Sonate en si mineur
Ballade n°2
Après une lecture de Dante
Claire-Marie Le Guay, piano
L'illustration de la pochette du disque n'est guère attractive
mais fiez vous plus à son titre"Vertiges" qu'à
cette froide photographie singulièrement retouchée
pour avoir une idée de ce nouveau disque de la pianiste
Claire-Marie Le Guay
qui pour célébrer le bicentenaire de la naissance
du compositeur Franz Liszt avec lequel elle s'est fait connaître
à ses débuts par l'enregistrement des « 12
Etudes d'exécution transcendantes » en 1996, s'est
confirmé par une excellente interprète en 2003 par
un disque regroupant le concerto n°2 et les splendides - et
tout autant vertigineuses légendes.
Son nouveau disque à effectivement matière à
donner le vertige avec trois longues pièces dont la colossale
sonate en si mineur qui avait du attendre cinquante années
avant de rencontrer les faveurs du public, gageons que l'interprétation
de Claire Marie Le Guay ira droit au coeur des auditeurs car Liszt
était un précurseur en son temps et la pianiste
qui défend également admirablement les compositeurs
contemporains offre une interprétation sublimant la modernité
des pièces qu'elle a choisies... finalement la froide pochette
illustre peut-être très bien l'enregistrement car
elle est aussi très moderne, mais la musique n'est pas
froide et frôle même les feux de l'enfer !
Découvrez des extraits plus bas dans cette page et une
vidéo
"En
2011, année du bicentenaire de la naissance de Franz Liszt,
Claire- Marie Le Guay confirme sa grande passion pour le compositeur
Franz Liszt et nous livre son nouvel album, « Vertiges ».
Avec l'épique et grandiose « Après une lecture
de Dante (Fantasia quasi sonata) » qui compte parmi les
plus belles réussites des Années de Pèlerinage
(2ème année, Italie), la sombre et grande «
Sonate en si mineur », souvent considérée
comme la plus haute réalisation pianistique
de Liszt et la « Deuxième Ballade », toujours
en si mineur et composée peu après la Sonate, aux
sonorités typiquement lisztiennes. Une virtuosité
sans faille, des nuances expressives entre « Enfer »
et « Paradis »...
Avec ce nouvel album consacré à Liszt, Claire-Marie
Le Guay effectue en quelque sorte un retour aux sources : c'est
transcendantes » de Franz Liszt que la jeune pianiste avait
été révélée au grand public
en 1996 ; par la suite, elle n'a eu de cesse d'explorer des univers
pianistiques variés, toujours en quête d'oeuvres
de grande envergure, depuis les sonates de Haydn et Mozart, jusqu'à
son « Portrait » consacré à Gubaïdulina,
en passant par Schumann, Ravel, Dutilleux, Escaich...
En 2003, elle consacre un deuxième opus à son compositeur
de prédilection avec les « Concertos et Légendes
» (accompagnée par l'Orchestre Philharmonique de
Liège et Louis Langrée), qui est à nouveau
largement salué par la presse et le public et fut même
comparé par le magazine Gramophone à la mythique
version de Richter et Kondrachine ! Gageons que ce nouveau disque
connaîtra le même enthousiasme."
Présentation de l'éditeur
Texte du livret
" Et si nous valions mieux que le bonheur ? "
F. Liszt
Compositeur, pianiste virtuose, chef-d'orchestre, créateur,
dandy, séducteur, intellectuel, mystique, abbé,
voyageur Héro romantique, Liszt fascine l'Europe
du XIX ème siècle. Les facettes sont multiples,
les ambitions indépassables, l'exemple - aujourd'hui encore
- est flamboyant d'éclats. Homme d'idées, de convictions
et de foi, Liszt voue son existence à sa vision de l'art.
Offrande musicale, toute sa vie tient dans son piano : les péripéties
d'opéra dans les paraphrases et transcriptions, la richesse
de ses racines dans les Rhapsodies hongroises, l'étourdissante
virtuosité digitale dans ses Etudes d'exécutions
transcendantes, les questions mystiques dans ses pages ultimes.
Liszt est né pour le piano, comme Paganini pour le violon.
Non pas pour une " défense et illustration "
de l'instrument, mais comme l'unique moyen d'expression de l'Idéal,
de l'Absolu. Mendelssohn et Chopin, en ce milieu de XIX ème
siècle, ont quitté la terre. Schumann se meurt,
Wagner et Berlioz ne touchent pas le clavier, Liszt demeure donc
le dernier de la génération 1810 à faire
du piano son confident, son compagnon de route et d'expression.
