Pianiste de formation classique Macha Gharibian cumule multiples talents
de musicienne dont celui de chanteuse, qu'elle a découvert plus
récemment lors de ces collaborations à multiples projets
qui l'ont fait beaucoup voyager de Paris à New York .
Une voix qu'elle utilise en fait tel son instrument de musique, en mêlant
celle-ci dans une harmonie parfaite à l'espace sonore, et dans
un esprit jazz, en improvisant. Sa musique est également inspirée
de folk songs, traditionnels arméniens et musique pop. Cet album
"Mars" ne contient pas une musique planante comme aurait
pu le laisser supposer le titre et l'astre que l'on aperçoit
sur l'illustration mais est un résultat très personnel
qui cumule toutes les qualités de ces différents sources
musicales terriennes.
Macha Gharibian offre ici un splendide voyage musical dirigé
cependant aussi vers le ciel et le futur de notre planète ainsi
les textes de ces chants ( certains morceaux sont purement instrumentaux)
sont issus de poésies ainsi le chant "Ritual Prayer",
qui envoûte l'auditeur dès le début de l'album est
issu d'un poème de William Parker initialement appelé
"Dancer" dont à l'occasion d'un entretien à
lire ci-dessous elle explique qu'elle l'a nommé ainsi "un
peu comme une incantation pour tous les êtres humains."
Et sur la pochette Macha Gharibian a écrit cet autre texte :
« Nous sommes la continuation de ce qui est arrivé avant.
Ce sont les décisions que nous prenons qui nous conduisent à
un endroit et pas un autre. Que nos choix guident le chemin futur que
nous prendrons ». Un disque à écouter ... et
lire, d'ailleurs Macha Gharibian signe aussi quelques textes de chansons
! Découvrez des extraits de ce très bel album plus bas
dans cette page.
Vous
avez une formation en musique classique, quand vous êtes-vous
détournée de celle-ci et pourquoi ?
Le jazz et l'improvisation ont été une vraie rencontre,
c'était à New York en 2005. Pendant mes études
en tant que pianiste à l'Ecole Normale, je suivais la voie classique
des concours, j'aimais jouer et travailler l'instrument, mais j'étais
attirée par autre chose sans oser en prendre le chemin.
Quand Simon Abkarian m'a proposé de créer à Chaillot
la musique d'une pièce de Shakespeare qu'il mettait en scène,
j'avais 23 ans. C'était la première fois qu'on me faisait
une commande. Je balbutiais dans l'improvisation et l'écriture,
pas encore affranchie du monde classique. Cette expérience a
été un moteur pour continuer à explorer. Et surtout,
travailler pendant presqu'un an avec sa compagnie m'a permis financièrement
de partir à New York. C'était un désir très
profond que j'avais. Là-bas ma rencontre avec le jazz et les
musiciens m'ont donné envie de faire comme eux: suivre ma voie.
Une fois à New York, l'ambiance aidant, entourée par
une multitude de musiciens hors norme et stimulée par les concerts,
la vie new yorkaise et le fait de s'exprimer dans une autre langue,
j'étais une autre musicienne, je pensais la musique différement,
je jouais avec des gens de talent, j'étais à la School
for Improvisational music dirigée par Ralph Alessi, mes profs,
Ravi Coltrane, Jason Moran, Andy Milne, me poussaient à être
moi-même, à écrire, et enseignaient le jazz et l'improvisation
de manière pas conventionnelle. Tout était dans l'écoute
et la sensibilité, ça a été une libération.
Quels sont vos musiciens de référence
tant de musique classique que jazz ou « musique du monde »
?
Il y en a tant ! Avant d'être sensible au jazz de New york,
il y a eu Bojan Z et Aziza Mustapha Zadeh qui ont été
mes premiers coups de coeur en tant que pianiste quand j'avais 18 ans.
Dans le jazz new yorkais d'aujourd'hui, je suis une vraie fan de la
musique de Ralph Alessi (trompettiste), Craig Taborn (pianiste), Mickael
Formanek (contrebassiste) Jason Moran (pianiste). Et côté
pianistes légendaires, j'ai beaucoup écouté Art
Tatum, Oscar Peterson, Kenny Barron.
