Béla BARTOK Claire Delamarche COMPOSITEUR PIANISTE
Béla
Bartók (1881 -1945)
Claire Delamarche
Voici un livre, paru en novembre 2012, dont la lecture si vous la
débutez en cette fin d'année se prolongera fort probablement
en 2013 car cette monographie de référence sur le compositeur
et pianiste Béla Bartók qui vient de paraître chez
les éditions Fayard comprend plus d'un millier de pages !
Un document gigantesque qui a demandé à son auteur
Claire Delamarche, musicologue chargée des publications à
lAuditorium-Orchestre national de Lyon , plus d'une dizaine d'années
pour sa réalisation... Rien à voir donc avec "Le
Petit livre des grands compositeurs" qu'elle a pu réaliser
il y a quelques années ainsi que d'autres ouvrages dits "pour
les nuls" auxquels elle a aussi contribué, mais un livre
impressionnant, dont à l'occasion d'un entretien à lire
ci-dessous, elle confie à juste titre que maintenant que celui-ci
est édité elle éprouve : "Un mélange
de fierté et de soulagement, car la rédaction de ce livre
fut une magnifique aventure mais également un sacerdoce dont
[ elle est ] heureuse de sortir" .
Cette monographie unique en son genre pour ce qui concerne Béla
Bartók est assurément destinée à ceux qui
ont envie de tout savoir sur le compositeur, également pianiste,
hongrois qui s'exila aux États Unis et considéré
comme un homme "juste" ou "homme de justice"
par un autre compositeur hongrois Zoltan Kodaly dont la musicologue
cite en avant propos un beau portrait qu'il fit cinq ans après
la mort de Béla
Bartók , ainsi : " La science et l'Art ont une même
origine. Chacun reflète le monde à sa façon - l'une
et l'autre ont pour condition fondamentale commune une faculté
aiguë d'observation, la reproduction et sa sublimation grâce
à une synthèse supérieure. Grandeur scientifique
et grandeur artistique ont également un fondement identique :
"l'homme juste" , le "vir justus". Et Bartók
quitta l'Europe parce qu'il ne supportait plus l'injustice qui y faisait
rage, faisait sienne la devise de Rousseau " Vouer sa vie à
la Vérité" ... L'homme de justice se reconnaît
au sentiment de responsabilité hors du commun qui gouverne sa
vie et son travail. Tel fut Bartók ..."
Claire Delamarche a , explique-t-elle, tenté de s'élever
à la hauteur de cet "homme juste", d'embrasser
sa vie et son oeuvre avec la rigueur, le souci de vérité,
le sentiment de responsabilité mêmes qui ne cessèrent
de l'animer. Il faut dire que la musicologue possède tous les
atouts pour mener une telle recherche de vérité puisque,
outre avoir suivi une formation au Conservatoire de Paris, elle a en
parallèle suivi des études de langue hongroise, langue
indispensable, on le devine aisément, pour exploiter les divers
documents qu'elle a pu consulter notamment aux Archives Bartók
de Budapest où elle s'est rendu une fois par mois durant ses
travaux.
Ainsi pour reprendre l'explicite texte de quatrième de couverture...
"Claire Delamarche présente toute la richesse de l'oeuvre
de Bartók qui aborde une grande variété de genres
(lopéra avec Le Château de Barbe-Bleue ; le ballet
; la musique de chambre avec six quatuors qui constituent le sommet
de ce répertoire au XXe siècle ; le piano ; la musique
vocale et chorale ; lorchestre et la musique concertante
)
et sancre dans la musique populaire dEurope centrale (dont
Bartók a recueilli les mélodies et les rythmes en une
démarche ethnographique). Elle dépeint le contexte familial,
amical et social, démêle lécheveau géopolitique
de lEurope centrale, présente les acteurs majeurs de la
vie artistique et culturelle hongroise en sappuyant sur un large
choix de textes, lettres et témoignages publiés pour la
première fois en français."
