La pianiste d'origine polonaise et italienne Corinne Kloska
a une double actualité : elle sort ce mois-ci un disque
qu'elle avait envie d'enregistrer depuis longtemps : autour des
Scherzi de Chopin, accompagnée par le ténor Xavier
Le Maréchal sur deux mélodies et elle donnera un
concert le 16 mars 2011 à 19h30 à l'Auditorium St
Germain 4 rue Félibien 75006 Paris avec au programme Chopin
-Liszt.
Ce concert sera l'occasion pour elle de présenter des
oeuvres de ce disque mais découvrez dès à
présent celui-ci à travers la reproduction de l'entretien
du livret publié avec l'aimable autorisation du label Plusloin
music et quelques extraits choisis... ainsi des extraits des troisième
et quatrième scherzi très contrastés comme
l'explique Caroline Kloska qui en exprime les différents
langages musicaux avec une grande expressivité. Elle a
choisi d'associer aux scherzi des pièces plus rares ou
de rappeler d'autres grandes uvres qui leur sont contemporaines
ainsi la Polonaise Héroique ou deux mélodies effectivement
peu connues chantées par Xavier Le Maréchal, vous
pourrez également en écouter un extrait.
Cet enregistrement "Autour des
Scherzi " propose plusieurs uvres en compléments,
comment les avez-vous choisies ?
De longue date, je désirais enregistrer ces uvres
si représentatives de Chopin, à la fois par la forme,
les climats, mais aussi par leurs périodes d'écriture,
puisque qu'elles ont été composées entre
1831 et 1842, en pleine maturité.
Chopin a innové en créant certaines formes comme
les " Ballades " mais pour le " Scherzo
", bien que le terme et la forme ne soient pas nouveaux,
il l'a réinventé en lui donnant une autonomie qu'il
n'avait pas jusqu'alors Il en a fait une uvre à
part entière. Traditionnellement le Scherzo faisait office
de divertissement au sein d'une sonate, en apportant fraîcheur
et spontanéité après un mouvement lent par
exemple Bien que Chopin en garde le plan habituel (mesure
à ¾, trio central), ce n'est que prétexte
pour lui donner une ampleur sans précédent : le
divertissement fait place aux contrastes, aux fulgurances, aux
alternances de drames et de plénitude. Toutes les ressources
du piano sont utilisées, de l'infiniment petit jusqu'aux
grandes courbes les plus déchirantes utilisant accords,
gammes, déplacements sur tout le clavier, un éventail
de nuances des plus ténues jusqu'aux plus imposantes.
Parmi les quatre Scherzi, je mets volontiers à part le
dernier (Scherzo n°4 op.54 en mi majeur, 1842). Les trois
premiers reflètent les états de la vie de Chopin,
ses déceptions, ses déchirures, alors que le quatrième
est une idéalisation de la vie, la paix, " l'au-delà
" peut-être Il est souvent décrit
comme " solaire "
Jankélévitch y voit " le poème de
l'Air après les trois poèmes du Feu ".
Tout y est différent, opposé : la tonalité
majeure, le suggéré à la place de l'affirmation,
la paix plutôt que l'effroi, la lumière remplace
l'ombre. La virtuosité ne fait plus peur, elle exprime
la douceur, la magie, la féerie. Le Liszt des " Années
de pèlerinages " ou des " Harmonies poétiques
et religieuses "n'est pas très éloigné.
Le premier Scherzo, (op.20 en si mineur, 1831-1832) est très
poignant par sa jeunesse et son énergie primordiale, même
s'il est habité des drames qui se nouent déjà
dans la vie de Chopin. Le premier accord qui ouvre le " Presto
con fuoco" est comme un coup de poignard dans l'âme.
La vitalité de l'uvre ne masque jamais l'effroi,
et quand arrive ensuite ce cantique central, si émouvant,
nous croyons enfin arriver au repos de l'âme. Alors que
nous sommes dans une paix intérieure retrouvée,
les deux incroyables accords résonnent de nouveau pour
ré-introduire le passage du début : L'effroi reprend
sa course jusqu'à la fin, sans relâche.
