Paul Dukas Martin Münch Deux nouveaux disques du pianiste Laurent Wagschal
Paul Dukas (1865-1935)
Intégrale des oeuvres pour piano
Sonate
La Plainte, au loin, du Faune... Variations, Interlude et Finale sur un thème de Rameau
Prélude élégiaque sur le nom de Haydn
Laurent Wagschal, piano
A peine disparu de la page d'accueil de pianobleu.com, le pianiste Laurent Wagschal y revient avec cette fois deux disques d'oeuvres pour piano seul, peu ou pas du tout connues ! A l'occasion de la sortie de ces deux disques, il a bien voulu répondre à nombreuses questions pour présenter ceux-ci.
Vous pourrez également en découvrir quelques extraits.
Le premier disque , qui parait sous le label Timpani , est consacré à l'intégrale des oeuvres pour piano du compositeur français Paul Dukas(1865-1935), comme vous pouvez le voir ci-dessus, autant dire un très beau disque encore, car ce compositeur , très exigeant, n'a conservé que le meilleur, et elles sont absolument fabuleuses. Ce n'est pas faute de l'avoir souvent dit sur pianobleu.com : hélas les organisateurs de concerts hésitent, à tort , de les programmer , et pourtant, ô combien le public, qui a eu la chance d'assister à l'un des concerts pendant lequel est jouée la sonate, garde un souvenir ému de tel concert. Certes peu de pianistes arrivent à la jouer car elle est d'une très grande difficulté... Selon Guy Sacre auteur du livret de son disque "elle intimide le public , et si le pianiste ne s'avoue pas vaincu, par la virtuosité harassante qu'elle exige, il s'en détourne peut-être pour son trop grand sérieux, sa gravité monumentale( et dans gravité , si l'on songe au latin, il y a lourdeur ".... Mais qui dit gravité dit aussi gravitation, et il ne faut pas douter que cette sonate ait un fort pouvoir d'attraction d'un public désireux de ressentir une forte émotion, car assurément voilà une des oeuvre les plus émouvantes de tout le répertoire pianistique et sa "force de gravité" a de quoi clouer au sol ses auditeurs, quoique aussi matière à le faire lever pour applaudir ! Réclamez-la , et si vous avez cette possibilité : programmez-la ! Et en attendant d'avoir le plaisir de l'entendre en concert , écoutez plus bas dans cette page le troisième mouvement : " "Vivement, avec légèreté " (donc dans ce mouvement pas de lourdeur du tout, et comme vous pourrez le constater, les notes de la partition coulent sous les doigts de Laurent Wagschal avec une vitesse et une légèreté fort impressionnantes ! ) , et procurez vous le disque car tant l'écoute des autres mouvements de la sonate que les autres oeuvres de Paul Dukas offrent un réel plaisir !
Et le second disque à découvrir ci-dessous, qui lui paraît chez les éditions Prometheus, est une sélection d'oeuvres du compositeur allemand Martin Münch, né en 1961, avec lequel le pianiste Laurent Wagschal a eu le privilège de travailler, et dont il a reçu deux oeuvres qu'il a écrites spécialement pour lui à l'occasion de la naissance de chacune de ses filles, des pièces qui sont bien sûr enregistrées sur ce disque.
Voici la présentation de l'éditeur : Martin Münch Stücke -Pièces op.6/2,37, 49b
Arabesques
Laurent Wagschal, piano
"Ce disque réunit des pièces caractéristiques dont la composition s'étend sur presque 25 ans : la 2ème sonate pour piano op. 6/2 (1978), Contes et Arabesques op. 32 (1996/97), Marches funèbres interdites op. 37 (2001/ 03), Sterl-Impressions op. 49b (2011) et deux sublimes Hommages musicaux.
L'atmosphère des Contes et Arabesques, en même temps suspendue, facétieuse et enjouée, est contre-pointée par la force massive et l'expression pénétrante des Marches funèbres interdites. La 2ème sonate pour piano marque un changement radical tandis que les impressions inspirées de tableaux de Robert Sterl reflètent la sensibilité du musicien mûr."
