Images Croisées Antoine Didry Demarle
Debussy,
Brahms, Liszt
Images croisées
Antoine Didry-Demarle
Il n'est pas un mystère que pour les jeunes musiciens
il est de plus en plus difficile d'obtenir la production d'un
disque pourtant c'est un outil qui leur est indispensable pour
se faire connaître. Heureusement de nouvelles sociétés
viennent parfois en aide à certains d'entre eux. Ainsi
la société Becar Prod Limited qui a choisi de multiplier
les moyens, notamment un excellent piano Fazioli, pour éditer
le jeune pianiste Antoine Didry-Demarle dont le parcours est loin
de démériter, bien au contraire puisqu'il a d'ailleurs
été lauréat de la fondation Agostini en 2005
et du mécénat musical de la Société
Générale en 2006...(voir
ici son parcours)
Il a choisi d'enregistrer un programme de trois compositeurs qui
occupent une place importante dans son répertoire ces dernières
années alternant les Klavierstucke de l'opus 118 de Brahms
à des préludes de Debussy et terminant par la Sonate
en si mineur de Liszt. Dans l'Opus 118 de Brahms la musique évoque
à la fois l'agitation d'une lointaine fougue amoureuse,
la tendresse et la chaleur d'une histoire passée, mais
aussi la tristesse et la mélancolie des jours heureux.
Claude Debussy préfère suggérer une atmosphère
propre à chacune de ses oeuvres, celles-ci étant
de nature plus abstraite ainsi en témoignent d'ailleurs
les titres de certains préludes :"les sons et les
parfums tournent dans l'air du soir"..."Ce qu'a
vu le vent d'Ouest" "La terrasse des audiences
du clair de lune". Franz Liszt quant à lui met
en scène dans sa sonate une histoire de grande ampleur
dans laquelle il personnifie musicalement les héros de
l'oeuvre du poète allemand Goethe: Faust, Méphistophélès,
et Marguerite... Un programme fort bien construit et passionnant
tant par la richesse de ces contrastes que par son unité
logique qui ouvre l'imagination et qu'Antoine Didry-Demarle nous
invite à vivre comme une exposition ou un voyage. Ce qui
se fait sans peine grâce à son interprétation
remarquable qui en exalte parfaitement les multiples couleurs
et reliefs mais aussi les correspondances ainsi pourrez vous le
découvrir dans deux extraits plus bas : le dernier intermezzo
en mib mineur de l'opus 118 Brahms où des motifs mélodiques
ne sont pas sans rappeler les formules lointaines de "la
terrasses des audiences du clair de lune." de Debussy
comme l'explique le pianiste. Vous pourrez également voir
une vidéo prise lors de l'enregistrement de "Ce
qu'a vu le vent d'ouest".
Ce
disque est votre premier disque, et semble-t-il le premier de
la société Becar Prod Limited, pouvez-vous présenter
cette société et expliquer dans quelles circonstances
votre disque a-t-il pu être réalisé ?
La société Becar Prod Limited est née pour
aider de jeunes artistes musiciens à lancer leur carrière,
dans un contexte où le "circuit traditionnel"
ne permet pas toujours de répondre à leur demande.
La société fournit à ce titre un ensemble
de services, notamment production, distribution (via son site
et des plate-formes en ligne), ainsi que marketing. A la tête
de cette société, Benjamin Bécar, un ami
d'enfance, vit actuellement à Hong-Kong. Me soutenant dans
ma carrière depuis longtemps, ce premier disque est pour
lui l'occasion de me témoigner son soutien et pour moi
l'occasion de vivre une belle aventure, tout en réalisant
une carte de visite indispensable à chaque artiste aujourd'hui.
L'enregistrement s'est déroulé de manière
extrêmement professionnelle, avec des acteurs aux quatre
coins du monde : Hong Kong pour le design du disque et réalisation
du livret, à Paris, chez Rika Studio pour la prise de son
et le mixage, tandis que le mastering a été réalisé
à New York, chez One Soul Group et la production de disques
en Belgique !
Et comment avez-vous vécu ce premier
enregistrement ?
J'ai beaucoup appris durant ces trois jours d'enregistrement.
L'expérience du studio a été très
enrichissante. D'abord une forte impression dès mon arrivée
dans le grand studio le lundi matin : le Grand Fazioli, fraîchement
accordé, trônait au milieu de la pièce, entouré
de tous ses micros. Une question m'est venue à l'esprit.
La bête va-t-elle se laisser dompter ? Après quelques
minutes d'échange entre le piano et moi, j'ai découvert
les couleurs et les contrastes qu'un tel instrument pouvait m'offrir.
Eric, l'ingénieur du son, m'a mis en confiance pour cette
première expérience afin de trouver la détente
corporelle et les dispositions de concentration indispensables
à l'exercice qui m'attendait : réussir à
donner le meilleur de mon jeu, comme en concert, tout en faisant
abstraction des micros et des oreilles qui entendront les moindres
détails. Je me lancai alors dans l'enregistrement proprement
dit. D'abord, les Pièces Opus 118 de Brahms. Plusieurs
fois en filage puis pièces après pièces.
