Deux livres sur Chopin par Jean-Yves Clément
Jean-Yves
Clément
Les deux âmes de
Frédéric Chopin
et
Nuits de l'âme
21 poèmes
d'après
les 21 nocturnes
de Frédéric Chopin
Editeur et écrivain, Jean-Yves Clément
est aussi le directeur artistique du Festival des Fêtes
romantiques de Nohant, a fondé les rencontres internationales
Chopin, et a déjà écrit trois livres sur
son compositeur de prédilection, pour ne citer que ce qui
le lie à Chopin, car en fait la liste de ses multiples
livres et activités au sein du monde musical ne s'arrête
pas là... En cette année de célébration
du bicentenaire de la naissance de Chopin, il sort deux livres
dont la forme littéraire diffère : essai biographique
pour l'un et poésie pour le second mais qui, comme le montre
leurs titres, visent tous deux à une approche de l'âme
de Chopin que ce soit à travers les nocturnes ou, plus
largement sa vie et son oeuvre, et la dévoilant double
d'ailleurs.
De fait la poésie se révèle également
très présente dans l'essai biographique, dont la
lecture est fort plaisante car celui-ci est nullement technique
mais inspiré aussi de l'essence poétique de l'oeuvre
de Chopin que l'auteur veut nous faire partager, ainsi pourrez-vous
en juger dans les deux extraits rapportés en bas de cette
page, et l'exercice complémentaire de mettre des mots sur
les notes des nocturnes de Chopin semble la concrétisation
logique de la description que l'écrivain en avait faite
déjà fort poétiquement au cours de cet essai.
Des poèmes brefs mais qui en disent long, par la force
des mots et le rythme qui respecte même le silence de la
musique. Jean-Yves Clément a bien voulu répondre
à quelques questions pour présenter ses livres :
Vous
êtes directeur artistique des Fêtes romantiques de
Nohant , avez fondé les rencontres internationales Chopin
et écrit un ouvrage sur les préludes de Chopin,
Quelle place précisément occupe ce compositeur dans
votre vie, notamment lécoutez vous souvent , vous-même
le jouez-vous au piano ?
Je l'ai joué au piano, je l'ai écouté tous
les jours, mais c'était il y a longtemps... Maintenant
il vit en moi sans que j'ai besoin régulièrement
de l'écouter. Mais il occupe plus qu'une place majeure
(j'en aime aussi beaucoup d'autres !), une place très particulière
et étrange, celle qui me fait écrire sur la musique
et poser des mots sur elle - suprême défi et démarche
bien singulière... Et il n'y a que Chopin qui agisse ainsi
sur moi, paradoxe étrange concernant le moins bavard des
compositeurs... et l'un des plus clos, les plus mystérieux.
Mais le mystère m'inspire, sans doute. Chopin occupe donc
en partie la place de ma créativité d'écrivain
: déjà trois livres sur, ou d'après Chopin...
Les 2 festivals existants (Fêtes Romantiques de Nohant et
Rencontres Internationales Frédéric Chopin) deviennent
cette année un seul, le Festival de Nohant, qui se déroulera
de début juin à fin juillet, alternant, concerts,
spectacles littéraires et musicaux, et causeries, dans
la grande tradition de Nohant, et dans l'esprit de l'union de
la littérature et de la musique chez George Sand. Bien
sûr il sera particulièrement consacré à
Chopin avec, entre, autre les venues d'Aldo Ciccolini, Rafal Blechacz,
et Evgeni Kissin...
Vous sortez simultanément ces deux
livres , les avez-vous écrit en parallèle où
lun après lautre ?
En parallèle, comme deux exercices différents
mais complémentaires. Dans les deux cas, c'est d'une approche
poétique dont il s'agit avant tout... Il faut préciser
que "Nuits de l'âme", 21 poèmes sur les
21 nocturnes de Chopin, est au départ une commande de Brigitte
Engerer. Quant à l'idée de l'essai, c'était
pour moi l'année ou jamais de faire le point sur ce compositeur
qui vit en moi depuis toujours... étrangement, d'ailleurs...
et de relever ce défi qui m'est si cher de mettre des mots
sur des notes... car je n'écris que faute de ne pouvoir
composer...
Vous avez appelé votre essai «
les deux âmes de Chopin » , ne pensez-vous pas que
cest en fait le propre de tout homme davoir une âme
double, ainsi le relevez-vous dailleurs en mentionnant dautres
compositeurs ?
