Henri Collet (1885-1951)
Pièces pour piano
¡ Alegria !
El Escorial
Clavelitos
Chants de Castille
Album d'Espagne
Alma Española
Pascal Gallet, piano
Le compositeur français Henri Collet, quasi contemporain du compositeur Gustave Samazeuilh, dont vous avez pu découvrir la musique dans le précédent "disque du moment", semble avoir subi le même triste sort : il cumulait comme lui l'activité de musicologue et critique musical, et est aujourd'hui un compositeur oublié, il est même absent de certains dictionnaires de musique, par contre son nom reste attaché à la formation du "Groupe des six" , six autres jeunes compositeurs français qu'il lança : Duric, Honegger, Poulenc, Tailleferre, Milhaud, et Durey. Il est vrai que son nom pourrait tout autant être attaché aussi à la musique espagnole que la musique française ainsi le montre ce nouveau disque ¡ Alegria ! du pianiste Pascal Gallet, qui a notamment enregistré une intégrale des oeuvres pour piano d'un autre compositeur français de la fin du 19ème et du 20ème siècle : André Jolivet, et a réalisé l'enregistrement de ce nouveau disque, lors d'un concert, le 28 juin 2014 à l'église espagnole de Paris, un cadre tout à fait approprié.
En effet, Henri Collet, né à Paris, mais qui passa sa jeunesse à Bordeaux, ne cessa de composer toute sa vie, et a écrit très nombreuses oeuvres, tant pour le piano que d'autres instruments, et dont le fil conducteur est le chant passionné de l'Espagne. Un pays où il a fait des études dès sa jeunesse, et s'est rendu très fréquemment puisqu'il était aussi professeur - agrégé et docteur- d'espagnol et traducteur. Il a d'ailleurs reçu un hommage du compositeur Manuel de Falla, qui le désigna comme "un des propagandistes les plus zélés et efficaces de la musique espagnole."
Le pianiste Pascal Gallet, explique ainsi , à l'occasion d'un nouvel entretien à lire ci-dessous, que "dès les années 1908-1910, il commence en effet à publier les résultats de ses recherches sur la musique espagnole. C’est de retour à Paris, surtout après la Grande Guerre, dans les années 1920, qu’il compose dans une esthétique hispanisante qui deviendra dès lors sa « marque de fabrique », comme s’il lui avait fallu une certaine période de décantation de toute la musique espagnole (populaire notamment, castillane en particulier) qu’il avait pu entendre et étudier sur le terrain."
Il n'est pas question de reproduire le bruit des castagnettes andalouses, qui nourrissait les rêves d'exotisme des français, et souvent dans des compositions du 19è et 20è siècles, mais "d'offrir un voyage qui s'enracine dans la terre, qui enregistre les odeurs de la nature environnante et les vibrations de cet air sec et limpide , qui par les lumières qu'il capte, accuse les contrastes de ces paysages d'une grande variété. Un voyage qui fait revivre le peuple espagnol dans ses villages, dans sa vie quotidienne , dans ses fêtes, ses chants et danses", explique Stephan Etcharry, auteur du livret.
Un très beau voyage qui débute par la pièce " El Escorial " , composée dès 1910, précisément dans le cadre de sa thèse de doctorat, une pièce pour piano qui est la réduction de ce qui devait être un poème symphonique, mais n'aboutira pas dans la version por orchestre, par contre cette réduction, d'une durée de plus de près de six minutes, est déjà très évocatrice de l'imposante majesté du palais monastère du 16ème siècle, ancienne résidence du roi d'Espagne qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres de Madrid.
Il serait trop long de vous décrire toutes les étapes de ce
voyage qui comporte au total 25 pièces dont la plupart regroupées en recueils. Ainsi les sept danses du recueil "Clavelitos", dont contrairement à l'oeuvre précédente, il y a bien trace de la partition d'orchestre du ballet éponyme, est une suite de sept danses gitanes, du paso doble à la sévillane, dont l'une d'elle "Alegria", forcément très joyeuse, et fort plaisante, donne son nom à cet album. Mais en fait toutes ces danses ont leur charme propre.