Ce livre, a été récemment récompensé
par le prix René-Dumesnil de l'académie des Beaux arts
et il est préfacé par Vincent Warnier et postfacé
par Thierry Escaich ... Le premier, organiste concertiste , mentionne
notamment les compositeurs qui ont précédé Bartók
et dont sa musique s'inspire ... : "Nous suivons notre compositeur,
pianiste virtuose dans le lignée de Liszt, admirateur de Debussy
aussi bien que des maîtres italiens anciens, précurseur
de l'ethnomusicologie moderne, à travers l'Europe bouillonnante
du début de siècle jusqu'à l'exil homérique
vers les Etats-Unis en 1940, après la traversée de pays
à feu et à sang": et le second, compositeur lui-même
, tourne son regard sur le présent et le futur : indiquant notamment
que la jeune génération trouve encore en Bartók
un inspirateur et un modèle : "J'entends souvent dire
que Béla Bartók n'a pas vraiment eu de descendants parmi
les compositeurs qui lui ont succédé.. Mais outre le fait
qu'on retrouve bien des couleurs et des rythmes Bartókiens chez
un Ligeti ou un Lutoslawski - et pas seulement dans des oeuvres de jeunesse-
, j'ai tendance à penser que beaucoup peuvent se sentir irrigués
par sa démarche compositionnelle et particulièrement nos
jeunes contemporains [...]Il fait partie des compositeurs qui ont si
bien connu et intégré la musique qui les a précédés
qu'ils ont pu, sans rupture, sans posture, en inventer une nouvelle.
Une vrai leçon de composition pour nous tous."...
Dans
votre parcours, vous avez suivi parallèlement des études
de musicologie et des études de langue et civilisation hongroises.
Pouvez-vous préciser à quelle période vous avez
suivi ces études et pour quelle raison vous avez fait ce choix
?
J'ai commencé l'étude du hongrois deux ans après
avoir passé le baccalauréat, conjointement à mon
entrée au Conservatoire national supérieur de musique
et de danse de Paris. Je me suis décidée grâce à
la découverte de la musique hongroise (à l'époque
plutôt Kodály, d'ailleurs), mais surtout par un véritable
coup de foudre pour la musique magnifique de cette langue, que j'ai
pu entendre dans la bouche d'amis et dans un disque de poésies
hongroises du XIIIe siècle. L'amour de Bartók est venu
plus tard, naturellement, au fil notamment de mes voyages en Hongrie.
Quel est l'origine de votre projet de biographie
de Bartók, qui remonte à plus de dix ans ? A-t-il évolué
au cours de ces dix années ?
Sachant que je m'intéressais à ce répertoire,
Jean Nithart, des éditions Fayard, m'a proposé la rédaction
de cette monographie, et j'ai accepté sans mesurer vraiment l'ampleur
de la tâche. Je me suis vite rendue compte que les uvres
les plus modestes en apparence avaient une importance capitale et qu'aucune
ne pouvait être laissée de côté, et que, pour
donner suffisamment de clefs au public francophone, il me faudrait traduire
énormément de lettres et de textes et décrire de
manière étoffée le contexte historique et culturel
complexe dans lequel vivait Bartók.
Comment avez-vous mené votre travail
de recherche, notamment sur quels lieux vous êtes-vous rendue
? Comment avez-vous collecté tous les écrits qui sont
notamment cités dans la bibliographie ?
Je me suis rendue au moins une fois par an aux Archives Bartók
de Budapest, qui sont bien entendu la mine absolue pour tout chercheur
sur ce compositeur. Mais j'ai également exploré un fonds
moins connu, et passionnant, le Fonds Denijs Dille, versé il
y a quelques années à la Bibliothèque royale de
Belgique à Bruxelles. J'ai également acquis quelques mètres
cubes de livres et de partitions afin de pouvoir travailler chez moi.
Mon appartement regorge de documents Bartókiens de toutes sortes
Bartók lui-même était un
grand voyageur et aimait " vivre " la musique folklorique
avec les gens, vous-même avez-vous eu ces expériences lors
de vos voyages ?
Je n'ai malheureusement pas eu le temps de me rendre dans les villages
où Bartók est allé collecter, essentiellement en
Transylvanie (aujourd'hui en Roumanie). Mais j'ai eu la chance qu'une
amie, la documentariste Emmanuelle Franc, tourne plusieurs heures de
rushes dans ces terres encore reculées et m'en fasse profiter.
Je suis en revanche allée à New York voir de mes yeux
tous les endroits où Bartók avait demeuré.