Petite, la voix de mon père m'a évidemment beaucoup influencée,
il y avait Bratsch et la musique que l'on écoutait à la
maison, grecque, arménienne, tzigane, roumaine, bulgare, russe,
et bien évidemment Django Reinhardt, qu'on écoutait énormément.
Au piano, j'avais un gros faible pour Bartòk et ses Visions Fugitives,
mais aussi Prokofiev, Rachmaninoff. Plus tard, quand j'ai découvert
Messiaen, Ligeti, Dutilleux, Steve Reich, Takemitsu, leur musique m'a
ouvert les oreilles et a sûrement contribué à ma
transition vers le jazz.
En tant que chanteuse, j'ai été bercée petite par
la voix de Haris Alexiou (chanteuse grecque) qui m'émeut toujours
et fait partie de mes influences. Il y a aussi eu Lhasa que j'ai eu
la chance de rencontrer avant qu'elle ne s'envole. Aujourd'hui je redécouvre
Nina Simone, et pleins d'autres chanteuses qui me touchent. C'est sans
fin en fait...
Votre musique s'inspire aussi de musique arménienne
et musique pop , quels sont vos musiciens de références
/ musique pop et pourquoi la musique arménienne vous touche-t-elle
particulièrement hormis qu'elle est celle du pays de vos parents
?
La musique arménienne fait partie de mes racines, et j'ai toujours
entendu mon père chanter en arménien. Nous avons enregistré
un album ensemble en 2005 avec le groupe Papiers d'Arménies.
Cette musique m'accompagne depuis toujours en fait. Et quand j'écris,
elle jaillit inconsciemment.
Certains compositeurs du XXème siècle comme Khatchadour
Avedissian dont j'ai réarrangé un morceau (Parmani), m'inspirent
énormément. Comme dans toute la musique arménienne,
Il y a un sens chez lui de la mélodie et de la profondeur qui
provoquent toujours la même émotion quand je l'écoute.
Cette musique vient de loin, elle prend racine dans des temps anciens,
et dans la grande Histoire des Arméniens qui a évolué
au fil des exodes.
Il y a quelque chose d'ancré en moi, lié à cette
histoire, qui s'exprime à travers moi, je ne sais pas comment
l'expliquer, je n'y peux rien...
Quant à l'influence pop de ce disque, elle vient plutôt
dans le format des chansons et de ce qu'amène la guitare de David,
qui a développé un jeu plein de couleurs aériennes,
et qui font penser à la pop. Mais la pop, c'est une manière
de construire un morceau, avec des couplets, un refrain, un groove qui
tourne bien... Cet esprit correspond bien à certaines chansons
du disque et sert à entendre le texte.
Vous jouez du piano mais aussi du fender rhodes
... qu'appréciez vous chez chacun de ces instruments et les jouez-vous
toujours ensemble ou au contraire séparément selon les
morceaux ?
Sur ce disque, j'avais envie de mettre le morceau ''Sei Kei'', enregistré
au fender rhodes, j'en joue rarement sur scène bien que j'aime
particulièrement cet instrument, pour le son, et aussi parce
que c'est une autre manière de jouer du clavier, d'attaquer la
note et de la faire résonner, c'est un autre engagement corporel.
Et c'était aussi une manière de terminer ce disque sur
la note 'to be continued " parce que l'exploration musicale est
un chemin sans fin.
Le piano reste mon instrument majeur, je suis très sensible au
toucher, je préfère d'ailleurs souvent un vieux piano,
même désaccordé qu'un clavier sans âme qui
ne me répond pas !
Vous avez indiqué sur votre pochette
cette phrase : « Nous sommes la continuation de ce qui est
arrivé avant. Ce sont les décisions que nous prenons qui
nous conduisent à un endroit et pas un autre. Que nos choix guident
le chemin futur que nous prendrons »... Pouvez -vous présenter
brièvement votre parcours personnel jusqu'à « Mars
« : il semble que vous ayez beaucoup navigué entre la France
et les Etats-Unis , est-ce par choix personnel ou le hasard... et vers
quelle(s) destination(s) futur(es) aimeriez -vous aller ? notamment
êtes-vous attirée par les astres... si oui pourquoi ?
