La rivière et son secret Zhu Xiao Mei
Zhu
Xiao-Mei
La rivière et son secret
Des camps de Mao à Jean-Sébastien Bach
le destin d'une femme d'exception
En écrivant le livre de son parcours, la pianiste Zhu Xiao-Mei
a voulu écrire pour ceux qui ont été, comme
elle, victime de la révolution culturelle mais aussi raconter
son expérience extraordinaire d'avoir eu la chance de vivre
en Chine, puis aux États-Unis et enfin en France. Une expérience
dont elle a retiré une leçon de vie essentielle à
ses yeux : "il est nécessaire de mélanger
les cultures, de les faire dialoguer". En ce qui la concerne
le dialogue s'établit entre ses deux maîtres à
penser l'ayant aidée à surmonter les épreuves
passées : Bach et Lao Tseu, dont elle souhaite aussi à
travers ce livre faire partager l'admiration qu'elle a pour eux.
Vous voilà donc prévenu : il est fort possible qu'après
avoir lu cette autobiographie vous (re)plongiez dans l'écoute
des Variations Goldberg, et soyez tentés de lire le Tao Tö
King de Lao Tseu , car Zhu Xiao-Meï sait partager cette musique
et pensée avec des propos très touchants et convaincants,
tout autant que ses interprétations émeuvent.
Zhu Xiao Mei est née en 1949 à Shangaï et rencontre
pour la première fois un piano ("un objet qui parle
quand on le touche" et "dont la voix ressemble
à un dragon")à l'âge de trois ans lorsqu'il
débarque dans le nouveau petit logement familial à
Pékin au début des années cinquante. Ce précieux
piano appartenait à sa mère, femme très cultivée,
qui s'intéressait aux arts occidentaux et était professeur
de musique dans une école primaire. C'est naturellement sa
mère qui lui apprend à jouer du piano..."mais
pas comme tout le monde. Avec elle, les accords, les enchaînement,
les déplacements s'éclairent comme par magie ! Chaque
note représente un membre de notre famille : au lieu d'aller
de do à sol je vais de Papa à Xioru, c'est tellement
plus amusant ! Puis nous passons aux exercices les plus
simples de Czerny, aux gammes, aux arpèges." A six
ans, Zhu Xiao-Mei entre à l'école de musique pour
enfants de Pékin dont elle relate "il règne
une discipline de fer ; les professeurs sont très exigeants,
trop pour moi. Alors que j'ai soif de musique, de nouveauté,
ils me font travailler sans relâche quelques mêmes oeuvres...".
Elle donne ses premiers concerts dès huit ans à la
radio et télévision.
En 1960 elle est admise au conservatoire de Pékin où
elle vit en internat : "passé le bonheur et
l'émotion de la rentrée, je déchante. Le travail
est épuisant. Aux cours de musique intensifs s'ajoutent des
cours d'enseignements généraux, indispensables pour
le cas où il nous faudrait rejoindre le système scolaire
classique, faute de pouvoir entrer dans une carrière musicale.
Sans compter les séances de dénonciation et d'autocritique,
devenues habituelles". Mais elle y aura pendant plus de
deux années un professeur de piano, Pan Yiming, qui par certains
de ses maîtres se rattache à l'école russe et
qui saura l'encourager : "Tu as de petites mains et cela
ne te facilitera pas la tâche dans certains morceaux. Mais
les petites mains sont les plus véloces. Cela fera merveille
dans certains répertoires. Tu verras le négatif va
devenir positif, comme le positif peut lui aussi devenir négatif".
Si son enseignement s'avère d'une "impitoyable exigence",
il ira bien au-delà des cours hebdomadaires car selon lui
il faut aussi vivre avec ses élèves : " Il
nous emmène en montagne, nous invite à dîner
chez lui, nous fait écouter des disques et nous pousse à
nous développer en dehors de la musique..." ouvrant
sans nul doute l'imagination de ses élèves. Sans doute
ce professeur fut pour Zhu Xiao-Mei aussi la démonstration
de la nécessité de faire dialoguer les cultures :"
Merveilleux professeur au confluent de deux écoles du
piano. L'école chinoise d'un côté, qui privilégie
la souplesse, la légèreté, la fluidité,
un sens calligraphique de la ligne mélodique, mais aussi
la distance aux émotions , et leur contrôle. L'école
russe , de l'autre, celle du geste large, du romantisme, de l'imagination
puissante, du sentiment et de la générosité."