D'autres compositeurs se sont aussi inspirés
de musique folklorique avant Bartók, en quoi la démarche
de Bartók vous semble-t-elle tout à fait exceptionnelle
?
Bartók se distingue à mon avis par trois aspects. D'une
part, il considérait son travail d'ethnomusicologue comme un
travail scientifique et même comme son activité principale,
et non comme un hobby. D'autre part, il ne se contenta pas du folklore
hongrois, mais chercha jusqu'à ses derniers jours à élargir
son champ d'action, par curiosité intellectuelle autant que dans
le but de renouveler sans cesse son inspiration. Enfin, le folklore
n'exerce pas chez lui un simple rôle de coloration, de pittoresque,
mais irrigue en profondeur son langage. Des uvres aussi abstraites
que la Suite op. 14 pour piano ou le Quatrième Quatuor sont tout
autant redevables à la musique populaire que les Danses populaires
roumaines ou la Sonatine pour piano.
Pouvez-vous brièvement caractériser,
les différentes périodes compositrices de Bartók
?
On peut distinguer une période de jeunesse, jusque vers 1907,
où Bartók assimile le style de ses aînés
(Bach, Beethoven, Brahms, Liszt, Wagner, Richard Strauss) et cherche
une voie propre. En 1908, après le choc simultané de la
découverte du chant populaire hongrois et de celle de Debussy,
son style prend un tournant radical. Il n'y aura plus de rupture majeure
dans son écriture jusqu'à sa mort, néanmoins deux
grandes périodes se dessinent : avant 1923, pendant son premier
mariage, avec des uvres souvent narratives, voire autobiographiques
(notamment les trois uvres scéniques, les deux cycles de
mélodies, le Premier Concerto pour violon, les Bagatelles pour
piano), et après 1926, après son second mariage et un
quasi-silence de trois ans, où les préoccupations d'ordre
strictement musical et esthétique prennent le dessus pour générer
des chefs-d'oeuvre plus délibérément abstraits,
tout en dégageant bien sûr une profonde émotion
: la suite En plein air, la Sonate et les trois concertos pour piano,
les quatre derniers quatuors, la Musique pour cordes, percussion et
célesta, la Sonate pour deux pianos et percussion, le Deuxième
Concerto pour violon ou le Concerto pour orchestre.
Une de ces périodes a-t-elle votre préférence
?
Non. Toutes sont précieuses pour la compréhension de
ce personnage complexe.
Bartók était aussi pianiste, que
pensez-vous de sa technique pianistique ?
En tant qu'élève d'un élève de Liszt,
István Thomán, Bartók bénéficiait
d'une technique remarquable qu'il a peu à peu pliée à
ses propres exigences. Il était notamment d'une précision
extrême dans les attaques et les articulations, qu'il notait avait
un soin méticuleux. Alors que tant de ses uvres pianistiques,
de l'Allegro barbaro aux deux premiers concertos, utilisent souvent
le piano comme un instrument percussif, son jeu n'avait aucune dureté,
même dans ces partitions.
Que pensez-vous de la façon dont Liszt,
pianiste et compositeur hongrois comme Bartók, a influencé
la musique de Bartók ou la musique folklorique ? Et d'autres
compositeurs européens ?
Si Liszt a aiguillonné au commencement la virtuosité
et la fibre patriotique du jeune Bartók, ce dernier a puisé
ensuite tout autre chose chez son aîné, notamment sa manière
de construire les formes musicales. Bartók s'est rapidement détourné
des débordements des Rhapsodies hongroises pour se repaître
de pièces comme la Sonate en si mineur, qu'il admirait beaucoup.
Par ailleurs, découvrant le chant populaire hongrois en 1904-1905,
il s'est rendu compte que le parfum hongrois de la musique de Liszt
était redevable non pas à des traditions magyares ancestrales
et paysannes, mais à la musique urbaine et beaucoup plus élaborée
que répandaient les orchestres tsiganes, qui n'avait pas grand-chose
à voir avec le folklore authentique. Bartók a conservé
toute sa vie une admiration intacte pour Debussy, dont il a joué
abondamment les uvres pour piano et les sonates.