Le premier recueil de "Chants de Castille", paru en 1920, comme son nom l'indique, regroupe des chants ( cinq) d'inspiration folklorique castillan , mais il s'agit pour Henri Collet d'une véritable réappropriation selon son principe : " il faut recréer le folklore !". Celui-ci est un des fruits de son travail avec Federico Olmeda, et devenu " folkloriste convaincu" , il pense comme lui que c'est sur la base du chant populaire que devait être construite la musique. Il s'agit plus de jouer sur les sonorités, avec le piano , pour arriver à reproduire multiples sons, de la voix d'un berger, du hautbois, etc... et juxtaposées multiples atmosphères contrastantes.
L'"Alma Española", composée en 1942, comporte pas moins de 75 chansons, toutes pièces pour piano qui chantent les différentes région de la péninsule, dont le compositeur a précisé qu'il s'agit de souvenirs ( recuerdos) . Pascal Gallet en a sélectionné quatre
qui chantent toutes la Castille et se basent toutes sur le folklore réel. Elles sont néanmoins très différentes, depuis la sérénade au chant de noël, en passant par une berceuse et un très beau "chant de moisson", à la tonalité ancienne , et dont les paroles originelles peuvent être traduites de la sorte, selon Henri Collet : " Le Terre crée tout ! Le soleil dévore tout ! L'argent peut tout ! L'amour triomphe de tout ! "... avec lequel le pianiste a choisi de clore ce disque qui ne suit pas tout à fait l'ordre chronologique puisque avant ces quatre chants de l"Alma Española", l'on peut écouter "l'album d'Espagne ", qui date de 1946, recueil de huit pièces qui se tournent davantage vers l'Espagne méridionale et l'andalousie.
Vous pourrez écouter quelques courts extraits de ce disque, et vous constaterez que si le compositeur a débuté son parcours par un doctorat sur la musique mystique espagnole, on ne peut pas dire que sa propre musique le soit, hormis peut-être une pièce du disque. Rien à voir avec l'univers de Scriabine par exemple, mais bien une inspiration folklorique espagnole. Un disque très coloré, qui offre un beau voyage !
Et comme il ne s'agit pas d'une intégrale, il reste à espérer découvrir un jour d'autres oeuvres en complément de ce disque, et de quelques autres trop rares disques d'autres pianistes ! Pascal Gallet, qui nous en offre ici de très belles étapes, et qui est désormais professeur au CNRR de Marseille, où il encourage quelques-uns de ces élèves à jouer des oeuvres de ce compositeur, contribue magnifiquement ainsi à les remettre à la "lumière" et, la musique de ce compositeur dont le nom pourrait, c'est certain, être tout autant resté attaché à la musique espagnole que française, connaîtra sans doute une nouvelle réputation tout à fait méritée !
Henri Collet est un compositeur absent des dictionnaires de musique de
piano, comment cela peut-il s’expliquer, et comment vous-même avez-vous découvert les œuvres de ce compositeur ?
Henri Collet n’a jamais eu la place qu’il méritait. Il a fait finalement beaucoup pour les « autres », mais en oubliant la qualité immense de compositeur qu’il est réellement.
Grâce à sa fille, Marie-Thérèse Clostre Collet, que j’ai rencontrée, j’ai pu découvrir ce répertoire merveilleux et m’inspirer de ses couleurs.
Stephan Etcharry qui a écrit les propos de votre livret semble
d’ailleurs le seul musicologue à s’y être intéressé et avoir publié des
livres à son sujet, pouvez-vous nous en dire plus à son sujet. Il mentionne aussi un livre écrit par contre par le
compositeur :"l’île de Barataria", qui avait obtenu un prix national de
littérature en 1929, avez-vous eu
l’occasion de lire ce livre et qu’en pensez-vous ?
Stéphan Etcharry est un musicologue travaillant notamment sur les relations entre musiques française et espagnole au tournant des XIXe et XXe siècles. Il est maître de conférences au département de musique et musicologie à l’université de Reims Champagne-Ardenne. Il a justement consacré sa thèse de doctorat (soutenue en Sorbonne en 2004) aux compositions d’Henri Collet (1885-1951) qu’il a pris soin de replacer dans le courant de l’hispanisme musical français.
