Le pianiste Jonas Vitaud
donnera un récital Brahms le 11 février 2012 à
Paris au grand foyer du Théâtre du Châtelet
à 20h30 , une excellente occasion de présenter son
disque sorti en novembre 2011.
Certes l'on aurait pu s'attendre à ce que Jonas Vitaud
qui a travaillé avec nombreux compositeurs contemporains
consacre son premier disque en solo à ces compositeurs
actuels cependant il aime aussi particulièrement Brahms
pour multiples raisons et il doit ses premières émotions
musicales à ce compositeur ainsi l'explique-t-il dans l'entretien
plus bas dans cette page.
Jonas Vitaud, né un 7 mai comme Brahms, a eu la chance
d'avoirune institutrice en école maternelle qui
terminait chaque journée par lécoute duvres
de musique classique qui a fait naître son intérêt
pour cette musique, Johannes Brahms lui est "né
pour ainsi dire à son piano, enfant encore, il jouait dans
les tavernes de Hambourg puis composait au petit matin"
explique Christophe Gristi auteur du livret, ajoutant que Brahms
rendait le plus souvent hommage à ses maîtres Bach
et Beethoven puis "que c'est auprès de Schumann
quelques années plus tard qu'il alla chercher sa nourriture
musicale", ce dernier l'accueillit en commentant notamment
: " Dès qu'il s'assied au piano, il nous entraîne
en de merveilleuses contrées, nous faisant pénétrer
avec lui dans le monde de l'idéal. Son jeu emprunt de génie
changeait le piano en un orchestre de voix douloureuses et triomphantes"...
Schumann n'était déjà plus de ce monde quand
Brahms composa les deux Rhapsodies de l'opus 79 en 1879 mais
on y retrouve le Brahms "jeune et tempétueux"
des premières années. Les autres opus de ce disque
ont été quant à eux composés vers
la fin de la vie de Brahms (entre 1892 et 1893)..."Chaque
recueil possède sa couleur propre : l'introspection de
l'opus 117, trois chants sans paroles, chantés au plus
profond de lui-même et que Brahms appelait les "berceuses
de ma douleur"; les paysages perpétuellement changeant
de l'opus 118 avec dans le dernier intermezzo, l'évocation
magique du lied de Schubert, Die Staadt, publié dans son
chant du cygne. Enfin la grâce transparente de l'opus 119,
baigné de lumière, ou parfois, notamment dans la
première pièce, quelque chose de Debussy semble
affleurer".
Un programme aux multiples couleurs qui permet à son
interprète de se révéler dans chacune d'elle,
le pianiste Jonas
Vitaud qui a notamment été à très
bonne école en matière de lyrisme, il accompagnait
dans son enfance son premier professeur Andrew Sherwood également
contreténor, montre ainsi un jeu très chantant ainsi
dans la partie médiane de la Romance de l'opus 118 que
vous pourrez écouter plus bas dans cette page, et vous
pourrez également apprécier la légèretéde
son jeu dans le troisième intermezzo de l'opus 119, toujours
lyrique mais demandant en outre une légèreté
, bien sûr les professeurs qu'il a ensuite eu ont aussi
contribué à la qualité de son jeu et toucher
: Brigitte Engerer, Pierre-Laurent Aimard , Christian Ivaldi et
bien d'autres : Jean-Claude Raynaud , Thierry Escaich... et Aldo Ciccolini avec lequel il a eu la chance et l'honneur
d'interpréter la Fantaisie en fa mineur de Schubertlors d'un concert. Jonas Vitaud a bien voulu répondre
à nombreuses questions au sujet de son disque en complément
à celle sur son parcours :
Que représente Brahms pour vous ?
La musique de Brahms est liée à beaucoup de souvenirs
de mes premières grandes émotions musicales. J'ai
découvert assez tôt le concerto pour violon , la
4ème symphonie, la première sonate pour violoncelle
et piano , des oeuvres qui m'ont bouleversé et construit.
C'est beaucoup plus tard, vers la fin de mon adolescence , que
j'ai entendu les derniers opus pour piano. J'admire chez Brahms
cet équilibre parfait entre coeur et intellect, classicisme
formel et romantisme. C'est un compositeur de synthèse,
dont la grande culture et la rigueur lui ont permis d'assimiler
et " refondre" beaucoup d'influences ( Bach, Beethoven
, Schubert, Schumann) dans son style.
Un aspect de sa musique me plaît par-dessus tout , ce sont
ses transitions. C'est un grand artiste des transitions, il construit
des "ponts" extraordinaires. C'est probablement là
où se déploie le plus sa créativité
et son intelligence. Pour passer d'un état émotionnel/psychique
à un autre, on peut compter sur la vérité
psychologique de la musique de Brahms.
Je suis très heureux d'avoir pu visiter en Autriche Pörtschach
am Wörtersee (Brahms y a passé quelques étés
entre 1877 et 1880, la 2ème symphonie et les 2 rhapsodies
opus 79 ont été composées dans ce lieu) et
le musée Brahms à Hambourg.
