Solenne Païdassi Violon Laurent Wagschal Piano

The Art of the Violin
L'Art du Violon

Camille SAINT-SAËNS (1835-1921) :
Sonate n°1 en ré mineur op.75
Gabriel PIERNE (1863-1937) :
Sonate en ré mineur op.36
César FRANCK (1822-1890) :
Sonate en la majeur
Jules MASSENET (1842-1912) :
Méditation de Thaïs

Solenne Païdassi, Violon
Laurent Wagschal, Piano

Voici le disque très attendu tant par les amateurs de piano que de violon "The Art of violin" dont la sortie avait été annoncée à l'occasion d'un concert donné en janvier 2013 par les deux musiciens. Ceux-ci jouent ensemble depuis peu de temps mais ont "tout de suite été en parfaite entente musicale", ainsi l'indique Laurent Wagschal à l'occasion d'un nouvel entretien à lire ci-dessous, et si l'on ne compte plus les disques enregistrés par le pianiste c'est par contre le premier disque de la violoniste Solenne Païdassi, lauréate en 2010 du concours Jacques Thibaud, elle confie quant à elle aussi dans cet entretien combien elle a apprécié de réaliser cet album avec lui notamment parce qu'elle a une totale confiance dans ses choix musicaux. Il est vrai que Laurent Wagschal est un spécialiste de la musique française et si le titre de l'album est en anglais il regroupe uniquement des oeuvres françaises comme vous pouvez le constater par la liste des oeuvres enregistrées, oeuvres qui ne sont d'ailleurs pas qu'au violon seul mais toutes au violon et piano mais nombreuses ont été écrites en pensant d'abord aux violonistes qui jouent très rarement seuls et leurs sont d'ailleurs dédicacées.
Ainsi lorsque Saint Saëns présenta sa première sonate pour ces instruments il parait qu'il déclara : "Tous les violonistes vont se l'arracher ..." et de fait nombreux prestigieux violonistes l'ont immédiatement jouée et ainsi fait parvenir aux oreilles de l'écrivain Marcel Proust qui se serait inspiré d'un thème du premier mouvement dans son roman "A la recherche du temps perdu". Ce n'est pas ce mouvement mais l'"allegro moderato" qui suit , le plus court de ce disque, que vous pourrez écouter plus bas dans cette page, avec l'aimable autorisation du label Indésens, un mouvement plus léger que l'adagio et certes moins brillant que le final, mais très dansant et très agréablement souriant... Cette sonate est assurément parfaite du début à la fin et l'on comprend l'attirance des violonistes pour celle-ci !
La sonate de Franck a été dédiée à un violoniste : Eugène Ysaye auquel elle a été offerte en cadeau de mariage, et elle aurait aussi nourri l'imaginaire de Proust, elle a d'ailleurs été écrite un an après celle de Saint Saëns mais c'est une sonate très différente qui renouvelle le genre par sa forme originale tout en restant très lyrique et elle cache en elle nombreuses émotions contrastées.
La sonate de Gabriel Pierné, la plus tardive ( 1900) des trois sonates de ce disque, a aussi été dédiée à un violoniste : Jacques Thibaud , mais il en existe une version pour flûte et piano écrite en 1949. Elle est certes moins connue que les précédentes, comme d'ailleurs tout l'oeuvre de ce compositeur dont nous avions pu découvrir toute l'oeuvre pour piano seul dans un des précédents disques de Laurent Wagschal, mais a aussi beaucoup de qualités, le mouvement final est absolument enthousiasmant et les deux instruments sont en fait tout autant privilégiés et là aussi l'on comprend que Laurent Wagschal ait tenu à ce que cette sonate soit présente !
La méditation de Thaïs qui clôt ce programme n'est pas une sonate mais la transcription d'un solo pour violon et orchestre extrait d'un opéra de Jules Massenet, il n'est pas précisé par qui cette transcription a été réalisée... et multiples recherches n'ont pas permis d'en découvrir l'auteur qui peut-être très modeste a pu estimer que tout le mérite en revient à Massenet ce qui n'est d'ailleurs pas faux...
Solenne Païdassi qui quant à elle tenait à conclure avec cette pièce fait là aussi un très beau choix avec cette pièce méditative qui termine son premier disque dans un sentiment de paix qui laisse désirer de l'entendre encore souvent elle aussi dans de nombreux disques, cette première étape avec le pianiste Laurent Wagschal bon conseiller mais aussi talentueux pianiste et excellent musicien de chambre s'avérant très réussie !
Dans quelles circonstances est né ce projet de disque ?