"L’Île de Barataria" est un roman d’Henri Collet dédié « à Maurice Barrès, in Memoriam » qui renvoie au célèbre Don Quichotte de Cervantes et qui est en quelque sorte conçu comme une suite au chapitre XLV du 2e livre intitulé « Comment l’illustre Sancho Panza prit possession de son archipel et commença à gouverner ». Le premier chapitre du roman de Collet met en scène un jeune étudiant français – Henri Collet lui-même ! –, de manière très réaliste, face à ses activités de recherche dans les archives de la bibliothèque de l’Escurial, en compagnie de son conservateur en chef, le père Villalba. C’est en étudiant les instruments de musique anciens cités dans le Don Quichotte que l’étudiant s’intéresse de plus près au roman de Cervantes et qu’il finit par prendre conscience de l’éventualité de l’existence du chevalier errant. Le roman de Collet bascule alors dans une véritable enquête policière où le protagoniste se transforme en un détective qui se lance sur les traces de Don Quichotte et Sancho, dans un univers mêlant habilement réalité, fiction et fantasmagorie. On suit ainsi le personnage sur les routes d’Espagne, de Madrid à la caverne de Montesinos et de l’Île de Barataria au monastère de Monsalvat, en passant par Argamasilla de Alba, Saragosse, Pedrola ou encore le monastère de San Juan de la Peña.
Henri Collet est également l’auteur de nombreux autres livres dont un
sur le mysticisme musical dans la musique espagnole du 16ème siècle,
qu’il écrivait précisément lorsqu’il a composé El Escorial, avez-vous également lu ce livre , qui ne semble plus disponible, et dans quelle mesure ses propres compositions
sont–elles inspirées ou non de cette musique "mystique" ?
Le livre de Collet publié en 1913 par Félix Alcan "Le Mysticisme musical espagnol au XVIe siècle" (535 p.) n’est autre que l’édition de sa thèse principale de doctorat qu’il soutient en Sorbonne le 11 mars 1913 (la thèse « secondaire », rédigée en espagnol, portant sur le sujet suivant : Un tratado de canto de órgano (siglo XVI) manuscrito en la Biblioteca nacional de París, également publiée : Madrid, Librería Gutenberg, 1913, 136 p.) Le Mysticisme musical espagnol au XVIe siècle est une somme de réflexion et de documentation sur l’Espagne du Siglo de Oro, ce Siècle d’or de l’Espagne des XVIe et XVIIe siècles (Renaissance et Baroque). Les deux derniers chapitres sont notamment consacrés aux grands compositeurs espagnols que sont Morales, Guerrero, Navarro, Cómes, Las Infantas, Cabezón… et le tout dernier se penche exclusivement sur Tomás Luis de Victoria (auquel Collet consacrera d’ailleurs une monographie spécifique : Victoria, Paris, Félix Alcan, 1914, 210 p.). La pièce Navidad, extrait d’Alma Espanola en est inspirée.
L’Escorial devait être à l’origine un poème symphonique pour orchestre,
savez-vous pour quelle raison le compositeur s’en est finalement tenu à cette version pour piano seul ?
Non, il n'y a pas d’élément permettant d’en savoir davantage (dans l’état actuel de nos connaissances…).
Comment se fait-il que, dès 1916 , le compositeur Manuel de Falla rendait
hommage à Henri Collet pour avoir été un propagandiste zélé de la musique
espagnole alors que les autres recueils de votre disque sont ultérieurs,
avait-il alors déjà réalisé outre "El Escorial" d’autres œuvres
d’inspiration espagnole ?
C’est avant tout, à cette époque (Collet rentre définitivement à Paris en 1912, la ville de sa petite enfance – car il avait passé son enfance, son adolescence et sa jeunesse à Bordeaux, effectuant depuis cette ville de très nombreux séjours en terre ibérique, et notamment en Castille, pour ses études hispaniques doctorales) pour ses activités musicologiques et de critique musicale. Dès les années 1908-1910, il commence en effet à publier les résultats de ses recherches sur la musique espagnole. C’est de retour à Paris, surtout après la Grande Guerre, dans les années 1920, qu’il compose dans une esthétique hispanisante qui deviendra dès lors sa « marque de fabrique », comme s’il lui avait fallu une certaine période de décantation de toute la musique espagnole (populaire notamment, castillane en particulier) qu’il avait pu entendre et étudier sur le terrain.