Le second, (op.31 en si bémol mineur, 1837) est le plus
connu, vraisemblablement parce que l'essentiel de l'écriture
de Chopin y est présente: contraste entre cantabile (mineur-majeur),
épisodes lyriques, lumières, drames, et aussi à
travers des variations de nuances extrêmes, parfois subites.
Je l'aime particulièrement parce qu'il rompt avec les réitérations
symétriques du premier Scherzo. Au contraire les thèmes
et leurs développements varient à l'infini et c'est
un bonheur de chercher de nouvelles voies expressives à
chaque fois qu'on le joue.
Le troisième, (op.39 en ut dièse mineur, 1839)
est célèbre par son Choral offrant un contraste
entre de puissants et beaux accords et ces arabesques légères
D'ailleurs, j'ai envie de dire que " contraste "
est le mot qui exprime le mieux le contenu de cette uvre
: opposition des deux thèmes, l'un puissant et grave, l'autre
léger et transparent. Oppositions encore, grâce aux
silences tellement expressifs. Et aussi parce que le style de
Chopin évolue : le contraste se déplace à
l'intérieur même de la phrase, du motif. C'est ce
qui rend difficile, je pense, l'interprétation de ce Scherzo:
rendre dans l'instant ces multiples climats, exprimés à
travers des nuances dynamiques nombreuses, soudaines et difficiles
à doser.
La curiosité venant, je me suis également intéressée
aux uvres qui encadraient la genèse de chaque Scherzo,
et j'ai découvert des pépites, comme " Hexameron
" qui est une magnifique pièce méconnue, reprenant
le thème des " Puritains " de Bellini. Son tempo
lent fait penser à un Nocturne en miniature. J'ai également
choisi deux mélodies en polonais que Xavier Le Maréchal
nous a fait le plaisir d'interpréter. La première
" Smutna rzeka " (Rivière triste) est
l'une de plus belle et touchante sur les onze de l'opus 74 avec
une partie centrale particulièrement désespérée la
seconde mélodie est la pièce la plus tardive de
ce programme. " Dwojaki koniec " est composée
en 1845 et raconte une histoire d'amour entre une Polonaise et
un cosaque. Son ambiance monotone et romantique, avec quelques
accents belcantistes, en fait une curiosité charmante mise
en relief par son aspect désuet.
Les uvres qui accompagnent les Scherzi sur ce disque sont
donc un mélange entre des uvres peu ou pas connues
et d'autres qui, bien que célèbres, nous éclairent
sur le cheminement de Chopin pendant ces onze années.
Néanmoins ce programme semble disparate,
puisque autour des pièces maîtresses, s'enchaînent
Mazurkas, Polonaise, mélodies .
Au contraire, cette hétérogénéité
apparente rend compte de l'incroyable diversité de son
uvre, toujours inscrite dans une dynamique entre les petites
et les grandes formes. Il ne s'agit pas de faire un portrait exhaustif
de Chopin, mais seulement de faire quelques pauses sur des pièces
plus rares ou de nous rappeler que telle ou telle grande uvre
voisinait, dans ses préoccupations, avec tel ou tel Scherzo.
Il est quand même passionnant de rapprocher la Polonaise
Héroïque Op.54 tellement grandiose et flamboyante
avec le 4ème Scherzo Op.53 qui n'est que lumière
et poésie dès le début ! Il marque une rupture
avec les 3 précédents, qui sont affirmatifs alors
que le dernier transforme la force en un point d'interrogation.
Comment abordez-vous les ressources physiques
nécessaires aux Scherzi ?
Parler en profondeur de la technique pianistique n'est pas une
question de " ressources " au sens où on l'entend
habituellement. Il s'agit là d'architecture, pas de force.
Il s'agit aussi de timbres, de climats, de tensions ou de détentes.