J'écoutais régulièrement le résultat
en cabine. Pour changer d'atmosphère, place ensuite aux
grands espaces sonores des Préludes de Debussy. Pour rester
concentrer, j'ai décidé encore de filer les cinq
Préludes qui dialogueront avec les 6 pièces de Brahms
: Les Sons et les Parfums tournent dans l'air du soir, Ce qu'a
vu le vent d'Ouest, La terrasse des Audiences du Clair de Lune,
Canope et enfin Feux d'artifice. Tout en me libérant peu
à peu de cette impression de "loupe auditive"
qui se jouait en cabine, je me sentais de plus en plus libre et
proche du jeu et des reliefs que je souhaitais donner à
cette musique. Le lendemain a été consacré
entièrement au chantier d'enregistrement de la Sonate de
Liszt, alors que la troisième journée m'a permis
de réaliser les dernières retouches avant d'assister
au travail de mixage de l'ingénieur. Je pris alors conscience
qu'il allait falloir faire des choix difficiles dans mes interprétations.
Au final, l'expérience de l'enregistrement est donc bien
comme celle d'écrire une carte postale en plein voyage,
c'est la photographie sonore d'un moment figé, pris sur
le vif, par rapport à une interprétation qui elle
est toujours en mouvement.. Aujourd'hui, six mois après
l'enregistrement, il m'arrive de rejouer ce programme, avec des
idées musicales complètement nouvelles !
Que représente Brahms, Debussy
et Liszt dans votre répertoire ?
Déjà pendant mes études et ces dernières
années en particulier, ces trois compositeurs ont occupé
une place importante dans mon répertoire. Tous trois étaient
de grands pianistes qui se sont penchés sur la question
de la technique du piano : les Variations-Paganini et les 51 exercices
de Brahms, les Etudes d'exécution transcendante de Liszt,
les Etudes de Debussy.
C'est avec les Préludes que j'ai découvert le compositeur
français. Le premier cahier d'abord, puis le second. Aujourd'hui,
j'ai le projet de jouer l'intégrale de ces préludes
en concert. Il m'arrive de jouer également Masques, L'Isle
Joyeuse et je me penche actuellement sur les Images.
Brahms a une place particulière pour moi car c'est avec
ces deux cahiers de Variations sur un thème de Paganini
que j'ai commencé à véritablement perfectionner
ma technique vers l'âge de 14 ans. Les Haendel-Variations
Op. 24 tiennent elles aussi une place importante dans mon répertoire.
J'ai ensuite découvert ses oeuvres de jeunesse, en particulier
les 3 Sonates. La 3ème sonate d'une durée de 40
minutes est un véritable monument. Concernant les pièces
tardives, je les ai redécouvertes il y a seulement deux
ou trois ans, après avoir beaucoup joué de lieder
et de musique de chambre de Brahms. Aujourd'hui, je ne peux plus
m'en passer !
Liszt aussi m'accompagne régulièrement : l'un de
mes programmes de récital confronte la 3ème Sonate
en fa mineur de Brahms, avec la Sonate en si mineur de Liszt,
deux oeuvres d'une envergure exceptionnelle, toutes les deux composées
la même année, en 1853, alors que Liszt et Brahms
s'apprêtent à emprunter des chemins radicalement
opposés ! J'ai découvert Liszt à travers
sa Sonate quasi una fantasia Après une Lecture de Dante
, puis avec la fantastique et célèbre Mephisto-Valse.
Je joue régulièrement sa Sonate en si mineur ainsi
que quelques unes de ses géniales études transcendantes
comme Mazeppa ou Eroïca.
En quoi l'aspect visuel de la musique
est-il important pour vous ? Avez-vous toujours besoin d'une référence
à des images pour interpréter une uvre ?
Non, bien sûr. D'ailleurs, il serait maladroit de vouloir
associer des oeuvres à des images précises. En fait,
le terme même d'image est pour moi très ambigu et
ne fait pas allusion à la description, ce qui est beaucoup
trop réducteur. Il faut rappeler que Debussy plaçait
d'ailleurs le titre de ses Préludes en fin de partition
et entre parenthèses. L'idée est plutôt de
suggérer que d'imposer. J'aime à penser que la musique
laisse une trace sur l'esprit, comme un tampon, une estampe, une
image qui imprègne notre âme. C'est dans ce sens
que j'emploie le terme d'image.
Vous avez choisi d'alterner chaque Klavierstucke
de l'opus 118 de Brahms avec un prélude de Debussy, hormis
le dernier Klavierstucke pour lequel vous avez préféré
mettre en miroir la sonate en si mineur de Liszt, n'avez-vous
trouvé aucune uvre de Debussy qui aurait pu répondre
à ce dernier Klavierstucke ou bien était- ce parce
que vous aviez envie d'enregistrer cette sonate ?
