."la subtilité de son toucher
chantant, qui disait tant de choses, pour ainsi parler à demi-voix,
et comme ses moindres intentions pénétraient, et ce qu'elles
avaient parfois même d'incisif dans la réalisation" !
Un bel hommage qui fait revivre le compositeur !
Votre
précédent disque Debussy avait été enregistré
chez le label Lyrinx, pour quelles raisons ce disque paraît-il
chez un autre éditeur ?
En juin 2011, j'ai été contacté par Florence
Petros, la directrice de La Dolce Volta, label tout récemment
créé et qui était sur le point de sortir un enregistrement
de Sonates de Mozart par Aldo Ciccolini. Evidemment, le nom de cet immense
maître du piano m'a impressionné.
Mais surtout j'ai été séduit par la personnalité
de Florence Petros et son approche, dont les choix ne se soumettent
pas aux lois du marketing, mais qui met au cur du métier
d'éditeur la relation entre un artiste et une uvre ou un
compositeur. Elle semblait vraiment désireuse de me faire enregistrer,
et (pour une fois !) j'ai suivi mon instinct sans réfléchir
et j'ai accepté, sentant que quelque chose se présentait
que je ne pouvais pas laisser passer.
J'ai donc quitté Lyrinx, après de nombreuses années
de collaboration, sans avoir rien à leur reprocher bien sûr,
mais tout simplement parce que parfois dans la vie, quelque chose de
nouveau vous appelle et vous sentez comme une évidence que c'est
la voie à suivre.
La Dolce Volta m'a offert des conditions d'enregistrement absolument
exceptionnelles : j'ai pu choisir librement mon piano, et leur directeur
artistique/ingénieur du son, François Eckert, est absolument
fantastique. C'est un grand professionnel, doublé d'un musicien
hors pair, et capable d'une manière très subtile de faire
sortir le meilleur de l'artiste.
Je ne reviens pas sur votre intérêt
pour la musique de Debussy déjà évoqué lors
du précédent entretien, et au sujet duquel Alain Cochard
vous entretient également dans le livret, par contre quelle place
particulière tient-il pour vous en 2012, outre la sortie de ce
disque et le festival de musique en côte basque que vous nous
aviez annoncé dès l'année dernière, et qu'en
est-il des autres compositeurs que vous avez joué ou jouerez
cet année. Vous avez été souvent boudé par
les scènes françaises, Debussy vous a-t-il aidé
à y revenir ?
J'ai enregistré un premier disque Debussy l'année dernière
chez Lyrinx, et bien sûr en cette année anniversaire de
Debussy, il me semblait naturel, outre l'enregistrement des Préludes,
de lui donner une place importante dans mes programmes de concerts.
Non seulement sur la Côte Basque, où je viens de donner
l'intégrale des Préludes, mais aussi aux Serres d'Auteuil,
au Septembre Musical de l'Orne, à Toulouse, à Bordeaux,
à Marseille, à Rouen, où je donnerai toute une
partie consacrée à Debussy. En complément, je jouerai
du Chopin, qui me paraît toujours d'une grande évidence
face à Debussy, mais aussi du Schumann. Schumann peut sembler
beaucoup moins naturel face à Debussy, mais vous savez qu'il
est un de mes autres grands amours musicaux, et en fait, malgré
leurs univers très différents, je trouve aussi des points
communs entre ces deux compositeurs. Notamment cette fondamentale liberté
créatrice inlassablement revendiquée, et aussi l'arrière
plan littéraire, très important chez l'un et l'autre.
Il se trouve que j'ai cette année une présence plus importante
sur les scènes françaises. Je serais bien en peine de
vous en donner les raisons. Peut-être le hasard ? Il faudrait
interroger les organisateurs ! Quoi qu'il en soit, si Debussy y a contribué,
j'en suis ravi !