Comme son titre l’indique, les "Chants de Castille" sont inspirés de chants
populaires folkloriques de cette région d’Espagne. Qu’aimez-vous
particulièrement dans sa manière de se ré-approprier ce folklore et
est-ce une musique qui présente des difficultés techniques particulières ?
Oui, les chants de Castille sont techniquement redoutables. Collet était un merveilleux pianiste. Comme Turina (les contes d’Espagne) ou Albeniz, dans les chants de Castille, Collet sublime ces instants de folklore en traduisant de façon précise les couleurs et les rythmes de cette région.
"Clavelitos" est lui en fait le recueil de sept danses andalouses dont a été réalisé une version orchestral pour Ballet…
Les Clavelitos sont des pièces extrêmement intéressantes. A la fois mystérieuses, pianistiques, rythmiques. Certaines pièces sont redoutables pianistiquement notamment Sevillana, la dernière pièce de ce recueil.
Mais, l’Album d’Espagne est pour moi un sommet dans cette littérature pianistique.
Je compare volontiers, en qualité de couleur et d’écriture, ces pièces à Iberia d’Albéniz. Il faut en créer l’atmosphère ; à chaque fois qu’il m’arrive de les donner en concert, le public est enthousiaste.
Quatorze années séparent ce recueil des pièces de l'"Alma española" dont
vous avez sélectionné quatre des 75 pièces, pourquoi avez-vous plus
précisément choisi ces quatre pièces ? Et que pensez-vous du recueil
complet ?
Alma Espanola est aussi un chef d’œuvre. Avec une écriture pianistique épurée, Collet raconte et traduit l’essentiel de ce répertoire.
Navidad est une pièce mystique, comme une prière.
Vous êtes désormais professeur de piano au CNRR de Marseille,
encouragez-vous quelques–uns de vos élèves à jouer des œuvres de Henri
Collet, et quel conseil particulier donneriez vous à quelqu’un
souhaitant abordé ce répertoire ?
Certains de mes élèves jouent Collet. Pour les petits, je conseillerai "Alma Española ". Pour les plus grands, mes élèves jouent régulièrement des extraits des "Chants de Castille" et de l’"Album d’Espagne".
Avez-vous souvent eu l’occasion de jouer en concert certaines de ces œuvres, et d'ailleurs votre disque a été pris lors d’un
concert, comment avez-vous vécu cet enregistrement ?
Merveilleux… j’ai enregistré en live, oui, c’est risqué mais tellement porteur musicalement ; nous n’avons pas droit à l’erreur car il s’agit de live. L’outil pianistique doit être préparé au préalable de façon à donner l’essence de la musique au moment de l’enregistrement.
Et quels sont vos prochains concerts, aurez-vous l’occasion d’y jouer
des œuvres de Henri Collet ?
J’ai beaucoup joué Collet en France et à l’étranger, notamment en Chine et au Brésil.
Je viens de prendre la Direction Artistique du Festival à Montesson (Yvelines), qui aura lieu le 27 Juin prochain, je jouerai sûrement une pièce de Collet, entre autre.
Beaucoup de tournées sont envisagées cette année et en 2016 aussi.
Voici mes prochains concerts confirmés à cette date :
- 2 avril 2015 : CNRR de Marseille | auditions classe de piano de Pascal Gallet
- 11 mai 2015 : Paris | LE RECITAL
- 18 mai 2015 : CNRR de Marseille | Récital
- 28 mai 2015 : Aix-les-Bains
- 2 au 9 juin 2015 : tournée en Chine
- 19 juin 2015: Aix-en-Provence | Cloître Sainte Catherine | LE RECITAL
- 22, 23 juin 2015 : Jury Ecole Normale de Musique
- 27 juin 2015: Festival à Montesson (Yvelines)
- 16 juillet 2015: Festival de piano | Montélimar
- du 9 au 16 août 2015: Aix-en-Provence | Académies Internationales
- 20 novembre 2015: Auditorium de Seynod, LE RECITAL
- 5 décembre 2015, Eglise St Meri, concert des grands élèves de Pascal Gallet
Pour écouter
les courts extraits
Henri Collet -
Pièces pour piano
Pascal Gallet , piano
avec l'aimable autorisation
du label Maguelone
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