L'instrument dépasse même, parfois, son créateur
par ces rafales virtuoses ou ces précipices de silence,
au bord du vertige. C'est vertigineux car le vertige commence
lorsque l'esprit tente d'intérioriser en un espace mental
ces infinis incommensurables.
Du Chaos au Cosmos, le piano exalte et élève ces
infinis incommensurables. Au milieu du siècle, en 1853,
- étendard sublime - charnière pour tout : la Sonate
en si mineur. Page sans titre ni programme, cette demi-heure de
musique avec ses 760 mesures de pur piano s'impose comme le dernier
jalon romantique du genre : une musique poétique absolue.
Curieux paradoxe alors que le compositeur, au moment de la composition,
vit et réfléchit à Weimar à ses poèmes
symphoniques. Il déploie une énergie considérable
à diriger, enseigner et soutenir les musiciens contemporains.
Au cur de cette effervescence, diamant noir ou relique,
le manuscrit de l'uvre nous indique : " Grande Sonate
pour le piano forte, F. Liszt, terminé le 2 février
1853. " En 1854, l'édition est dédiée
à Robert Schumann qui, quinze ans auparavant, lui avait
adressé sa Fantaisie op. 17. Malade et interné,
le compositeur des Chants de l'Aube n'aura pas connaissance de
l'uvre, lui qui prophétisait aussi des voies sinueuses
pour les années à venir.
Les portes de l'avenir sont donc ouvertes en 1853 avec cette sonate
qui ne ressemble à aucune autre, ni par la structure, ni
par la réalisation. Le fond poétique - qui reste
mystérieux - conditionne la forme, l'esprit dicte la technique.
Conscient du virage accompli par l'uvre, Arnold Schoenberg
dira du compositeur : " Un tel homme n'est plus un artiste
; il est devenu quelqu'un de plus grand : un prophète.
" Pierre Boulez, lui, note qu'avec la Sonate " le compositeur
anticipe glorieusement sur le développement narratif qui
sera la marque du romantisme finissant ( ) la Sonate se présente
comme une sorte de monolithe, monument insolite et unique à
la gloire de cette " musique de l'avenir " dont Liszt
a été un des propagateurs des plus ardents et les
plus intraitables. " Nos maîtres en modernité
ne se trompent pas. Pour seul exemple, la fin de la sonate suffit.
On peut même y entendre Tristan - mais plus de dix avant
le drame Wagnérien - avec ces ultimes mesures, fin éthérée
qui s'évapore dans le pianissisimo. C'est dire la modernité
de l'uvre qui, " du berceau à la tombe ",
après les péripéties se refuse une fin tonitruante
au profit de l'impalpable. Liszt a sans doute hésité
entre une apothéose majestueuse ou une cascade virtuose.
Dans un premier temps, fanfares et trompettes étaient notées
sur la partition. Barrée à grands coups de crayon
rouge sur le manuscrit, la fin sera remplacée par le souffle
fantomatique - gammes incertaines - du début. Vertige de
l'élévation, la dernière minute se veut paradisiaque,
évaporée, osons le mot : Christique.
Objet insaisissable, poème abstrait, la Sonate est avant
tout une fête sonore, un éclatement des sons, mi
poème, mi épopée. Tragédie, élégie
ou Ode à la joie, à la jubilation. Aventure au long
cours, c'est aussi une prouesse pour les doigts et la tête.
La virtuosité envahit le clavier - exploré de fond
en comble - la structure est d'une prodigieuse intelligence de
construction, d'élaboration à partir d'une simple
note dans le grave du piano on déploie les possibles :
embryons thématiques, enchevêtrement de mélodies,
fugato, retour cyclique de thème il faut aussi avoir
des doigts dans la tête pour jouer une telle musique. Liszt
dépasse la technique, le son, la matière et la pensée
car il vise l'ailleurs. " Ecoutez ces staccatos, nous demande
le philosophe Vladimir Jankélévitch, ces notes furieusement
répétées dans le grave, cette rythmique brutale.
