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Robert Schumann Olivier Chauzu

Robert Schumann
Toccata
Davidsbündlertänze
Humoresque
Olivier Chauzu, piano

Après avoir enregistré un disque de l'intégrale des oeuvres de Paul Dukas qui a lui a permis de mieux faire connaître celle-ci Olivier Chauzu milite avec passion pour la cause romantique avec ce nouveau disque regroupant trois pièces fondamentales parmi les oeuvres de Schumann qu'il offre dans une interprétation fort émouvante où le spleen des grands romantiques atteindra certainement tous les auditeurs :
La Toccata, oeuvre d'une grande virtuosité technique dégageant une grande joie et un humour qui ne se présenteront jamais plus sous cette forme aussi franche et tranchée dans l'oeuvre du compositeur.
Les Davidsbündlertänze empreintes de l'âme de deux personnages de l'imaginaire de Schumann : Florestan, être fougueux, fantasque et imprévu et Eusébius, le mélancolique et rêveur.
L'Humoresque où l'humour n'y intervient que de façon très marginale, Schumann avoua à Clara avoir "ri et pleuré tout à la fois" en la composant et à un ami il indiqua "Elle est peu gaie, et peut-être ce que j'ai écrit de plus mélancolique".
Olivier Chauzu a bien voulu répondre à quelques questions pour présenter ce disque dont je vous invite également à écouter un extrait qui m'a particulièrement émue.
En quoi ces trois œuvres de Schumann permettent-elles a elles seules d’avoir un panorama de l’œuvre de Schumann ?
J'ai choisi ces trois oeuvres parce que je trouvais qu'elles étaient considérées bien injustement par bon nombre de pianistes comme moins intéressantes. En général, on leur préfère généralement la Fantaisie, les Kreisleriana ou le Carnaval. Or, il y a un peu de tout cela dans ces oeuvres-là. La virtuosité altière de Clara Schumann (je considère un peu le schumannisme comme un admirable résultat d'un immense amour, l'amour qui unissait Robert et Clara Schumann) donne une oeuvre, la Toccata, étonnante d'optimisme et de générosité, écrite par un Schumann auquel nous ne sommes pas habitués, festif, joyeux. Elle est écrite comme un exercice technique qui pourrait se révéler fastidieux si l'interprète ne perdait pas un peu la tête. Les Davidsbündlertänze offrent une écriture étonnamment hardie pour l'époque et la dualité que l'on retrouve dans les Kreisleriana y est d'autant plus osée, abrupte, dépourvue de conventions (la dernière danse étant presque le morceau "en trop", un peu à la manière de la dernière scène du Don Giovanni de Mozart, géniale par son inutilité). L'Humoresque, encore très carnavalesque, s'approche d'un certain conceptualisme, les lignes sont plus dépouillées, étonnamment presque classiques. C'est de la pensée à l'état pur. J'ai voulu tour à tour montrer un Schumann volubilement virtuose, moderne, et énigmatique.
L’histoire raconte que Schumann fut dépité lorsqu’il présenta cette pièce qu’il croyait la plus difficile de la littérature classique au pianiste Ludwig Schinke et que celui-ci la joua « à laperfection » après une seule lecture. Que pensez-vous personnellement de la difficulté de cette pièce, avez-vous eu des difficultés particulières pour la jouer ?
On a fait plus difficile depuis ! Précisément, la difficulté de cette pièce est de la rendre dans son esprit échevelé, sa généreuse inspiration presque humoristique, cette spirale de gaieté et de haut voltage et haute voltige... de donner un sens à ce qui pourrait sembler être un exercice technique de doubles-notes dénué d'intérêt. La grande difficulté de cette pièce fait partie de sa valeur, la virtuosité se met au service de la musique pour se confondre avec elle. Mais c'est de la saine virtuosité, comme peut être sain le fait de courir un marathon ou de descendre une piste de ski. Et son intérêt est précisément dans cette prise de risques, qui lui donne une fière allure. Il ne faut pas trop se poser de questions, l'interprète doit se lancer et la jouer avec ses bras, avec ses tripes, avec son enthousiasme, avec son euphorie et sa folie.
Les Davindsbundlertanze et L’Humoresque traduisent toutes deux des « humeurs » fort changeantes , en quoi cela rend-il votre travail d’interprète plus difficile ?
Schumann est une personnalité que l'on ne peut jamais appréhender de manière totale. Quand vous croyez le tenir, il vous échappe des mains. Sa pensée est sans cesse mobile, elle ne se repose jamais. Ses lignes sont inspirées du chant (innere Stimme, voix intérieure, souvent venue de l'au-delà) et par les degrés harmoniques sur lesquels elles se fondent, elles offrent des phrases complexes et méandreuses.
Les repos n'en sont pas, mais bien plutôt des états de prostration dans lesquels s'engouffrent des trous noirs. Nous avons un exemple de prostration totale dans la dernière danse des Davidsbündlertänze, qui préfigure le Schumann ultime. Commencer une phrase, c'est savoir où elle va aller, les modulations qui vont intervenir, les états d'âme toujours changeants du poète. C'est un compositeur qui tait autant de choses qu'il n'en dit. Les ellipses y sont aussi importantes que les grandes plages hallucinées.
L'interprète vit la même aventure que le compositeur et passe par ses mêmes états d'âme, souvent contradictoires et au bord du gouffre, ce qui vous met en danger quand vous êtes sur scène, l'émotionnel prenant le pas sur le contrôle. Quand cela arrive, et cela arrive souvent, ce n'est pas toujours une bonne chose. Je me rappelle la soprano autrichienne Léonie Rysanek disant une chose ressemblante à propos des opéras de Richard Strauss.