Après mon premier séjour à New york, de retour
à Paris, il a fallu me remettre au travail, comme une débutante,
et réapprendre une nouvelle approche du piano, l'étude
des standards, chercher où était ma voie... J'ai commencé
à jouer avec des musiciens à Paris, j'ai pris des cours,
tout en retournant régulièrement à New york, prendre
ma dose de folie. J'en avais besoin, souvent. Paris me semblait trop
petit, trop étriqué... En vérité, le fait
de s'exiler un temps, d'être loin de chez soi, de sortir de son
quotidien, de parler une autre langue, de rencontrer d'autres musiciens
ou artistes qui vivent différemment et font autre chose, était
une vraie source d'inspiration. Puis je suis attachée à
cette ville, j'ai tissé des liens d'amitiés avec des musiciens,
avec qui peut-être un jour je collaborerai.
Entre temps, j'ai continué à écrire, pour le théâtre,
pour l'image, et après un premier long-métrage, écrit
et réalisé par Nicolas Tackian, j'ai commencé à
écrire en m'inspirant un peu plus de la musique arménienne,
et en y mêlant le jazz.
Je jouais déjà avec Théo à la contrebasse,
qui est un ami d'enfance, c'est le fils du violoniste de Bratsch, fondateur
avec mon père du groupe. Au fur et à mesure des concerts,
de l'évolution et des différents musiciens de passage,
on a fait un concert avec Fabrice à la batterie, avec lui l'identité
de mon projet prenait une empreinte forte. J'avais eu l'occasion de
jouer plusieurs fois avec David dont le jeu de guitare me fascinait.
Je l'ai invité à nous rejoindre pour une série
de concerts et ça a été le début de Mars...
Sauf que je ne savais pas encore qu'on enregistrerait si vite et que
l'album s'appellerait Mars !
Le chemin futur n'est sans doute pas à
prendre seulement comme changement de lieu mais choix d'avenir... vous
semblez attachée à transmettre un message de paix ou écologique
à travers votre musique, n'est-ce pas aussi ce que vous voulez
exprimer par votre musique ?
Je suis ravie que vous lisiez ce message, car oui ça me semblait
important d'avoir un message. Effectivement le chemin que l'on choisit
aujourd'hui est celui qui déterminera notre futur, et ce n'est
pas anodin si on décide d'aller dans une direction plutôt
qu'une autre.
Aujourd'hui, on a suffisamment d'infos et de lucidité sur le
monde pour savoir que certains choix nous mèneront à la
destruction, la haine, ou au désastre écologique. Si on
ne veut pas de ce chemin, c'est à notre conscience de se réveiller
et de nous guider vers les bons choix.
Dans quelle circonstance est né ce projet
de disque « Mars « , correspond-il à un série
de concert que vous ayez donnée ou bien à un projet pour
donner des concerts avec ces musiciens ?
Nous avons fait quelques concerts en 2012. Même si c'est avant
tout un aboutissement de réaliser un album, celui-ci sert surtout
à développer un projet sur scène. Alors oui j'espère
que nous jouerons beaucoup sur scène grâce à ce
disque !
Théo Girard est comme je le disais un ami d'enfance, on a commencé
très tôt à jouer ensemble. On a un grand lien de
confiance et de respect mutuel. Il a monté plusieurs projets,
joué avec différents groupes (Sibiel, Le Bruit du Sign,
Volo). Aujourd'hui il a aussi rejoint Bratsch sur scène. David
Potaux Razel, c'est un musicien avec un univers bien à lui, qui
a développé des sons, et une approche de la guitare très
personnelle qui m'a tout de suite attirée quand on s'est rencontré
il y a quelques années. Lui aussi a passé du temps à
New York et il a étudié à Boston, à Berkley.