C'est la verve du démon qui inspire au musicien ces éclats,
comme elle lui inspire les dissonances, le chromatisme presque
atonal, les accords altérés, les sublimes bizarreries
de la Faust-Symphonie. Liszt n'a écrit qu'une sonate :
mais cette sonate, en un seul mouvement, est plutôt un vaste
poème lyrico-métaphysique pour piano. "
Le compositeur ne se trompera pas lorsqu'il dit souhaiter, en
guise d'uvre, un "javelot lancé dans les espaces
indéfinis de l'Avenir ". Le XIX ème siècle
n'est pas revenu d'une telle météorite, le suivant
ne s'en est pas remis : aujourd'hui encore, on y arrive à
peine car Liszt a ouvert les portes du paradis et de l'enfer.
" Quand le poète peint l'enfer, il peint sa vie :
Sa vie, ombre qui fuit de spectre poursuivie ", le
titre d'Après une lecture de Dante (1849, Fantasia quasi
Sonata) est emprunté à ce poème de Victor
Hugo. Les sources non dévoilées de la Sonate en
si mineur sont ici assumées : la littérature. Les
Années de Pèlerinage ont commencées dans
les eaux paisibles de la Suisse, ce sont poursuivies avec les
profondeurs physiques de notre terre d'abîme, pour glorifier,
in fine, la peinture et la littérature. Michel-Ange, Pétrarque
puis Dante. Après une lecture de Dante, réminiscence
de Dante lu : émotions esthétiques. L'imagination
poétique créatrice est ici portée aux firmaments
car là, dans un raccourci fulgurant, Liszt donne sa maîtrise
de la Lumière ultime. L'ascèse est à son
comble par l'élimination du pittoresque, par les couleurs
traduites en ruptures de rythmes, par les transformations thématiques
dans une forme d'un seul tenant. Cette lecture, fulgurante, avait
annoncée la Sonate par son jaillissement proche de l'improvisation,
truffé d'effets orchestraux transposés au piano.
D'ailleurs, dans un premier temps, la partition avait pour sous-titre
: " Fantaisie symphonique ". Là aussi, tout comme
dans la Sonate en si, un chemin guide le parcourt de l'uvre.
Du motif principal, évoquant les tourments de l'enfer,
on finit vers un choral de béatitudes célestes :
l'artiste guetté par la chute, marche malgré tout,
aux côtés de Dieu. Page de l'immatérialité,
hantée par les ombres, " Venez, ombres et fantômes
du royaume de la détresse et la misère ! "
(Dante), elles errent, dans le passage Presto, agité et
chromatique, pour finir (comme dans la Sonate) sans apothéose
triomphante mais dans la noblesse et grandeur. La souffrance transfigurée
en beauté, le désenchantement consolé par
l'art : La lecture de Dante est une rédemption par la poésie.
Poétique, La deuxième Ballade, comme Saint François
de Paule, débute dans le mystère chromatique des
basses, et apparait comme une uvre de la synthèse
après la Sonate et la lecture de Dante. Elle est composée
juste après et dans la même tonalité que la
première, elle a les proportions de la seconde. Alternance
énigmatique de l'orage et de la pastorale, la Ballade laisse
l'esprit divaguer - aux frontières de l'improvisation -
en recherche de nouveauté. L'uvre oscille entre le
grondement inquiétant et la transparence de la lumière,
ce qui nous indique aussi sur le jeu pianistique de Liszt dont
Borodine disait : " Malgré tout ce que j'avais
entendu dire si souvent sur sa façon de jouer du piano,
je fus surpris par la grande simplicité, sobriété
et rigueur de ses interprétations : rien de maniéré,
aucune affectation ni recherche d'effets superficiels. Ses tempos
sont modérés ; il ne force jamais ni ne s'emporte.
Néanmoins, il y a en lui une énergie inépuisable,
de la passion, de l'enthousiasme et de la fougue. Son jeu est
merveilleux de clarté, richesse et variété
de nuances. " Homme des paradoxes, séducteur et
abbé, Liszt avec sa deuxième Ballade cristallise
les contraires pour annoncer, dés 1853, une inquiétante
modernité. Virtuosité et dénuement, grandeur
des idées et forme concise, violence d'expression et douceur
du sentiment, sacré et profane, somptueux et dépouillé
: Liszt, humaniste, tente les périlleux équilibres
des vertiges.
Rodolphe Bruneau-Boulmier
Claire-Marie Le Guay en concert
à la Folle Journée de Nantes
(5 concerts entre le 2 et le 6 février 2011)
et en récital le 28 mars 2011 à Paris
dans le cadre de sa résidence à lAthénée
théâtre Louis Jouvet
Pour écouter
des extraits de
Liszt Vertiges Claire-Marie Le Guay
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