Effectivement ces "Marches funèbres interdites" sont par moment très impressionnantes, oui vraiment saisissants, et différentes des poétiques Contes et Arabesques. Quant aux impressions inspirées des tableaux de Robert Sterl (1867-1932), tableaux que l'on peut aussi avoir envie de voir outre celui qui illustre le disque ( c'est possible en partie sur le site internet du musée qui lui est consacré), vous pourrez écouter plus bas dans cette page précisément un extrait correspond à ce tableau pour vous en faire une idée. Un disque riche en émotions fortes extrêmes de la douceur à la violence.
Dans quelles circonstances avez-vous enregistré le disque consacré à Dukas ? Que représente ce compositeur dans votre répertoire et avez-vous eu l'occasion de jouer souvent ses œuvres en concert, notamment la sonate ?
Contrairement à mes deux derniers enregistrements solo consacrés à Gabriel Pierné et Maurice Emmanuel qui m'ont été proposés par Stéphane Topakian, directeur du label Timpani, c'est moi qui ai souhaité réaliser cet enregistrement des œuvres pour piano de Dukas. Il s'agit d'un projet qui me tenait très à cœur et auquel je pensais depuis plusieurs années. La sonate est une œuvre que j'ai déjà donnée quelques fois en concert, autant que faire se peut, car une pièce d'aussi vastes dimensions ne se programme pas facilement. Il faut aussi lutter contre la frilosité de certains organisateurs et d'une partie du public... Mais c'est une pièce que j'ai beaucoup travaillée et ce depuis longtemps : il s'agit d'une œuvre monumentale qui demande du temps pour laisser mûrir son interprétation et pour avoir suffisamment de recul par rapport aux difficultés d’exécution.
Qu'appréciez-vous dans sa musique ? Guy Sacre indique dans votre livret que les pianistes se détournent de la sonate peut-être pour son trop grand sérieux et sa gravité ou lourdeur, lui trouvez-vous ces défauts ?
Pour moi les œuvres pour piano de Dukas sont absolument magistrales et méritent clairement de figurer parmi les sommets du répertoire français aux côtés des œuvres de Fauré, Debussy et Ravel. Elles allient une impressionnante science et maîtrise de l'écriture, un profond respect des formes classiques mais aussi une forte personnalité et des audaces harmoniques étonnantes.
La gravité est certainement très présente tout au long de cette sonate et elle apparaît de manière évidente dès la phrase sombre et douloureuse qui ouvre le premier mouvement. Par contre je ne trouve pas qu'on puisse lui reprocher d'être « lourde » : l'écriture est certes parfois très massive et chargée, notamment dans le Final, car Dukas qui est un merveilleux orchestrateur, écrit de manière très orchestrale également pour le piano et le pianiste en a alors plein les doigts ! Sérieuse et rigoureuse, la sonate l'est bien évidemment; mais si on lui reproche d'être « trop sérieuse », alors ce serait aussi le cas de la musique de Bach ou des dernières œuvres de Beethoven ! Musiques d'ailleurs desquelles par certains aspects Dukas semble plus proche que des musiciens français. Quant au reproche qu'il lui est fait d'être (trop) longue, je trouve personnellement que, comme pour tous les grands chefs-d’œuvre, l'intérêt ne faiblit pas de la première à la dernière note et que pas une n'est superflue.
Que pensez-vous de sa difficulté pianistique que Guy Sacre évoque aussi ? Il déclare : « Il faut du courage pour en entreprendre l’étude, mais on est récompensé de ses peines…»
Oui, il est vrai que cette sonate est particulièrement redoutable et périlleuse, ce qui concourt malheureusement à sa désaffection par les pianistes. La lecture du premier mouvement est rendue particulièrement malaisée par la tonalité de mi bémol mineur qui implique l'utilisation constante des doubles bémols. Mais quand on a pu enfin surmonter toutes ces immenses difficultés, on a la récompense de pouvoir jouer un chef d’œuvre d'une infinie richesse qu'on ne se lasse jamais de jouer et dans lequel, à chaque nouvelle exécution, on peut découvrir de nouveaux aspects.