Si
le piano est source de bonheur il est aussi suspect aux yeux des
autres : " Seuls des bourgeois, des Chuschen Buhao, des
gens de mauvaise origine, avaient pu acquérir un objet capitaliste
aussi luxueux qu'un piano". Et le destin de Zhu Xiao-Mei
va prendre un tournant en raison d'un sentiment de culpabilité
qui l'a envahie petit à petit en cette période très
mouvementée. C'est notamment le début d'un mouvement
de "Shangshan Xiaxang qui a pour but d'envoyer les jeunes
instruits à la campagne pour changer en profondeur de mentalité"
. Changement de mentalité qui n'épargne pas la jeune
pianiste qui se dira "je suis en dehors de la réalité
moi qui ne pense qu'à jouer de la musique classique. Elle
ne représente rien pour ces paysans..." En 1964,
le conservatoire de musique de Pékin est devenu un "conservatoire
sans musique" faute de partitions, celles-ci étant
interdites, et sera dans les mois qui suivirent le terrain de violences
difficiles à imaginer, nombreux suicides et agressions physiques.
Pendant de longues années, Zhu Xiao-Mei, comme nombreux jeunes,
pendant la révolution culturelle débutée en
1966, vécut dans différents camps de rééducation,
et durant une longue période elle ne toucha plus un piano,
sans en ressentir de réel manque. Ce n'est en 1971, qu'elle
demande à sa mère de lui expédier son instrument
car "la musique l'obsède. C'est l'aboutissement d'une
redécouverte : Chopin, joué un jour sur un accordéon
de fortune..." et parce que cela est devenu possible, dans
une pièce à la chaleur de celle d'un frigo, et sous
couvert de travailler, officiellement des "Yangangsi"
de la musique chinoise, en fait quelques partitions lui parvenant
par courrier ayant échappé aux ciseaux des censeurs
(Le clavier tempéré de Bach, les scherzos et ballades
de Chopin, les sonates pour piano et violoncelle de Beethoven...).
En 1974, Zhu Xiao-Mei est libérée et peut de nouveau
travailler avec Pan Yiming puis ré-entrer au conservatoire
de Pékin malgré son âge. Les conditions de vie
étant misérables, elle n'a cependant qu'une idée
en tête quitter la Chine mais cela lui prendra encore cinq
longues années. C'est la visite d'Isaac Stern en 1979 qui
marquera un nouveau tournant "Nous comprenons que désormais,
pour peu qu'ils y aient un parrainage, les étudiants chinois
auront la possibilité d'aller étudier à l'étranger".
Elle se choisit les États-Unis, "pays de liberté",
et parvient après multiples démarches à obtenir
un parrainage du Californian Institute of Arts. Là elle devra
faire toutes sortes de travaux( femme de ménage,serveuse...)pour
pouvoir financer ses cours et si dans ce pays elle aura la chance
de voir d'importants concerts (Horowitz, Serkin...) ..elle ne s'y
sentira pas toujours à l'aise ainsi le montre cette étonnante
réflexion sur Disneyland :" Je dois même serrer
la main de Mickey puis celle de Donald ![....] certes le camp de
rééducation c'était dur mais là-bas
au moins on nous épargnait ce genre de tortures morales".
Elle quitte Los Angeles, pour Boston où elle prend des cours
avec Gabriel Chodos,"un immense musicien et un pédagogue
remarquable, un artiste aux idées très claires"
qui a été l'élève d'Arthur Schnabel
et des leçons duquel elle dit aussi :"j'ai surtout
retenu ceci : on approfondit tout aussi bien l'apprentissage du
piano et de la musique en allant au fond d'une oeuvre qu'en multipliant
l'étude d'oeuvres diverses...". Cet approfondissemnt
elle le réalisera également en s'appuyant sur des
principes de philosophie chinoise qu'elle découvre assez
curieusement aux États-Unis et non dans son propre pays natal,
consacrant alors du temps à la méditation , à
étudier les grands textes fondateurs de la philosophie chinoise
et adoptant cette méthode de réflexion également
dans sa façon d'aborder la musique : "Mes journées
sont désormais rythmées par deux grands moments de
bonheur : "Le premier est ma méditation quotidienne.
