Bande dessinée Glenn Gould Sandrine Revel

Glenn Gould

Une vie à contretemps

Sandrine Revel

Voici une nouvelle, et admirable, bande dessinée qui intéressera particulièrement les amateurs de piano que vous êtes, mais pas seulement ! Et que vous connaissiez, et aimiez, ou non , le pianiste Glenn Gould, nul doute que vous aurez envie de découvrir cet album que l'auteur, Sandrine Revel, qui a étudié à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux, ne se contente pas ici d'illustrer, mais dont elle a aussi réalisé le scénario, à la fois bien documenté et fruit de son imagination. Celle-ci a déjà à son actif nombreux albums pour la jeunesse et pour adultes, souvent en collaboration avec un scénariste. Elle offre ici une biographie, à multiples voix, qui se relaient, en contrepoint, tel la musique de Bach. Et ce " biopic" de Glenn Gould ne suit pas un discours linéaire, mais navigue entre le présent et passé, s'appuyant sur des anecdoctes réelles, des témoignages de ses proches, qui ouvrent la porte à l'imaginaire, que ce soit celui de l'auteur, comme celui du lecteur ! Une invitation à vivre une nouvelle expérience, en musique classique !

L'auteur veut surtout par cet ouvrage faire comprendre la personnalité cachée du célèbre interprète canadien, et aider à en percer le mystère. Sandrine Revel, qui a bien voulu répondre à nombreuses questions, à lire ci-dessous, confie avoir mis plus de trois ans pour parvenir à le réaliser - elle s'est notamment rendu à Toronto plusieurs fois - et avoir même tout démoli au bout de trente planches, expliquant : "Je voulais plus rentrer dans le personnage Glenn Gould, essayer de comprendre l'homme pour aussi comprendre sa musique, montrer cette fusion entre le travail et la vie personnelle. C'est cette passion , ce côté habité de l'artiste qui m'intéresse. Concernant la musique ce qui m'intéressait par contre c'est comment traduire cela en dessins." Et elle parvient fort bien à nous faire entendre la musique que le pianiste joue. Pourtant ne figure que très peu de notes de musique, il "suffit" de l'émotion transmise par ces belles illustrations, aux dessins très précis, et aux couleurs sombres. ainsi nombreuses images détaillent les mains sur le piano ou montrent le visage très expressif de l'interprète.
Certes cette bande dessinée, qui nous fait pénétrer dans l'âme du pianiste, notamment lorsqu'il est à l'hôpital, dans le coma, s'adresse avant tout à un public adulte, cependant n'hésitez pas à le partager avec des enfants, ainsi Sandrine Revel confie également qu'au salon du livre à Paris, avoir dédicacé son album pour un jeune garçon d'à peine 10 ans, qui certes prépare des concours de piano, et connaît déjà Glenn Gould ! Mais c'est aussi , un bon moyen pour donner envie à un nouveau public d'écouter de la musique classique, comme , par exemple , les "Variations Goldberg" de Bach que Glenn Gould a enregistré à plusieurs reprises et qui sont très présentes dans la bande dessinée ! Une belle idée de cadeau à offrir à tout moment . Vous pourrez découvrir ci-dessous plusieurs planches , avec l'aimable autorisation des éditions Dargaud, cliquez sur les images qui illustrent l'entretien pour les découvrir en plus grand format. Et si vous habitez dans la région de Bordeaux, sachez qu'un concert illustré à lieu ce samedi 11 avril 2015 au TNBA, pour en savoir plus lisez bien l'entretien ci-dessous.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de réaliser cette bande dessinée sur Glenn Gould ?
J'ai commencé à faire du piano assez tard, vers vingt-cinq ans, et c'est à ce moment là que je me suis intéressée aux pianistes, au départ plus particulièrement ceux du jazz. Un jour quelqu'un m'a conseillé, puisque que j'aimais Brad Mehldau, d'écouter Glenn Gould, qui avait la même position au piano, et puis aussi le même côté mystérieux. J'ai lu sa biographie et c'est ce qui m'a attiré en premier lieu. A cet âge, je faisais déjà de la bande dessinée, uniquement pour la jeunesse et je ne me sentais pas déjà la carrure pour en faire une bande dessinée. J'ai attendu, l'idée a mûri , et quand j'ai commencé à voir, depuis quatre / cinq ans, des biographies en bandes dessinées, notamment une sur Picasso, je me suis dit qu'il était temps que je réalise mon projet avant que l'on ne me prenne l'idée ! Ce n'était pas le pianiste qui m'attirait le plus mais le personnage, je voulais attirer l'attention sur l'homme qu'il était à travers le musicien. J'ai présenté ce projet à mon éditeur qui l'a tout de suite accepté.