Vous indiquez dans le livret au sujet du deuxième
livre des préludes : " la virtuosité n'y a plus
de sens en soi et se révèle constamment d'ordre poétique
" , vous-même en tant qu'interprète comment avez-vous
construit votre âme poétique. Y a-t-il notamment des conseils
de lectures particulières de poètes ( ou autres écrivains)
et tout autre artiste que vous donneriez à de jeunes interprètes
pour les aider à construire une âme poétique qu'ils
soient ou non contemporains du compositeur ? Merci de dire pourquoi
et en quoi certains préludes de Debussy vous ramène éventuellement
à ces artistes ?
C'est une grande question ! En ce qui concerne Debussy, j'ai essayé
de m'imprégner de tout son environnement culturel. Il faut connaître
les grands poètes, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, l'univers
symboliste, les peintres Turner, Whistler. J'ai aussi lu tout ce qui
me tombait sous la main, un grand nombre d'ouvrages sur Debussy, sa
propre correspondance.
Je retiens deux livres admirables qui m'ont particulièrement
marqué : " Debussy et le mystère de l'instant
" de Jankélévitch et " Claude Debussy - La
musique et mouvant " de Jean-François Gautier.
Mais le plus important, je crois, est de se souvenir de ce que disait
Debussy lui-même : " N'écoutez les conseils de
personne, sinon du vent qui passe et vous raconte l'histoire du monde
".
Tout est là, je crois. Il faut regarder et écouter la
mer, le vent, les nuages .. Il faut s'ouvrir et être à
l'écoute de la poésie et de la beauté qui sont
en toutes choses en ce monde, et entrer en résonance avec elles,
en essayant d'en approcher le mystère, sans jamais espérer
parvenir à le résoudre. C'est exactement ce que fait la
musique de Debussy.
Dans le livret de votre disque, votre label
a incorporé des illustrations de Axel Arno, que pensez-vous personnellement
de celles-ci ? Est-il prévu un concert où ses images seraient
éventuellement projeté ou que penseriez vous d'une telle
idée ? Avez vous eu l'occasion de rencontrer Axel Arno ou vous
rendre à l'une de ses expositions ?
Il se trouve qu'Axel Arno est un ami, je connais et j'aime beaucoup
son travail. La Dolce Volta a déjà fait appel à
lui régulièrement pour illustrer plusieurs livrets de
disques, dans un souci d'homogénéité éditoriale.
J'étais évidemment d'accord lorsqu'ils me l'ont proposé,
et nous avons essayé de trouver des photos dont l'esprit pouvait
évoquer Debussy.
Il pourrait être en effet très intéressant d'envisager
une manifestation/concert où ses photographies seraient projetées
ou exposées avec de la musique, et notamment Debussy, mais rien
n'a été évoqué pour le moment. L'idée
est à creuser !
Claude
Debussy a choisi de donner des titres à chacun de ses préludes
qui en donne l'atmosphère mais à l'image de l'originale
photographie qui vous représente le visage à moitié
caché par votre veste pensez-vous que sa musique malgré
ses indications comportent une grande partie cachée qui ne peut
se déceler qu'après multiples écoutes ou un travail
intensif sur son uvre ?
Bien sûr, la musique de Debussy comporte une grande part de
mystère, et quels que soient les écoutes et le travail
sur son uvre, ce mystère ne se dévoile jamais tout
à fait. Et c'est cela qui en fait le tout le prix. On peut essayer
d'analyser tant qu'on veut sa musique, on finira par trouver des procédés
de composition (encore que souvent le côté discontinu et
imprévisible échappe à toute classification), mais
il y reste toujours quelque chose qui parle à l'inconscient,
à la part la plus insaisissable de notre être. Comme je
le disais plus haut, dans mon travail sur les Préludes, j'ai
essayé en permanence d'être ouvert et de me laisser envahir
par la magie de cette musique. Cela dit, tous les Préludes, sans
exception, m'ont demandé un énorme travail sur le toucher,
les timbres, les plans sonores afin de parvenir à donner vie
à ce que chacun d'entre eux suscitait dans mon imaginaire.