Ma mère, qui est allemande, est aussi née à
Hambourg. Pour pousser le bouchon un peu plus (trop ?) loin ,
je suis né le même jour que Brahms, le 7 mai...
Je voulais qu'il y ait aussi dans mon disque le Brahms au souffle
puissant et symphonique qu'on trouve dans les Rhapsodies opus
79. Les Capriccios n°3 et 7 de l'opus 116 s'inscrivent parfaitement
dans la descendance des rhapsodies, mais n'atteignent pas à
mon avis leur force , leur inspiration ( je ne parle pas du premier
capriccio qui est une réussite absolue). J'aime surtout
les pièces lyriques de l'opus 116, c'est à dire
les "intermezzi".
J'ai choisi l'intermezzo en mi majeur n°6 pour une raison
bien précise. Le thème de la partie centrale de
cette pièce est l'un des plus beaux de toute la musique
de Brahms : simplicité, profondeur , tristesse toute schubertiennes.
Cette mélodie va être réutilisée pendant
la coda , mais sera transformée, transfigurée en
majeur, vers la joie et l'apaisement. Après les conclusions
terriblement cruelles et désespérées des
opus 117, 118 et 119 , j'ai pensé que cette pièce
de l'opus 116 , en"bis" , symboliserait bien une tentative
de surmonter mélancolie et pessimisme.
Chacun des 3 recueils 117, 118 et 119 possède
sa couleur propre. L'une de ses couleurs a -t-elle votre préférence
?
- Le cycle de l'opus 117 est sans doute le recueil le plus uni,
le plus mélancolique. Les 3 pièces ( 3 andante)
sont dans les demi-teintes, les couleurs mat, elles expriment
un mal-être , une douleur profonde. Tout cela est énoncé
avec beaucoup de pudeur , de retenue, de secret.
L'opus 118 , beaucoup plus vaste (6 pièces) , est un journal
intime qui passe par des émotions , des états beaucoup
plus contrastés. Joie et quiétude sont également
présents. Il y a les pages rhapsodiques ( première
pièce), celles tendrement lyriques ( intermezzo n°2
, Romance n°5), la ballade explosive rappelant la fougue de
la jeunesse, et l'extraordinaire dernière pièce.
Cette conclusion du cycle, grande réflexion sur la mort
, est sans doute la musique la plus sombre écrite par Brahms
( avec les 4 Chants Sérieux ).
L'opus 119 ( 4 pièces) est en deux temps : les 2 premières
pièces lentes fonctionnent en binôme, de même
que les 2 dernières , rapides. Le premier intermezzo, d'une
grande originalité harmonique, n'est pas loin de Debussy.
Le second , inquiet, comprend une partie centrale qui rappelle
certains " Liebesliederwalzer" . ( Très fréquemment
, les parties centrales de ces pages dépeignent un monde
rêvé , parfait, une sorte d'idéal baudelairien
dans lequel Brahms tente de se réfugier, le plus souvent
sans succès, le spleen revenant à grands pas...)
Puis une pièce légère , dans l'esprit d'un
scherzo, s'enchaîne à une ballade puissante rappelant
les grandes légendes du Nord. La fin de la pièce,
violente et spectaculaire, bifurque de façon totalement
inattendue en mineur.
J'aime ces 3 recueils profondément ; j'aurais du mal
à dire où va ma préférence.
Vous avez enregistré sur un piano
Steinway, quelles différences avec votre piano Blüthner
?
J'ai pu essayer plusieurs instruments chez "Régie
Piano", et j'ai choisi celui qui me paraissait le plus adapté
à ces opus brahmsiens. Je voulais un piano à la
sonorité ronde, chaude, chantante. Mon Blüthner a
d'autres qualités, d'autres emplois...
Avez-vous des pianistes de référence
quant aux interprétations de Brahms ?
L'intégrale Brahms de Julius Katchen reste une référence
pour moi. Radu Lupu a livré une interprétation inoubliable
des derniers opus. J'aime aussi Backhaus - qui a joué devant
Brahms - dans certaines pièces.
Vous êtes passionné par les
musiques actuelles ; pourquoi n'avoir pas croisé Brahms
avec un compositeur vivant dans ce disque , comme cela se fait
souvent désormais ?
Je voulais me concentrer sur Brahms.
Y a-t-il éventuellement des oeuvres d'un co=positeur contemporain
qui a votre avis s'associerait bien avec les oeuvres de Brahms
que vous avez choisi d'enregistrer ?
Avec le choeur Sequenza et Catherine Simonpietri, nous associons
souvent des intermezzi et des pièces pour choeur de Brahms
, à des miniatures d'Hersant pour piano ( Ephémères)
et ses pièces pour choeur. Ce couplage Brahms/ Hersant
me semble bien fonctionner. Il figurait au programme de notre
concert du 1er février 2012 , au Festival de l'Epau.
Pour écouter
deux extraits de
Johannes Brahms
Jonas Vitaud, piano
avec l'aimable autorisation
du label Orchid
Classics
cliquez sur le triangle des lecteurs
ci-dessous