Vous avez réalisé à la fois le dessin et le scénario, comment avez-vous travaillé : par quoi avez-vous commencé et qu'est-ce qui a été le plus difficile ?
En bande dessinée, on suit différentes étapes, on commence par écrire le scénario, un séquentiel, une trame et ensuite on commence à dessiner suivant cette trame. Au départ, j'avais conçu la BD comme un biopic traditionnel, quelque chose d'assez linéaire, avec une chronologie, assez proche de la réalité et très documenté. Et en fait au bout de la trentième planche, j'ai tout arrêté, je m'ennuyais dans ce que j'étais en train de faire. Je m'enfermais dans des "codes" qui m'empêchaient d'accéder à l'essentiel de ce que je cherchais autour de Glenn Gould, c'est à dire la personne en soi, la fragilité, la grâce... J'ai pris mes planches et les ai étalées par terre , et j'ai commencé à mélanger les époques, et j'ai continué, comme pour réaliser un puzzle, au fur et à mesure, c'est une vie qui se construit à travers les souvenirs des uns et des autres, et ceux de Glenn Gould lui-même. Ce travail s'est étalé sur trois quatre ans, avec de grandes parenthèses, pendant lesquelles j'ai réalisé d'autres albums.
Vous-même jouez-vous beaucoup de piano ?
Je joue "de tout" mais très mal, pas que de la musique classique. J'y consacre trop peu de temps pour bien en jouer. Le dessin me prend beaucoup de temps !
Par contre, il y aura un concert à Bordeaux ce 11 avril 2015, pour la sortie de ce disque, pouvez-vous en dire plus à ce sujet ?
Oui, cela aura lieu au théâtre national de Bordeaux. Quatre étudiants en dernière année du Conservatoire de Bordeaux Jacques Thibaud se relaieront et joueront des morceaux de musique classique, pendant que je dessinerai, en direct, autour de l'univers de l'album. Une caméra sera positionnée en plongée sur une feuille de dessin et filmera uniquement ma main et le dessin sera projeté sur un grand écran. Les morceaux choisis par les étudiants ne seront pas forcément liés à Glenn Gould, la relation avec la musique se fera plus par le geste , suivant le rythme. Au programme : Bach, Chopin, Prokofiev, Debussy, Schumann, Albéniz…
Vous qui ne l'avez découvert qu'à l'âge de 25 ans, et avez dèjà réalisé beaucoup d'albums jeunesse, pourquoi ne l'avez vous pas destiné à ce public, ce qui aurait permis à des enfants de le découvrir, et, en fait , quand avez-vous choisi d'en faire une bande dessinée pour adultes plutôt qu'un album jeunesse ?
Je n'ai pas un album qui ressemble à un autre. Lorsque je me lance dans un scénario, je travaille le trait, de manière à rapprocher l'ambiance au plus prêt du récit. Je passe ainsi de la jeunesse à l'adulte ou du réalisme au comique. Pour ce qui concerne Glenn Gould, je ne me suis pas posée cette question du public : j'avais envie d'apporter de l'abstrait dans mon travail, du symbolisme... Cela dit au salon du livre à Paris, j'ai dédicacé mon album pour un jeune garçon d'à peine 10 ans, qui prépare des concours de piano, et qui connaissait déjà Glenn Gould, et qui avait très envie de le découvrir dans la bande dessinée. C'est certain, c'est une bande dessinée qui n'est pas adapté pour la jeunesse, mais qui peut être présentée en lecture accompagnée à de jeunes enfants.
Vous citez beaucoup de documents de références (films et livres) en fin de votre livre, sur lesquels vous êtes-vous le plus basée ?