Le second est ce qu'il faut bien convenir d'appeler ma méditation
au piano. Le travail, et même le travail sans but, est une
des grandes vertus de la philosophie chinoise."
Pourtant ce bonheur ne la comble pas tout à fait puisque
Zhu Xiao-Mei a encore des envies d'évasion et cette fois
c'est Paris, capitale du pays de la révolution française
qui l'attire, même si certains amis essaient de l'en dissuader
:" Ne fais pas cela. C'est le pire pays de la terre. La
critique y est sans pitié"... Malgré ces
remarques, en décembre 1984, elle s'envole pour Paris. Elle
passe une audition devant Marian Rybicki, pianiste concertiste et
pédagogue qui dirige depuis 1979 les plus importantes classes
de piano à l'École Normale de Musique de Paris(Alfred
Cortot), qui lui apporte un grand soutien. Cependant comme la vie
de Zhu Xiao-Mei n'est pas vraiment un fleuve tranquille elle ne
pourra rester longtemps en raison de divers problèmes administratifs
et devra retourner à Boston mais ce nouvel écueil,
comme toute chose négative aura aussi des aspects positifs
puisqu'elle y aura du temps libre qu'elle consacrera pleinement
à l'étude des Variations Goldberg, son travail sur
cette oeuvre faisant un bien fou à son amie qu'il l'héberge
alors....Dans la musique de Bach Zhu Xiao-Meï est frappée
de retrouver les principes les plus essentiels de sa culture chinoise
" comme si Bach en avait eu la prémonition ou était
la réincarnation d'un grand sage chinois".
A l'automne 1988, Zhu Xio-Mei peut s'installer de nouveau en France
grâce à un passeport...américain : " Cette
deuxième arrivée à Paris va me conduire de
miracle en miracle. Rencontre avec des amis exceptionnels, avec
la France et avec l'Europe où je vais découvrir ce
que respecter un artiste veut dire". Un de ses miracles
se produit en 1990 quand une petite maison de disque lui propose
d'enregistrer son premier disque avec les Variations Goldberg, miracle
relatif cependant puisque la faillite de cette maison de disque
l'a contrainte a en assurer le financement et la distribution, fort
heureusement ce disque bénéficiera de critiques élogieuses
[et a été récemment ré-édité
par le label Mirare]. Elle donne alors ses premiers concerts et
obtient un poste d'enseignante au Conservatoire de Paris. "Les
chinois considèrent que la vie commencent à quarante
ans. Cela m'amuse de le rappeler car c'est bien à cet âge
que ma carrière a pris son élan" constate
Zhu Xiao-Meï... Depuis près de vingt ans qu'elle vit
en France Zhu Xiao-Mei est parfois retourné en Chine où
elle n'a que depuis récemment eu la force de revoir ses compagnons
de captivité, et il lui arrive parfois de rêver : "J'imagine
que nous sommes réunis, mes anciens camarades et moi et quelques
autres dans une école que nous avons fondée, où
les arts sont rois, tous. Nous vivons avec les élèves,
nous parlons et nous réfléchissons ensemble. Les cours
sont gratuits [...]Poursuivons le rêve. A mes quelques élèves,
j'essaie de faire partager certaines des évidences qu'il
m'a semblé entrevoir dans ma vie de pianiste. Je cherche
à les convaincre de n'être rien d'autres que des serviteur
de la musique, sourds au matérialisme, humbles mais passionnés
en même temps[..] que le monde médite cette leçon
de la révolution culturelle : pour assurer la paix et l'avenir
du monde, la priorité absolue a un nom, l'éducation...",
puisse son rêve se concrétiser...mais déjà
cette aubiographie, témoignage sincère et rare, est
une leçon de vie à lire absolument.
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pianiste Zhu Xiao-Mei
© pianobleu.com - ISSN 2264-2056 ----
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