Si, bien sûr, et c'est dans ce sens que je cite Pascal
en exergue, qui l'affirme aussi. Cela dit, je tente de montrer
dans cet essai à quel point cette dualité est exacerbée
chez Chopin, pour des raisons objectives (l'exil, qui partage
sa vie entre Pologne et France, et sa vie en France elle-même,
scindée - et dans sa créativité aussi - entre
Paris et Nohant), mais aussi psychiques, consubstantielles à
sa nature profonde, dans le monde et hors du monde... et plus
encore radicalement chez lui que chez d'autres compositeurs ou
poètes. Son uvre, je l'écris, si claire dans
son langage, semble pousser comme à l'ombre de sa vie...
Cette dualité peut aller jusqu'à une quasi schizophrénie,
c'est ce que je cherche à montrer à partir de ses
Préludes, qui alternent joie et douleur de façon
tellement paroxystique - entre deux abîmes, l'extase et
la rage. Aucune "raison extérieure" ne peut expliquer
de tels "excès", seule une profonde déchirure
originelle de l'âme...
Vous affirmez que « La vie de Chopin
est la musique, comme la musique est sa vie » et par ailleurs
vous dites que « Chopin se tiendra toujours audessus
de sa vie [
] de fait luvre et la vie chez Chopin
sont précisément deux choses» , et votre essai
trace précisément la vie de Chopin , dans un ordre
non chronologique, mais au travers dune analyse de ses uvres
réparties selon leur lieu de création, ce qui semble
montrer quand même une certaine influence des lieux extérieurs
sur le monde intérieur de Chopin, et donc son oeuvre, n'est-ce
pas un peu paradoxale ?
Je prétends que cette "influence" est très
relative et jamais prouvée en fait (même pour la
fameuse Etude dite "révolutionnaire" !) Ses sources
d'inspirations sont toujours très mystérieuses.
Bien sûr, il se trouve qu'une uvre est certes composée
à un endroit et pas à un autre ! Pour autant, l'uvre
et la vie sont deux choses séparées chez lui, précisément
parce qu'elles agissent indépendamment l'une de l'autre.
Les conditions sont certes favorables (Nohant), ou négatives
(Majorque), mais en aucun cas elles ne suffisent à expliquer
quoi que ce soit ; au mieux elles éveillent la face noire
ou lumineuse que Chopin porte en lui ; inversement la musique
peut sans doute conditionner son état, en tout cas plus
que l'inverse ("Aujourdhui jai fini la Fantaisie
; le ciel est beau et il fait triste dans mon cur".)
Chez Liszt, au contraire, l'uvre et la vie sont une seule
et même chose, et leur interpénétration est
constante, on le sait. Mais on sait aussi justement ce qui le
sépare du monde si clos de son ami ... - presque la vie
entière...
Reprenant les propos d Eugène
Delacroix qui a dit de Chopin « Il ressemble plus à
Mozart que qui que ce soit »
Vous définissez
Chopin comme le « double romantique » de Mozart
ce qualificatif de « romantique » ne les éloigne-t-il
pas fortement cependant ?
Non, précisément parce que Chopin est le plus
classique des romantiques (c'est aussi toute l'ambiguïté
de son langage) ; Bach et Mozart furent ses seules vraies références,
lui qui fut si indifférent aux musiciens de son temps.
Et comme Mozart, il aima le chant par dessus tout, ce chant dont
il représente dans son art la véritable incarnation
pianistique. Et puis il y a un pré-romantisme chez Mozart
très proche de Chopin, un lyrisme "automnal"
qui l'annonce - 23ème Concerto, Rondo en la mineur... Enfin,
il y a pour moi une pudeur et une pureté communes aux deux.
Lors de la Folle journée de Nantes
vous animerez une série de conférence : les quatre
âges de Chopin rapportés en fait à quatre
lieux : La Pologne, Paris, Majorque, Nohant
pouvez vous
en dire plus sur ces conférences ?
Ce sont les lieux symboliques des différentes "périodes"
de Chopin, et de ses 4 "styles" ; pour aller vite, empreint
de rusticité d'abord (Pologne), puis à la coupe
plus française (Paris), celui où se dévoile
sa face la plus sombre (Majorque), enfin le style de la nouvelle
lumière de Nohant. Bien sûr c'est un prétexte
pour dérouler le fil de la vie de Chopin, mais en appui
sur sa musique avant tout. Ainsi je ferai entendre un trentaine
d'uvres, pour moi parmi les plus significatives de ces "époques".