Laurent Wagschal : Solenne et moi avons intégré l'agence artistique Concert Talent lors de sa création par Lara Sidorov il y a bientôt deux ans. J'ai joué pour la première fois avec Solenne à l'occasion d'un remplacement au pied levé et nous n'avons pu répéter que le matin même du concert pour un programme très chargé qui comprenait justement la sonate de Franck. Et je crois que c'était quand même un très beau concert ! Il y a des musiciens avec lesquels on peut travailler des heures et des heures sans réussir à se "trouver" et sans prendre de plaisir, alors qu'avec d'autres ça marche tout de suite, sans même avoir besoin de répéter ! Depuis, je suis très heureux de jouer régulièrement avec Solenne et de l'accompagner pour son premier CD. La composition du programme de cet enregistrement a été initiée par Benoit d'Hau, directeur du label Indésens, qui souhaitait graver la sonate de Franck. Nous avons alors naturellement pensé compléter le programme avec des sonates françaises de la même période. Personnellement j'avais très envie de jouer la sonate de Pierné que je trouve magnifique et qui existe en fait dans deux versions prévues par le compositeur : pour violon et piano ou pour flûte et piano. Comme elle est assez prisée des flûtistes, j'avais déjà eu quelques occasions de la jouer avec flûte, mais je ne l'avais encore jamais jouée avec violon.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette fameuse " petite phrase " de la sonate de Saint Saens qui aurait inspiré sa fictive " sonate de Vinteuil " à l'écrivain Marcel Proust, quel est avis sur celle-ci car il semblerait qu'en fait Proust la trouvait " charmante mais enfin médiocre " ?
Laurent Wagschal : Dans une lettre, Marcel Proust indique en effet (mais dans une très faible mesure, insiste-t-il) que la fameuse petite phrase de la sonate de Vinteuil serait inspirée par un passage d'une sonate de Saint-Saëns. Et d'après la description qui en est faite dans Un amour de Swann, il pourrait en effet s'agir du second thème du premier mouvement qui est exposé par le violon dans l'aigu sur un balancement d'arpèges au piano. Mais on est en effet très surpris de découvrir dans cette lettre que Proust déclare qu'il trouve cette sonate médiocre et qu'il n'aime pas Saint-Saëns ! Il est vrai que Saint-Saëns a toujours eu ses fervents admirateurs comme ses impitoyables détracteurs. Personnellement, je trouve qu'il a un sens mélodique extraordinaire : comme par exemple dans le sublime thème qui ouvre l'Introduction et rondo capriccioso pour violon et orchestre ! Mais il est vrai aussi que son académisme peut parfois être très agaçant , lui qui pensait : " Pour moi l'art c'est la forme. L'expression, la passion, voilà qui séduit avant tout l'amateur. Pour l'artiste, il en va autrement"
La sonate de Franck qui aurait aussi inspirée Proust, a été composée 14 ans plus tard (en 1886) et est considérée comme un chef d'œuvres qui renouvelle le genre, quelles sont précisément les grandes nouveautés apportées par César Franck ?
Laurent Wagschal : Dans cette sonate, Franck utilise le fameux procédé qui lui est si cher : la forme cyclique. On retrouve ainsi certains motifs ou éléments d'un mouvement à l'autre. Par rapport aux oeuvres de la même époque, Franck fait ici preuve d'une très grande liberté de forme. D'abord dans la structure générale des mouvements : la sonate commence par un mouvement modéré bien éloigné de l'esprit habituel d'un premier mouvement, le mouvement rapide ne venant qu'en deuxième position. La sonate débute comme une improvisation sur un accord de 9ème très singulier. Le troisième mouvement est écrit également dans un esprit très improvisé avec notamment les passages indiqués "recitativo fantasia". C'est finalement le dernier mouvement, dont le thème est subtilement écrit en canon entre le violon et le piano, qui est le plus traditionnel avec sa forme rondo.
La sonate en ré mineur de Gabriel Pierné a quant à elle été crée encore 14 ans plus tard ( en 1900) , y retrouve -t-on des idées de son maître César Franck ?
Laurent Wagschal : La sonate de Pierné partage avec celle de Franck un langage harmonique très proche ainsi qu'une expression très romantique tour à tour intimiste et passionnée. Elle utilise également le principe cyclique et l'on retrouve ici encore des thèmes qui circulent dans les trois mouvements de l'oeuvre. Mais c'est d'ailleurs aussi le cas dans la sonate de Saint-Saëns ! Franck a véritablement eu une influence prépondérante sur une toute génération de compositeurs.
L'auteur du livret ne dit rien au sujet de la transcription pour piano et violon de la méditation de Thaïs , à l'origine pour violon solo, pouvez-vous la présenter et pourquoi avez-vous choisi de conclure ce programme avec cette œuvre ?

