Beethoven
Concertos n°2 opus 19 et n°3 opus 37
François-Frédéric Guy, piano
Orchestre Philharmonique
de Radio France
Philippe Jordan, direction
François-Frédéric Guy termine par ce volume
son intégrale des concertos de Beethoven mais, comme le
montre ses réponses à de nouvelles questions(voir
ci-dessous), ce "dernier" album de cette intégrale
des concertos n'est nullement, bien au contraire, la fin de son
voyage discographique avec ce compositeur qui constitue "l'alpha
et le oméga" de son répertoire. François-Frédéric
Guy est en effet réputé pour avoir déjà
donné à plusieurs reprises l'intégrale des
trente-deux sonates de Beethoven en concert et il envisage de
les enregistrer à leur tour. Pour être réputé
Beethoven quant à lui eut précisément besoin
de concertos de sa composition pour s'en servir comme d'une sorte
de carte de visite artistique. Le concerto n°2 opus 19 est
en fait le premier concerto pour piano que Beethoven ait jugé
digne d'être présenté au public et il fut
composé à Bonn avant le concerto n°1 op15. Les
premiers fragments de son écriture remontent à 1786
mais il apporta à plusieurs reprises diverses modifications
jusqu'à sa publication en 1801. Les premières esquisses
du concerto n°3 opus37 remontent quant à elles de 1796
et celui-ci fut publié en 1804 après aussi nombreux
remaniements. Il faut préciser , ainsi l'explique Beate
Angelina Kraus, auteur du livret, qu'à l'époque
l'improvisation constituait un élément essentiel
du genre du concerto pour piano et l'édition ne se justifiait
qu'à partir du moment où l'oeuvre était appelée
à exister indépendamment de son compositeur. Une
nouvelle existence de ces oeuvres donc par cet enregistrement
dans lequel François-Frédéric Guy dans un
jeu personnel dynamique, léger et poétique exalte
la voix intérieure, rendant par cette magie musicale très
présent le compositeur.
Vous avez enregistré lintégrale
des concertos de piano de Beethoven, et avez récemment
donné par deux fois lintégrale des sonates
pour piano de ce même compositeur, que vous ont apporté
chacune de ces récentes expériences dans votre approche
du piano et de luvre de ce compositeur ?
Cette grande aventure Beethovénienne, qui a débuté
en décembre 2006 lors de notre première rencontre
avec Philippe Jordan, puis l'enregistrement du 4ème concerto
dans la foulée, est un tournant dans ma vie professionnelle
et personnelle. Beethoven a toujours fait partie de mon répertoire
mais il y a un monde entre interpréter quelques sonates
en public et vivre immergé dans les 32 sonates et les 5
concertos! C'est un peu comme lorsqu'on arrive à l'entrée
sud du Grand Canyon: les perspectives et l'échelle sont
si gigantesques qu'elles font oublier toute référence
précédente. C'est également le cas pour ces
deux corpus qui embrassent à eux deux l'ensemble des possibilités
expressives, philosophiques et mystiques de la musique et surtout
l'ensemble des sentiments qu'un être humain peut ressentir
et exprimer. Donc l'artiste enrichit à l'infini son discours
et se nourrit mouvement après mouvement (j'en compte 99),
sonate après sonate, concerto après concerto d'une
essence rare, d'un nectar mystérieux et devient totalement
dépendant.
Sur un plan plus technique, on peut dire que la maîtrise
du langage beethovénien reste un défi permanent
du fait du renouvellement et du développement de l'utilisation
du piano. plus de puissance, de legato, de pédale, une
écriture qui devient symphonique et d'une richesse inégalée....Il
fait faire un bond prodigieux à la musique et au pianiste!
Il décomplexe, en un mot, face au répertoire dans
son ensemble. Il y a "LUI" et les autres...
Votre passion pour la musique de ce compositeur
est-elle encore plus forte, et envisagez-vous denregistrer
lintégrale des sonates ou au contraire avez-vous
envie de passer à autre chose, un autre compositeur ?
Eh oui l'aventure ne fait que commencer...Les deux intégrales
de 2008 des sonates n'étaient que des épisodes pilotes !
Je peux vous confirmer qu'il y aura une intégrale des 32
sonates au disque pour Naïve classique. C'est un défi
immense pour moi, mais aussi pour la maison de disque qui m'accorde
sa confiance. Pourquoi une énième intégrale?
