Prelude, Playing, Suite, Communion, Circling, Glasgow Intro,
On Every Corner, The Well, Communion var., Intuition, Inside
A découvrir le nouveau disque du Quartet du pianiste
Tord Gustavsen.
Ce disque sort le 30 janvier 2012 et le quartet sera en concert
Le 3 février : Grenoble à L'Hexagone de Meylan et
les 4-5 février: Paris au Sunside Jazz Club
C'est encore un très bel album de jazz qu'offre ici le
pianiste et les trois musiciens qui partagent de nouveau sa musique
deux ans après "Restored, Returned", " toutes
les compositions de "The Well", totalement inédites,
sont l'uvre du pianiste Tord Gustavsen, et il ne
peut donc encore être dit que du bien comme l'invite le
titre et comme l'exprime d'ailleurs fort bien l'éditeur
de ce disque ECM " Ce disque met particulièrement
en valeur la cohésion d'un quartet qui désormais
fait corps, mais aussi la forte personnalité du saxophoniste
Tore Brunborg dont le style conjugue une grande inventivité
mélodique, une certaine mélancolie nordique et une
sonorité résolument bluesy. Toujours aussi délicat
mais très soutenu par les rythmes raffinés de la
batterie de Jarle Vespestad et de la contrebasse de Mats Eilertsen,
le piano de Gustavsen, subtilement teinté de gospel, distille
son charme coutumier au caractère à la fois tranquille,
tendre et chaleureux."
Un disque effectivement tendre et chaleureux qui assurément
fait du bien même si la musique est souvent mélancolique,
elle donne envie de se laisser bercer sous un soleil d'hiver bien
présent dans cette musique aux doux rythmes et belles mélodies
de berceuses, auxquelles Tord Gustavsen reste attaché pour
le plaisir de tous ceux qui apprécient les rythmes doux
et lents qu'offre aussi parfois le jazz. Ce second disque avec
les mêmes musiciens est essentiellement en quartet, seulement
deux titres sont en trio, dont "Playing" légèrement
plus rythmé ouvre sur une splendide "Suite"
à quatre débutant par un piano solo, à
voir plus bas dans cette page lors d'un concert à la Roque
d'Anthéron en juillet 2011, le disque a été
quant à lui enregistré en studio en février
2011.
Après plusieurs disques en trio, celui-ci montre encore,
que saxophones et piano vont si bien ensemble qu'ils pourraient
bien devenir inséparables, pour le pianiste Tord Gustavsen
qui avait prévu avant l'enregistrement de multiplier les
séquences en duo ou en trio à l'intérieur
du cadre du quartet, et apprécie toujours de travailler
dans diverses formations "Cette orchestration s'est révélée
en situation la plus riche en potentiel collectif" à
lire l'entretien publié ci-dessous avec l'aimable autorisation
du label ECM ...
Entretien de Christian Stolberg avec Tord Gustavsen
Après
une trilogie consacrée au format piano/basse/batterie,
"Restored, Returned" a été le premier
album dans lequel vous avez expérimenté une multitude
de formats orchestraux allant du duo au quintet. Pourquoi avoir
choisi de vous intéresser au quartet cette fois ?
D'abord et avant tout il s'est agi d'un processus très
naturel pour moi. Après l'enregistrement de "Restored,
Returned" on s'est retrouvé en tournée
à jouer selon les cas dans la formule la plus complète
de l'album, c'est à dire en quintet, mais aussi quelquefois
en quartet et cette orchestration s'est révélée
en situation la plus riche en potentiel collectif. Il m'a paru
logique de profiter de cette dynamique pour écrire et élaborer
un répertoire spécifiquement pour quartet. Et puis
il s'agit là de musiciens avec qui j'aime énormément
voyager et travailler, et ce groupe s'est définitivement
imposé ces deux-trois dernières années comme
ma principale formation, celle que je préfère emmener
en tournée.
Vous avez expérimenté par
ailleurs une grande variété de situations, vous
produisant aussi bien en solo qu'au sein de l'Arctic Chamber Orchestra.
Considérerez-vous désormais le quartet comme votre
base de travail ?
On peut dire ça en effet - même si je vois une
légère différence dans ma façon d'aborder
cet orchestre comparé à l'usage que je faisais du
trio par le passé. Parce qu'en fait jouer en duo, en trio,
voire dans des extensions orchestrales beaucoup plus importantes
de la formule, m'apparaît comme une sorte de complément
naturel au travail de base que j'effectue en quartet. C'est une
situation très riche de potentiel que nous vivons actuellement
: une sorte de combinaison idéale entre la stabilité
propre à un groupe de scène et la stimulation d'avoir
entre les mains un outil permettant d'aborder la musique sous
une multitude d'angles différents.
Quand les idées développées
dans "The Well" ont-elles commencées à
prendre forme ?