En fait, la Sonate de Liszt n'est pas une "réponse"
au dernier Klavierstücke de Brahms, mais plutôt un
pendant à l'ensemble de la première partie du disque,
c'est-à-dire un pendant au dialogue Brahms-Debussy. D'un
côté, des images musicales qui se juxtaposent pour
former un dialogue ; d'un autre, des images qui s'imbriquent,
des mouvements qui se chevauchent pour ne former qu'une unité.
Depuis maintenant 5 ans, je joue régulièrement la
Sonate de Liszt en concert. J'adore cette oeuvre. Jamais le compositeur
n'avait conçu une oeuvre aussi longue et aussi vaste pour
piano. Véritable "action musicale" dans laquelle
les thèmes sont caractérisés par des personnages
(thème révolté de Faust, thème sarcastique
de Méphistophélès, thème émerveillé
de Marguerite), la Sonate en si mineur réclame de l'interprète
une toute autre approche que simplement virtuose, elle exige un
sens réfléchi de la construction et des divers plans
sonores, en même temps qu'un coloris pianistique tenant
compte de son écriture orchestrale.
Pour les autres pièces vous me semblez
opposer en fait des images contrastées et non semblables
de l'un et l'autre compositeur , lorsque que la musique de Brahms
évoque la fougue amoureuse Brahms Debussy répond
par une atmosphère rêveuse, quand Brahms se montre
tendre Debussy répond par l'agitation des éléments
pouvez-vous expliquer vos choix ?
Bien entendu, chaque pièce provoque chez chacun des images
différentes, mais l'intérêt pour moi était
de réussir à voyager à travers un parcours
musical comme l'on visiterait une exposition. Dans les expositions,
il y a souvent une thématique, des liens, des dialogues,
des oppositions entre les oeuvres, ou des rapprochements.. alors
pourquoi pas en musique ? J'ai donc choisi cinq Préludes
de Debussy qui à mon sens pouvait le mieux faire écho
ou faire contraste sur le plan musical aux Pièces de Brahms.
Mon idée étant de créer un dialogue pour
mettre en relief la particularité de chaque compositeur,
et en même temps les rapprocher. Par exemple, entre les
2 premiers intermezzi de Brahms et le prélude "les
sons et les parfums..." de Debussy, j'ai privilégié
le rapport de tonalité (la majeur) pour "planter le
décor", alors qu'entre "Ce qu'a vu le vent d'ouest"
de Debussy et la ballade en sol mineur de Brahms, j'ai privilégié
le contraste entre un sentiment d'instabilité, d'intranquillité,
voire d'angoisse d'un côté et une agitation proche
de la fougue amoureuse de l'autre. Il s'agit donc parfois de rapport
harmonique entre les pièces, ou de rapport d'évocation,
même si parfois les échos se font rétroactivement.
Par exemple, on peut entendre dans le dernier intermezzo en mib
mineur de Brahms des motifs mélodiques qui ne se pas sans
rappeler les formules lointaines de "la terrasses des audiences..."
de Debussy.
Bien sûr, encore une fois, chaque auditeur va réagir
différemment face à ces interactions entre les compositeurs
car la musique fait appel à ce que nous avons en nous de
plus profond. Alors l'important n'est pas tant de chercher ces
correspondances que de se laisser guider par l'écoute pour
profiter pleinement du voyage !
Avez-vous eu souvent souvent l'occasion
de jouer auparavant le programme de ce disque en concert ?
Pas très souvent finalement. J'ai rôdé ce
programme deux fois l'année dernière. Une fois lors
d'un récital à l'Eglise Saint-Merry. Une autre fois
lors des Estivales 2009 de la Porte du Hainaut. Mais l'année
du bicentenaire de la naissance de Liszt approche alors je pense
que j'aurai bientôt d'autres opportunités de présenter
ce programme !
Quels sont vos prochains concerts en
France ?
vendredi 18 juin 2010, Paris, 20h
Les professeurs de piano du Conservatoire Chopin se réunissent
sur deux pianos à 4, 6 et 8 mains, le concert s'appelle
: OCTOMANE
Danses Hongroises de Brahms
Jeux d'enfants de Bizet
Rondo de Smetana
Valse de Gounod
Espana de Chabrier
Galop de Lavignac
Entrée libre
www.conservatoirechopin.com
43 rue Bargue
75015 Paris
Métro Pasteur ou Volontaires
et
lundi 21 juin 2010, Paris
les pianistes de Jeunes Talents font la fête de la musique
à 16h30 : Klavierstücke Opus 118 de Brahms
Auditorium de l'INHA
6 rue des Petits Champs
Métro Palais Royal
Paris
www.jeunes-talents.org
Entrée libre
Pour visiter la page archive des
"Disques du moment"...cliquez
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© pianobleu.com - ISSN 2264-2056 ----
contact :
- Agnès Jourdain
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