J'ai pioché des idées sur tout parce que justement, je ne voulais pas recopier une biographie de l'un ou l'autre. Dans chaque document que j'ai pu voir ou lire, il y avait des choses qui m'intéressaient , qui pouvait nourrir mon récit. C'est vrai que "Glenn Gould , une vie" de Kevin Bazzana, m' a beaucoup accompagné parce qu'il est assez précis, dans le détail et le personnage qu'était Glenn Gould, après le documentaire : " The inner life of Glenn Gould" qui touche plus à sa vie privée, sa vie amoureuse sur lequel j'ai pu m'appuyer aussi. J'ai consulté certains livres comme "Partita pour Glenn Gould" , ainsi que les entretiens avec Jonathan Cott mais ils sont plus destinés aux " avertis", car il est plus question de l'analyse de la musique, un monde un peu inconnu pour moi, et dans lequel je ne voulais pas trop rentré. Je voulais plus rentrer dans le personnage Glenn Gould, essayer de comprendre l'homme pour aussi comprendre sa musique, montrer cette fusion entre le travail et la vie personnelle. C'est cette passion , ce côté habité de l'artiste qui m'intéresse. Concernant la musique ce qui m'intéressait par contre c'est comment traduire cela en dessins...
A ce sujet, vous avez très peu dessiné de notes de musique, par contre on la devine dans les mains qui la jouent, ou les visages...
Oui, et les sons qui apparaissent dans le livre ce sont les bruits du téléphone, ou le bruit du bip bip, ou d'une porte qui claque. Je me suis posée la question, mais la note de musique en bande dessinée , c'est un peu de la caricature pour moi, ce n'est pas joli, je ne savais pas trop comment la dessiner, était-ce nécessaire, j'en ai parlé d'ailleurs à l'éditeur, et finalement fais ce choix. On voit quelques très rares notes de musique finalement ; par exemple lorsqu'il joue une fausse note dans son enfance ou lorsqu'il chantonne !
Avez-vous eu l'occasion de parler de votre projet avec des musiciens ?
J'ai des musiciens autour de moi, mais quand je travaille sur un album je le montre très peu. J'ai beaucoup de mal à montrer les choses autour de moi avant que cela sot publié.
Vous travaillez en solitaire, vos reconnaissez-vous un peu dans Glenn Gould, dans cette façon de travailler, est-ce aussi cela qui vous l'a rendu attachant ?
C'est vrai que le métier de dessinateur de bandes dessinées peut être un métier très solitaire. Je travaille chez moi, dans mon atelier et je passe des journées entières à dessiner. Des journées qui passent très très vite, car à l'échelle du temps, celui d'un dessin n'est pas le même que celui d'une pendule, parce que cela prend beaucoup de temps de faire un dessin . Et c'est vrai aussi, que la compagnie des autres, ce n'est pas quelque chose que je recherche . Ce n'est pas pour rien que je fais ce métier là , loin des autres, sur quelque chose qui peut mettre du temps à se construire, plusieurs années. La seule personne qui avait un regard sur mon travail c'était mon éditeur, qui m'encourageait à avancer. Et j'ai eu de la chance parce que j'ai eu beaucoup de liberté et de plaisir à faire cela.
Vous avez souvent travailler en collaboration avec un(e) scénariste, mais précisément pour ce livre vous avez choisi de tout réaliser seule ...
Oui, c'était un choix personnel de le réaliser seule, une envie qui me tenait à coeur. C'est vrai que c'était aussi un peu osé dans le sens où je ne suis pas quelqu'un de l'écriture mais du dessin, mais je tenais à le faire vraiment toute seule.
Et dans vos recherches documentaires avez-vous eu l'occasion de rencontrer des personnes pour vous conseiller ?
Quand j'ai commencé à travailler sur la BD, je me suis dit qu'il fallait que j'aille à Toronto, que je découvre cette ville, le parcours Glenn Gould, que j'aille voir son chalet etc... Je suis donc allée plusieurs fois à Toronto à la fondation Glenn Gould qui m'a accueillie. On m'a conseillé des ouvrages dont certains en anglais, donc c'était parfois un peu compliqué.. J'ai eu la chance de participer à la double célébration des trente ans de sa disparition et 80 ans de sa naissance, avec nombreux artistes qui sont venus en parler, c'était en 2012. J' y suis retournée en septembre, j'ai pu voir une pièce de théâtre sur la vie du pianiste qui m'a aussi beaucoup éclairée sur certaines choses.
Votre travail de recherche documentaire s'est fait pas à pas, comment avez-vous travaillé pour le dessin, au total 124 planches ?
Cela s'est fait pareil, pas à pas. Il a fallu que je trouve le style graphique, j'ai choisi des couleurs plutôt sombre, en y introduisant un filtre papier, genre aquarellé. Tout a été fait sur tablette graphique, je dessine avec un stylet, j'ai formaté des "brosses" de manière à retrouver ce côté aquarellé. Il y a un travail technique derrière avec plein de calques.
En fin de livre, vous avez indiqué une playlist qui vous a accompagnée pendant la réalisation de votre bande dessinée, dessinez-vous en musique ?
