C'est en entendant jouer par d'autres pianistes, côte à
côte, un piano Erard et un piano Pleyel à queue de la fin
des années 1830 que le musicien franco-libanais, Ziad Kreidy,pianiste
et musicologue, chargé de cours de musicologie à lUniversité
de Franche-Comté et Professeur titulaire de culture musicale
au Conservatoire à Rayonnement Départemental de Ville
dAvray, à eu l'idée de ce livre..."Je ne
pensais pas que deux pianos de même taille pussent être
aussi différents. Ensuite , leur différence par rapport
aux Erard et Pleyel de la première moitié du 20ème
siècle m'a étonné."
Cet ouvrage est donc le fruit de son travail mené depuis cette
constatation, un travail d'une dizaine d'années où la
pratique de ces instruments a joué un rôle important. Il
n'est pas question ici pour le musicien de donner des conseils sur la
façon de les jouer mais juste une invitation à voir les
choses différemment dit-il précisant : "Les avatars
sont une trame conceptuelle pour analyser le piano. Je ne désire
pas synthétiser l'ensemble des connaissances sur le sujet mais
inviter le lecteur à voir les choses différemment."
Une invitation à écouter et aussi à jouer, avec
des propos parfois un peu sévères : "Passionnés,
doués, les pianistes sacralisent leur art, et par ignorance de
leur héritage, le piano moderne standardisé. Leur identité
en est indissociable, ils s'y identifient corps et âme. Confondant
interprétation et instrument, ils ont un mal fou à se
libérer de ce carcan et affiche un franc mépris pour la
différence instrumentale, qu'elle concerne la sonorité,
le toucher du clavier ou même l'apparence du meuble. Ils ne soupçonnent
pas l'existence de sonorités anciennes et de touchers différents.
Ils les jugent extrinsèques à leur esthétique qui
s'est forgée sur un univers instrumental rigide. Quant
aux plus optimistes d'entre eux, si de vieux pianos peuvent les intriguer,
ou même s'ils les essaient brièvement , ils n'ont pas l'audace
de les jouer en concert. De peur de nuire à leur carrière,
ils leur portent un intérêt timide et n'osent pas franchir
le pas. Se confrontant à un écart important dans la technique
de jeu, ils exigent intuitivement le réglage d'un piano moderne.
C'est ainsi qu'ils ont été formés".
A travers ces propos Ziad Kreidy pointe en fait plus une réalité
: il y a plus de pianistes que de pianofortistes, constatant au sujet
des "anciens pianos ": " Parce qu'on ignore
leur expressivité, on les exclut. Parce qu'il n'obéit
pas aux exigences modernes, on dénigre tout piano ancien, toute
expressivité différente, toute sonorité amoindrie.
C'est l'adoration de la puissance !"....
Sans
renier les pianos modernes Ziad Kreidy regrette simplement l'uniformité
de nos jours : " Comme chacun sait , en art il n'y a pas de
progrès, mais changement. Le moderne n'est pas supérieur
à l'ancien, il est différent. Le monde entier semble s'accorder
la dessus sauf le monde du piano" ajoutant plus loin : "
Comme on se désintéresse, il serait plus honnête
de mettre à un même niveau de neutralité pianos
modernes et pianos anciens, ou simplement d'afficher son propre goût
sans essayer de le justifier par de pauvres arguments.[...]Dans
ce débat pianoforte-piano moderne, il serait sans doute plus
avisé de commencer par comprendre ce qui, avec le piano moderne,
est à jamais perdu du texte musical. Autrement dit admettre que
les pianistes ont quelque chose à apprendre des pianos anciens.
Le but n'étant évidemment pas de rester fixé sur
la sonorité d'un quelconque instrument ancien mais d'acquérir
une connaissance plus juste des intentions des compositeurs du passé"
Si le musicologue demande d'afficher clairement son goût il le
remet aussi en cause : " Le goût d'un musicologue ou d'un
pianiste, quel qu'il soit, n'est pas à lui seul un argument valable
en faveur du piano moderne. En quoi le goût d'une époque
serait-il supérieur à celui d'une autre ? Accorder sa
préférence au piano contemporain n'est qu'une vieille
tradition, sans cesse revisitée, d'un avatar à l'autre,
depuis le début du 19ème siècle, il ne faut pas
l'oublier".
Dans un chapître sur la résonance et l'équilibre
des registres, largement illustrées d'extraits de partitions
le pianiste démontre qu'on ne peut pas tout faire avec un piano,
ainsi par exemple :" quoiqu'il fasse le pianiste n'a pas le
pouvoir absolu sur son instrument, lequel affirme avec forces ses particularités
musicales. Fait surprenant aucun des pianistes contemporains, majoritairement
très soucieux de respecter le texte musical, ne peut réaliser,
sur piano moderne, un forte-piano de Mozart ou une pédale notée
méticuleusement par Chopin."
Dans un autre chapitre : "Puissance du son et aléas historiques"
le musicologue montre que depuis trois siècles, par dessus tout
et tous, la force du son l'a emporté sur dautres qualités.
Il n'est question que de pianos acoustiques cependant on relèvera
cette petite phrase : " Aujourd'hui c'est l'industrie informatique,
avec ce qu'on nomme le piano "virtuel" qui cherche à
influer sur le son après son émission, mais cela ne concerne
pas le piano acoustique"...une petite phrase certes qui élude
le problème mais qui interroge sur un autre changement ici ignoré,
qui pourtant peu inquiéter lui aussi . Les avatars du piano ne
sont sans doute pas terminés : pour le moment tout le monde artistique
semble s'accorder au moins sur le piano acoustique mais qu'en sera-t-il
demain ? Petite suggestion d'un autre livre à suivre peut-être...
un avatar n'est-il pas outre être l'incarnation d'une divinité
sur terre, la représentation informatique d'un internaute ?
Quoi qu'il en soit ce livre court( 80 pages) est bien évidemment
à lire par tout amateur de piano qui écoute et/ou joue
de cet instrument dont seul, assez curieusement en France et nombreux
pays, ne reste du mot initial "pianoforte", donné par
Bartolomeo Cristofori, le début piano (doux) alors qu'il a gagné
en puissance au fil de ses trois siècles d'histoire...
Que ce livre soit aussi l'occasion de (ré)écouter des
pianistes jouant des pianos anciens ou indifférement les deux
( Trudelies Leonhardt, Yves Henry, Cyril Huve, Natalia Valentin, Edna
Stern... sur ce site ) et tout d'abord l'auteur du livre Ziad Kreidy
dans les vidéos ci-dessous ou dans ce disque paru au début
du mois :
Ziad
Kreidy, piano
Wolfgang Amadeus Mozart Sonates KV 331 et KV 332
Joseph Haydn Sonates Hob. XVI No.48 et Hob. XVI No. 40
Wolfgang Amadeus Mozart Andante en fa majeur (Sonate KV 330)
Joseph Haydn Finale molto vivace (Sonate Hob. XVI No. 34)
Pour vous procurer ce disque...
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