Il est parfois difficile de lire tout un recueil
de poésie à suivre, certaines demandant un temps d'arrêt
et de réflexion. Quel est à votre avis la meilleure façon
d'écouter votre disque : d 'une traite ou par recueil afin de
se laisser surprendre, voir de commencer plus particulièrement
certaines pièces pour ceux qui découvre l'uvre de
Debussy ou qui d'emblée après en avoir écouter
une seule ont estimé ne pas aimer l'uvre de ce compositeur
?
Debussy n'a jamais précisé qu'il fallait jouer ses Préludes
comme un cycle, dans l'ordre de publication. Et de fait, on peut les
écouter séparément, par groupe, ou encore le 1er,
puis le 2e livre, et on en goûtera tout autant les beautés.
Pour ceux qui découvrent l'uvre de Debussy, peut-être
est-il recommandé de commencer par les plus " faciles "
: je pense à "la Fille aux cheveux de lin",
à "la Cathédrale engloutie", à
"Bruyères". En revanche, je ne suis pas sûr
que les plus réussis quant à ce qu'ils évoquent
soient toujours les plus accessibles. Je pense à "Brouillards"
par exemple (une des pièces de Debussy les plus extraordinaires
et les plus modernes), qui est certainement une réussite absolue
dans l'évocation d'une " matière " brumeuse,
mais qui peut certainement dérouter un auditeur non averti.
Cela étant dit, j'ai fait l'expérience récemment
de jouer les deux livres en concerts (avec un entracte entre les deux),
et c'est absolument fabuleux. Tout d'abord, je pense que l'on ne s'ennuie
pas un instant, étant donné la variété des
climats, des atmosphères, des caractères qui se succèdent.
Et surtout, on est totalement immergé dans l'univers de Debussy,
et les sortilèges de cette musique vous font voyager très
loin.
Comment vous avez
vécu cet enregistrement réalisé sur un piano Yamaha
CFX et qui a eu lieu dans une église en février 2012,
période très froide me semble-t-il ?
J'ai découvert ce piano, un Yamaha CFX, à l'occasion
du récital que j'ai donné au Théâtre des
Champs-Elysées en avril 2011. Comme beaucoup de mes collègues,
j'ai toujours joué essentiellement sur Steinway, mais là,
j'ai été très impressionné par cet instrument
et j'ai pensé qu'avec ce nouveau modèle, Yamaha avait
franchi une étape très importante, par rapport à
l'ancien modèle de concert, en terme de perfection de la mécanique,
et surtout dans la qualité du son. Lorsque La Dolce Volta m'a
proposé de choisir mon piano pour l'enregistrement, j'ai naturellement
pensé à ce CFX. Et lorsque j'ai essayé le prélude
"Brouillards", ma décision était prise
! J'ai su que j'allais peut-être pouvoir approcher de l'idéal
de Debussy qui voulait que l'on oublie les marteaux. J'avais l'impression
que les cordes sonnaient comme si elles entraient en résonance
sans le choc des marteaux sur elles.
Quant au lieu, une église du 11e arrondissement de Paris, il
m'a été proposé par La Dolce Volta et François
Eckert et je leur ai fait confiance. Les sessions d'enregistrement ont
eu lieu fin février 2012, et la température était
assez clémente à ce moment-là. Cependant, nous
avons pris des risques en enregistrant dans une église en hiver,
car si nous l'avions fait deux semaines plus tôt, lorsque l'Europe
a été balayée par une grande vague de froid, nous
aurions probablement dû annuler !
Philippe Bianconi sera en concert :
le 7 septembre 2012 : Paris, les Serres d'Auteuil (Bagatelles)
le 9 septembre : Septembre musical de l'Orne
18 septembre : Piano aux Jacobins (Toulouse)
22 septembre : Fénétrange
16 octobre : Rouen
22 octobre : Marseille
02 novembre : Saint Tropez
Pour écouter
Claude Debussy
"Voiles "( second prélude du livre 1)
Philippe Bianconi, piano
avec l'aimable autorisation
du label La Dolce Volta
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