Sur votre disque l’Humoresque est présentée en seul tenant alors que souvent elle est décomposée en "mouvements", pourquoi ce choix ?
Je ne pense pas qu'il faille découper cette oeuvre, dans laquelle Schumann ne nomme pas ces "mouvements", ne leur met même pas de numéros, tout juste des indications, "hastig", "einfach", le dernier "mouvement" se nommant "zum Beschluss". Les Fantasiestücke opus 12 portaient des noms, Warum, In der Nacht, Grillen, etc. L'opus 20 est écrit d'un seul tenant, comme d'un seul jet, tout en observant une structure très logique. J'ai voulu mettre en valeur l'architecture de cette pièce, en donner une vision qui tient d'un seul tenant, les états d'âme se succédant les uns aux autres sans interruption, les pauses entre les plages étant elles-mêmes de la musique: elles sont aussi éloquentes que le reste!. Les six plages qui la composent s'imbriquent parfaitement dans une continuité. Je suis d'avis que la musique de Schumann, qui habituellement procède par éléments fort hétérogènes, offre un équilibre et une unité évidentes. Ce déséquilibre, cette faille, présents dans son inspiration, ne peuvent pas être rendus sans cette logique implacable. Il faut que l'ensemble tienne. L'écriture schumanienne offre un déséquilibre dans l'équilibre. C'est le paradoxe de ce compositeur et ce qui fait toute sa difficulté.
Vous même comment avez-vous vécu le fait de vivre dans cet univers Schumannien ? Vous sentez vous plus proche de Florestan ou Eusebius ?
C'est justement parce que je me sens proche de ces deux personnages que je suis fasciné par cette musique. On ne peut pas goûter l'univers schumannien sans passion. La grande Catherine Collard, que j'ai eu la chance de bien connaître, disait avoir senti cette fascination toute jeune. Elle ne l'a jamais quittée jusqu'à sa mort.
Après avoir milité pour faire connaître la musique de Paul Dukas vous militez pour la cause romantique en quoi est-ce important pour vous ?
J'ai agi un peu comme une personne qui dans une salle de conférence éprouve le besoin de dire ce qu'elle pense, lève le doigt et se jette à l'eau. Avec la différence que je ne sais pas parler en public et que, en général, je choisis de m'abstenir, ayant des trous, commençant à bégayer et à dire n'importe quoi, à toute allure, que personne ne comprend. Comme j'ai une immense frustration de ce côté, due à une timidité contre laquelle je lutte depuis toujours et qui ne se voit pas forcément, dire la musique que je pense comprendre est pour moi un échappatoire. Et une manière de me révolter contre ce que je pense être des injustices: des compositeurs un peu maudits ou des oeuvres injustement boudées. Une démarche un peu rebelle, je le reconnais.
Vous jouerez ces deux compositeurs dans un même programme lors de vos concerts à venir, en quoi se rejoignent –ils ? Qu’aimez vous plus particulièrement chez l’un et l’autre ?
Dukas ne rejoint personne et rejoint tout le monde à la fois. Homme d'une immense érudition et possédant une griffe propre, contrairement à ce qui est quelquefois admis par une vox populi, il a assimilé tous les styles. Dukas vous ouvre à Rameau, au wagnérisme, à Debussy, mais aussi à Beethoven, à Schumann. J'aime, dans mes récitals, faire figurer deux grandes oeuvres, les mettre côte à côte. En l'occurrence, l'Humoresque de Schumann et la sonate de Dukas. En Allemagne, ce seront les Davidsbündlertänze.
Quelle question d’ordre musical poseriez vous à Schumann si vous le rencontriez ?
J'aurai des questions par rapport à ses pédales et à la réverbération.
Après Schumann quel compositeur avez vous envie d’enregistrer ?
C'est difficile de se sortir de l'univers de ce compositeur. Une fois que vous y êtes, vous êtes tenté d'y rester, envie contre laquelle il faut lutter. J'aimerais retourner à la densité et la logique beethovénienne.

Pour écouter "Zart und singend" extrait des Davisbündlertänze de Schumann
interprété par Olivier Chauzu avec l'aimable autorisation du label Calliope
cliquez sur le triangle du lecteur ci-dessous

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A noter sur votre agenda :
13 octobre 2008 : Olivier Chauzu, piano
Athénée – Théâtre Louis Jouvet – Paris – 20h00
I. Albéniz (extraits du 1er cahier d’Ibéria) – R. Schumann (Humoreske) - P. Dukas (Sonate)

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