Vous êtes, on peut le dire, spécialiste de la musique française de cette époque, quel est votre avis sur le fait que les autres compositeurs français de cette époque n’aient pas eu l’envie de réaliser des œuvres aussi gigantesques, délaissant la forme sonate parfois pour des sonatines ou d'autres formes plus libres ?
C'est vrai qu'à cette époque, la concision est une des particularités et vertus de l'école française, bien éloignée de la démesure d'un Bruckner ou d'un Mahler par exemple. Dans le domaine de la musique pour piano, les musiciens français s'expriment généralement dans de courtes pièces, et le plus souvent dans le cadre de la forme suite, cadre qui correspond a priori mieux à l'esprit de l'école française. Avant Dukas, seuls Gouvy ou Alkan ont écrit une sonate pour piano. En écrivant cette monumentale sonate qui est une véritable symphonie pour piano, Dukas s'inscrit dans la lignée des dernières sonates de Beethoven et de la sonate de Liszt. A la même époque ce sont les musiciens russes qui écrivent des sonates pour piano (Scriabine ou Rachmaninov) et parmi ses compatriotes, d'Indy se lancera à son tour, quelques années plus tard, dans la composition d'une sonate, elle aussi d'ailleurs de vastes dimensions.
Que pensez-vous personnellement des variations sur un thème de Rameau ?
Dukas, comme Debussy et Ravel, a été un grand admirateur des clavecinistes français du 18ème : Rameau et Couperin. Il a ainsi participé à la réédition complète des œuvres de Rameau chez Durand, s'attelant à la révision de plusieurs de ses opéras. Dans ses Variations, Interlude et Final sur un thème de Rameau, Dukas déploie une extraordinaire richesse et inventivité dans l'art de la variation et se montre ainsi digne successeur de Beethoven. Comme Beethoven d'ailleurs dans ses Variations Diabelli, Dukas choisit un thème de Rameau très simple, très court, presque banal (« au charme insignifiant » dit Alfred Cortot !), mais propice par là justement à l'exercice de la variation. Pour chaque variation, Dukas crée un univers particulier dans lequel le lien avec le thème est parfois tellement ténu qu'on le perçoit difficilement. Précédé d'un Interlude quasi improvisé, l’œuvre se conclut par un Final plein d'allégresse et longuement développé, dans lequel cette fois-ci le thème de Rameau est exposé de manière explicite. Comme la sonate, il s'agit d'une œuvre exigeante pour l'interprète comme pour l'auditeur ; elle ne peut s'écouter distraitement et elle ne dévoile pas toutes ses subtilités à la première audition. Pour les percevoir et les apprécier pleinement, il est nécessaire de la réentendre.
Hormis ces deux œuvres, il n’a laissé que deux autres courtes œuvres pour le piano, toutes deux des pièces de circonstance en hommage à Haydn et Debussy. Pensez-vous que le fait qu’il ait été en outre critique musical a contribué au fait qu’il a publié peu d’œuvres ? Avez-vous eu l’occasion de lire quelques unes de ses critiques ?
Ne pouvant subvenir à ses besoins uniquement grâce à la composition, Dukas, comme d'ailleurs Debussy, Fauré ou Florent Schmitt l'ont fait également, a consacré une part importante de ses activités à la critique musicale. Mais l'explication de sa si faible production, Dukas n'a en effet malheureusement laissé qu'une poignée d’œuvres, il faut plutôt la chercher dans sa sévérité et son exigence absolument extrême (maladive on peut même dire !) avec lui-même. Il a ainsi régulièrement abandonné des partitions avant de les achever, ou même détruit de nombreuses manuscrits. Il voulait d'ailleurs détruire celui de son magnifique poème symphonique la Péri, étant persuadé qu'il ne valait rien. Heureusement, ses amis proches, qu'il consultait toujours en privé avant de livrer ses œuvres à la publication, l'ont empêché de le faire !
Il existe un ouvrage qui présente l'intégralité des critiques de Dukas, je ne l'ai pas lu, mais j'ai eu l'occasion de lire certaines de ses chroniques dans une biographie. Dukas se montre particulièrement respectueux de ses compatriotes : Saint-Saëns, d'Indy et bien entendu son ami Debussy pour lequel il éprouvait une profonde admiration. Par contre, j'ai été surpris de sa grande sévérité avec la musique de Brahms et de Richard Strauss.