Plus généralement, en ce qui concerne
ses uvres pour piano seul, hormis des distinctions d'inspiration
quelles autres distinctions vous semblent primordiales, notamment de
difficulté sans doute puisqu'il a aussi écrit des uvres
pédagogiques ?
L'uvre pour piano de Bartók est particulièrement
riche, de pièces relativement simples comme les arrangements
de chants populaires à d'autres qui sont de véritables
défis techniques, comme les Rondos ou les Etudes
Des cycles
pédagogiques comme Pour les enfants ou Les Premiers Pas au piano
sont constitués de pages assez abordables, en revanche les Mikrokosmos
sont d'une difficulté croissante. Si les premières pièces
sont destinées aux débutants, les dernières, les
six Danses en rythme bulgare, sont de redoutables pièces de concert.
Vous indiquez que pour étudier la musique
de Bartók on ne peut pas faire abstraction des nombreux soubresauts
de l'histoire hongroise et européenne ni des heurs et malheurs
de sa vie personnelle, ne pensez-vous pas qu'il en est quasiment de
même pour tous les compositeurs ? En quoi la musique de Bartók
est-elle plus atteinte par son entourage que celle d'autres compositeurs
?
Certes, Bartók n'est pas le seul créateur qui s'imprègne
de ce qui l'entoure. C'est peut-être même la définition
du créateur que de savoir saisir ce qui l'entoure avec des antennes
surdéveloppées et le retransmettre en émotions
perceptibles par tous. Mais ce qui est intéressant dans le cas
de Bartók, c'est que ces interférences ont souvent été
sous-estimées par certains commentateurs qui insistaient davantage
sur le caractère abstrait et très construit de sa musique.
Une telle approche me semble très réductrice. Par ailleurs,
la vie même de Bartók, dans le contexte historique très
complexe de l'Europe centrale, nécessite qu'on se penche sur
les faits historiques.
Que pensez-vous du Troisième Concerto
pour piano, composé pour sa femme alors qu'il se savait sur le
point de mourir, et qu'il n'a pas terminé ?
Des trois, c'est certainement le plus facile d'accès pour un
auditeur néophyte et le plus attachant. Bartók y a délibérément
privilégié un langage assez simple et tonal, des références
au passé (notamment à Bach). Malgré tout, cela
sonne absolument comme du Bartók. Et il y a dans cette partition
un souffle, une énergie sidérants lorsque l'on connaît
les circonstances de sa composition - Bartók y a mis ses dernières
forces. Mais les deux premiers concertos ont également un grand
pouvoir de séduction, que ce soit par leur vitalité rythmique,
leur beauté sonore ou leur invention formelle et contrapuntique
- le Premier dans un langage plus abrupt que le Second.
Thierry Escaich a signé la postface de
votre livre, trouvez-vous dans la musique de ce compositeur des uvres
qui s'inspirent de Bartók ?
La musique de Thierry Escaich s'abreuve à de nombreuses sources
pour trouver un ton tout à fait personnel, mais l'exemple de
Bartók est certainement de ceux qui l'ont le plus marqué.
Il lui rend ouvertement hommage dans des uvres comme les Scènes
d'enfants au crépuscule ou Lettres mêlées. Il rejoint
dans de nombreuses partitions l'esprit de la grande et inexorable montée
en puissance du mouvement lent du Deuxième Concerto pour piano.
Au-delà de ces connexions de surface, il trouve avec son aîné
de nombreux points de convergence rythmiques, harmoniques et contrapuntiques
qui se manifestent à des niveaux plus secrets de l'écriture.
Mais peut-être la leçon majeure qu'il retient du compositeur
hongrois est-elle que l'on peut revendiquer des filiations, s'inscrire
dans le cours de l'histoire de la musique sans craindre de perdre sa
propre identité.
Maintenant que cet important ouvrage sur cet "
homme juste " est terminé que ressentez-vous ?
Un mélange de fierté et de soulagement, car la rédaction
de ce livre fut une magnifique aventure mais également un sacerdoce
dont je suis heureuse de sortir.
Avez l'intention déjà de vous
intéresser ainsi à un autre compositeur ?
Je m'intéresse bien sûr à d'autres compositeurs,
mais de là à y consacrer douze nouvelles années
de ma vie
Nous verrons bien !
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© pianobleu.com - ISSN 2264-2056 ----
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