Tout cela n'est pas une histoire de " ressources physiques
" comme on a souvent lu sur les Scherzi, mais de structure
de la forme en assumant jusqu'au bout les points de tensions par
exemple, qui sont parfois énormes d'intensités
en rendant exactement compte des contrastes, en jouant vraiment
piano ou pianissimo quand nécessaire. C'est cette variété
de la gamme dynamique et des couleurs qui permet de jouer ces
uvres. La vraie technique, c'est la possibilité de
rendre compte d'une conception et principalement de faire de belles
phrases. Ce qui est ma préoccupation principale, surtout
chez Chopin qui est l'expression même du " cantabile
" au piano.
Pour quelles raisons, après avoir
enregistré des uvres de jeunesse de Szymanowski inconnues,
appréhendez vous un tel répertoire ?
J'aime beaucoup jouer le répertoire du début du
XXème siècle, Scriabine, Rachmaninoff , Ravel et
bien sur Szymanowski .Ils sont les héritiers de Chopin,
que ce soit du point de vue des couleurs, de l'émotion
ou de la technique C'est également évident
chez Debussy Sans oublier Liszt, autre grand inventeur du
piano moderne dont la Méphisto-Valse trouve un écho
dans Scarbo de Ravel que j'affectionne particulièrement.
La musique est un jeu de miroir entre les générations
que je trouve enrichissant de mettre en lumière.
Corinne
Kloska découvre très tôt la musique, grâce
à sa mère excellente chanteuse.
Le chant, le " cantabile " représente l'essence
de sa conception de la musique et du piano.
Née d'un père polonais et d'une mère italienne,
émotion et passion sont les traits déterminants
de son tempérament.
Comme souvent, ce furent des rencontres importantes qui esquissèrent
la constante réflexion et évolution de Corinne Kloska.
D'abord avec François Cholé, Pierre Sancan, puis
avec Eliane Richepin dont l'influence fut déterminante.
Lauréate de plusieurs concours internationaux Corinne Kloska
se produit régulièrement en France et à l'étranger.
Son activité se répartit équitablement entre
le répertoire de musique pour piano, la musique de chambre
et l'accompagnement de chanteurs.
Plusieurs parutions rendent compte de l'univers de Corinne Kloska
au disque:
" La Polonaise " à travers des uvres de
Wilhelm Friedemann Bach, Beethoven et Scriabine.
Les transcriptions pour Quatuors et piano des Quintettes pour
vents et piano de Mozart et Beethoven (Alphée).
Chez Soupir est paru en 2004 un disque consacré à
l'uvre de jeunesse de Szymanowski (5 Diapasons, 10 de Répertoire).
uvres rarement enregistrées jusqu'à présent.
Comme l'a écrit François Serette, elle est une musicienne
qui a reçu le don de passer " du rêve à
la passion avec le même bonheur "
Corinne Kloska enseigne actuellement à Paris.
Xavier Le Maréchal, Chant
Xavier Le Maréchal découvre le chant dès
l'age de 4 ans. Son parcours débute par le chant, le chant
choral et une formation musicale complète aux conservatoires
de Fougères, puis à Versailles et à Paris.
Au sein de l'ensemble Perceval, il côtoiera les musiques
du Moyen Age et de la Renaissance.
Mais le choc se produira lors de la découverte des Mélodies
de Fauré. Dès lors Xavier Le Maréchal se
consacrera essentiellement à la mélodie française
et étrangère avec une exigence particulière
pour son respect, un amour des textes, et la manière de
les faire vivre. Créer un monde éphémère
qui en l'espace de quelques minutes doit suggérer le décor,
les lumières, les personnages, raconter une histoire et
mettre un parfum de vie. Les rencontres de Claude Dubois-Guyot,
Rachel Yakar, et de Jean-Christophe Benoit, son maître de
mélodies françaises, furent déterminantes.
Pour écouter
ces extraits
du disque Chopin
Corinne Kloska, piano
avec l'aimable autorisation
du label plusloin
music
cliquez sur le triangle des lecteurs ci-dessous
Scherzo 3 (extrait)
Scherzo
4(extrait)
Mélodie
Smutna rzeka(extrait)
avec Xavier Le Maréchal, chant