Oui je travaille en musique. Pas que de la musique classique, il m'arrive aussi d'écouter de la pop, du jazz..., Lorsque je dessine le trait, je préfère rester concentrée , et par contre pour tout ce qui est exécution, mise en couleur par exemple, je peux très bien me mettre un film ou un documentaire, qui peut m'accompagner dans mon travail.
Pour dessiner les mains je fais des arrêts sur images, je redessine la main. C'est un exercice que j'aime aussi bien faire en live, ainsi je me suis amusée plusieurs fois à dessiner Brad Mehldau en concert. Je ne le fais pas systématiquement, il faut que je sois inspirée, et puis dans le noir c'est parfois compliqué !
Vous avez titré votre livre "Une vie à contretemps", un titre à multiple sens, est-ce d'abord pour votre choix chronologique, le lien avec la musique ...
Oui en effet , il y a le côté narratif, le lien avec la musique, le contrepoint, le côté aussi contradictoire, Glenn Gould était quelqu'un d'assez contradictoire dans sa vie... C'est vrai que du moment où j'ai déconstruit complètement le côté linéaire, j'ai essayé de faire se confronter les scènes de manière à faire ressortir quelque chose.
Vous évoquez surtout les "Variations Goldberg", est-ce la musique qui vous touche le plus, et avez vous envisagé, avec votre éditeur, de réaliser un livre disque ?
Oui c'est la musique qui parle le plus à mon oreille, qui glisse le mieux, c'est de l'ordre du visuel aussi. Je n'ai pas voulu faire un produit ou concept avec un disque . Je voulais que cela reste un travail d'auteur et que le lecteur participe à la lecture de cet album.
C'est vrai que vous ouvrez la porte à l'imagination du lecteur, et quelle est aussi la part de votre propre imagination dans le récit ?
Tous les souvenirs sont des anecdotes réelles, tout ce qui se passe dans le présent est de l'ordre de la fiction, sauf le fait que son agent l'ait amené aux urgences, qui est vrai, et qu'il ait eu la visite de ses proches. Pour ce qui tient à l'imagination du lecteur, oui le but est qu'il s'installe dans la contemplation, dans l'atmosphère, comme lorsqu'il écoute la musique, ainsi je dis dans une des planches au début du livre : " Amis auditeurs, tentons une expérience ensemble. Installez-vous confortablement près de votre radio. Montez le son à votre guise, réglez vos basses ou vos aigus à votre convenance, et profitez de l'instant unique qui s'offre à vous. Rêvons ensemble à une collaboration totale entre le compositeur ,l'interprète, le technicien et l'auditeur". Et j'aimerais que le lecteur entende aussi sa musique, une musique intérieure. Et puis qu'il ait envie de l'écouter ensuite, voire en lisant, mais juste en tapisserie sonore, tout bas, pour lâcher prise.
Cela dit j'ai aussi eu la contrainte du nombre de pages : 124 pages c'est beaucoup pour une bande dessinée, mais c'est aussi trop peu, et j'ai été contrainte de sélectionner dans ce qui est réel.
La musique de Gould vous accompagne-t-elle toujours actuellement ?
Oui cela m'arrive de le mettre, j'aime bien rentrer dans des ambiances, j'aurais tendance à l'écouter plutôt dans les périodes d'automne, ou quand le ciel est bas, quand il fait frais dehors. Oui, j'aime bien relier des musiques à des ambiance et comme en ce moment c'est le printemps, je mets un peu plus de pêche dans la musique que j'écoute. Il y a de la pêche dans la musique de Bach, mais c'est pour moi quelque chose de plus mélancolique.
Avez-vous envie de renouveller ce type d'album, et sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Oui, j'ai très envie de faire cela pour une autre artiste , dans un autre domaine que la musique, mais cela prends du temps. Actuellement je travaille sur une chose très différente : avec une comédienne et une adaptatrice de théâtre. On réalise ensemble une bande dessinée adaptée d'un woman show de Blandine Métayer, sur le thème du travail de la femme et de la difficulté d'accéder à des postes importants, une personnage qui raconte toutes les difficultés, tous les freins qu'elle a eu dans la vie . Cela vise un plus large public.
Sachez que, outre le concert mentionné plus haut, Sandrine Revel dédicacera prochainement son album , à Narbonne le 17 avril 2015 à la LIBRAIRIE BD & Cie, et à Montpellier le 18 avril 2015 - 15h Azimuts 13, rue Guilhem.

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