Le processus s'est enclenché juste après la parution
de "Restored, Returned" parce que j'avais déjà
commencé à écrire de la musique qui allait
dans cette direction. Mais ensuite les choses se sont développées
très progressivement, le répertoire s'enrichissant
de nouveaux éléments comme j'aime que cela se fasse,
avec lenteur. Durant cette même période j'ai également
eu à répondre à deux commandes qui se sont
intégrées très naturellement dans le répertoire
de cet album. Alors même si je trouve que "The Well"
est aujourd'hui un album cohérent avec une grande unité
stylistique, je sais également qu'il demeure le produit
composite de pièces éparses composées séparément
et de compositions écrites en 2011 pour le Cheltenham Jazz
Festival ainsi que pour l'Oslo International Church Music Festival.
Êtes-vous de ces musiciens capables
d'écrire partout, même en tournée, ou avez-vous
besoin de vous isoler quelque part pour composer ?
A vrai dire les deux situations me conviennent - jusqu'à
un certain point. Parfois mes meilleures idées me viennent
en tournée - lors d'une balance ou à l'hôtel
ou encore en avion. Mais lorsqu'il s'agit d'appréhender
globalement toutes les dimensions d'une pièce musicale
ou de finaliser la forme d'une commande alors j'ai besoin de me
retrouver seul chez moi. Pas forcément de m'isoler totalement
pendant des jours, ceci dit. Je travaille mieux quand je passe
quelques heures de totale concentration et puis que je sors un
peu de chez moi pour me décontracter.
Avez-vous un schéma directeur bien
arrêté quand vous abordez l'élaboration d'un
nouveau disque ? Avez-vous des orientations conceptuelles ou des
idées très précises de ce que vous voulez
voir réaliser artistiquement ?
Oui
et non. En général j'ai une vision d'ensemble ou
un plan si vous voulez (mais le fait même de choisir les
pièces qui figureront sur l'album participe toujours d'une
façon ou d'une autre d'un plan préalable). Ceci
étant il est essentiel de parvenir à articuler cette
vision globale avec une ouverture radicale à ce qui advient
au moment de l'enregistrement, parce que rien jamais ne se réalise
exactement comme on l'avait prévu, et la musique que l'on
fait est toujours meilleure que celle que l'on avait imaginée.
La situation même des musiciens en studio influe sur la
musique, la façon dont ils se sentent à un moment
donné, la façon dont les énergies se projettent
et circulent entre eux, tout ça produit ses effets. Si
tu entres en studio sans rien de conceptualisé du tout,
c'est très dangereux parce que la musique risque de manquer
d'identité. Mais il est tout aussi dangereux de venir avec
un plan qui ne laisse aucune place à l'imprévu.
Ce que j'avais en tête au moment de l'enregistrement de
"The Well", sur bien des plans le disque en rend
compte très précisément, mais il a également
su accueillir des éléments qui l'ont enrichi. A
l'origine j'avais prévu de multiplier les séquences
en duo ou en trio à l'intérieur du cadre du quartet,
mais l'énergie collective du groupe était telle
qu'on s'est contenté le plus souvent de continuer de jouer
tous ensemble. A part deux pièces en trio le reste du répertoire
est interprété par le quartet dans sa totalité
et ça s'est imposé de façon très naturelle.
Avant d'entrer en studio j'avais également à l'esprit
quelles pouvaient être les pièces essentielles ou
centrales dans l'élaboration du message musical véhiculé
par l'album - tout en ayant bien conscience que ça pouvait
changer et qu'un morceau que je ne soupçonnais pas pouvait
s'imposer comme le principal thème de l'album. Il y a des
morceaux que vous jouez toujours bien en concert qui peuvent soudain
se transformer en quelque chose de pas forcément très
satisfaisant en studio au point de ne plus pouvoir s'intégrer
au répertoire. Ces choses là arrivent immanquablement
et sont toujours fascinantes à constater.
Quels sont les morceaux autour de quoi
s'articule le discours de "The Well" ?
Le titre éponyme "The Well" est un peu
plus élaboré d'un point de vue harmonique que les
morceaux de nos albums précédents. C'est un peu
plus dense, il se passe plus de choses et c'est un peu plus sombre
aussi tout en restant très mélodique. Et même
si l'on joue un peu plus, c'est un morceau qui demeure fondé
sur des notions de respiration et d'espace entre les notes. Mais
enfin on peut dire que s'y concentrent les éléments
qui font que cet album est différent des précédents
tout en restant dans la continuité de ce que j'ai fait
jusqu'alors. Le morceau "Circling" est devenu
de façon très bizarre l'une des pièces centrales
de l'album pour moi, parce qu'on a totalement modifié notre
façon de l'appréhender et de le jouer en studio
: il est animé d'une énergie gospel minimaliste
très originale, presque simpliste, mais il se passe pleine
de choses bizarres dans l'interprétation. On y trouve cette
combinaison d'enracinement et d'ouverture qui est le cur
de ma philosophie musicale depuis le tout premier album.