Chez Fabrice, j'ai senti une personnalité et un jeu très
riche la première fois que l'on a joué ensemble. C'était
une session à la maison comme ça se fait beaucoup dans
le jazz. Mon instinct m'a poussé à enregistrer avec ces
trois musiciens pour leur grand sens créatif !
Certains titres de votre disque sont purement
instrumentaux et d'autres chantés par vous-même, et la
façon dont vous chantez donne à penser que vous considérez
la voix à l'égal des autres instruments , est-ce effectivement
le cas ?
J'aime chanter des mélodies, incarner un texte mais aussi chanter
en improvisant, et c'est peut-être là que ma voix devient
plus l'égal des autres instruments. En tout cas j'aime que la
voix soit mêlé à un son, entourée d'un univers
sonore, j'aime qu'il se passe quelque chose et que les autres instruments
vivent aussi le texte, la mélodie, qu'ils l'accompagnent en l'incarnant
autant que s'ils avaient les mots.
Pourquoi ce choix de ne pas avoir de texte sur
tous les titres ?
Ecrire des textes n'est pas facile. Je m'y exerce mais c'est plus
facile pour moi d'écrire une mélodie, une ligne harmonique,
un rythme, un arrangement, qu'un texte. Et je me sens encore pianiste
avant d'être chanteuse. C'est tellement plus facile de s'exprimer
sans mots...
Les mots peuvent parfois tout gâcher, et voler un précieux
moment d'intimité. Aussi, ce disque est le prolongement de la
scène, c'était normal qu'il contienne des morceaux instrumentaux
et des chansons. Il a failli avoir moins de voix, mais Fabrice, Théo
et David m'ont poussé à chanter plus ! Finalement il y
a presqu'autant de morceaux chantés qu'instrumentaux.
Votre disque comporte les textes de deux poètes
prénommés "William" : Blake et Parker, pourquoi
ceux-ci vous touchent-ils particulièrement ?
C'est le hasard des rencontres qui m'ont menée à ces
deux William. A New York, j'ai souvent vu William Parker jouer avec
Gerald Cleaver, Craig Taiborn et d'autres musiciens. C'est un personnage
hors norme, j'avais trouvé par hasard dans une librairie à
New York, ce livre dont il était l'auteur "Who owns music"
(A qui appartient la musique) Curieuse, je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt,
il écrivait son rapport à la musique, la foi, l'improvisation,
la beauté, et quelques poèmes à lui. Un de ses
poèmes, initialement appelé "Dancer" m'a inspiré
cette chanson que j'ai nommé Ritual Prayer, un peu comme une
incantation pour tous les êtres humains.
Ma rencontre avec la poésie de William Blake est tout aussi naturelle.
Par curiosité, je m'étais plongée dans ses magnifiques
poèmes tirés des "Songs of Innocene and of Experience".
C'était une époque où je lisais beaucoup de poésie,
j'étais à la recherche de textes pouvant m'inspirer des
chansons. La chanson Night m'est venue de manière très
spontanée, même assez déroutante car je n'avais
jamais écrit de chanson dans cet esprit. La rythmique des mots,
et son phrasé étaient faits pour être chantés
!
Je crois que tout ça est un pur hasard, et que les rencontres,
quelles qu'elles soient nous mènent quelque part, là où
on n'avait pas forcément prévu d'aller. Et c'est très
stimulant !
Quels sont vos prochains concerts et /ou projets
?
Je serai en concert le 31 janvier au Studio de l'Ermitage pour la
sortie officielle de l'album, ainsi que le 3 mars à la Cartoucherie
de Vincennes et le 19 mars au Sunset à Paris avec ce même
projet.
Je pars aussi au Festival du Court Métrage de Clermont Ferrand
en février, où le film Karen Jeppe dont j'ai écrit
la musique sera projeté.
Ensuite, je vais jouer avec d'autres musiciens, notamment un projet
dirigé par Antoine Berjeaut, un autre avec le groupe Slonovski
Bal qui m'a invitée à venir jouer et chanter sur leur
nouvel album, et je joue aussi toujours avec mon père et le groupe
Papiers d'Arménies. Nous serons à Chabeuil et Grenoble
en mars.