Encore une fois, ces lieux sont des "endroits d'éveil",
non des facteurs suffisamment inspirants en soi. Je l'écris
également, Chopin est pour moi plus inspiré qu'"inspirable"...
Comment avez-vous travaillé pour
écrire les poèmes de « Nuits de lâme
» , notamment avez-vous réécouté nombreuses
interprétations, leur écriture vous a-t-elle demandé
beaucoup de temps ou bien en a-t-elle été spontanée,
les avez vous écrits de jour ou de nuit
?
Le jour ou la nuit, cela n'a pas d'importance, encore faut-il
que l'inspiration soit au rendez-vous, et pour cela, encore faut-il
la solliciter ! Parfois c'est spontané, parfois il faut
du temps... le mystère de tout ceci nous échappe...
oui j'ai écouté quelques interprétations
pour revenir selon moi à l'essence, sous deux formes contraires
: Arrau et Pollini - ou la profondeur, et la tension. Il y a ces
deux aspects dans les nocturnes, une sorte d'extase qui voisine
toujours avec le drame.
Vos poèmes sont brefs, pourquoi
avez-vous choisi cette forme très brève ?
Je me sens proche de l'art de l'aphorisme des moralistes français,
et mes autres livres se réclame de cette lignée.
Et il y a Nietzsche aussi, qui m'a beaucoup marqué. Celui
qui a le mieux écrit sur la musique... Cette brièveté
dont vous parlez me semblait suffire pour épouser la forme
si condensée des Chopin. Avec les mots, tout devient vite
trop long, bavard - voire mélo-lyrique ! Et puis je vis
en mon temps, pas à celui de Baudelaire et Verlaine...
Rimbaud, Debussy et beaucoup d'autres sont passés par là
pour tordre le cou à l'éloquence...
Pour vous lécoute idéale
des uvres de Chopin est-elle celle qui suit les formes musicales
ou bien la chronologie ?
Bien sûr la chronologie, car elle épouse la réalité
de la créativité de Chopin, qui mêle les genres,
plutôt qu'il ne les assemble (à l'exception des Etudes
et des Préludes). On obtient ainsi une véritable
"vie musicale" du compositeur.
Que pensez vous de la demande dAlain
Duault à Nicolas Sarkozy réclamant que Chopin soit
mis au Panthéon ?
A défaut d'y avoir mis George Sand, pourquoi pas ? On
ne fera jamais trop pour l'universalité de la musique -
pensons que Berlioz n'y a pas eu droit...
Pourquoi vos deux livres ne sortent-ils
pas chez le même éditeur ?
Cela crée une diversité. Le cherche midi a plus
vocation de publier de la poésie que les Presses de la
Renaissance. Et c'est justement l'inverse concernant l'essai...
Est-il programmé des concerts où
seront lus les poèmes que vous avez écrits conjointement
à linterprétation des nocturnes de Chopin
?
Oui, entre autre au festival de Biot, en compagnie de Brigitte
Engerer (23 mai). D'autres projets sont en cours à Paris,
Beauvais, etc. - Nous avons étrenné cette alliance
il y a peu, elle fonctionne très bien...
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Et pour vous faire une petite idée
sur ces livres en voici deux extraits, associé pour ce
qui concerne le second à la musique interprétée
par Maurizio Pollini
"De ces années là, datent aussi les deux
nocturnes op.27, véritables accomplissements de cette forme
improvisée et "exaltée" par excellence-
l'idéal du genre- dira Schumann-, perles du recueil et
parfaite sublimation de l'esprit de ces poèmes-prières
de la nuit, unis là comme deux faces complémentaires
d'un même chant ; l'un dramatique et tendu, arqué
sur des gouffres hostiles, peu à peu s'apaisant et générant
littéralement le second, radieux, au ravissement lyrique
infini, extatique...car les nocturnes ne de Chopin ne chantent
pas la nuit ; ils chantent le silence de l'âme, quand celle-ci
se replie sur elle-même"
Jean-Yves Clément (extraits de "Les deux âmes
de Frédéric Chopin)
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Opus 27 n°2,
ré bémol majeur
Azur de nuit
Calme de l'âme
Source de Dieu
Au coeur épanché
Un duo fond
Dans l'esquif du ciel
Bleu bain de grâce
Jean-Yves Clément (extraits de Nuits de l'âme)
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