Réponse très égoïste: parce que c'est
la mienne ! Je l'ai voulue un peu différente; avec
des surprises, notamment une captation en concert pour la plupart
d'entre elles, mais peut-être aussi certaines autres sonates
enregistrées en studio. Alfred Brendel l'avait fait dans
sa 3ème intégrale. Et je pense qu'on peut apporter
de la vie, de la nouveauté et des sensations intéressantes
dans ces conditions.
Quand à passer à autre chose ce n'est pas d'actualité,
à grande échelle. Cependant je tiens à préciser
que je m'accorde des pauses entre les tempêtes beethovéniennes
et que je donne plus d'une dizaine de fois l'antépénultième
sonate de Schubert cette saison, ainsi que la fabuleuse 8ème
sonate de Prokofiev en hommage à Sviatoslav Richter au
festival de Colmar. Sans compter la musique contemporaine toujours
chère à mon cur autour de Marc Monnet, Pierre
Boulez et d'autres...
Vous
avez travaillé avec nombreux compositeurs contemporains
mais finalement Beethoven que vous navez jamais rencontré
vivant nest-il pas celui que vous connaissez le mieux humainement ?
C'est très vrai ce que vous dites... Il m'a tellement
ouvert son cur chaque jour pendant des heures entières
qu'il fait partie intégrante de mon existence, non pas
seulement lorsque je me mets au piano le matin ou même lors
d'un concert, mais en permanence. Et comme je l'ai dit plus haut
il transmet la totalité des sentiments humains dans chaque
uvre. Je vais vous raconter une petite histoire. Un jour
je travaillais la Hammerklavier avec le fils d'Arthur Schnabel,
Karl-Ulrich. Il me dit tout à coup qu'il donnait à
ses élèves un exercice pour jouer les sonates de
Beethoven qui consiste à prendre une feuille de papier
dès qu'on a un peu de temps libre et noter les différents
types d'expression musicale qu'on peut appliquer à une
phrase de Beethoven... si on en trouve une vingtaine, c'est bien.
Cinquante, c'est exceptionnel; certains arrivent à une
centaine, disait-il. J'ai envie d'ajouter que la palette est infinie
et qu'on a jamais fini d'en découvrir...
Le concerto n°2 a été
écrit sur 15 ans , Beethoven ayant apporté diverses
modifications. Avez-vous eu loccasion de lire ces différentes
versions, et que pensez-vous de cette version finale ?
Il est en fait le premier composé ! Beethoven n'en
était pas satistait et en a rédigé au moins
trois versions. Je crois que la publication de cette version définitive
est contemporaine du 3ème concerto. Mais je n'ai pas encore
eu l'occasion de voir les manuscrits des différentes versions.
Peut-être lors de mon concert à la Beethoven Haus
de Bonn à l'automne, j'aurai la chance de pouvoir les consulter.
De plus, d'après les carnets retrouvés, on sait
qu'il travaillait aux trois premiers concertos simultanément
même si on peut clairement voir l'évolution de son
style très nette depuis les premières ébauches
du deuxième, jusqu'à la grande maîtrise du
troisième en passant par l'émancipation dans le
premier.
Le 2ème est le mal aimé des cinq pour diverses raisons
peu convaincantes à mes yeux : il est plus court et directement
rattaché au modèle Mozartien et Haydénien,
donc le public et de nombreux interprètes le considère
comme un "essai" et un concerto mineur. Le matériau
thématique et orchestral semble assez réduit et,
enfin, il s'en dégage un parfum un peu trop exclusivement
viennois qui lui donne une moindre universalité.
Au contraire, pour ma part, je le trouve pétillant comme
un Dom Perrignon dans ses mouvements extrêmes, tendre, éploré
et désolé dans son mouvement lent, dont la perfection
laisse pantois. Certes Beethoven a retravaillé l'orchestration,
qui peine un peu à s'extraire des modèles anciens;
il a ajouté une cadence contemporaine de la sonate opus
22 (1800) a tel point qu'elle emprunte à son premier mouvement
plusieurs séquences entières. Mais dans l'ensemble,
l'écriture du piano est plutôt resserré sous
les doigts, un peu comme dans les "leichte Sonaten"
de l'opus 49, notamment le final de la première, ce qui
rend paradoxalement son exécution très périlleuse,
car le modèle technique échappe aux archétypes
habituels.. Donc peu d'effets spectaculaires et de puissances,
toute chose que le public et nombres d'interprètes attendent
d'un concerto pour piano...