Solenne Païdassi : La méditation de Thaïs est tirée de l'Opéra de Jules Massenet, "Thaïs", basé sur une nouvelle d'Anatole France du même nom. C'est l'histoire d'un moine, Athanaël, qui cherche à convertir au christianisme la courtisane Thaïs. L'opéra voit l'évolution émotionnelle et religieuse des deux protagonistes. Alors qu'Athanaël réalise peu à peu que son intérêt pour Thaïs est plus charnel que spirituel, tandis que la courtisane finit par se convertir et renoncer au monde matériel. La "méditation de Thaïs" est en temps très fort de l'opéra, où la courtisane s'interroge sur la direction que prend sa vie. A la fin de l'intermède, sa décision est prise, et elle annonce à Athanaël qu'elle le suivra dans le désert. Composée à l'origine comme un solo de violon accompagné d'orchestre, elle a été très vite adaptée pour violon et piano, et les violonistes se la sont appropriée en dehors de son contexte original. L'opéra a été composé en 1894, créé à Paris, donc la Méditation s'insère tout à fait logiquement dans notre programme, comme un bis à la fin d'un concert.
Le thème de la Méditation est assez simple, mais la pièce reflète parfaitement les différents états émotionnels par lesquels passe Thaïs. Massenet nous entraîne avec elle dans ses interrogations existentielles, en modulant les harmonies et les nuances. Qui plus est, cette pièce a une signification toute particulière à mes yeux, car c'était la pièce préférée de ma grand-mère, et je la jouais pour elle à toutes les occasions, jusqu'à son enterrement. Il y a à la fin de la pièce un réel sentiment d'acceptation et de paix, qui accompagne les gens bien après le concert, et qui à mon sens explique en partie l'extrême popularité de cette pièce.
Vous avez aussi eu l'occasion de jouer le programme du disque lors d'un concert en janvier 2013, aurez-vous l'occasion de le jouer de nouveau ou un autre programme dans les mois à venir et vous Solenne y a-t-il aussi une des sonates qui vous tient plus à cœur ?
Solenne Païdassi : Le concert de Janvier au théâtre du Vésinet était en effet une présentation du programme intégral de notre nouveau CD. Nous avons prévu d'intégrer dans presque tous nos programmes de 2013 au moins une sonate du CD, autant pour présenter nos enregistrements que parce que ce sont 3 sonates que nous éprouvons énormément de plaisir à jouer ensemble, depuis notre première rencontre ! La sonate de Saint-Saëns m'est tout particulièrement chère. Je trouve Proust assez injuste dans son jugement de cette sonate, que je trouve pleine d'humour et de sensibilité. Les lignes mélodiques sont absolument superbes, et l'énergie du 4ème mouvement est contagieuse au plus haut point.
Solenne ce disque est votre premier disque, comment avez-vous vécu ce premier enregistrement ?
Faire ce premier CD, c'était déjà réaliser un rêve. De pouvoir le faire avec Laurent, cela m'a permis de me sentir complètement à l'aise, tout d'abord parce que j'ai une totale confiance dans ses choix musicaux, et que jouer ensemble semble venir tout naturellement. Pour moi, une vraie collaboration musicale n'est pas une affaire de compromis, plutôt de regarder et de jouer ensemble dans la même direction. Il y a eu aussi le travail formidable de notre ingénieur-son, Nikolaos Samaltanos, avec qui je travaillais pour la première fois, et qui nous a accompagné de sa voix et de ses suggestions pendant nos longues heures d'enregistrement. Il y bien entendu eu des moments un peu traumatisants, comme l'après-midi où mon archet refusait de faire son sautillé ! Dans des situations pareilles, il devient assez difficile de rester objectif, et plus on s'acharne moins ça marche, mais le résultat final en vaut bien la peine. Je suis vraiment fière de ce que nous avons accompli ensemble, et de sortir ce CD chez le label Indésens, qui publie beaucoup de musique française.

Pour écouter
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Sonate n°1 en ré mineur op.75
Allegretto moderato
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