Il y a deux ans quand vous évoquiez
"Restored, Returned" en interview, vous expliquiez
que vous aviez composé le morceau "Child Within"
avec Tore Brunborg à l'esprit. Est-ce une chose que
vous faites régulièrement, composer spécifiquement
pour un musicien ? Y- a t-il des morceaux dans "The Well"
qui ont été écrits de la sorte ?
D'une certaine manière j'applique cette façon
de faire beaucoup plus souvent qu'auparavant. Actuellement je
compose le plus souvent avec ce quartet en tête. Comme je
connais parfaitement les forces de chacun des musiciens qui le
composent, j'oriente mon écriture vers des types de climats
que je nous sais capables de développer ensemble en concert.
Le répertoire a plus ou moins consciemment été
modelé par ma connaissance de ce quartet.
Précédemment dans votre
carrière, vous avez accumulé les collaborations
avec des vocalistes. Pensez-vous dans ce quartet tenir un rôle
similaire d'accompagnateur avec Tore Brunborg au premier plan
dans une position de chanteur ?
On peut certainement pointer des parallèles très
forts entre jouer avec Tore et accompagner un chanteur dans la
mesure où Tore pense principalement la musique du point
de vue de la mélodie. Il ne joue jamais trop de notes.
Son principal souci c'est mettre en valeur le lyrisme des thèmes,
et son phrasé est constamment tourné vers le chant.
Ma relation avec lui est en effet basée sur un mélange
d'accompagnement et de relance que l'on utilise principalement
avec les chanteurs. Mais dans la façon dont interagissent
généralement saxophone et piano il est courant qu'il
y ait plus de flexibilité dans les rôles, chacun
des instruments passant tour à tour sur le devant de la
scène et l'autre se plaçant en soutien, tandis qu'un
chanteur demeure de fait toujours au premier plan. Kristin Asbjørnsen
sur nos précédents albums avait proposé de
très belles parties vocales sans paroles qui s'intégraient
à l'orchestration d'ensemble et dans ces moments elle participait
de façon démocratique à l'instar des autres
instrumentistes au flux musical général, mais dés
qu'un chanteur a des mots à interpréter il se place
tout naturellement au premier plan. Autrement dit il est plus
facile pour un saxophoniste de changer de rôle et de place
dans l'espace de l'orchestre.
Vous avez une fois révélé
que "Restored Returned" était organisé
autour d'un sujet secret et que tous les thèmes avaient
été conçus comme des sortes de berceuses.
Y a t-il aussi une thématique secrète qui parcourt
et sous-tend "The Well" ?
Pas de cette façon, mais cette idée de berceuses
abstraites peut définir à peu près tout ce
que je fais. Cet album ne fait pas exception et les morceaux qui
le composent, même s'ils sont différents en terme
de grooves, de textures ou de degrés d'énergie,
peuvent tous être chantonnés comme des berceuses.
Quand je compose, je commence toujours par une bonne mélodie
facile à fredonner. Mais pour cet album ça a surtout
servi de critère pour choisir dans le foisonnement de pièces
que nous avions à disposition un répertoire bien
équilibré qui sache allier cohérence et variation.
L'ordre des morceaux est intéressant.
On trouve un prélude, une suite, et entre les deux une
pièce intitulée "Glasgow Intro".
Un peu plus tard la pièce "Communion" réapparaît
comme une sorte de reprise. Quelle idée se cache derrière
tout ça ?
Le lien de mon univers avec la musique d'église est essentiel
pour moi. Je considère qu'il y a une sorte de gravité
propre aux hymnes et aux cantiques qui est fondamentale dans l'orientation
de ma musique. Dans cette optique percevoir le déroulement
d'un concert ou d'un album comme une sorte de voyage liturgique
prend tout son sens. De plus les thèmes "Prelude"
et "Communion" sont extraits d'une uvre
conçue en réponse à une commande de l'Oslo
Church Music Festival, il était tout à fait normal
d'en conserver les titres. "Prelude" est une
pièce qui possède sa cohérence intrinsèque,
mais c'est d'abord l'ouverture du paysage sonore qui servira de
décor au voyage musical de "The Well".
Ensuite viendra la "Communion" - un mot magnifique
qui a une double signification : un sens liturgique qui est celui
du sacrement de la communion ; mais aussi une signification plus
profane qui recouvre l'idée de compagnonnage, de lien et
qui peut parfaitement définir le type d'intimité
que l'on partage dans un orchestre.
A voir
Tord Gustavsen Quartet extrait du concert à la Roque d'Anthéron
(28 juillet 2011) ...à voir entièrement dans la
page sur le pianiste Tord Gustavsen
"Suite "