Le concerto n°3 pour piano a toujours
bénéficié dune faveur particulière
auprès du public, que pensez-vous personnellement de concerto,
est-il celui que vous préférez ?
Oui, pourtant il est très austère surtout dans
son premier mouvement. Au-delà de la référence
au 24ème concerto de Mozart en ut mineur également,
le 1er thème du premier mouvement est à la fois
sourd, martial et presque statique. Puis une violence rentrée
apparaît avec de brusques oppositions dynamiques et une
puissance dans l'orchestre et le piano jamais entendue avant cette
uvre. C'est un tournant et Beethoven ne s'inscrit plus dans
la continuité de l'histoire comme avec les deux premiers
concertos. Il "fait" l'Histoire. Son mouvement lent
invente Chopin, ses vocalises dignes du bel canto, ses "lento
con gran espressione" qui seront la marque de fabrique du
compositeur polonais. Quand au final, il a tellement impressionné
le jeune Brahms qu'il en a repris la trame complète, de
l'entrée du thème au piano seul suivi de sa reprise
à l'orchestre avec piano obligato qui accompagne (sur le
modèle du concerto en ré mineur de Bach), jusqu'au
fugato central confié aux cordes puis à tout l'orchestre.
Il n'est pas mon préféré dans la mesure ou
pour moi les cinq concertos de Beethoven sont la plus belle somme
de musique avec orchestre qu'on puisse rêver et j'aime chacun
d'entre eux comme un père ses propres enfants, sans favoritisme!!!
Mais il est un des plus impressionnants et annonce les temps futurs.
Lorsque
Beethoven a réalisé ces concertos, limprovisation
constituait un élément essentiel du genre du concerto
pour piano, dans quel état desprit êtes-vous
vous-même lorsque vous interprétez ces concertos,
les vivez-vous comme des improvisations ?
Pas vraiment, étant donné l'extrême précision
avec laquelle Beethoven note la moindre de ses intentions-excepté
toutefois dans le premier mouvement du 3ème concerto curieusement
dans lequel il manque nombre d'indications dynamiques mais c'est
un autre problème. On peut imaginer Beethoven improvisant
au moment de la cadence du premier mouvement, génial créateur
dont les possibilités incluaient effectivement cette faculté
d'improvisation. Cela étant, Beethoven a fixé sur
le papier, et pour l'éternité, certaines de ses
improvisations: ce sont les cadences qui sont publiées
en complément du concerto lui-même. C'est d'ailleurs
toujours une expérience étonnante de jouer ces "improvisations
écrites"! Il y a comme un paradoxe. D'ailleurs pour
certains concertos, de Mozart notamment, quelques interprètes
se sentent des velléités de compositeur et écrivent
leurs propres cadences... Sur le principe et dans le secret des
ateliers, c'est une idée formidable et un merveilleux exercice
de style. Malheureusement aucun n'interprète -je dis bien
aucun- n'approche le génie de Beethoven ou de Mozart. Alors
pour ma part, je continue à faire une confiance aveugle
aux génies...
Pour nous, interprètes, le défi n'est pas d'improviser,
mais de restituer, par le prisme de notre culture et de notre
personnalité. Je dirais même que c'est exactement
le contraire d'une improvisation et que l'on vise à redonner
vie à chacune des notes et des signes inscrits dans la
partition, qui sans être un carcan est indéniablement
un cadre assez strict avec ses règles, ses codes et ses
symboles. A l'interprète d'y trouver le sens profond, et
surtout, de le partager avec l'auditeur, comme un secret qu'on
révèle...
Quelles sonates de Beethoven vous semblent-elles
les plus proche musicalement de chacun de ces deux concertos ?
C'est assez difficile à dire tant les concertos et les
sonates sont autonomes. On peut malgré tout essayer de
trouver des correspondances ponctuelles ; le plus frappant
à mon sens est l'appartenance à une époque
avec son style qui influence le compositeur, l'instrument dont
les progrès techniques permettent de faire un bond dans
les possibilités offertes au compositeur (vitesse d'exécution,
dynamiques, pédales, variété de toucher).
D'après ces nombreux critères, on peut rattacher
bien-sûr le deuxième concerto - premier composé
- à la toute première période de Beethoven,
notamment les sonates dites "faciles" de l'opus 49 écrites
dans les années 1796-97. Mais compte-tenu du fait que ce
concerto a fait l'objet de multiples remaniements, on peut aussi
déceler des influences plus tardives notamment la sonate
n°11 opus 22, qui emprunte aussi la tonalité de si
bémol et qui a, comme je l'ai rappelé plus haut,
influencé la cadence et certaines formules du 1er mouvemen,t
plus hardies que l'écriture de l'ensemble du concerto.