Le livret de votre disque Martin Münch est très bref, pouvez-vous nous en dire plus sur ce compositeur allemand et avez-vous eu l’occasion de le rencontrer et de travailler avec lui ?
Martin Münch est né en 1961, il a étudié la musique et la philosophie à Mayence, et la composition à Karlsruhe avec Wolfgang Rihm. Il vit à Heidelberg et partage ses activités entre la composition et les concerts qu'il donne régulièrement à travers le monde en soliste ou en musique de chambre. Il enseigne également à l'Université de Bamberg. Son catalogue aborde tous les genres musicaux et comprend une cinquantaine d'œuvres pour piano, de musique de chambre ainsi que pour orchestre. A l'occasion du Pyromusikale de Berlin en 2009, il a obtenu le 1er Prix de composition avec son Ouverture Feuerwerk qui a été créée par le Berliner Symphoniker. J'ai eu l'occasion de rencontrer Martin Münch et de découvrir sa musique il y a quelques années et j'ai été immédiatement séduit par sa personnalité. J'ai déjà donné en concert de nombreuses de ses œuvres aussi bien pour piano qu'en musique de chambre. J'ai eu aussi la chance de pouvoir travailler avec lui à plusieurs reprises, et c'est évidemment toujours un grand privilège de pouvoir travailler les œuvres directement avec le compositeur.
Dans quel courant musical se situe t-il et qu’appréciez-vous particulièrement dans sa musique ?
On peut classer globalement la musique de Martin Münch dans la catégorie des musiques « consonantes », utilisant le concept de « tonalité élargie ». C'est un grand connaisseur et admirateur de la musique française et ses œuvres en semblent d'ailleurs issues plutôt que de la musique allemande. Ses toutes premières compositions sont très influencées par Ravel, puis par Scriabine et Messiaen. Mais progressivement, détaché de ces influences qu'il a assimilées, sa personnalité s'est affirmée, créant un langage et un style très original. Son inspiration mélodique est chaleureuse et ses œuvres sont caractérisées par une grande profondeur et une expressivité très intense.
Les œuvres de votre disque s’étalent sur une vaste période créatrice de 1978 à 2011, que représente la musique pour piano seul dans ses compositions et sur quels critères avez-vous sélectionné celles de votre disque ?
Étant pianiste concertiste, la musique de piano tient naturellement une place centrale dans le catalogue de Martin Münch. Il a ainsi consacré à son instrument de très nombreuses pièces, quatre sonates et deux concertos. J'ai pu choisir librement les œuvres que je souhaitais jouer, sélectionnant celles qui me « parlaient » le plus. Sur cet enregistrement figurent donc la très impressionniste 2ème sonate qui est une œuvre de jeunesse écrite à 17 ans, mais déjà surprenante de maturité ; les Contes et arabesques op.32 ; les Marches funèbres interdites op.37, ainsi intitulées car elles ont été censurées aux Etats-Unis ; les Sterl-Impressionen, six miniatures inspirées par des tableaux du peintre allemand Robert Sterl ; enfin « Pour Louise » et « Petit morceau », deux magnifiques courtes pièces dont je suis particulièrement fier, puisqu'elles ont été écrites à l'occasion de la naissance de mes deux filles Louise et Nolwenn. Et je dois dire qu'on ne m'a fait pas de plus beau cadeau et de plus belle surprise à cette occasion !
Aurez-vous l’occasion de jouer prochainement une de ses œuvres en concert en France ou ailleurs ?
J'aurai le plaisir de présenter cet enregistrement des œuvres pour piano de Martin Münch le 22 mai prochain en Allemagne, dans le cadre du Neckar-Musikfestival. Quant à la sonate de Dukas, je la jouerai aux Moments musicaux de Touraine le 21 février 2014.
Pour écouter Laurent Wagschal, piano
Paul Dukas -
Sonate
3ème Mvt
avec l'aimable autorisation
du label Timpani
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Martin Münch -
Marchen und Arabesken op.32(extrait)
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Martin Münch -Sterl-impressionen op.49b
(extrait)
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