Pour le 3ème concerto c'est plus délicat. Les sonates
qui le précèdent sont les trois opus 31 - dont la
célèbre tempête - très développées
et novatrices dans l'organisation et les proportions des mouvements.
Puis, il n'y aura plus de sonates avant l'immense Waldstein opus
53. Le concerto paraît un peu moins abouti et mature que
les opus 31. De toute façon les sonates étaient
le laboratoire grâce auquel Beethoven essayait, innovait,
marquait l'histoire. Le concerto était plutôt destiné
à faire briller le soliste. Donc il fallait qu'il soit
plus accessible au public... Curieusement le concerto n°3
emprunte son second mouvement à la 3ème sonate opus
2 dont il partage la tonalité surprenante de mi majeur,
qui dégage une tendresse et une nostalgie infinies....
Pour le reste Beethoven montre qu'après 18 sonates et deux
concertos, il maîtrise l'instrument et lui imprime sa marque
comme jamais auparavant.
Pourquoi sortez-vous ce disque du second
et troisième concerto en dernier, pour quelle raison avez-vous
choisi cet ordre plutôt que lordre chronologique ?
J'ai voulu commencer par enregistrer les concertos que j'avais
le plus donné en concert. En fait nous avons commencé
par le quatrième en décembre 2006. Puis les premier
et cinquième durant l'été 2007, enfin les
deuxième et troisième en décembre dernier,
que je n'avais presque pas eu l'occasion de jouer en public. Cela
étant, cet ordre m'a permis de pouvoir jouer le troisième
concerto, non seulement en public, mais encore avec Philippe Jordan
! Une préparation idéale à l'enregistrement.
Vous avez enregistré les concertos
avec lorchestre philharmonique de radio France sous la direction
de Philippe Jordan, comment avez-vous vécu cette longue
collaboration « main dans la main » ? Avez-vous dautres
projets ensemble ?
Nous avons effectivement noué une relation très
particulière avec l'orchestre philharmonique de Radio France
et bien-sûr avec Philippe Jordan. C'est une expérience
marquante d'enregistrer les concertos de Beethoven et j'ai senti
dès notre première séance de travail en 2006
que cette aventure serait extraordinaire, que nous parlions le
même langage et regardions dans la même direction
avec Philippe. Cette rencontre a eu lieu grâce avant tout
au directeur artistique de l'orchestre, Eric Montalbetti, qui
avait pressenti cette complicité, primordiale pour un tel
projet inscrit dans la durée, qui trouve son aboutissement
naturel dans l'intégrale des concertos en concert salle
Pleyel, commencée en février dernier et qui nous
mènera jusqu'en juin 2010. De plus, il s'est établi
une relation privilégiée avec l'OPRF dont je connais
personnellement la plupart des membres, et qui ont relevé
le défi de cette intégrale avec un enthousiasme
et une exigence artistique qui ont été unanimement
salués. Le défi était immense. Un très
jeune chef encore peu connu et dont cette intégrale constituait
le premier enregistrement, un pianiste et un orchestre français.
Autant dire que nous étions attendus au tournant!! Pourtant
nous avons essayé de montrer qu'on peut encore enregistrer
ces chefs-d'uvres avec un regard neuf, un regard du XXIème
siècle.
Depuis, Philippe Jordan s'est révélé au public
et va prendre la direction de l'Opéra de Paris à
l'automne prochain. Ce qui malheureusement signifie la fin provisoire
de notre collaboration française après la fin de
l'intégrale des concertos salle Pleyel, compte-tenu des
exclusivités contractuelles de Philippe avec l'Opéra
de Paris... Mais nous aurons sans aucun doute beaucoup de projets
dans le futur, nés de cette amitié et du plaisir
de jouer de la musique ensemble.
Quant à mon travail avec l'OPRF, je souhaite de tout cur
qu'il se développe autour de mon répertoire de prédilection,
notamment les concertos de Mozart et Brahms ou encore les concertos
de Bartok et Prokofiev, pour que la belle aventure continue, après
quatre années de répétitions, d'enregistrements
et de concerts autour de Beethoven.
Pour écouter avec
l'aimable autorisation du label Naïve
les trois premières minutes de l'adagio du concerto n°2 François-Frédéric
Guy, piano
Orchestre Philharmonique de Radio France Philippe Jordan, direction
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